Inciter ou obliger la rénovation énergétique ?
A cette question, le Plan Bâtiment Durable et la rédaction du Moniteur ont présenté le rapport conduit par Jacques Chanut (FFB) et Raphaël Claustre (CLER) intitulé « Explorer l’obligation de rénovation énergétique dans le secteur résidentiel ».
Pour tenter d’y répondre, le rapport souligne que cette réflexion sur une éventuelle obligation de rénovation dans le parc résidentiel avait été posée dans le Comité opérationnel n°3 du Grenelle de l’Environnement, dédié à la rénovation des bâtiments existants. Les travaux de ce COMOP avaient conduit à énoncer une orientation qui se décline en deux temps : tout d’abord un effort spécifique « sur l’information et la sensibilisation des particuliers ainsi que sur le déploiement d’une offre de qualité » est apparu indispensable ; ensuite, mais seulement ensuite, pouvait être envisagé le deuxième temps de l’action qui pourrait « alors consister en l’instauration de dispositifs coercitifs qui seront d’autant plus efficaces et acceptés qu’ils auront été précédés d’une période exemplaire d’appropriation de la valorisation de l’efficacité énergétique».
Déjà en 2008, l’idée d’une éventuelle obligation de travaux dans le secteur résidentiel avait fortement animé les débats, plusieurs voix s’étant élevées pour appeler à une détermination immédiate de l’obligation de travaux, de telle façon qu’elle puisse être organisée dans la loi Grenelle alors en préparation. Cette idée n’ayant pas été partagée par la majorité du Comité opérationnel, celui-ci avait recommandé que des études complémentaires viennent éclairer cette question.
La rénovation énergétique des bâtiments, et spécialement du parc résidentiel, constitue l’une des grandes priorités du quinquennat de François Hollande, devant se traduire par l’objectif de 500 000 rénovations énergétiques annuelles de logements d’ici 2017. La conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012 et les mesures en faveur de l’investissement pour le logement ont repositionné le débat.
Les travaux en cours dans le cadre du Débat national sur la transition énergétique (DNTE) ont de nouveau soulevé cette question et rappelé que l’étude visée à l’article 5 de la loi Grenelle 1 n’avait toujours pas été effectuée. Aussi, à l’occasion de l’audition de Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, par les acteurs du débat réunis au sein du groupe de travail n°1 « Sobriété et efficacité énergétique », il a été demandé au Plan Bâtiment Durable de conduire une réflexion sur la faisabilité et les éventuelles conditions de mise en œuvre d’une obligation future de rénovation énergétique dans le secteur résidentiel. Cette proposition a été particulièrement portée par les ONG.
C’est pourquoi, Philippe Pelletier a confié à Jacques Chanut, vice-président de Fédération Française du Bâtiment (FFB) et président de la FFB Région Rhône-Alpes, et Raphaël Claustre, directeur du CLER - Réseau pour la transition énergétique, le soin de former et conduire un groupe de travail chargé d’explorer l’opportunité et les modalités d’une obligation future de rénovation dans le secteur résidentiel.
C’est donc en tentant d’explorer tous les leviers identifiés que le rapport, rendu le 18 novembre dernier, a ouvert quelques pistes de réflexions et a formulé des propositions.
Le premier constat qui ressort est le caractère insoutenable de la situation actuelle. Toutes les contributions convergent en effet sur les points suivants :
a) Si rien n’est fait, compte tenu des dispositifs existants et du prix de l’énergie et des temps de retour réels, les objectifs de -38% de consommation du parc existant et de 500 000 rénovations par an ne seront pas à l’évidence atteints ;
b) La vision à plus long terme de l'évolution de notre parc de logements vers un bas niveau de consommation doit être envisagée pour l'atteinte du facteur 4 (et à l'évidence beaucoup plus sur le secteur du bâtiment) ;
c) La rénovation du parc résidentiel constitue pourtant une condition sine qua non de réussite de l’atteinte de l’objectif ;
d) Il y a bien nécessité donc de s’inscrire en rupture par rapport aux tendances actuelles et de réfléchir aux voies et moyens appropriés pour s’approcher au mieux de l’objectif ciblé ;
e) Parmi les adaptations indispensables, une meilleure structuration (pour ne pas dire une restructuration) de l’offre des entreprises s’impose. C’est tout le sens de l’action de Feebat, du programme Rage, de la promotion du RGE que la profession, dans toutes ses composantes, défend. La structuration de l'offre devant toujours rencontrer une demande et donc s'appuyer sur des politiques stables et cohérentes.
Le deuxième constat porte sur le fait qu’il se dégage des réflexions collectives quelques évidences largement partagées, nécessaires pour mettre la France sur la voie de l'efficacité énergétique et réorienter des dépenses de consommation d'énergie vers les secteurs du bâtiment et des équipements performants. Le rapport mentionne six points lourds techniques ou opérationnels de convergence qu’il convient de mettre en exergue.
1) Le premier point a trait à la nécessité d’une politique incitative plus lisible, plus large et plus exigeante en termes de performance, qui passe par une remise à plat des outils existants. Il faut, à ce titre, absolument assurer d’une part la mise en place du guichet unique et d’autre part une relance de l’éco-PTZ, outil central d’incitation. Cela passe inévitablement par une meilleure information des ménages via des campagnes régulières, etc. L’introduction d’une éco-conditionnalité pour toutes les aides participe également de cette remise à plat. Les deux co-rapporteurs, à titre personnel, incluent, dans ce paquet les certificats d’économie d’énergie pour lesquels un rapport d’évaluation a été demandé par le Gouvernement à la Cour des Comptes. Il faut que ce dispositif soit tout à la fois rendu plus lisible, simplifié et mis, pour tout dire, au service des clients. Un marché est en train de se mettre en place, il faut en assurer le développement par un renforcement significatif de l’objectif.
2) Le second point porte sur une indispensable réforme du DPE. Les limites de cet outil sont unanimement soulignées et conduisent à prôner une réforme en profondeur. Le DPE, qui se doit d’être rebaptisé, doit devenir un outil généralisé (au moins en cas de mutation) de diagnostic, fiabilisé associé à des recommandations de travaux et des moyens concrets d'action commençant par le guichet unique. Une piste sérieuse à approfondir est de transformer le DPE en audit avant et après travaux lorsqu'un financement public important intervient. En tout état de cause, il convient de se pencher sérieusement sur la formation et la qualification des diagnostiqueurs. Faute de quoi, le DPE ne pourra devenir un élément de compréhension des consommations d'énergie et du potentiel d'économie d'énergie, questions fondamentales de l’adhésion du public. Faute d’indicateur clair, en particulier sur les bénéfices attendus des travaux, la confiance ne sera pas au rendez-vous.
3) Le troisième point procède du constat que dans bien des cas, la réalisation de travaux de rénovation énergétique se heurte, s’agissant en particulier d’isolation par l’extérieur mais pas seulement, à des obstacles juridiques (servitudes d'isolation par exemple). De telles situations sont inacceptables. Il importe donc que soient identifiés au plus vite tous les freins connus et que des solutions soient prises.
4) Le quatrième point concerne la RT Bâtiments existants. Lorsque des travaux permettant d'intégrer une amélioration de l'efficacité énergétique sont pratiqués, il ne faut pas manquer cette opportunité. C'est ce que permet la Règlementation Thermique sur l’existant dite « élément par élément » créée en 2007. Il est donc nécessaire d'une part d'augmenter les exigences requises et surtout d'inclure dans le champ de la RT existant des travaux comme par exemple les rénovations de toiture ou les ravalements de façade.
5) La réglementation thermique existant actuelle exige d'atteindre un niveau de consommation d'énergie du bâtiment lorsque des travaux importants sont pratiqués (> 25 % du coût de construction) et sous conditions de surface (> 1000m2) et d'année de construction (postérieur à 1948). Pour ne manquer l'opportunité d'améliorer la performance énergétique lorsqu'une rénovation importante cette RT existant doit être
50revue pour réexaminer ces deux derniers critères (de taille et d'année) qui sont d'ailleurs incompatibles avec le droit européen (directive 2010/31).
6) Le sixième point touche aux travaux sur les immeubles en copropriété qui posent des questions spécifiques, liée à la prise de décision collective. Il paraît judicieux d’ajouter aux multiples solutions proposées par le Plan Bâtiment Durable notamment, la création au sein de toutes les copropriétés d'un fonds travaux obligatoire. Il sera destiné à associer la rénovation énergétique et les autres travaux de rénovation et d'entretien. En cas de mobilité, la provision reste sur le compte de la copropriété de manière à accumuler jusqu'à atteinte d'un seuil suffisant pour déclencher les travaux.
Force est de constater qu'il n’existe pas d’accord sur la possibilité de mettre en œuvre une obligation généralisée de travaux, sachant que la notion même d’obligation recouvre des acceptions et des champs très variés. Certaines réflexions et contributions du groupe de travail sur l’exploration d’une telle obligation n’ont pas permis de dégager de consensus, mais ont permis toutefois de dégager des points d’accord évidents.
Dans son discours de conclusion d’un débat où l’on voit bien qu’une obligation stricte de rénovation énergétique dans les logements serait difficile à appliquer, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, précise « qu’avec la rédaction du décret sur l’obligation de travaux de rénovation dans le tertiaire (NDLR : sortie prévue en 2014), nous verrons comment les pouvoirs publics s'y prennent pour écrire une obligation de rénovation. Ensuite, il sera temps de s’attaquer au plus compliqué, le résidentiel ».