Urgent de créer les conditions de transparence et d’information pour le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse
Fruit de la nouvelle France industrielle, le déploiement industriel sur les territoires français des nanotechnologies et de la biologie de synthèse fait partie des filières de production qui doivent porter la transition écologique et énergétique à l’horizon 2030.
L’essor des nanotechnologies et l’emprise de leurs risques …
La lettre de missions conjointes confiées au CGARM, au CGEDD, au CGAAER, à l’IGAENR et au CGEiet met l’accent sur la nécessité, face à ces enjeux, d’évaluer les dispositifs de politiques publiques à l’œuvre en ces domaines afin de proposer une gouvernance intégrée exemplaire qui soit à la hauteur des enjeux, le statu quo conduisant à s’accommoder d’une dégradation déjà amorcée des positions concurrentielles industrielles françaises, contre lesquelles il est urgent de réagir.
Les matériaux avancés à l’échelle nanométrique (10-9m) comportent et confèrent aux systèmes qui les intègrent des propriétés physico-chimiques singulières, inexistantes aux échelles micro et macrométriques permettant de fortement améliorer leur performance (résistance, légèreté, durabilité) et de développer des techniques nouvelles et plus économes en énergie et matières premières dans la chimie, l’alimentation, le bâtiment, le transport, l’énergie. Un autre domaine d’application est la vectorisation de substances actives dans des structures nanométriques, qui ouvre des perspectives de traitements thérapeutiques sur mesure dans des conditions d’efficacité et d’accessibilité économique intéressantes, la nanomédecine disposant d’une plate-forme technologique européenne bien structurée.
A titre d’illustration, la production mondiale de nanomatériaux a été multipliée par 10 entre 2002 et 2011, passant à plus de 270 000 tonnes en 20113. Une estimation conservatrice pour 2016 est d’environ 400000tonnes4, couvrant principalement les demandes des marchés en microélectronique, énergie, médecine, chimie, revêtement et catalyse.
La biologie de synthèse (BS) repose sur l’ingénierie de « briques de base » du vivant à des fins de production industrielle. On peut citer la création de voies métaboliques de synthèse pour la fermentation de biomasse en vue de produire des carburants, ou encore la production à des coûts très bas de molécules d’intérêt connues pour leurs effets, comme l’artémisinine, antipaludéen produit par une entreprise française sur la base de développements réalisés en Californie (Berkeley), dont le coût de production permettra de fournir les marchés mondiaux.
Les nanotechnologies (NT) et la BS, bien que contraintes par leurs contextes scientifiques, technologiques et sociétaux, ont la capacité de porter les manufactures du futur du fait des multiples effets d’entraînement qu’elles sont susceptibles de déployer sur les territoires. Ce constat a été dressé depuis 2003 par l’IGAENR, le CGM et le CGTI, les Académies des sciences, des technologies et de médecine, ainsi que par l’OPECST en France. Outre les emplois directs et indirects créés, ces technologies autorisent aussi à terme une diminution des dépendances technologiques vis-à-vis d’autres pays, notamment grâce à leur capacité de substitution pour certaines terres rares ou matières premières.
Toutefois, bien que les nanotechnologies et les nanomatériaux (NM) soient déjà très largement mis en œuvre dans l’élaboration de nombre de produits commercialisés (nanoélectronique et matériaux avancés, cosmétique, médicaments, produits destinés à l’alimentation humaine et animale, BTP...), le rôle clé qu’ils sont amenés à jouer dans les scénarios de transition énergétique et environnementale se trouve masqué au regard de la majorité des autorités publiques, par le caractère transverse de leur utilisation, – et par le fait que les nanomatériaux sont des biens intermédiaires, qualifiés par l’Union européenne de « géant invisible ».
Le rapport sur le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse sur les territoires, précurseur des manufactures du futur a donc eu pour objet principal d’identifier la place et le potentiel de développement responsable des nanotechnologies (NT) et de la biologie de synthèse (BS) en France, en recherchant les adaptations nécessaires de la gouvernance publique pour susciter et encourager le déploiement industriel sur les territoires. La France dispose de points d’appui solides et d’un ancrage de niveau européen dans le domaine des nanotechnologies, notamment avec le CEA. Il y observe que les rapports européens, de l’OCDE et réalisés par nos principaux partenaires industriels et commerciaux, estiment que ces technologies transverses et génériques servent autant la société de la connaissance et de l’information que la transition écologique et énergétique à l’horizon 2030. Ils affirment l’importance cruciale d’une vision prospective, d’une coordination des stratégies d’acteurs, et de la création d’une relation de confiance entre les parties prenantes ; celle-ci s’appuiera sur la maîtrise et la gestion des risques dans ces domaines émergents caractérisés par l’incertitude et la complexité. Les marchés directs et indirects des NT et de la BS mondiaux sont estimés respectivement à 3000 milliards et 10 000 milliards de dollars à l’horizon 20251.
Toutefois, le rapport mentionne que l’impact sur les emplois dans les territoires français est très difficile à évaluer il dépendra d’un ensemble de facteurs très complexes.
La première conclusion de cette mission d’évaluation des politiques publiques, s’appuie sur la consultation de très nombreux acteurs : il est indispensable de créer et de faire vivre dans le temps une mission de coordination des politiques publiques relatives aux Nanotechnologies (NT), afin de remédier à tous les inconvénients d’une action publique qui reste dispersée et peu lisible. A défaut, le repli des initiatives et leur absence de synergie risquent de conduire à une sanction économique lourde pour la France, alors qu’elle dispose de talents scientifiques et industriels sur les territoires, et de dispositifs publics d’accompagnement pour réussir en ces domaines porteurs des manufactures du futur. Une gouvernance interministérielle nouvelle est proposée dans le rapport.
Il convient également d’accroître la part des moyens de recherche dédiée à l’évaluation des risques liés aux nanotechnologies et aux nanomatériaux. C’est la deuxième conclusion.
La troisième conclusion s’appuie également sur un constat très partagé par nombre d’acteurs consultés : il est urgent de reprendre une action incitative d’envergure en matière de Biologie de Synthèse (BS). Celle-ci pourrait utilement être adossée à un grand programme lié aux nouvelles technologies, susceptible de faire émerger deux ou trois champions nationaux, qu’il s’agisse de pôles scientifiques et leur écosystème innovant (autour de technopôles spécialisées par exemple), ou de premières réalisations industrielles porteuses d’avenir, à l’exemple des 34 plans industriels récemment lancés par le gouvernement. Ces initiatives dites multi technologies-clé « multi-KETs » permettraient de financer des pilotes industriels, en conformité avec le droit européen de la concurrence. Elles permettraient également de récupérer les savoirs qui font l’insertion réussie dans les chaînes de valeur mondialisées.
La quatrième conclusion est relative à la transparence et à l’information : il est urgent de créer les conditions de la confiance entre industriels, chercheurs et société civile en s’inspirant des meilleures pratiques des pays industrialisés. Compte tenu des échecs passés, la mission ne préconise pas de grand débat national, mais au contraire l’investissement continu dans la culture scientifique, technique et industrielle, le dialogue permanent, banalisé sur les territoires, et en appui sur les acteurs régionaux institutionnels et industriels, qui lui paraissent plus aptes à favoriser le développement responsable de la recherche, de l’innovation et de l’investissement dans ces filières en devenir, que l’on sait dotées de puissants effets d’entraînement multisectoriels. La mission fait des propositions concrètes qui lui semblent correspondre aux préoccupations des acteurs rencontrés.
Sur les aspects règlementaires, la mission propose un moratoire au niveau national afin de préparer dans les enceintes communautaires et internationales des recommandations sectorielles permettant un développement responsable et une concurrence loyale.
La composition interministérielle de la mission a également permis d’aboutir à un jeu cohérent et priorisé de propositions issues du secteur de la Défense et des technologies duales qui le servent. La mission souligne l’importance de programmes «ciblés et moteurs » en vue d’obtenir des produits ou systèmes duaux issus des nanotechnologies, et de la biologie de synthèse et des moyens contribuant à les produire et à les contrôler. La maîtrise durable de la base industrielle et technologique de sécurité et de défense est à ce prix en France ; elle comporte des effets directs et indirects de déploiement industriel sur les territoires et contribuera ainsi à la réalisation de cet objectif.
En guise de conclusion, la mission classe 13 propositions :
A. Propositions communes à tous les secteurs :
1. Créer une fonction de coordinateur national des politiques publiques relatives aux nanotechnologies (NT)
2. Accroître la part des moyens de recherche publique et privée dédiée à l’évaluation des risques liés aux nanotechnologies et aux nanomatériaux
3. Créer les conditions du développement de la biologie de synthèse (BS)
4. Créer les conditions de la confiance sur les aspects sociétaux
5. Approfondir dans le cadre de missions futures plus générales, plusieurs pistes en vue de favoriser le déploiement des premières réalisations industrielles des manufactures du futur sur les territoires
6. Assurer la pérennité du crédit impôt recherche (CIR)
7. Renforcer la recherche et l’influence françaises dans les domaines de la normalisation et des référentiels du risque en matière de NT et de BS
8. Renforcer la traçabilité physique des matériaux avancés issus des NT et de la BS par un système international unique de description des nanomatériaux
B. Propositions/Objectifs du secteur Défense : Elles visent à satisfaire, en matière de nanotechnologies et de biologie de synthèse, les objectifs suivants :
9. Assurer le déploiement industriel nécessaire à l’armement
10. Contribuer à la préservation de la qualité et de la maîtrise des approvisionnements de Défense souverains en nanotechnologies et en biologie de synthèse
11. Se prémunir contre les risques fondamentaux liés aux NT et à la BS dans un cadre national
12. Assurer la prise en compte interministérielle des spécificités Défense dans le domaine des nanotechnologies et de la biologie de synthèse
13. Préserver l’acceptation par la société de produits utiles à nos industries de Défense et nos industries duales, issus des nanotechnologies et de la biologie de synthèse