Et l’Europe, un marché clé pour les exportations de bois tropical illégal …
Toujours issu de l’enquête menée par Greenpeace sur l’industrie forestière de l’Amazonie, dont le 1er volet a synthétisé les résultats, le deuxième volet montre l’importance de l’Europe dans cette crise silencieuse du bois illégal.
Dans l’Amazonie brésilienne, l’industrie forestière est un moteur de la dégradation des forêts et de la déforestation. En raison d’une gouvernance défaillante, l’exploitation forestière taille des brèches dans les massifs forestiers intacts qui ouvrent la voie à la « colonisation », portant atteinte aux écosystèmes exceptionnels de la région et contribuant aux émissions de gaz à effet de serre. De plus, l’exploitation forestière illégale est un fléau qui engendre des conflits sociaux, et qui se caractérise par le recours au travail forcé et à la violence. Au vu de ces répercussions graves et multiples, il est manifestement nécessaire d’adopter une nouvelle approche vis-à-vis de l’Amazonie brésilienne, de mettre fin aux abus du secteur forestier, de protéger la biodiversité et le climat mondial, de mettre en place des mesures de protection et de créer des opportunités pour les communautés forestières, et enfin de garantir aux importateurs que les produits bois qu’ils achètent ne contribuent pas à la destruction des forêts.
L’Europe est un marché clé pour les exportations de bois tropical provenant de l’Amazonie brésilienne : les pays de l’Union européenne (UE) représentent un tiers des exportations de bois de cette région. En 2013, ces exportations représentaient une valeur totale de 148 millions US$. Près de la moitié du bois importé de l’Amazonie brésilienne vers l’UE au cours de cette période provenait de l’État du Pará, dont la moitié des exportations de bois était destinée à l’UE. Près de 80 % des zones exploitées au Pará entre août 2011 et juillet 2012 l’ont été de façon illégale.
Au sein de l’UE, les entreprises sont tenues de respecter le Règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE), qui interdit la mise sur le marché de bois prélevé illégalement. Toutefois, les recherches menées par Greenpeace ont montré qu’un certain nombre d’entreprises européennes ont récemment acheté et importé du bois auprès d’exportateurs brésiliens à hauts risques, qui se sont approvisionnés auprès de scieries ayant transformé du bois illégal (sciemment ou à leur insu), blanchi grâce à des documents officiels frauduleux.
La France est le deuxième importateur mondial de bois tropical issu de l’Amazonie brésilienne, avec des importations s’élevant à plus de 40 millions d’euros en 2013. La Belgique, les Pays-Bas et l’Espagne figurent parmi les 10 principaux pays de destination de ce bois. Le Portugal et l’Allemagne se classent parmi les 15 principaux importateurs, tandis que le Danemark, l’Italie et le Royaume-Uni se trouvent parmi les 20 premiers.
Le bois tropical est utilisé essentiellement pour la construction (40 % du bois tropical importé en France, en Belgique et en Italie), le revêtement de ponts et terrasses (environ 30 % en France et en Belgique, et 70 % en Espagne et en Allemagne), ainsi que les structures de protection côtière, les meubles et la construction de routes.
Responsabilités des importateurs européens :
Conformément au RBUE, entré en vigueur en mars 2013, les entreprises ne doivent pas introduire sur le marché européen du bois et des produits dérivés issus d’une récolte illégale.
Les importateurs (appelés « opérateurs » dans le texte du RBUE), sont également tenus d’évaluer leurs fournisseurs et de prendre les mesures qui s’imposent pour empêcher que du bois et des produits dérivés récoltés de façon illégale ne contaminent leur chaîne d’approvisionnement. C’est ce qu’on appelle le principe de « diligence raisonnée ».
Les négociants ou commerçants, situés en aval de la chaîne d’approvisionnement, doivent tenir à jour des registres de toutes leurs transactions, de façon à garantir la traçabilité de tout bois potentiellement illégal. Les États membres de l’UE sont censés mettre en place les dispositifs juridiques et administratifs nécessaires à l’application du RBUE et, le cas échéant, infliger des sanctions aux entreprises qui ne respectent pas la réglementation.
Lorsqu’ils importent des marchandises de pays ou de régions à hauts risques, les opérateurs doivent redoubler de vigilance pour éviter d’importer du bois illégal. Et lorsque les documents sont souvent frauduleux, comme c’est le cas pour l’Amazonie brésilienne, les opérateurs ne peuvent pas uniquement se fier aux documents officiels pour prouver que la loi a bien été respectée. Ils doivent obtenir des garanties supplémentaires de la part de leurs fournisseurs pour atténuer les risques d’illégalité, et ne devraient pas s’approvisionner en bois auprès des fournisseurs ou de la région en question tant que les risques n’ont pas été ramenés à un niveau négligeable.
Le RBUE s’applique notamment :
1) aux importations de bois de sciage devant être transformé dans l’UE pour fabriquer des produits (terrasses, planchers, etc.) destinés à la vente ;
2) aux importations de produits bois (planchers, etc.) destinés à être vendus dans l’UE ;
3) aux importations de produits bois (planchers, terrasses, etc.) destinés à l’usage propre de l’importateur (par exemple, une chaîne hôtelière qui importe du plancher pour équiper ses établissements, sans intention de revendre la marchandise).
Les recherches menées par Greenpeace, sur la base d’informations largement disponibles et accessibles, montrent que l’exploitation forestière illégale (et le blanchiment de bois illégal) est toujours pratiquée à grande échelle en Amazonie brésilienne en général, et dans l’État du Pará en particulier. Face à cette situation, les importateurs ont l’obligation d’intégrer ces éléments dans leurs stratégies d’évaluation et d’atténuation des risques. Les autorités compétentes de chaque État membre de l’UE devraient surveiller et contrôler le commerce du bois en provenance de l’Amazonie brésilienne, afin de s’assurer que les opérateurs respectent la législation, conformément au principe de diligence raisonnée, et qu’ils n’introduisent pas du bois illégal sur le marché européen, en violation du RBUE.
Exportations de bois de l’Amazonie brésilienne vers le marché européen
France
La France est le principal importateur européen de bois issu de l’Amazonie brésilienne, et notamment de bois d’ipê (pour une valeur de huit millions US$ en 2013). Parmi les entreprises qui importent du bois de l’Etat du Pará en France figurent notamment Tradelink Wood Products Ltd, Ets Pierre Robert & Cie, Guillemette & Cie, Rougier Sylvaco, Ets Peltier, Décoplus et J. Pinto Leitão SA. Chacune de ces entreprises a récemment acheté du bois à des entreprises brésiliennes dont les chaînes d’approvisionnement sont contaminées par du bois issu de scieries qui se sont procurées du bois illégal, blanchi grâce à des documents officiels frauduleux.
Belgique
La Belgique et le 2e importateur européen de bois provenant de l’Amazonie brésilienne. L’an dernier, ses importations de bois ont représenté une valeur totale de 23 millions US$, la plaçant au 5e rang mondial des importateurs. Ce pays est également le 3e importateur d’ipê issu de l’Amazonie brésilienne, suivi par les États- Unis et la France, pour une valeur s’élevant à 6,8 millions US$. Le port d’Anvers est en outre une plateforme clé pour la distribution des produits ligneux tropicaux vers d’autres pays membres ou non membres de l’UE.
Greenpeace a identifié un certain nombre d’entreprises belges qui ont récemment acheté et importé du bois auprès d’entreprises brésiliennes dont les chaînes d’approvisionnement sont contaminées par du bois issus de scieries ayant transformé du bois illégal blanchi grâce à des documents officiels frauduleux. Ces entreprises belges sont les suivantes : Vogel Import Export NV, Vandecasteele Houtimport, Somex NV, Leary Forest Products BVBA, Van Hoorebeke NV, Craco et Saelens Trading BVBA.
Pays-Bas
Les Pays-Bas sont le 6e importateur mondial de bois issu de l’Amazonie brésilienne, et le 3e au niveau européen. D’après les chiffres des autorités brésiliennes, les exportations vers ce pays ont atteint une valeur de
21 millions US$ en 2013. Les grands importateurs de bois brésilien ont tendance à s’approvisionner en bois dur produit de façon responsable (c’est-à-dire certifié par le Forest Stewardship Council, FSC). Cependant, les recherches menées par Greenpeace ont mis en évidence l’existence de liens commerciaux entre les Pays-Bas et des entreprises qui ont acheté du bois auprès de scieries ayant transformé du bois illégal blanchi grâce à des documents officiels frauduleux. Parmi ces entreprises, on trouve Madeireira Rancho Da Cabocla Ltda, LN Guerra Industria E Comercio De Madeiras Ltda et Madesa – Madeireira Santarém Ltda.
Espagne
L’Espagne a toujours été un marché important pour le bois amazonien, en particulier au cours du boom du secteur immobilier qu’a connu le pays, avant la crise. Malgré le récent déclin de ce secteur, l’Espagne reste le 4e pays de destination du bois de l’Amazonie brésilienne en Europe et le 8e au niveau mondial, avec des importations ayant totalisé 12 millions US$ en 2013. En Espagne, l’ipé a été utilisé dans un certain nombre de projets immobiliers publics, notamment dans la construction de la passerelle Padro Arrupe à Bilbao, du centre environnemental de l’Ebre à Saragosse, de l’avenue Diagonal dans le quartier du Poblenou à Barcelone et du pont de l’Arganzuela à Madrid. En 2013, des entreprises, dont López Pigueiras SA, Maderas Casas SA, Tarimas Tropicales et Exóticas SL and Maderas Rías Baixas SL, ont importé en Espagne du bois acheté auprès d’entreprises brésiliennes à hauts risques. Le principal importateur espagnol d’ipé, López Pigueiras SA, s’est déjà fourni auprès d’entreprises brésiliennes qui ne respectent pas les lois : en 2006, Greenpeace avait révélé l’existence de liens entre López Pigueiras SA et des entreprises brésiliennes impliquées dans des activités illégales (faux titres de propriété et plans d’aménagement forestier frauduleux). Ces plans avaient ensuite été suspendus par les autorités environnementales brésiliennes.
Allemagne
Les importations de bois amazonien en Allemagne ont atteint près de sept millions US$ en 2013, faisant de l’Allemagne l’un des 15 principaux pays de destination du bois de l’Amazonie brésilienne au niveau mondial, et le 6e importateur d’ipé de cette région au niveau européen. Plusieurs entreprises allemandes ont récemment acheté et importé du bois provenant d’entreprises brésiliennes dont les chaînes d’approvisionnement sont contaminées par du bois issu de scieries ayant utilisé des documents officiels frauduleux pour blanchir du bois illégal.
Italie
Les importations italiennes ont atteint près de six millions US$ en 2013, classant l’Italie parmi les 20 premiers pays de destination du bois de l’Amazonie brésilienne à l’échelle mondiale, et en 11e position pour le bois d’ipé issu de cette région. L’ipé est principalement utilisé dans la construction de terrasses extérieures (dans des propriétés privées comme publiques), notamment pour les promenades du bord de mer ou des lacs (Lesa, Golfo Aranci), les jetées (Misano Adriatico) ou les terrasses (université polytechnique de Turin). Parmi les principaux fournisseurs du marché italien, on trouve les entreprises New Timber et Ipezai, qui se sont toutes deux approvisionnées l’an dernier auprès d’entreprises brésiliennes à hauts risques.
Danemark
Le Danemark figure parmi les 20 principaux pays de destination du bois de l’Amazonie brésilienne à l’échelle mondiale, avec des importations supérieures à six millions US$ en 2013. DLH Denmark et Keflico A/S font partie des principaux importateurs du marché danois. Ces deux entreprises, parmi d’autres, se sont récemment fournies auprès d’entreprises brésiliennes dont les chaînes d’approvisionnement ont été contaminées par du bois issus de scieries ayant utilisé des documents officiels frauduleux pour blanchir du bois illégal.
Portugal
Les exportations de bois de l’Amazonie brésilienne vers le Portugal se sont élevées à environ neuf millions US$ en 2013, faisant du Portugal le 12e pays de destination de ce bois. D’importants volumes de bois issu de l’Amazonie brésilienne, notamment de l’ipé, sont importés au Portugal par J.Pinto Leitão SA. On sait que cette entreprise achète du bois à des entreprises brésiliennes dont les chaînes d’approvisionnement ont été contaminées par du bois issus de scieries ayant utilisé des documents officiels frauduleux pour blanchir du bois illégal, dont UTC MADEIRAS LTDA.
Royaume-Uni
En 2013, la valeur des importations de bois de l’Amazonie brésilienne vers le Royaume-Uni était supérieure à cinq millions US$. Le Royaume-Uni fait partie des 20 principaux pays de destination du bois de l’Amazonie brésilienne, et notamment d’ipé. Tradelink Wood Products et International Timber (du groupe Saint-Gobain) comptent parmi les principaux fournisseurs du secteur de la construction. Le bois dur brésilien utilisé pour fabriquer des ponts et terrasses, dont l’ipé, est disponible auprès de fournisseurs spécialisés mais aussi de Jewson (appartenant également au groupe Saint-Gobain) et de AW Champion
Timber. De janvier 2013 à février 2014, les enteprises Tradelink Wood Products, Wood and Beyond Ltd. et DLH ont importé au Royaume-Uni du bois qu’elles avaient acheté à des entreprises brésiliennes à hauts risques.
Face à cette situation Greenpeace demande que les entreprises qui commercialisent du bois provenant de l’Amazonie brésilienne doivent :
• cesser de s’approvisionner en bois issu de cette région à moins que leurs fournisseurs soient en mesure de leur certifier de façon crédible que ce bois est légal, et qu’il n’a pas contribué à la déforestation, à la dégradation forestière, à la perte de biodiversité et aux conflits sociaux. Pour cela, il convient de renforcer considérablement les normes de certification actuelles ;
• considérer le bois provenant de l’Amazonie brésilienne comme présentant des risques élevés, étant donné les problèmes chroniques liés à la gestion de l’exploitation forestière, aux mécanismes de contrôle et à l’application des lois, et prendre ces risques en compte pour veiller à respecter scrupuleusement les réglementations dont ces produits font l’objet ;
• mettre en place des politiques d’approvisionnement rigoureuses pour garantir que le bois qu’elles achètent provient de sources légales et n’a pas contribué à la déforestation, à la dégradation des forêts, à la perte de biodiversité ou aux conflits sociaux ;
• apporter leur soutien en faveur d’une réforme du système de gestion, de contrôle et d’application des lois du secteur forestier brésilien, de façon à garantir que le bois amazonien est produit de façon légale et qu’il ne contribue pas à la déforestation, à la dégradation des forêts, à la perte de biodiversité ou aux conflits sociaux.
Que le gouvernement brésilien doit :
• réexaminer sans délai tous les plans d’aménagement forestier approuvés pour la forêt amazonienne depuis 2006 ;
• élaborer et mettre en œuvre de nouvelles règles plus contraignantes pour garantir l’efficacité des processus d’évaluation et d’approbation des plans d’aménagement forestier ;
• établir un système de gouvernance, de contrôle et d’application des lois plus rigoureux pour garantir que l’exploitation du bois amazonien soit transparente et standardisée à l’échelle nationale ;
• réexaminer tous les permis attribués aux scieries et mettre en place un nouveau système pour réglementer leurs activités ;
• renforcer les capacités des agences environnementales fédérales et des États en améliorant les infrastructures et en investissant davantage dans les moyens des surveillance, de contrôle et de respect des lois, et appliquer les sanctions contre ceux qui ont été reconnus coupables d’infractions;
• développer de toute urgence un programme ambitieux pour une gestion efficace des forêts communautaires.
Et que le Conseil fédéral d’ingénierie et d’agronomie doit :
• suspendre toutes les licences professionnelles accordées aux ingénieurs forestiers accusés par les autorités d’avoir participé à des activités illégales, et révoquer définitivement les permis des personnes condamnées.