Part II. – Où se cache l’énergie grise ?
Faisant suite à la première partie, ‘’Energie grise : Basse Consommation ne rime pas forcément avec écologie…’’ montrant à travers différents choix permettant de se fixer des objectifs quantitatifs ambitieux à la fois sur la performance de l'enveloppe et ses consommations primaires (standard passif) et sur l'impact environnemental du système constructif.
Même si il est complexe de synthétiser un principe d’évaluation de l’énergie grise d’un bâtiment en raison de la diversité des types de bâtiment, de leur durée de vie, des méthodes de calcul, des bases de données, des modes de modélisation, l’ICEB a néanmoins tenté d’apporter une réflexion à travers plusieurs bâtiments étudiés.
Chacun des bâtiments étudiés est au moins au niveau BBC 2005 pour les consommations d’énergie en exploitation.
Pour chacun des calculs, l’énergie grise a été décomposée par poste :
> structure = infrastructure (fondations) + superstructure (structure horizontale, verticale et charpente) ;
> enveloppe = isolation + couverture/étanchéité + fenêtres (vitrage + menuiserie) + protections solaires + serrurerie/métallerie ;
> aménagement intérieur = cloisonnements + revêtements intérieurs + menuiseries intérieures + panneaux acoustiques éventuels ;
> équipements : équipements de chauffage, ventilation, rafraîchissement, plomberie, électricité, inclus câblages et tuyaux et panneaux solaires.
Ainsi, l’ICEB a pu retenir que la consommation totale en énergie grise est comprise entre 1500 et 1800 kWh/m2SHON pour un bâtiment d’une durée de vie de 50 ans.
La répartition énergétique par poste est difficile à comparer, du fait des différences marquées entre les types de bâtiments. Mais quelques conclusions ressortent :
> La structure du bâtiment compte pour 250 à 800 kWh/m2 SHON, et occupe en valeur relative de 20 % à 50 % du total énergétique.
Les valeurs faibles comprises entre 250 et 350 kWh/m2SHON correspondent à des projets de réhabilitation, ou des projets dont la structure est autre que le béton (structure bois pour la crèche, façades bois pour le musée en construction neuve). Deux variantes ont été calculées pour le projet de crèche, les résultats sont clairs : le passage d’une structure bois à une structure béton augmente de 250 kWh/m2SHON la consommation en énergie grise.
Les valeurs plus élevées aux alentours de 500 kWh/m2SHON correspondent à des projets en structure béton. Le projet de bureaux de 5000 m2SHON présente une valeur très élevée (800 kWh/m2SHON) pour la structure, car la charpente métallique a été comptabilisée en détail ;
> L’enveloppe du bâtiment compte pour 200 à 800 kWh/m2SHON, et occupe en valeur relative de 17 % à 57 % du total énergétique. Les valeurs sont assez variables notamment à cause du choix des isolants et des menuiseries extérieures. Ainsi, les projets avec de l’isolant polyuréthane ou polystyrène et des menuiseries en aluminium sont fortement plus consommateurs en énergie grise que les projets en laine minérale fibre de bois et équipés de menuiseries bois ;
> Les équipements comptent pour environ 200 kWh/m2 SHON, soit environ 15 % des consommations totales en énergie grise, car ils sont pris en compte dans l’outil TRIBU de façon simplifiée, par ratio de tonnage à 0,7 % de la SDO, avec 27 000 kWh/tonne. Le calcul du projet de musée en réhabilitation prend en compte de façon plus détaillée le poste équipements, on atteint alors une valeur plus élevée d’environ 500 kWh/m2SHON soit 35 % du total énergétique ;
> L’aménagement intérieur compte pour 180 à 750 kWh/m2SHON, et occupe en valeur relative de 10 % à 40 % du total énergétique. Les valeurs sont très variables notamment à cause du choix des revêtements de sol et faux plafonds. Ainsi, les projets avec de la moquette en revêtement de sol sont fortement plus consommateurs en énergie grise que les autres (environ + 10 % sur le total). De la même façon, les projets équipés de faux plafonds métalliques sont plus consommateurs (également environ + 10 % sur le total).
En conclusion, quelques choix de conception peuvent « coûter cher » en énergie grise et peuvent être évités ou utilisés en quantité réduite :
> les structures entièrement béton / acier ;
> les isolants à base de polymères (polyuréthane, polystyrène) ;
> les menuiseries aluminium ;
> les revêtements de sol en moquette ;
> les faux plafonds métalliques.
A travers l’étude de l’ICEB a synthétiser des ordres de grandeurs :
Valeur absolue de l’énergie primaire
> Calculs du groupe de travail : 1 500 à 3 500 kWh/m2 pour des bâtiments d’une durée de vie entre 50 et 80 ans :
• bâtiments d’une durée de vie de 80 ans : de 1 600 à 3 500 kWh/m2SHON, soit ramené à une année, de 20 à 43 kWh/m2SHON.an,
• bâtiments d’une durée de vie de 50 ans : de 1 500 à 1 800 kWh/m2SHON, soit ramené à une année, de 30 à 36 kWh/m2SHON.an ;
> Résultats des autres études et normes ;
• études : 23 à 75 kWh/m2SHON.an avec des valeurs médianes légèrement au-dessus de 40 kWh/m2SHON.an,
• SIA dans le CT 2032 : de 22 à 28 kWh/m2ASP.an.
Ordres de grandeur de l’énergie grise d’un bâtiment selon l’échelle de temps
Ensemble des bâtiments :
• énergie grise sur toute la durée de vie
= de 1 500 à 3 500 kWh/m2SHON,
• énergie grise ramenée à l’année
= de 20 à 75 kWh/m2SHON.an ;
Bâtiments optimisés :
• énergie grise toute la durée de vie
= de 1 200 à 2 200 kWh/m2SHON,
• énergie grise ramenée à l’année
= de 20 à 30 kWh/m2SHON.an.
Valeur relative par rapport à une consommation en exploitation de bâtiment BBC (50 kWh/m2SHON.an pour les usages réglementaires uniquement)
> Pour les bâtiments d’une durée de vie de 80 ans : de 30 à 50 ans de consommation annuelle en phase exploitation.
> Pour les bâtiments d’une durée de vie de 50 ans : plutôt vers les 30 à 35 ans de consommation annuelle en phase exploitation.
L’énergie grise d’un bâtiment de 80 ans est plus élevée car, même si on amortit plus la structure, on renouvelle plus d’éléments qu’en 50 ans (exemples : carrelages, faux plafonds, isolants, revêtements de façades, baies vitrées...), ce qui s’assimile à une réhabilitation lourde.
Équivalent énergie grise en années de consommations d’énergies pour l’exploitation d’un bâtiment BBC 2005
Énergie grise en années de consommation d’énergie en exploitation d’un bâtiment BBC 2005 = de 30 à 50 ans
Poids relatifs des différents lots de l’ouvrage dans l’énergie grise
Poids des équipements dans le total :
> Outil TRIBU : vers les 200 kWh/m2 sur l’ensemble de la durée de vie. Explication : utilisation de ratios (25 000 kWh/tonne pour les conduits/tuyauteries et 27 000 kWh/tonne pour les équipements). Seul le projet MHE est à 500 kWh/m2 car ce poste a été beaucoup plus détaillé dans le calcul. Ratio à retenir : environ 10 à 15 % de l’énergie grise totale et environ 4 kWh/ m2SHON.an ;
> CSTB : 40,12 kWh/m2SHON.an pour une maison individuelle BBC RT 2005 d’une durée de vie de 50 ans. Part des équipements : 5,88 kWh/m2.an soit 15 % ;
> Bureau d’études Enertech : ratio de 20 % pour les équipements (calcul effectué pour la région Bourgogne) ;
> valeur forfaitaire de 10 MJ/m2AE.an, soit 2,8 kWh/m2.an, soit 10 % de l’énergie grise allouée à un bâtiment ;
> SIA dans le CT 2032 :
• dans le tableau de calcul de l’annexe D :
28 MJ/m2AE.an, soit 8 kWh/m2AE.an,
• 23 % pour un immeuble de logements de 7 étages.
Poids des équipements
De 3 à 8 kWh/m2SHON .an, soit 10 à 25 % du total de l’énergie grise.
Poids de la structure :
> autour des 300 kWh/m2SHON pour les réhabili- tations, les bâtiments sans infrastructure ou avec d’autres matériaux que le béton ;
> de 500 à 900 kWh/m2SHON pour les construc- tions lourdes béton et charpente métallique ;
> parkings enterrés de 30 m2 par place en structure traditionnelle (béton armé, isolation imputrescible et étanchéité classique) : 225 kWh/m2AE ;
> SIA dans le CT 2032 : 22 % pour un immeuble de logements de 7 étages.
Poids de l’enveloppe :
> Entre 300 et 1 300 kWh/m2SHON ;
> SIA dans le CT 2032 : 35 % pour un immeuble de logements de 7 étages.
Poids de l’aménagement intérieur
> entre 170 et 730 kWh/m2SHON ;
> SIA dans le CT 2032 : 15 % pour un immeuble de logements de 7 étages.
Toutefois, l’ICEB a précisé l’impossibilité, à partir des études réalisées, de déterminer une part en pourcentage de ces 3 grandes composantes du bâtiment, car les bâtiment sont de même type, de même durée de vie, de modes de construction similaires et les calculs ont été fait avec le même outil. Dans ce cas, la répartition entre les 3 est d’environ :
> poids de la structure : 30 à 42 % ;
> poids de l’enveloppe: 30 à 47 %;
> poids des aménagements intérieurs : 18 à 30 %.
Soit des poids sensiblement équivalents pour la structure et l’enveloppe et un poids en moyenne deux fois plus faible pour les aménagements intérieurs.
Poids du surinvestissement en énergie grise pour diminuer les consommations d’énergie en exploitation :
Le surinvestissement en énergie grise pour diminuer les consommations en énergie de la phase exploitation est négligeable par rapport aux gains en consommation d’énergie sur la durée de vie du bâtiment (temps de retour sur investissement énergétique de l’ordre de l’année pour une construction neuve).
Par contre, l’énergie grise est consommée pour la construction du bâtiment, c’est-à-dire pendant la ou les deux premières années de vie, alors que l’énergie d’exploitation est lissée sur les 50 années de durée de vie, ce qui permet de différer les impacts sur l’environnement.
Comparaison entre énergie grise des constructions neuves et de la réhabilitation Une réhabilitation est bien moins consommatrice en énergie grise qu’une construction neuve. Pour espérer obtenir un bilan total énergie grise + énergie exploitation plus faible en construction neuve qu’en réhabilitation, il faut optimiser fortement le niveau énergétique en phase exploitation du bâtiment neuf (niveau passif voire positif).
Moyens de comparaison Plusieurs bâtiments peuvent être comparés entre eux uniquement si leur calcul d’énergie grise provient : - des mêmes outils de calcul ; - des mêmes bases de données. En revanche, plusieurs bases de données peuvent servir à comparer entre eux des produits ou matériaux (avec la réserve nécessaire sur le périmètre pris en compte/les hypothèses/les définitions utilisés dans chaque base de données).