Fort de Vaujours : Des mesures contradictoires donnent raison à un simple citoyen
Dans un communiqué du CRIIRAD, une Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité, les mesures contradictoires donnent raison à un simple citoyen et invalident les bilans des organismes spécialisés. L’analyse théorique que la CRIIRAD avait faite du dossier a été confirmée, point par point, sur le terrain.
En 2011, M. Christophe Nedelec, un simple citoyen équipé d’un radiamètre grand public, le Radex, avait détecté une contamination à l’intérieur d’une des casemates du fort de Vaujours, casemate pourtant réputée décontaminée. Depuis lors, des organismes spécialisés s’étaient succédé, à la demande de PLACOPLATRE, afin de vérifier la réalité de l’anomalie.
IRSN, BURGEAP, CEA ..., ils ont tous conclu à l’absence de problème.
Connaissant les caractéristiques de l’uranium et celles des appareils utilisés par les différents intervenants, la CRIIRAD avait insisté pour que le dossier ne soit pas refermé, répétant que les résultats de mesures concordants des laboratoires spécialisés ne prouvaient absolument pas l’absence de contamination. En effet, la plupart des appareils utilisés n’étaient pas adaptés, à la différence du Radex, à la détection des rayonnements émis par l’uranium.
Afin de sortir de la polémique, la CRIIRAD décidait, le 11 février dernier, de répondre favorablement à la demande de PLACOPLATRE et de participer à des mesures contradictoires dans la casemate incriminée.
Elle apprenait, le 14 février, que la Préfecture de Seine-et-Marne avait sollicité l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) pour l’organisation d’une contre-expertise et que celle-ci n’avait retenu que deux laboratoires, l’IRSN et l’ACRO, confiant de plus à l’IRSN – pourtant impliqué dans le dossier – la responsabilité d’élaborer le protocole à suivre pour la réalisation des mesures. Dans toute intervention de terrain, le protocole est l’élément clef. Aussi était-il essentiel d’éviter sur ce point tout conflit d’intérêt : on ne désigne pas, comme juge d’un litige, l’une des parties au procès.
Les appréhensions de la CRIIRAD ont été confirmées lundi 24 février au matin quand elle a pris connaissance du document rédigé par l’IRSN : il était évident que le protocole n’était pas conçu pour répondre aux vraies questions du dossier. La CRIIRAD a aussitôt alerté l’ASN. C’était d’autant plus impératif que la mobilisation des associations avait finalement permis à son laboratoire de participer à l’inter-comparaison. En dépit du silence de l’ASN, elle décidait cependant de maintenir sa participation, comptant bien obtenir in situ un minimum de garanties afin de faire éclater la vérité.
Bilan des mesures contradictoires :
Un communiqué plus détaillé sera publié dans les prochains jours, dès lors que les mesures de l’ensemble des laboratoires seront vérifiées. L’ASN a, en effet, chargé l’IRSN de les compiler et de les renvoyer d’ici ce soir à chaque participant pour validation. L’IRSN et l’ACRO devront ensuite remettre leur rapport pour le mardi 4 mars. La CRIIRAD est intervenue sur ses fonds propres, grâce aux cotisations de ses adhérents, et se trouve donc totalement libre de communiquer dès aujourd’hui. Un certain nombre de conclusions peuvent être tirées sans attendre.
1. Les mesures effectuées démontrent que M. Nédélec avait raison : il y a bien une contamination dans la casemate TC1, au point CEA 1. Certains appareils – tels le Radex et le MCB2 – ont pu la détecter, d’autres non, exactement comme l’avait prévu la CRIIRAD ;
2. Des questions lourdes pèsent sur le travail précédemment réalisé par les organismes spécialisés, en particulier l’IRSN et le BURGEAP. Ils n’avaient détecté aucun problème au point CEA 1, pourtant clairement délimité. Cela aurait dû être un jeu d’enfant. Alors, négligence, incompétence, action délibérée, obéissance aveugle à des protocoles officiels inadaptés ? Quelle que soit l’explication, l’État et l’ASN se doivent d’apporter des réponses. Non seulement des réponses mais également des garanties. Le point CEA 1 n’est, en effet, que la partie émergée de l’iceberg : c’est la méthodologie de contrôle de l’ensemble du site de Vaujours qui est en cause. Et au-delà de Vaujours, c’est l’ensemble du territoire français qui est concerné. Car ce n’est pas la première fois que la CRIIRAD est confrontée à ce type de situation : depuis sa création en 1986, au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, elle ne compte plus le nombre de fois où son laboratoire a repéré une contamination sur un site que les experts choisis par les exploitants ou par l’État avait jugé sans problème. Ces constats n’ont jamais donné lieu à sanction... bien au contraire ! À titre d’exemple, la CRIIRAD se bat depuis des années et des années contre des protocoles officiels qui imposent des mesures à 50 cm, voire à 1 mètre au-dessus du sol. Cela peut être une bonne solution dans certaines configurations mais souvent cela ne permet pas de rendre compte de l’état radiologique du site. Dans le cas des casemates de Vaujours, c’est le meilleur moyen de ne rien voir. Un professionnel de la mesure ne saurait l’ignorer.
3. Un incident préoccupant s’est produit au cours de la session de mesure : à force d’intervenir sur le point CEA 1, de la poussière et des micro-fragments sont tombés au sol. Les mesures ont permis d’isoler un élément radioactif qui a été emporté par l’IRSN pour analyse en laboratoire. Ceci pose à nouveau, avec acuité, la question du conflit d’intérêt.
Cela confirme la persistance des risques de contamination et la nécessité – autant que la difficulté – de protéger les personnels amenés à intervenir sur le site. Invisibles à l’œil, difficiles à détecter sans des contrôles au plus près des surfaces (et donc extrêmement longs et coûteux), ces micro-fragments et poussières radioactives peuvent en effet être ingérés, voire inhalés. Faute de précautions adaptées, ils peuvent également être transportés à l’extérieur du site (par les vêtements, les semelles des souliers, etc.). Le contrôle des chantiers à venir doit donc être confié à un organisme fiable. Or, la société Placoplatre n’a pas le choix : l’arrêté inter-préfectoral lui impose de recourir à l’IRSN pour tous les contrôles radiologiques et la mise en œuvre de la radioprotection.
• Le dossier est loin d’être refermé
La CRIIRAD aura l’occasion de revenir, dans les prochains jours et semaines, sur le dossier de Vaujours et les nombreuses anomalies qu’elle a détectées, que ce soit lors de la session de mesures contradictoires où elle était représentée par Bruno CHAREYRON, responsable de son laboratoire, ou dans les différents rapports qu’elle a étudiés. Elle procèdera également à l’analyse critique des rapports que rendront l’IRSN et l’ACRO. Les enjeux sont tels que l’on peut s’attendre à un combat acharné.