Qu’en est-il du transfert des particules contaminées dans les rivières de la région de Fukushima ?
Alors que s’opère actuellement les opérations de démantèlement sur le site de la centrale de Fukushima Daiichi, dont la première étape concerne le retrait des combustibles entreposés dans la piscine du réacteur n°4, des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – CEA/CNRS/UVSQ), en collaboration avec une équipe japonaise de l’université de Tsukuba, ont publié les résultats de leurs quatre premières campagnes de mesures menées dans la Préfecture de Fukushima, concernant le transfert des particules contaminées dans les rivières de la région de Fukushima.
Des recherches menées dans le cadre du programme TOFU (TOFU pour Tracing the environmental consequences of the TOhoku earthquake-triggered tsunami and the FUkushima accident.)
Initiée dans le cadre de l’appel « Flash » franco-japonais de l’ANR et de la JST (Japan Science and Technology Agency) à la suite de l’accident de Fukushima, cette étude franco-japonaise fait un point sur le transfert des sédiments contaminés le long des rivières drainant le panache de contamination qui s’est formé dans la Préfecture de Fukushima en mars 2011. Couvrant une zone d’environ 3000 km2, cette étude est la première à réaliser un état des lieux complet, dans le temps et dans l’espace, de l’évolution de la dispersion de ces polluants radioactifs.
Lors de l’accident de Fukushima, des radionucléides émetteurs gamma se sont échappés du combustible nucléaire et ont été relâchés dans l’atmosphère. Ces radioisotopes, principalement du césium-134 et du césium-137 encore traçables aujourd’hui, ont la particularité de se fixer fortement et irréversiblement aux particules du sol et aux sédiments. Sous l’effet de l’érosion, les particules du sol et les radionucléides qu’elles transportent peuvent être transférés dans les rivières puis exportés progressivement vers l’océan Pacifique en traversant des plaines côtières relativement épargnées par les retombées initiales du panache. Des sédiments de rivière ont dès lors été prélevés et leur débit de dose radioactif a été mesuré le long des principales rivières (comme l’Ota, la Mano et la Nitta) qui drainent l'une des parties les plus contaminées du panache de retombées.
Les résultats des quatre premières campagnes de mesures ont permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle les typhons contribuent très fortement à redistribuer la contamination sur le territoire. En effet, ces phénomènes accélèrent l’érosion des sols et conduisent à l’évacuation des particules érodées dans les cours d’eau. Ainsi, les chaînes de montagnes intérieures, qui ont connu les plus fortes retombées radioactives, ont été marquées par une forte érosion après la série de violents typhons de l’été 2011. En vingt mois, une baisse des niveaux de radioactivité en altitude et une redistribution progressive de la contamination vers les zones aval ont été constatées. Après les typhons de 2011, une diminution générale des niveaux de contamination a été mesurée en 2012. La campagne de mai 2013 a confirmé cette baisse des niveaux de contamination dans les rivières, plus rapide qu’attendu. Celle-ci peut s’expliquer par l’occurrence de typhons moins violents en 2012 qu’en 2011.
Cette baisse est toutefois plus marquée et plus linéaire dans les zones montagneuses qu’en plaine. Le changement d’occupation des sols dans les zones de culture en altitude a pu contribuer à limiter l’érosion des sols dans la partie amont qui est la plus contaminée. L’interdiction de cultiver ces terres a en effet favorisé le développement d’une végétation plus dense qui protège de facto les sols contre le phénomène d’érosion. La reprise de l’activité rizicole dans les régions situées en altitude pourrait favoriser l’érosion des sols, qui sont actuellement protégés par un couvert végétal dense. Le cas échéant, en cas de reprise de la culture du riz, une surveillance étroite des niveaux de contamination en aval sera nécessaire.
En plaine, la baisse de la contamination est moins régulière et varie en fonction du bassin versant : la présence ou non de barrages joue un rôle considérable dans la mesure où ils constituent des zones de stockage temporaire de la contamination. Ponctuellement, les sédiments contaminés charriés par les cours d’eau se sont accumulés dans les réservoirs des barrages de la région. Temporairement, les débits de dose ont pu dépasser les 20mSv par an, limite retenue par les autorités japonaises pour délimiter la zone d’accès interdit. Ces résultats invitent à surveiller l’impact des futurs lâchers de barrages susceptibles de relarguer de la contamination dans la section aval du cours d’eau et à réglementer en conséquence les activités de pêche et de loisirs.
La 5e campagne de mesures s’est achevée le 3 novembre 2013. Elle permettra de voir si la baisse de la contamination se confirme ou si les nombreux typhons de 2013, plus violents qu’en 2012, auront à nouveau généré de l’érosion et/ou mobilisé des sédiments contaminés dans les rivières, ce qui se traduirait par une nouvelle hausse des débits de dose dans les sédiments déposés par les cours d’eau.
Ces travaux de recherche sont appelés à se poursuivre jusqu’en 2019, dans le cadre du projet AMORAD financé par le programme des investissements d’avenir en radioprotection et en sûreté nucléaire et piloté par l’IRSN qui devrait débuter début 2014.
Série de cartes retraçant l’évolution temporelle de la pollution radioactive dans les sols et les sédiments déposés par les cours d’eau dans la zone la plus contaminée de la préfecture de Fukushima.
Les points colorés indiquent les débits de dose relevés au niveau des laisses de crue déposées par les rivières ; les niveaux de couleur du fond de carte correspondent aux niveaux relevés dans les sols par les autorités japonaises. La zone à accès interdit ou restreint est circonscrite en rouge. La contamination des points de prélèvement situés en amont des cours d’eau dans la zone du panache radioactif principal baisse rapidement d’une campagne de mesure à l’autre. En aval, on observe dans les rivières le dépôt de sédiments plus contaminés que les sols autochtones (présence de points orange ou jaune en zone verte). On observe que, de manière générale, les zones à accès interdit ou restreint définies par les autorités correspondent bien à celles où les débits de dose annuels dans les sols et les sédiments des rivières dépassent les 20 mSv/an[a]. En mai 2013, on constate qu’à de rares exceptions près, les niveaux de contamination dans les sédiments sont systématiquement moins élevés que ceux des sols environnants et que les débits de dose dans les sédiments déposés par les cours d’eau ont également fortement baissé dans la zone à accès interdit ou restreint. Comme la culture des champs de l’amont est interdite et que la végétation y a repris ses droits, l’érosion de ces parcelles est restée très limitée en 2012, ce qui explique la baisse de contamination dans les sédiments de rivière.
[a] Les 20 mSv/an correspondent à la dose retenue par les autorités japonaises pour définir la zone d’exclusion. En France, cette dose correspond à la limite annuelle autorisée pour les travailleurs du nucléaire (la dose annuelle grand public hors radioactivité naturelle est de 1 mSv).