Le 21e siècle sera-t-il construit en bois. PART.I
Les constructions d’immeubles en ossature bois se multipliant, il est intéressant de se poser naturellement la question sur les potentialités de cette ressource dans les décennies à venir et si ce 21ème siècle sera-t-il construit en bois ?
Partout sur les continents terrestres, le bois prend de la hauteur. Allemagne, Canada, Australie, États-Unis... Plusieurs pays ont entrepris la construction de bâtiments multiétages en bois de moyenne et grande hauteur.
On semble oublier que le bois était déjà utilisé il y a plusieurs siècles pour concevoir des bâtiments en bois de grande hauteur. Par exemple, des pagodes en bois de cinq étages et vieilles de plusieurs siècles ont été construites au Japon. C’est le cas, entre autres, de la pagode du temple Horyuji, érigée en l’an 607. Cette pagode de cinq étages, d’une hauteur de 122 pieds, est d’ailleurs l’un des plus vieux bâtiments en bois au monde. En Chine, la pagode Sakyamuni du temple Fogong, construite en l’an 1056, est quant à elle haute de neuf étages, soit d’une hauteur de 221 pieds. Ces bâtiments constituent la preuve que lorsqu’il est bien entretenu, un bâtiment en bois peut durer plusieurs années, voire même plusieurs siècles dans ce cas-ci.
En observant la structure des pagodes, ces temples millénaires construits principalement en bois, on remarque un pilier central (shinbashira) entouré de plusieurs séries de cadres concentriques.
Ce système procurait aux pagodes une résistance phénoménale lors des séismes. Aujourd’hui, les bâtiments en bois de moyenne ou de grande hauteur comportent également une série de cadres (murs de refend en ossature légère ou en CLT) pour reprendre les efforts sismiques.
Au Canada, en effet, on trouve également aujourd’hui dans les vieux Centres-villes de Montréal, Toronto ou Vancouver des bâtiments de cinq, six et sept étages en bois dont les structures sont en excellente condition. Par exemple, d’anciens bâtiments en poteaux et poutres de bois de sept niveaux ayant servi à l’origine aux manufacturiers de textile ont été convertis en luxueux condominiums dans le Vieux-Port de Montréal.
Six, huit, dix étages... Partout dans le monde, on rivalise en hauteur pour les bâtiments en bois. Le défi : répondre au besoin de densification des villes tout en réduisant l’impact environnemental des bâtiments. En effet, grâce aux nouveaux produits d’ingénierie offerts sur le marché et à l’évolution des systèmes et des techniques de construction, les immeubles multiétages en bois sont non seulement devenus possibles, mais se multiplient ici et ailleurs.
Afin d’adapter la réglementation à la nouvelle réalité en matière de construction en bois, plusieurs pays ont donc revu leur Code du bâtiment pour permettre la construction de bâtiments multiétages en bois. Ainsi, en 2009, la Colombie-Britannique modifiait son Code de construction pour permettre l’érection de bâtiments résidentiels de six étages en bois. Compte tenu de la forte pression démographique en périphérie de Vancouver, de l’augmentation de la valeur foncière des terrains et des politiques de densification, la demande pour des bâtiments de moyenne hauteur en bois s’est accrue rapidement. À preuve, plus de 180 projets ont été construits ou sont en voie de l’être depuis 2009. Aux États-Unis, les États de l’Oregon et de la Californie permettent également ce type de construction.
En Europe, la plupart des pays permettent la construction de bâtiments en bois de plus de six étages. C’est notamment le cas de la Finlande, qui a modifié son Code de construction en 2011 pour faire passer de quatre à huit la limite du nombre d’étages pour les bâtiments en bois. D’autres pays vont même jusqu’à autoriser les constructions multiétages en bois sans contrainte de hauteur maximale, dans la mesure où les bâtiments atteignent les objectifs de sécurité du Code. C’est le cas du Royaume-Uni, dont le Code du bâtiment est dit « basé sur les performances ». Ainsi, chaque projet a l’occasion de démontrer qu’il répond aux normes minimales en matière de sécurité, et chaque matériau est traité de manière égale.
L’engouement pour les multiétages en bois est essentiellement lié aux possibilités qu’offrent les nouveaux bois d’ingénierie ainsi qu’à la bonne réputation du matériau qu’est le bois en matière de lutte contre les changements climatiques. En effet, étant issu d’une ressource locale et renouvelable, en plus d’être reconnu comme étant carboneutre, il permet ainsi de réduire sensiblement l’empreinte environnementale des bâtiments.
Une étude réalisée en 2008 par l’Université de Canterbury pour le compte du ministère de l’Agriculture et de la Foresterie de la Nouvelle-Zélande a permis de comparer l’impact environnemental d’une utilisation accrue du bois dans la construction multiétages. Pour ce faire, trois bâtiments similaires, basés sur un immeuble existant d’une hauteur de six étages et d’une superficie de 4 200 m2, ont été analysés selon trois scénarios : structure en acier, structure en béton, structure en bois. Les chercheurs ont également analysé un quatrième scénario où l’utilisation du bois se trouvait maximisée et s’étendait à d’autres éléments du bâtiment (fenêtres, revêtement extérieur, etc.). Il s’est avéré que l’utilisation du bois réduisait considérablement l’impact environnemental du bâtiment, diminuant non seulement la consommation d’énergie et les émissions de carbone liées à sa construction, mais augmentant du même coup son efficacité énergétique.
Tour d’horizon de ces bâtiments novateurs :
6 ÉTAGES
Édifice Fondaction, Québec (Canada)
Considéré par plusieurs comme le premier édifice de six étages à charpente en bois en Amérique du Nord, cet immeuble à bureaux de six étages construit en 2010 est une vitrine pour le savoir-faire québécois en matière de construction multiétages en bois. La réalisation de ce bâtiment de 6 000 m2 en bois lamellé-collé a permis de démontrer que les charpentes en bois pouvaient désormais être acceptées au Québec pour des projets allant au-delà des solutions acceptables prescrites dans le Code national du bâtiment. En outre, le choix du matériau bois pour la structure s’avère judicieux : il a contribué à un gain énergétique de 40 % par rapport au bâtiment de référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments, en plus d’avoir réduit de 1 350 tonnes l’émission de CO2 dans l’atmosphère.
Ce projet a remporté de nombreux prix, dont le premier prix du Design and Build SCF Award 2010, ainsi que le prix Bâtiment commercial et le choix du public aux Mérites d’architecture de la Ville de Québec. Il s’est également démarqué aux Prix d’excellence cecobois 2010 en remportant le prix Bâtiment commercial de plus de 600 m2 ainsi que le prix Concept structural
Projet en bref
Aire du bâtiment : 6 000 m2 (1 000 m2 par étage)
Hauteur : 22m
Architecte (extérieur) : GHA architecture et développement durable
Architecte (intérieur) : Tergos Gestion
Génie structural : BES – Bureau d’études spécialisées inc.
Entrepreneur : Pomerleau
Fournisseur de produits du bois : Nordic Structures Bois
7 ÉTAGES
Esmarchstrasse 3, Berlin (Allemagne)
Un des rares bâtiments à ossature de bois à Berlin, le Esmarchstrasse 3, ou E-3, est le premier immeuble résidentiel multiétages en bois construit en milieu urbain en Europe. Construit en 2008, cet immeuble présente plusieurs solutions de rechange afin de satisfaire les exigences en matière de sécurité incendie, le Code du bâtiment de la ville n’autorisant normalement pas l’érection d’un bâtiment en bois de plus de 5 étages. Parmi les mesures apportées, la plus spectaculaire est sans doute la cage d’escalier autoportante en béton qui est ouverte sur l’extérieur. La structure du E-3 est composée d’un système poteau-poutre en bois lamellé-collé de 24 X 26 pouces, avec un agencement bois-béton pour les planchers.
Projet en bref
Hauteur : 22 m
Architecte : Kaden Klingbeil
8 ÉTAGES
H8, Bad Aibling (Allemagne)
Cet immeuble résidentiel de huit étages, construit en 2011 à partir de bois contrecollé BBS, est le plus haut du genre en Allemagne. Projet vitrine pour ses concepteurs, il constitue une construction innovante en bois à basse consommation d’énergie qui doit devenir le point central de la « ville en bois de l’avenir », où d’autres immeubles passifs devraient voir le jour au cours des prochaines années.
En tout, 750 m3 de bois d’épicéa ont été utilisés. Si le noyau de la cage d’escalier est en béton, l’ensemble de la structure porteuse du bâtiment, à savoir les murs porteurs et les planchers, est en bois. La préfabrication de la construction (incluant la cage d’escalier, les balcons et l’équipement technique du bâtiment) qui a permis d’ériger un étage tous les deux jours, et cela, uniquement avec quatre à six employés sur le chantier en a étonné plus d’un pour un projet de cette ampleur.
Projet en bref
Aire du bâtiment : 1 320 m2 (165 m2 par étage)
Hauteur : 26m
Architecte : SCHANKULA - Architeckten
Maître d’ouvrage : B&O Gruppe
Entrepreneur : Hubert & Sohn GmbH & Co. KG
Fournisseur de produits du bois : binderholz
8 ÉTAGES
Grandement sensibilisée à la lutte aux changements climatiques, la ville suédoise de Växjö a fait construire un complexe sociaux de quatre immeubles de huit étages, abritant au total 134 logements de type sociaux. Les bâtiments en bois qui composent ce complexe sont les plus hauts du genre en Suède.
La construction de ces bâtiments a été effectuée en deux phases: une première complétée en 2008, et une deuxième, en 2009. Un rez-de-chaussée en béton sert de base pour la structure de bois lamellée-croisée (CLT), qui s’élève sur sept étages. Le bois a été utilisé à la fois pour les murs et les planchers.
Ce projet a remporté le prix « Utmärkt modernt träbygge » (Excellent bâtiment moderne en bois) par la Stratégie nationale du bois et Träbyggnadskansliet. Il s’inscrit dans le projet Valle Broar, qui a pour objectif de devenir une vitrine pour les technologies de construction en bois et de faire de Växjö la ville moderne du bois.
Projet en bref
Aire du bâtiment : 14 240 m2
Hauteur : 26m
Architecte : ArkitektBolaget
Propriétaire : Midroc Property Development AB
Fournisseur de produits du bois : Martinsons Byggsystem
8 ÉTAGES
Lifecycle Tower One, Dornbirn (Autriche)
La LifeCycle Tower One, construite en 2012, est un immeuble à bureaux multiétages présentant un système structural hybride bois-béton.
Imaginé par la firme autrichienne Cree GmbH, le concept présente une ossature légère en bois pour les façades, tandis que les fondations et le premier étage sont construits en béton. Un mélange des deux matériaux est utilisé pour les planchers. Ce bâtiment de huit étages constitue en fait un prototype pour la firme, qui soutient que son système innovant permettrait de bâtir des immeubles en bois pouvant atteindre jusqu’à trente étages (voir p. 6).
La LifeCycle Tower One répond également au standard allemand de la construction passive Passivhaus. Son impact sur l’environnement est ainsi réduit de 90 % par rapport à une tour traditionnelle
Projet en bref
Aire du bâtiment : 2 496 m2 (312 m2 par étage)
Hauteur : 27m
Architecte : Hermann Kaufmann ZT GmbH
Propriétaire : Cree GmbH
8 ÉTAGES
Bridport House, Londres (Royaume-Uni)
Au moment de la fin des travaux en 2011, cet immeuble résidentiel de 41 logements était considéré comme le plus grand bâtiment en bois au monde. Il se divise en deux blocs, soit un de huit étages et un autre de cinq étages, totalisant.
La structure est conçue à partir d’un système utilisant du bois lamellé-croisé (CLT), incluant le rez-de-chaussée et les cages d’ascenseurs. L’utilisation du bois a permis d’ériger le bâtiment en seulement 12 semaines, soit en moitié moins de temps qu’une structure en béton. D’ailleurs, l’emplacement choisi étant situé au-dessus d’un égout pluvial de grandes dimensions, ne permettait pas de supporter le poids d’un grand bâtiment de béton. La légèreté du bois a ainsi permis de maximiser l’utilisation du site, permettant ainsi de doubler la hauteur du bâtiment prévue au départ, en générant une augmentation du poids total de la structure de seulement 10 %.
Projet en bref
Architecte : Karakusevic Carson Architect
Ingénieur : Eurban Ltd.
Entrepreneur : Willmott Dixon Group
Propriétaire : Banlieue londonienne de Hackney
Fournisseur de produits du bois : Stora Enso
9 ÉTAGES
Via Cenni, Milan (Italie)
La capitale mondiale de la mode aura elle aussi droit à son immeuble multiétages en bois, et pas le moindre! Le projet Via Cenni, dont la construction devrait s’achever cette année, consiste en un complexe de quatre bâtiments résidentiels de neufs étages en bois lamellé-croisé qui accueillera une variété de logements sociaux. Il s’agit d’ailleurs d’un des premiers projets de cette envergure à être réalisé dans une zone hautement sismique. Cette particularité géographique a retenu l’attention tout au long de la conception des bâtiments de ce complexe.
Les murs et les planchers en bois massif répondent à un besoin de jumeler confort, sécurité et développement durable. D’ailleurs, de nombreux moyens ont été pris afin d’augmenter l’efficacité énergétique du bâtiment et assurer le confort des occupants, dont l’installation d’un système de géothermie et de récupération des eaux de pluie.
Projet en bref
Aire du bâtiment : 30 325 m2
Architecte : RPA Rossi Prodi Associati
Ingénieur : Techne S.p.a.
Maître d’ouvrage : RTI Carron Cav. Angelo SpA e Service Legno srl
Fournisseur de produits du bois : StoraEnso
10 ÉTAGES
Forte Living, Melbourne (Australie)
Avec ses dix étages, la tour d’habitation Forte Living, située dans le quartier de Victoria Harbour, à Melbourne, est non seulement le premier immeuble multiétages en bois en Australie, mais également le plus haut au monde à l’heure actuelle. Achevé en 2012, ce bâtiment abritant des commerces au rez-de-chaussée et 23 appartements est composé d’une structure en bois lamellé-croisé reposant sur un premier étage en béton. Le constructeur, Lend Lease, souligne que d’opter pour le bois a permis une construction plus rapide, plus sécuritaire et avec un plus haut degré de précision. De plus, le bois lamellé-croisé offrant une meilleure performance thermique, Lend Lease estime que les locataires pourront profiter d’économies de l’ordre de 300 $ par année, soit jusqu’à 25 % de moins qu’un appartement traditionnel.
En tout, 760 panneaux de bois certifié et usiné ont été utilisés pour les murs, les plafonds et les planchers des étages. Le recours au bois en remplacement d’autres matériaux a permis de réduire de 1 400 tonnes l’émission de CO2 de ce bâtiment, soit l’équivalent de 345 voitures pendant un an.
Projet en bref
Hauteur : 32m
Architecte et constructeur : Lend Lease
Fournisseur de produits du bois : KLH Massivholz