Quels mécanismes pour revenir à des prix de l’immobilier acceptables…
Une exception à la française, la crise du logement date car chez nos voisins, elle n’est que passagère, c’est donc dans ce cadre que le think tank Terra Nova a cherché à étudier les mécanismes permettant de faire baisser les prix de l’immobiler à un niveau plus supportable.
Voici une synthèse du rapport "DES LOGEMENTS TROP CHERS EN FRANCE, UNE STRATEGIE POUR LA BAISSE DES PRIX." Elaboré par Cyril Aulagnon, Denis Burckel, Jean Delour, Anne Crenn*, Guillaume Hannezo, Xavier Ousset, Nathan Pamart, Vincent Renard, Alain Weber
Les prix immobiliers ont très fortement augmenté en France entre 2000 et 2009, comme dans les autres pays développés. En revanche, depuis 2009, ils sont restés élevés alors qu’ils baissaient chez la plupart de nos voisins. Et les baisses observées depuis 2012, par exemple de - 1,8% en 2013 à Paris, restent modérées sans empêcher les prix de monter encore dans des quartiers ou des villes très recherchés.
L’immobilier cher a des conséquences négatives sur l’économie française. Il accentue les pressions salariales et réduit l’épargne qui bénéficierait aux entreprises. Il renforce les inégalités entre les ménages, en fonction du revenu et de l’âge. Il soutient l’étalement urbain en poussant les ménages modestes à s’éloigner des centres villes.
L’évolution particulière des prix immobiliers français s’explique par des conditions financières favorables, une démographie dynamique, une préférence sociologique pour le logement. Face à cette « envie immobilière », les politiques publiques ont renforcé le soutien à la demande alors que le contexte d’offre demeurait rigide. La rétention foncière et une dispersion des pouvoirs locaux en matière d’urbanisme et de logement expliquent une partie de cette rigidité. Dès lors, un appui supplémentaire global à la demande par la dépense publique ou l’attraction fiscale conforterait les prix élevés.
Pour faire revenir les prix immobiliers à un niveau supportable par les ménages et l’économie, l’actuelle baisse doit être fortement amplifiée par une large stratégie publique courageuse libérant l’offre pour construire davantage. Elle passe par un appui aux collectivités locales constructrices, l’émergence d’un pouvoir d’agglomération pour l’urbanisme, une pression sur les propriétaires fonciers et des dissociations entre la propriété du foncier et celle du bâti.
Le souhait des Français d’accéder à la propriété reste à un niveau élevé depuis l’après-guerre, autour de 80% chez les non-propriétaires. Néanmoins, au-delà du modèle d’un parcours résidentiel dont l’accession à la propriété est l’étape ultime, la montée des incertitudes professionnelles ou des inquiétudes sur l’avenir des retraites incite les ménages à se tourner vers la propriété du logement comme un investissement de précaution.
Face à cette « envie immobilière », les politiques publiques ont renforcé le soutien à la demande alors que le contexte d’offre demeurait rigide. Les prêts à taux zéro et la déduction des intérêts d’emprunts de l’impôt sur le revenu ont soutenu la demande immobilière dans une logique d’accession. Dans un contexte d’offre immobilière rigide, ces politiques de soutien à l’accession ont davantage contribué à faire augmenter les prix qu’à stimuler de nouvelles constructions.
Par des défiscalisations de l’achat dans le neuf (Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier, Duflot), les dispositifs de soutien à l’investissement locatif ont également contribué à soutenir la demande mais n’ont pas servi à apaiser les tensions sur le marché immobilier. Les constructions neuves associées aux mesures de défiscalisation se sont en effet concentrées dans les marchés les moins tendus, créant localement des situations d’excès d’offre.
La rétention foncière et une dispersion des pouvoirs locaux en matière d’urbanisme et de logement expliquent une partie de cette rigidité. Le prix du foncier a augmenté de plus de 550% de 1982 à 2012. Dans les zones les plus tendues, le foncier absorbe entre 33% et 50% du coût de sortie d’un logement. Les coûts de construction ont augmenté nettement plus vite en France que dans les pays voisins, pour des raisons qui relèvent, en partie, d’un développement des normes de construction, notamment au titre de l’accès des handicapés ou de la performance énergétique.
En France, les nouveaux développements immobiliers sont réglementés par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) et sont autorisés par l’attribution d’un permis de construire. Le PLU détermine l’usage du foncier. Il comporte un plan précis délimitant les différentes zones (urbaines, à urbaniser, agricoles, forestières) et un règlement qui précise les conditions de construction dans chaque zone, la localisation des terrains réservés pour de futurs aménagements publics, l’indication des services d’utilité publique. Afin de construire ou d’aménager une construction, il faut disposer d’un permis de construire accordé par le maire en conformité avec le PLU.
A l’exception de certaines zones bien identifiées (Paris intra-muros, certaines zones côtières et touristiques, les grandes agglomérations), le foncier constructible n’est pas rare en France. En revanche, il est difficile à mobiliser en raison de difficultés tout au long de cette chaîne qui inclue le propriétaire du terrain, les promoteurs, sans oublier l’interférence des autorités locales.
Comment débloquer l’offre immobilière française ?
Pour faire revenir les prix immobiliers à un niveau supportable par les ménages et l’économie, l’actuelle baisse doit être fortement amplifiée par une large stratégie publique courageuse libérant l’offre pour construire davantage.
Elle passe par un appui aux collectivités locales constructrices, l’Etat pourrait encourager les élus bâtisseurs et pénaliser ceux qui pratiquent la rétention foncière. La dotation globale de fonctionnement (DGF) constitue la principale dotation de fonctionnement de l’Etat aux collectivités locales. En 2013, son montant s’établit à 41,5 milliards d’euros. Une partie des dotations de la DGF devrait être conditionnée à la mise en œuvre d’un PLU défini pour intégrer les objectifs de construction assignés par ailleurs. Ainsi, les collectivités bénéficieraient d’une dotation globale de fonctionnement majorée en fonction du nombre de logements construits, qui servirait à couvrir les coûts engendrés par la construction de logements. A l’inverse, si le nombre de logements construits est inférieur à l’objectif fixé avec l’Etat, la dotation globale de fonctionnement serait diminuée d’autant.
Par ailleurs, une gouvernance reformée de l’urbanisme au niveau local inciterait plus activement à la construction. Il est donc essentiel que le niveau démocratique des décisions en matière d’urbanisme revienne à l’agglomération. A ce niveau-là, les enjeux de satisfaction globale des besoins et de minimisation des gênes locales peuvent être arbitrés sereinement. Le niveau de l’agglomération est pertinent pour définir des politiques de logement en cohérence avec l’urbanisme et l’aménagement du territoire, les transports et le soutien à l’économie locale. Il s’agit de transférer les décisions de planification urbaine à travers le PLU mais également l’attribution des permis de construire et de démolir, le droit de préemption et d’expropriation. Cela permettrait de concilier plus efficacement bassins d’habitat, bassins d’emploi et infrastructures.
On pourrait également, envisager de rendre obligatoire l’exécution du plan d’urbanisme en pesant sur les propriétaires des terrains. L'exécution du PLU doit être rendue plus contraignante en fonction de plusieurs cas de figures : 1. un terrain nu ou susceptible de le devenir suite à une démolition, comme des entrepôts n'ayant plus d'usage économique ; 2. un terrain bâti ; 3. un terrain «partiellement bâti». Ce dernier cas de figure s'entend de terrains qui pourraient supporter de nouvelles constructions s'ils étaient divisés.
Enfin, de nouveaux dispositifs dissociant le foncier et le bâti pourraient être couplés à des dispositifs de maitrise des prix. Pour les ménages qui seraient autrement exclus du marché immobilier, des outils juridiques permettant une dissociation de l’achat du foncier et du bâti pourraient être mis en place. Ils seraient destinés à favoriser soit la réalisation de logements locatifs à loyers maîtrisés, soit l'accès durable à un logement privé à un prix abordable, le prix étant celui du bâti sans le foncier. La simple dissociation dans le temps de l’achat du foncier et l’achat du bâti est déjà possible, comme cela a pu être fait à travers le Pass-Foncier. Néanmoins, le Pass-Foncier a seulement conduit à un étalement de l’effort financier nécessaire à l’acquisition tout en étant assorti d’un dispositif de sécurisation pour l’accédant. Il s’agit ici d’aller plus loin. Sont ainsi préconisés des dispositifs innovants associant des véhicules pour le portage foncier avec des instruments juridiques permettant, à travers la propriété du foncier, d’avoir une emprise plus grande sur les prix du bâti.
En conclusion, malgré d’inévitables résistances, une politique libérant l’offre permettra une baisse des prix sans effondrement. Il s’agit de débloquer l’offre immobilière dans les zones les plus tendues. Les réformes débloquant le foncier et les rigidités d’urbanisme seraient utilement complétées par une forte production de logements sociaux ou de logements intermédiaires des investisseurs institutionnels. La place accrue de propriétaires bailleurs professionnels, encadrés par un statut juridique et/ou fiscal, rendrait les comportements d’achat plus rationnels, contribuant à des prix plus raisonnables. Une telle politique de renforcement de l’offre réactiverait la production de logements, répondant ainsi aux besoins des Français et permettant une baisse des prix sans effondrement, précisément du fait d’une demande fondamentalement soutenu.
"DES LOGEMENTS TROP CHERS EN FRANCE, UNE STRATEGIE POUR LA BAISSE DES PRIX." Elaboré par Cyril Aulagnon, Denis Burckel, Jean Delour, Anne Crenn*, Guillaume Hannezo, Xavier Ousset, Nathan Pamart, Vincent Renard, Alain Weber