Part III. – Pour quantifier l’énergie grise, évaluer les bases de données !!!
Ce 3ème volet du dossier sur l’énergie grise, après la Part II., fruit de la réflexion de l’ICEB, Institut pour la conception écoresponsable du bâti et de l’ARENE, s’arrête sur la question de l’évaluation de l’énergie grise.
Ainsi pour évaluer l’énergie grise d’un bâtiment, il faut mesurer l’énergie grise contenue dans chacun de ses constituants. Les maîtres d’ouvrages et concepteurs ont à leur disposition une multitude de bases de données qui regroupent des résultats d’ACV très variables. En effet, à travers diverses méthodes de calculs et la prise en compte de périmètres entre base de données, les critères retenues sont différents, ainsi deux bases de données ne donnent pas les mêmes résultats.
Des résultats variables qui dans une base de données peuvent comptabiliser 2 fois plus d’énergie grise par rapport à une autre.
Alors que la traduction d’une base de données caractérise le stockage de grandes quantités d’informations afin d’en faciliter l’exploitation, et face aux disparités relevées entre de nombreuses bases de données, il semble difficile d’entrevoir une transparence des résultats.
D’où une analyse en amont de la méthode de calcul proposé par la base de données. Une attention toute particulière sera portée sur :
> la définition de l’énergie grise de la base de données ;
> la définition des hypothèses et du périmètre d’étude ;
> la fiabilité des données-sources employées (origine et vérification/mise à jour).
Dans le domaine de l’énergie grise et des ACV, on distingue deux types de bases de données :
> Les bases de données « source »
Elles recensent une grande quantité d’Analyses de Cycle de Vie (ACV) et d’Inventaires de Cycle de Vie (ICV), dans plusieurs domaines (bâtiment, énergie, industrie...). Les bases de données les plus importantes sont : LCI, GaBi, Ecoinvent.
Les calculs d’ACV sont réalisés par des fabricants ou des éditeurs de logiciels et/ou de base de données d’ACV. Les résultats des différents éditeurs constituent une base documentaire, pouvant être réutilisée par chacun d’entre eux. Par exemple, PE International peut utiliser les données de process d’Ecoinvent pour établir l’ACV d’un produit.
Ecoinvent, base de données suisse, est la plus utilisée dans le monde (2500 usagers) et la plus importante base de données d’inventaire totalisant 4 000 ACV de produits/procédés/services dans la plupart des secteurs d’activités. Ses données proviennent des industriels et instituts nationaux et internationaux. Ses résultats sont vérifiés et quotidiennement mis à jour par une équipe interne selon une méthode standardisée en 5 étapes conforme aux règles fédérales suisses (SIA CT 2032 - Énergie grise par exemple).
> Les bases de données dédiées au secteur de la construction.
Elles sont issues des bases de données source, dont les données sont directement exploitables pour le secteur du bâtiment. Parmi les principales bases de données utilisées en France et en Europe, sont INIES et KBOB.
Enfin, certains outils ont été créés pour constituer une interface entre le concepteur et la base de données et sont de réels outils de conception.
KBOB
Nom de la base de données : KBOB, données des éco-bilans dans la construction.
Nom de l’éditeur : KBOB, www.kbob.ch
Données sources : Base de données Ecoinvent
Données extraites : « Données des éco-bilans dans la construction ». Mise à jour régulière (prochaine parution fin 2012).
La définition de l‘énergie grise des matériaux est, selon le cahier technique CT 2032 du SIA : « la quantité d’énergie primaire non renouvelable nécessaire pour tous les processus en amont, depuis l’extraction des matières premières jusqu’aux procédés de fabrication et de transformation, et pour l’élimination, y compris les transports et les moyens auxiliaires nécessaires à cet effet. » L’énergie non renouvelable indique l’énergie cumulée de la consommation énergétique fossile et nucléaire ainsi que le bois issu du déboisement de forêts primaires. Ne sont pas inclus dans le calcul, le transport à partir de l’usine, l’installation sur chantier et l’entre- tien pendant l’utilisation. Pour un élément de construction, l’énergie grise est calculée :
• sur la durée d’amortissement définie dans l’annexe C du CT 2032,
• par unité quantitative (par kg, m2...),
• en MJ.
Les données sur les matériaux correspondent aux technologies clés dans la chaine de production et au lieu d’approvisionnement. Le marché des matériaux de construction en Suisse sert de référence. Le besoin en énergie primaire d’électricité correspond au mix entre production intérieure suisse et importations en provenance des pays voisins.
Dans la base de données, on trouve pour chaque matériau et par unité, l’énergie primaire totale (procédé) et l’énergie primaire (procédé) non renouvelable (l’énergie grise) ainsi que la décomposition entre l’énergie de fabrication et l’énergie d’élimination.
La plate-forme distingue quatre domaines : matériaux de construction, techniques de construction, énergie et transport. Elle recense une centaine de matériaux et une trentaine d’équipements.
Pour calculer l’énergie grise d’une unité fonctionnelle, il faut pour chaque matériau qui la compose, calculer la quantité nécessaire, puis l’énergie grise correspondant à cette quantité et, si la durée d’amortissement de ce matériau est inférieure à celle de l’unité fonctionnelle, la multiplier par le nombre de remplacements plus 1 et ensuite additionner toutes ces énergies grises.
INIES
Nom de la base de données : INIES.
http://www.inies.fr/ Nom de l’éditeur : CSTB. http://www.cstb.fr/ Données sources : fabricants ou groupements de fabricants Données extraites : FDES, Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire.
INIES est une base de données française regroupant les Fiches de Déclarations Environnementales et Sanitaires, FDES, des produits de construction. Leur contenu et leur format sont définis par la Norme NF P01-010. Les FDES sont fournies par des fabricants ou des syndicats professionnels et peuvent être vérifiées par une tierce partie, mais cette vérification n’est actuellement pas systématique. La base INIES comportait environ 785 FDES début 2012 dont 21 % ont été validées par une tierce partie.
L’analyse du cycle de vie qui sert de base aux FDES intègre 5 étapes : production, transport usine-chantier, mise en œuvre, vie en œuvre (entretien / maintenance / remplacement) et fin de vie.
Une FDES décrit obligatoirement l’unité fonctionnelle, la durée de vie typique et les éventuels produits complémentaires de mise en œuvre.
Les résultats sont données pour la durée de vie typique (DVT) et/ou par annuité. Ils sont constitués des résultats d’inventaire de cycle de vie détaillés d’une part, et des 10 indicateurs environnementaux définis par la norme NF P01-010 d’autre part.
L’énergie grise n’est pas identifiable dans les FDES, que ce soit l’énergie d’origine non renouvelable ou non renouvelable. On peut identifier l’énergie procédé totale (non renouvelable ET renouvelable) si l’on dispose de la FDES complète et pas seulement de la FDES simplifiée avec les résultats des 10 impacts. Pour trouver l’énergie procédé totale hors vie en œuvre, il faut consulter le chapitre
2.1 Consommation des ressources naturelles qui comporte un tableau détaillant les consommations d’énergie par nature et par phase du cycle de vie.
Dans ce même chapitre, on trouve aussi une explication sur le périmètre de l’étude, notamment sur les modalités de comptage des consommations d’énergie.
La base INIES reprend les informations des FDES. On peut distinguer deux types de fiches :
> les fiches d’auto-déclaration individuelle, spécifiques à des produits et produites par les fabricants (exemple : la FDES de l’isolant à base de textiles recyclés Métisse® est spécifique à cet isolant) ;
> les fiches d’auto-déclaration collective, produites par des groupements de professionnels (fédérations ou syndicats nationaux) qui sont valables pour une liste de produits définis par les fabricants ayant participé à l’élaboration de la FDES. Les données recueillies proviennent donc de plusieurs marques. Les valeurs finales présentées sont alors des valeurs moyennées ce qui génère plus d’incertitudes.
De plus, pour compléter l’offre de FDES, un troisième type de fiches a été intégré au logiciel ELODIE. Ces « fiches composant » sont élaborées par le CSTB pour des matériaux types tels que le mur rideau, le béton pour fondation, pour poteau, etc. La présence de ces fiches peut être utile lorsque les produits ne sont pas clairement définis ou lorsque leur FDES n’existe pas.
Les PEP
Un PEP est un Profil Environnemental Produit, il s’applique particulièrement aux produits électriques et électroniques. Les PEP ont été développés en France par un programme interprofessionnel de l’industrie électrique, électronique et aéraulique représenté par l’association PEP Eco-passport. Les PEP sont téléchargeables sur le site de l’association. Ils s’appuient sur la norme ISO 14020 relative aux principes généraux des déclarations environnementales et sur la norme ISO 14025 relative aux déclarations environnementales de type III. Beaucoup plus succincts que les FDES, car non cadrés par des normes telles que la norme NF P01-010, ils indiquent néanmoins les impacts environnementaux listés par les normes ISO 14020 et ISO 14025 :
Le cahier des charges d’un PEP, appelé « Règles de définition », est disponible sur le site de PEP Ecopassport.
L’analyse du cycle de vie est réalisée à l’aide du logiciel d’ACV EIME, développé par le Bureau Veritas23 et particulièrement adapté à l’industrie électrique et électronique. L’analyse est effectuée sur les phases de cycle de vie suivantes : matières premières, fabrication, distribution et utilisation sans prendre en compte le traitement du produit en fin de vie. Contrairement aux FDES, aucun détail de calcul d’impact n’est communiqué. Seule la répartition par phase de cycle de vie est décrite.
Le passage des FDES et PEP aux EPD
EPD = Environnemental Product Declaration, soit en français DEP = Déclaration Environnementale de Produit.
L’EPD est actuellement une déclaration environnementale conforme à la norme ISO 14025 définissant l’étiquetage environnemental de tout type de produit. Elle est établie selon les paramètres définis par la série de norme ISO 14040. EPD est le terme générique pour désigner une déclaration environnementale conforme à la norme ISO 14025 mais désigne également une marque déposée EPD® qui réalise ce type de déclaration. Les EPD apportent aux entreprises la preuve de leur engagement à fournir des informations environnementales pertinentes quant à leurs produits. Une déclaration environnementale de produit est vérifiée par une tierce partie et est présentée selon un format uniforme et reconnu internationalement.
Une nouvelle norme européenne tend à cadrer l’établissement de ces EPD. Cette norme NF EN 15804, intitulée « Contribution des ouvrages de construction au développement durable — Déclarations environnementales sur les produits — Règles régissant les catégories de produits de construction » décrit notamment les indicateurs environnementaux devant être pris en compte ainsi que le périmètre de l’analyse (les différentes phases de vie). Cette norme s’applique aussi bien à des produits de construction qu’à des substances, des services ou des systèmes constructifs. Elle remplacera à terme la norme NF P01-010 actuellement en vigueur en France qui définit le cadre des FDES. Elle est notamment conforme aux normes internationales ISO 14025 qui concerne l’affichage environnemental et ISO 14040 qui concerne la méthodologie d’ACV, puisque ces normes définissent un cadre minimal et ne limitent pas le champ d’étude.
Ainsi, s’il est affiché sur une EPD, le champ d’étude n’est pas constant d’un produit à l’autre. Il convient donc d’être particulièrement attentif quant à la définition de l’énergie primaire utilisée et aux limites d’étude dans la chaîne du produit. C’est pourquoi il est spécifié que les EPD ne sont pas des outils de comparaison de produits ou services de construction.
En conclusion, ce qu’il faut retenir, c’est d’utiliser une base de données qui permettent d’ôter l’énergie grise, c’est à dire l’énergie primaire procédé d’origine renouvelable et non renouvelable sur toute la durée du cycle de vie hors vie en œuvre.
La réflexion doit pouvoir distinguer les données disponibles :
- Type de produits :
Le type de données fournies par les bases de données n’est pas toujours identique. Par exemple, la base de données KBOB fournit des données sur des produits génériques, alors que la base de données INIES fournit des données sur des produits assemblés à partir de produits génériques.
Exemple de la fenêtre : KBOB décompose l’élément en cadre de fenêtre et en vitrage, et donne des valeurs en MJ par tonne qu’il convient de convertir en élément prêt à être installé sur le chantier étudié. INIES donne la valeur pour l’élément fini (fenêtre montée avec son cadre et son vitrage).
- Périmètre :
Les calculs d’énergie grise ne comptabilisent pas nécessairement toutes les phases du cycle de vie d’un produit : la base de données INIES effectue le calcul sur tout le cycle de vie, KBOB sur la fabrication et la démolition et EPD sur extraction, transport et fabrication à minima plus d’autres phases éventuellement selon la volonté du fabricant.
- Fiabilité :
Base de données KBOB : résultats directement issus de la base de données suisse Ecoinvent qui est vérifiée. Base de données INIES : résultats issus des données des fabricants, et qui pourraient, sans vérification par une tierce partie, favoriser un produit en particulier.
- Incertitude :
Le calcul de l’énergie grise d’un composant ou d’une unité fonctionnelle donne un ordre de grandeur, et chacun des résultats est associé à une marge d’incertitude (même si celle-ci n’est pas toujours explicitée clairement).
Ensuite, il faut éviter d’utiliser des bases de données différentes pour comparer des matériaux ou produits entre eux. Les bases de données utilisent des définitions de l’énergie grise et des périmètres différents, ce qui peut conduire à des résultats incohérents.
À défaut, si le manque de données oblige à recourir à des bases de données différentes pour faire des calculs sur un bâtiment complet, et que ce qui importe est l’ordre de grandeur final, être explicite sur les périmètres des données utilisées et leurs incertitudes.
Enfin, utiliser une base de données mise à jour.
L’utilisation d’une base de données mise à jour permet de prendre en compte l’actualisation des données (évolution positive des process, évolution des modes de transport du produit, etc.).
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