Part IV. – Quels outils de calcul pour quantifier l’énergie grise ?
Concernant cette partie du volet consacré à l’énergie grise, elle fait suite à celle dédié aux bases de données proposées par différents outils de calculs qui ne produisent pas les mêmes résultats.
Un bon outil de calcul doit permettre de :
> évaluer les principaux postes consommateurs en énergie grise d’un bâtiment ;
> comparer certaines solutions constructives entre elles, ou certains produits entre eux ;
> faire évoluer le niveau de détail du calcul, en permettant un calcul simplifié dès les phases concours, jusqu’à un calcul détaillé au moment de la fin des études ;
> identifier les données d’ACV utilisées, et éventuellement utiliser d’autres sources de données tout en les justifiant.
La difficulté pour les concepteurs est de savoir quel outil utiliser, mais surtout de savoir quelles données sont « cachées » derrière l’outil et donc quelle exploitation du résultat va être possible.
A ce propos, l’ICEB a analysé différentes études. Voici quelques exemples qui illustrent ces différences de résultats.
Bâtiment du CE à Roissy d’une surface SHON de 1 280 m2 : calculs d’énergie grise de deux solutions structurelles (structure bois, structure béton) à partir des logiciels EQUER et COCON.
Les résultats des calculs en énergie primaire totale (en kWh/m2SHON sur la durée de vie de 30 ans du bâtiment) sont traduits graphiquement dans le tableau ci-contre.
Dans les deux cas, la structure bois est plus consommatrice d’énergie grise que la structure béton, car les deux outils font un calcul en énergie primaire totale (et donc incluent l’énergie matière). Lorsque le calcul est fait sans l’énergie matière du bois avec le logiciel COCON, alors le résultat pour l’énergie grise est autour de 1 600 kWh/m2SHON et la structure bois devient moins consommatrice en énergie grise que la structure béton.
On constate que la structure bois est plus consommatrice d’énergie avec EQUER qu’avec COCON et l’inverse pour la structure béton. Ce qui est difficilement interprétable, c’est que les différentiels des résultats des calculs des deux logiciels pour les deux structures soient opposés. Ceci est vraisemblablement dû aux différences des bases de données utilisées.
Étude COIMBA :
Maison des Hauts de Feuilly : maison individuelle d’une surface SHON de 157 m2 en ossature bois avec un niveau de performance Passivhaus. Durée de vie 50 ans.
La différence entre les résultats des deux logiciels ELODIE et COCON est due essentiellement à la prise en compte du transport des matériaux et de l’énergie grise des équipements.
Constat : les différents logiciels donnent des résultats différents : cela est dû essentiellement aux bases de données utilisées et aux différences de prise en compte des composantes de l’énergie grise et des phases de l’ACV.
Notre question : quel outil utiliser pour optimiser l’énergie grise d’un bâtiment et comparer plusieurs solutions constructives et à quel stade d’un projet ?
Les outils expérimentés par l’ICEB
EQUER
Nom de l’outil : EQUER
Nom de l’éditeur : Izuba Énergies
Données sources : Ecoinvent
Données extraites : ACV du projet selon 12 indicateurs
EQUER a été réalisé à partir des travaux du Centre énergétique de l’École des Mines de Paris et de l’INERIS (Institut d’Évaluation des Risques Industriels) ainsi qu’en collaboration avec des professionnels du secteur. C’est le premier logiciel d’ACV développé en France pour le secteur du bâtiment. Il s’appuie sur la base de données Ecoinvent. Il est couplé au logiciel de Simulation Thermique Dynamique (STD) Pléiades + COMFIE, édité par IZUBA. La licence de ce logiciel est d’environ 500 € HT et comprend une assistance technique et une mise à jour durant 1 an.
EQUER peut être utilisé pour tout type de bâtiment neuf et existant, sauf pour les bâtiments industriels spécifiques.
Les données d’entrées à saisir pour une analyse de cycle de vie complète s’effectuent sur les cinq modules suivants :
> module transport ;
> module eau ;
> module énergie : type d’énergie pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire ;
> module déchets ;
> module matériaux de construction avec une correspondance avec la Simulation Thermique Dynamique.
Les résultats d’ACV sous EQUER s’extraient sous forme de schéma radar ou d’histogramme. Le radar offre la possibilité de choisir les indicateurs que l’on souhaite mettre en avant, c’est-à-dire :
> soit les 12 présentés ci-dessous ;
> soit une sélection.
EQUER permet la comparaison de plusieurs variantes pour un même bâtiment.
Les résultats peuvent également être visualisés sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment : la construction, l’utilisation, la rénovation et la démolition pour identifier la contribution des différentes phases.
Pour une meilleure compréhension des résultats d’ACV et une amélioration continue, EQUER propose un éco-profil du projet étudié en le comparant pour chaque impact à un équivalent habitant/année (en consommation de fluides, émission de polluants...).
ELODIE
Nom de l’outil : ELODIE
Nom de l’éditeur : CSTB - Département Energie Santé et Environnement
Données sources : FDES, PEP, fiche composant ELODIE, DES (Déclaration environnementale de service)
Données extraites : ACV du projet selon 17 indicateurs
ELODIE est un outil d’ACV mis en place par le CSTB à partir des données de la base INIES. Il a été conçu en lien avec la création de la certification NF bâtiment tertiaire - Démarche HQE® afin de pouvoir répondre plus aisément à la cible 2 du référentiel HQE. Un accès à la version de démonstration est gratuitement disponible en ligne sur le site Internet : http://www.elodie- cstb.fr/Default.aspx. La version complète est mise à disposition après une formation à l’outil, dispensée par le CSTB (coût 2000 € TTC). Il a pour objectif de calculer une ACV intégrale d’un projet.
Son périmètre d’utilisation est large, flexible et précis. En effet, il est aussi bien utilisable pour des projets de construction neuve que pour de la réhabilitation, aussi bien pour de la construction individuelle que pour du tertiaire et ce, partout en France. Il prend ainsi en compte le type de bâtiment, sa surface, sa localisation, son altitude, sa fréquence et son intensité d’occupation, le type de performance thermique visée, etc.
Les données d’entrées du logiciel sont intégrées suivant 4 modules d’inventaire :
> la contribution des produits de construction ; > la contribution de la consommation d’énergie du bâtiment en opération ;
> la contribution de la consommation d’eau du bâtiment en opération ;
> la contribution du chantier (disponible sur la version payante uniquement) intégrant les postes d’énergie, d’eau, de transport et d’immobilisation.
Les bases de données utilisées par ELODIE pour les matériaux de construction sont :
> la base INIES qui regroupe les FDES ;
> les « fiches composants » élaborées par le CSTB pour représenter des matériaux type, souvent absents de la base INIES, tels que le mur rideau, le béton pour fondation, pour poteau, etc. ;
> les FDES recueillies directement auprès des fabricants, que l’utilisateur peut intégrer.
Comme mentionné dans le retour d’expérience des huit collèges, l’outil a cependant ses limites, notamment concernant l’énergie grise suivant la définition de l’ICEB. Le logiciel calcule l’énergie primaire totale du projet mais ne permet pas toujours d’identifier l’énergie procédé et en tout cas, jamais l’énergie procédé sans l’énergie procédé en phase exploitation. Les résultats ne sont donc pas exploitables directement.
Autre fonction manquante : la répartition des impacts par phase (fabrication, transport, mise en œuvre, vie en œuvre, fin de vie).
Les impacts sont calculés selon les 17 indicateurs prévus par la norme NF P01-010. Ils sont visualisables en permanence tout du long de l’entrée des données. Les résultats peuvent être générés sous forme de tableur Excel® dans lequel toutes les informations et toutes les entrées sont récapitulées et de tableaux et graphiques.
Outil TRIBU
Nom de l’outil : Outil TRIBU.
Nom de l’éditeur : Tribu.
Données sources : KBOB
Données extraites : ACV du projet selon 1 indicateur, l’énergie grise
L’outil TRIBU est un outil de calcul en énergie grise développé par le bureau d’études TRIBU, pour réaliser des calculs simplifiés dès les phases initiales de conception d’un projet.
Les intérêts majeurs de cet outil sont :
> d’utiliser une base de données fiable : la base de données KBOB qui s’appuie sur Ecoinvent ;
> d’identifier les grands postes consommateurs en énergie grise dès la phase concours, pour ensuite travailler à réduire l’impact des postes les plus consommateurs ;
> en phase concours lorsque TRIBU est en AMO DD, de faire travailler les équipes de maîtrise d’œuvre sur une même base de calcul, et donc de pouvoir comparer les projets entre eux.
L’outil TRIBU a pour interface un simple tableur Excel, qui met à disposition des concepteurs les données source à utiliser, en kWh/unité de volume ou de surface de matériau, qui sont issues de la base de données KBOB. Le tableau suivant est un extrait de la base de données disponible dans l’outil.
L’énergie grise du produit, en kWh/m3 ou m2, est l’énergie primaire procédé non renouvelable, comme le stipule la base de données KBOB.
La masse de chaque produit doit être estimée par métré. Ce métré pouvant être de plus en plus affiné au fur et à mesure des études de conception.
Comme la base de données KBOB ne comptabilise pas le transport du produit de l’usine jusqu’au chantier, l’outil TRIBU permet d’ajouter une part dédiée au transport. Toujours pour un calcul simplifié, l’outil fait appel à des ratios en kWh/tonne selon le mode de transport utilisé – équivalent distance parcourue :
Cet outil utilise donc des valeurs très approchées et ne prend pas en compte le taux de remplissage de chaque moyen de transport (plus on transportera de matériaux en un voyage, meilleure sera l’efficacité en énergie grise).
Le bilan Cep énergie grise obtenu pour un bâtiment est la somme de l’énergie grise de chaque matériau constituant le bâtiment :
Cep total = [Cep énergie grise matériau (kWh/t) + Cep liée au transport (kWh/t)] x masse matériau (t)
COCON
Nom de l’outil : COCON
Nom de l’éditeur : Luc FLOISSAC
Données sources : une centaine dont principalement FDES
Données extraites : ACV du projet selon plusieurs indicateurs
COCON est un logiciel de COmparaison de solutions COnstructives, de CONfort et d’émissions de CO2. La base de données « MATHIERES »29 est issue d’une compilation de 97 sources réalisées par Luc Floissac - chercheur et enseignant à l’école d’architecture de Toulouse et conseiller libéral en environnement - et Laure Fernandez. Ces données sont issues de FDES disponibles sur le site d’INIES, de données mises à disposition par des fabricants, de données européennes et d’extrapolations. La source des données est indiquée pour chaque matériau dans le logiciel.
L’utilisation du logiciel se fait actuellement sous format Excel.
Une version de démonstration gratuite est téléchargeable sur le site Internet : http://www. eosphere.fr/COCON-logiciel-de-COmparaison- de.html.
Une version découverte pour particuliers comprenant un logiciel de calcul de cycle de vie de bâtiments et une licence découverte pour l’installation sur un poste coûte 60 € HT. Une version réservée aux organismes de formation, d’éducation, d’information au public et comprenant un logiciel de calcul de cycle de vie de bâtiments et une licence donnant droit à l’installation sur 15 postes vaut 300 € HT. Le prix de la version professionnelle avec formation est d’environ 500 € HT et sans la formation, 300 € HT.
Comme l’indique le site Internet, la licence d’utilisation de COCON une fois acquise est « perpétuelle ». Elle est utilisable indéfiniment dans la configuration délivrée. Les mises à jour du logiciel sont gratuites la 1ère année.
Un projet tertiaire, neuf ou réhabilité, se décrit selon les familles suivantes : aménagements (cloisons, faux planchers et faux plafonds...), couvertures, dalles, planchers, sols, fondations, soubassements, huisseries, fenêtres et murs. Pour chacune de ces familles, les couches de matériaux qui composent les parois sont décrites en précisant les surfaces, les épaisseurs et la fonction pour laquelle elles sont utilisées.
Les principales informations calculées par le logiciel et sur la base des 17 indicateurs environnementaux contenus dans les FDES sont :
> l’énergie grise incorporée ;
> la participation au changement climatique ;
> l’épuisement des ressources ;
> la résistance thermique ;
> le déphasage thermique ;
> l’inertie thermique quotidienne (calculée selon la norme internationale EN ISO 13786).
Des schémas radars offrent une lecture simple et pédagogique du bâtiment pour les 6 impacts décrits ci-dessus. Le logiciel permet également de comparer côte à côte jusqu’à 6 bâtiments ou 6 variantes d’un même bâtiment ayant un ou deux critères communs.
COCON permet aussi de calculer le montant de la taxe carbone applicable à des matériaux de constructions, des parois ou à l’ensemble d’un ou plusieurs bâtiments.
Enfin, une des dernières spécificités de COCON repose sur le fait que les déplacements et les modes de transports pour les usagers du bâtiment peuvent être pris en compte.
Un graphique spécifique permet d’examiner le contenu en énergie grise d’une paroi :
En conclusion, l’ICEB a lister un certains nombres de recommandations :
Utiliser un outil d’ACV adapté à la phase de projet
L’outil doit être au service des choix de conception. Il doit permettre :
• en phase esquisse, d’identifier les postes les plus consommateurs d’énergie grise et de faire les choix de principes constructifs en conséquence,
• en phase AVP, d’affiner les choix par des comparaisons de matériaux, d’ensembles fonctionnels, d’équipements,
• en phases PRO et réception de faire un bilan.
En phase esquisse, l’outil doit être simple et peu consommateur de temps. La précision n’est pas recherchée mais uniquement les ordres de grandeur.
➜ Outil TRIBU
Aux autres phases, l’ensemble des 4 outils listés dans la synthèse peut être utilisé (sans exclusivité) du moment qu’une comparaison entre plusieurs types de solutions est faisable.
Choisir l’outil dont la base de données est adaptée à l’opération
Les outils sont intimement liés à leurs bases de données. On distingue deux types d’outils :
• les outils utilisant une seule base de données : généralement Ecoinvent ou KBOB basée sur Ecoinvent,
• les outils utilisant plusieurs bases de données : par exemple les outils ayant fait le choix de la base de données INIES. Celle-ci ne comportant pas assez de composants ou matériaux est complétée par des données fabricants, les EPD, les PEP, Ecoinvent, des calculs internes...
Pour les outils utilisant la base de données Ecoinvent, il est important de retenir que le mix électrique n’est pas celui de la France et de faire des corrections. Pour les outils utilisant un mix de bases de données, il est important de pouvoir identifier pour chaque composant quelle est la source, de pouvoir la changer au besoin et, enfin, d’utiliser les résultats en incluant une marge d’erreur significative.
Enfin, rappelons qu’à ce stade de maturité du sujet de l’énergie grise, l’important est aujourd’hui, plus que d’avoir des calculs très précis, de permettre aux acteurs d’un projet de se poser les questions les plus pertinentes et de faire des choix judicieux sans idées préconçues.
Choisir un outil proposant des comparateurs de résultats lisibles facilitant la prise de décision
Résultats efficaces pour les études et prises de décisions
Avant toute chose, un logiciel d’Analyse de Cycle de Vie est un outil d’aide à la décision dans le choix de matériaux, de procédés constructifs, de modes de transport, etc. le moins impactant possible pour l’environnement et la santé. Il doit permettre de modéliser et comparer des variantes pour les principes constructifs, les matériaux, les équipements... mais aussi de comparer son propre bâtiment à d’autres bâtiments sur la base de critères choisis.
Résultats lisibles
L’outil doit offrir un déchiffrage pédagogique des résultats des impacts environnementaux du bâtiment si possible sous différentes formes : schéma radar, histogramme, tableau, etc.