Quantcast
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2312

Entre impératifs du capital et logiques territoriales, il n’y a qu’un pas à Santiago du Chili…

Image may be NSFW.
Clik here to view.
Entre impératifs du capital et logiques territoriales, il n’y a qu’un pas à Santiago du Chili…

Entre impératifs du capital et logiques territoriales, il n’y a qu’un pas à Santiago du Chili…

Le « marché » financier, un nouvel arbitre sur celui du logement à Santiago du Chili …

Alors qu’un simulateur en 3D devrait être présenté par ARTELIA/VEOLIA dans le cadre de l’appel à projets VIVAPOLIS sur la ville de Santiago du Chili, le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) a publié dans la série 4 pages un volet de l’étude de géographie de Rodrigo A. Cattaneo Pineda intitulée « La fabrique de la ville : promoteurs immobiliers et financiarisation de la filière du logement à Santiago du Chili », soutenue en décembre 2012. Ce travail a été mené sous la direction de Marie-France Prévôt-Schapira, Professeur à l’Université Paris 8 - Vincennes Saint-Denis.

Ainsi l’étude se porte sur les stratégies d’investissement à l’œuvre dans l’immobilier résidentiel de Santiago et en suit les conséquences sur la production urbaine. Il commence par décrire la financiarisation de la filière du logement dans la capitale chilienne à partir des années 1980, puis considère les conduites stratégiques et les interactions entre les acteurs présents sur le territoire (bailleurs de fonds, promoteurs immobiliers, etc.) avant d’analyser les manifestations spatiales du phénomène jusqu’à aujourd’hui.

Deux projets caractérisent cette « financiarisation » de la filière du logement chilien, la tour d’appartements du centre-ville de Santiago et le méga-projet pavillonnaire de sa périphérie qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans un accès au marché des capitaux.

La première, construite grâce à des fonds cotés en bourse, et le deuxième, financé par des compagnies d’assurances.

L’étude s’est portée sur le début du phénomène identifié en 1981, date de la réforme du système des retraites, au Chili. Celle-ci a doté le pays d’un secteur bancaire et financier puissant, au moment où la demande résidentielle croissait. Au cours des années 1990, les élites financières en pleine expansion ont découvert dans la production de l’urbain une alternative pour la valorisation de leurs ressources. Les dynamiques spatiales se retrouvent depuis infléchies par de nouveaux impératifs : rentabilité, maîtrise du risque, vitesse de rotation du capital. Des critères qui s’impriment sur les opérations actuelles, à la taille plus grande et au rythme de production accéléré, suspendues aux aléas du marché.

L’activité des investisseurs ne façonne pas pour autant des paysages complètement uniformes : ils diffèrent en fonction du bailleur de fonds impliqué et de la stratégie de création de valeur choisie. En outre, en s’enracinant dans un endroit précis, le « capital » doit négocier et s’adapter à des logiques préexistantes : les territoires peuvent être conditionnés par des patrimoines familiaux, régis par des cadres réglementaires complexes, etc. Au Chili, la territorialisation des investissements s’est appuyée sur un agent au savoir-faire particulier : le promoteur immobilier. Ce dernier apporte une expertise sur les dynamiques immobilières locales et détient un rôle d’intermédiation fondamental pour lever les obstacles bloquant la réalisation des projets. Il a su adapter les programmes résidentiels aux exigences financières.

Les logiques financières se sont ainsi immiscées dans le jeu des propriétaires fonciers, des autorités publiques et des promoteurs. Elles redéfinissent donc la ville et le rôle de ses producteurs, au risque, en périphérie, de voir des territoires gigantesques définis par une poignée d’acteurs « financiarisés » et de laisser indéterminées les frais liés à la gestion des espaces publics.

Le « marché » financier, un nouvel arbitre sur celui du logement ? Exemple Santiago du Chili !

La financiarisation du logement est donc apparue lors de la réforme du système des retraites de 1981, à l’origine de la restructuration de l’économie chilienne toute entière. Dans un contexte économique en faveur de la demande résidentielle, elle a donné naissance à des fonds de pension demandeurs de placements « sûrs », qui ont été une locomotive pour les prêts au logement. Nourries par l’épargne populaire, ces investisseurs ont épaulé la croissance d’établissements bancaires et consolidé la demande solvable, en irriguant un marché secondaire pour la dette hypothécaire. Le phénomène de financiarisation a petit à petit pris de l’envergure, pour devenir incontournable dans les années 2000. Une bourse locale sophistiquée a ouvert de nouveaux canaux de financement pour les grands groupes du bâtiment : bons sécurisés, bons d’entreprises, offres publiques d’actions. Ont ainsi émergés de nombreux promoteurs étroitement associés au monde financier. Les fonds d’investissement immobilier, cotés en bourse et possédés en grande partie par des « petits porteurs », participent au financement de près de 20% de la production totale de logements de la capitale chilienne.

L’injection des capitaux venus du marché financier a démultiplié les capacités de production de la filière, finançant des campagnes d’achats de terrains, la prolifération de chantiers et la création de sociétés. La hausse du chiffre d’affaires du secteur du logement avoisine d’ailleurs les 150 % entre 2004 et 2007 et le déficit d’habitations estimé est passé de 1 million d’unités au début des années 1990 à environ la moitié, dix ans plus tard. Aujourd’hui, le Chili se retrouve doté d’un secteur financier puissant avec un crédit très robuste ainsi que d’une industrie du logement tout aussi solide, soutenue par des politiques publiques stabilisatrices et appuyée sur des sociétés fortement capitalisées.

Impératifs et logiques, du capital au territoire… Ainsi, l’étude montre qu’au cours des trente dernières années, le secteur du logement chilien a vu la part des agents financiers monter en puissance. La géographie de leurs placements se révèle composite. Elle est la cristallisation de stratégies d’investissement traditionnelles reconfigurées par des impératifs issus du monde de la finance : la rentabilité (très largement déterminée par l’exploitation d’« opportunités foncières »), le risque (maîtrisé par une stratégie de diversification des placements à l’échelle de la métropole) et la vitesse de rotation du capital (fonction de ventes et des segments de marché ciblé). La territorialisation de l’activité des investisseurs prend toutefois des formes diverses, en fonction de leurs attentes, de leurs modalités de fonctionnement et de leurs stratégies de création de valeur. Certains, tout en investissant dans la filière immobilière, sont largement indifférents aux considérations spatiales. Ils se greffent au gré des opportunités à des dynamiques urbaines et n’interviennent pas dans la gestion des opérations. Dans d’autres cas, l’investissement se veut sélectif, s’enracine dans des territoires particuliers et privilégie des modèles architecturaux. Les logiques financières remodèlent ainsi la ville, mais sans entraîner pour autant la disparition des modalités de production antérieures : elles se greffent sur des dynamiques préexistantes (poids des héritages, cadre juridique établi) et sur des agencements d’acteurs plus anciens.

Les investisseurs s’intéressent peu aux caractéristiques concrètes des projets immobiliers. Leur participation dans le négoce du logement résulte d’un arbitrage ponctuel entre les performances affichées par un placement et les risques réputés. Aussi la territorialisation des investissements a-t-elle demandé l’intervention d’un intermédiaire doté d’un savoir-faire spécialisé sur l’espace : le promoteur immobilier. Dans un secteur aux ressorts de fonctionnement assez opaques, celui-ci apporte une expertise sur les marchés fonciers, la demande résidentielle et l’offre concurrente. Il peut ainsi jouer de son carnet d’adresses et de son entregent pour lever les barrières foncières (prospection et acquisition du sol) et réglementaires (négociation des permis de construire). Outre la programmation et la gestion, il joue donc un rôle de « porteur de projet », de « coordinateur d’alliances » et adapte les programmes résidentiels aux exigences financières. Son savoir, contingent et empirique, se révèle essentiel dans la résolution des contraintes qui pèsent sur la réalisation des projets. Au Chili, la figure du promoteur est même centrale : elle a émergé comme une des grandes gagnantes de la libéralisation du marché foncier et immobilier de la capitale. Ces dernières années, ceux qui sont les mieux reliés au marché des capitaux se sont ainsi emparés d’un pourcentage considérable du marché métropolitain (autour de 25%). Ces promoteurs sont « les grands gagnants » de la libéralisation autoritaire du marché foncier et immobilier de la capitale.

Ce fait observer, l’étude c’est que la financiarisation a tout d’abord accéléré les rythmes de production du logement. Les périodes d’expansion et de récession se succèdent plus rapidement et connaissent des pics plus intenses. Les mises en chantier se détachent ainsi de variables structurelles, comme la croissance démographique ou l’amélioration des revenus. Elles évoluent désormais au gré des capitaux mis à disposition par les marchés financiers, dont elles suivent la cadence, les logiques et les crises. Parallèlement, la revendication par « le marché » de l’accélération de la rotation du capital et de risques mitigés a encouragé une diversification des mises en chantier. Pour varier l’origine de leurs flux de trésorerie, les plus grands promoteurs sont partis à la conquête de l’ensemble de la métropole, puis des régions, et commencent maintenant leur internationalisation, en commençant principalement par le Pérou. Enfin, la financiarisation tend à produire des programmes immobiliers de plus grande dimension, les acteurs financiers cherchant à maximiser les chiffres d’affaires tout en diminuant les frais d’études. C’est le cas en périphérie avec le développement de mégaprojets, mais surtout en centre historique, avec des opérations de rénovation dont le volume moyen est passé de 52 à 378 unités par immeuble entre 1992 et 2009. Deux projets illustrent les impacts spatiaux de cette financiarisation : une tour d’appartements du centre-historique, construite par des fonds cotés en bourse, ainsi qu’un programme pavillonnaire périphérique, financé par un investisseur institutionnel.

Ensuite, l’étude montre que les zones périurbaines favorisent de mégaprojets pavillonnaires. Ainsi, elle mentionne qu’en 1997, les autorités ont étendu les frontières de Santiago dans le but de réguler l’activité immobilière des communes intégrées. Toute terre agricole devient donc urbanisable, à condition de satisfaire à des critères de surface minimale (300 hectares) et d’internaliser les frais d’infrastructure et de transport. Depuis 1994, la capitale a ainsi vu croître sa surface construite ou constructible de 42 % (31 400 hectares). Malgré ces chiffres, les acteurs financiers n’interviennent que marginalement ou tardivement dans les opérations immobilières de cette lointaine périphérie. La complexité du calcul des externalités et compensations, la multiplicité des interlocuteurs, les conflits d’usage ont en effet rendu les négociations trop longues et trop ardues : la spéculation foncière reste aux mains des industriels et des grands exploitants agricoles, les investisseurs finançant quant à eux l’accélération des chantiers et des livraisons, par exemple. Ceux qui investissent davantage dans les périphéries optent pour les mégaprojets immobiliers sur 15 à 20 ans, les seuls à afficher un chiffre d’affaires suffisant pour les attirer. C’est le cas des compagnies d’assurance, à la recherche de produits aux retours étalés dans le temps. Elles privilégient des lotissements pavillonnaires de très grande taille, urbanisés selon des étapes annuelles. Elles parient sur les plus-values foncières à venir, via des contrats prévoyant la rétrocession d’une partie des terrains achetés à la fin de chaque échéance annuelle.

Enfin, l’étude s’est portée sur la tour d’appartements pour primo-accédants grâce à une rotation rapide du capital. Elle observe qu’au début des années 1990, Santiago était marqué par la « crise des centres » : dépeuplement, appauvrissement, dégradation du bâti et fuite des activités prestigieuses. Le marché du neuf y était inexistant. 15 ans plus tard, son paysage hérissé de gratte-ciel révèle le dynamisme des marchés financiers. Les capitaux ont été attirés grâce à des dispositifs publics incitatifs (démarche partenariale public-privé, aides à l’accession à la propriété, etc.)... détournés de leur but social par les promoteurs. Attirés par les promesses d’un marché de masse en expansion, ceux-ci ont en effet privilégié les biens de petite taille, à coût modéré, au détriment des programmes familiaux à bas prix, prônés par les autorités locales. Aussi, malgré la réactivation du secteur immobilier, le centre-ville a-t-il perdu 13 % de sa population entre 1992 et 2002. Afin d’intensifier l’usage du sol, les immeubles ont donc gagné en hauteur (et en standing) et les appartements perdu de la surface plancher. Se sont ainsi multipliés des tours génériques, édifiées et vendues en deux ans, composées de petites unités accessibles aux primo-accédants. Dès leur origine, les fonds de développement immobilier ont été conçus pour séduire les « petits porteurs ». Administrés par des filiales d’établissements bancaires, ils sont placés à travers le réseau d’agences de ces banques. Le choix du centre et de la tour résulte de la recherche d’actifs au prix d’acquisition relativement bas, assurant des rentabilités élevées et permettant un désengagement rapide.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2312

Trending Articles