SPECIAL QUANTUM DOT : GENESE D'UNE NANO-REVOLUTION
Un édito spécifique de 4 articles publiés tout au long de la semaine consacré aux boites quantiques, nanostructure de semi-conducteurs dont les applications sont immenses. Ce 1er volet se porte sur la génèse dede cette découverte qui remonte dans les années 1980... Chaque jour, un article spécifique sur ces ''puits de potentiel'' extraordinaire.
Ils sont minuscules, leurs dimensions se mesurent en nanomètres, soit en milliardièmes de mètre, mais ils sont sur le point de révolutionner des secteurs industriels aussi variés que la télévision, l’énergie ou le diagnostic médical. Les quantum dots, en français « boîtes quantiques » ou plus brièvement QD, ont été découverts il y a une trentaine d’années et font depuis l’objet de recherches de plus en plus nombreuses, à mesure que leur potentiel se dévoile.
Au moment où les premières applications commerciales grand public arrivent sur le marché, il était temps pour la communauté scientifique qui explore ce nouveau monde de regarder avec un peu de recul ces trente années foisonnantes, de faire le point sur cette aventure, d’en esquisser l’histoire... et de célébrer le 30ème anniversaire de cette découverte. L’équipe Parisian Quantum Dots, au sein du Laboratoire de Physique et Études des Matériaux (LPEM) à l’École Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la Ville de Paris (ESPCI ParisTech) a pris l’initiative d’organiser dans ce but la conférence 30 years of Colloidal Quantum Dot, à Paris qui a eu lieu les 26, 27 et 28 mai dernier.
Les quantum dots (QDs), ou boîtes quantiques, sont des structures matérielles solides de très petite taille, dotées de propriétés remarquables du fait essentiellement de cette petite taille. Leurs dimensions se mesurent en nanomètres, c’est-à-dire en milliardièmes de mètre et ils rassemblent un petit nombre d’atomes, de l’ordre de cent à cent mille.
Les QDs peuvent avoir une structure plus ou moins complexe. Les plus simples sont juste des nanocristaux, c’est-à-dire un assemblage régulier d’atomes arrangés selon un motif géométrique précis. Comme des cristaux ordinaires, mais de dimensions extrêmement réduites. Les matériaux les plus étudiés sont des semi-conducteurs, en particulier des composés à base de cadmium, comme le séléniure de cadmium.
Les lois de la physique impliquent que ces dimensions réduites modifient profondément le comportement des électrons gravitant autour des noyaux de ces atomes. Leur confinement impose de nouvelles règles du jeu qui se traduisent par des propriétés électriques et optiques inédites très intéressantes. Par certains côtés, expliquent les chercheurs, un QD se comporte comme un gros atome artificiel.
DES PROPRIÉTÉS EXCEPTIONNELLES
La propriété la plus étudiée et exploitée des QDs est leur fluorescence. La communauté scientifique a découvert qu’un quantum dot, excité par une lumière incidente, émet de la lumière sur une fréquence très précise qui ne dépend que de sa taille. Lorsqu’on a su contrôler la taille des QDs, à partir de 1993, les chercheurs ont commencé à produire à volonté des QDs émettant de la lumière de n’importe quelle couleur, depuis l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge proche et lointain, en passant évidemment par le spectre visible.
Une forme de QD plus complexe comporte en plus d’un nanocristal une « coque » constituée d’un second matériau, qui d’une certaine façon protège et donc renforce les propriétés du « cœur » qu’elle renferme. On peut encore attacher à cette coque des molécules, généralement des chaînes carbonées que l’on appelle « ligands », qui permettront notamment au QD de s’attacher à certains sites.
Du simple nanocristal, la recherche a ainsi mené au quantum dot « fonctionnalisé », capable notamment de se fixer sur des cellules présentant certaines caractéristiques, par exemple cancéreuses, et de permettre leur localisation grâce à la fluorescence.
D’autres travaux ont permis de contrôler également la forme des QDs. Des équipes ont ainsi publié des solutions pour réaliser des cylindres, des tétrapodes, des plaquettes. Ces nouvelles formes confèrent à ces QDs des propriétés insoupçonnées.
Les premiers QDs étaient réalisés essentiellement à partir de composés du cadmium, un métal lourd, impliquant donc des précautions. De nombreux travaux de recherche ont progressivement démontré qu’il était possible d’utiliser d’autres matériaux, y compris des éléments chimiques moins nocifs et plus répandus.
DE L’OBSERVATION À LA THÉORIE
À la fin des années 70, à l’Institut d’Optique d’État Vavilov (Léningrad - Union Soviétique, aujourd’hui Saint-Pétersbourg en Russie), le physicien Alexei Ekimov synthétise dans une matrice de verre fondu des nanocristaux, d’abord de chlorure de cuivre, puis de séléniure de cadmium. Il constate une fluorescence avec un dégradé de couleurs. Un gradient de température dans le substrat a provoqué la création de cristaux de tailles variables, émettant de ce fait une sorte d’arc en ciel. Mais Alexei Ekimov ne sait pas vraiment ce qui s’est passé. Il publie ces observations en 1980.
Par la suite, Alexei Ekimov discute avec Alexander Efros, un théoricien. Lequel publie avec son frère en 1982 le premier papier théorique expliquant le comportement de ces minuscules cristaux par le confinement de leurs électrons.
Le chimiste Louis Brus, des Bell Labs (Murray Hill, New Jersey) visite Ekimov. À son retour, il tente de produire à son tour des nanocristaux, mais dans un liquide : ce que l’on appelle une suspension colloïdale. Il obtient ainsi les premiers quantum dots colloïdaux de sulfure de cadmium, bien plus faciles à manipuler. Il publie en 1983.
UN ENGOUEMENT MONDIAL
À Berlin, Arnim Henglein initie le domaine en Europe dès 1982. Il décède malheureusement en 2012, après avoir constitué une équipe très réputée.
Aux Bell Labs, Louis Brus a deux étudiants en post-doc, Moungi Bawendi et Paul Alivisatos, qui vont devenir des figures importantes du domaine. Le premier dirigera ensuite une équipe au MIT (Massachusetts) et le second fera de même à l’Université de Berkeley.
En 1993, Moungi Bawendi réalise avec deux étudiants, Murray et Norris, la première production de QD « de haute qualité », c’est-à-dire avec une dispersion de taille inférieure à 5%. L’article a été cité plus de 5000 fois. Désormais, on sait contrôler la taille des QDs et donc choisir la couleur de leur fluorescence.
De 1993 à 2000, quatre groupes sont particulièrement actifs. Il s’agit des équipes de Moungi Bawendi au MIT, de Paul Alivisatos à l’Université de Berkeley, du Français Philippe Guyot-Sionnest à l’Université de Chicago et de l’Allemand Horst Weller à Hambourg.
En 1996, à l’Université de Chicago, Philippe Guyot-Sionnest et son étudiante Margaret Hines obtiennent les premiers quantum dots comportant un cœur entouré d’une coque.
En 1998, Paul Alivisatos à Berkeley et Shuming Nie à l’Université de l’Indiana publient en même temps, dans le même numéro du magazine Science, les premières applications des QDs aux biomarqueurs. En attachant des molécules ad hoc « ligands » à des quantum dots, qu’ils ont réussi à rendre solubles dans l’eau, ils obtiennent des marqueurs capables de se fixer sur des sites biologiques et d’en visualiser la position par fluorescence.
Un objectif est de contrôler la forme des quantum dots. En 2000, Xiaogang Peng, un étudiant de Paul Alivisatos, obtient8 les premiers QDs en forme de bâtonnet. En 2008, à l’ESPCI ParisTech, Sandrine Lhuillier- Ithurria, une étudiante de l’équipe de Benoît Dubertret, obtient9 pour la première fois des plaquettes, c’est-à-dire des cristaux plats de quelques atomes d’épaisseur, voire d’un seul atome.
Aujourd’hui, des dizaines d’équipes de par le monde poursuivent des recherches sur les quantum dots, et obtiennent des résultats qui accroissent jour après jour la capacité de contrôler leurs caractéristiques. Le savoir-faire accumulé permet de réaliser à la demande des QDs exhibant des propriétés adaptées à telle ou telle application. Des travaux visent même à produire des QDs dans des conditions compatibles avec les réalités économiques et industrielles. L’heure des applications des quantum dots a sonné.
ALEXEI EKIMOV :
LES PREMIÈRES OBSERVATIONS
Alexei Ekimov a obtenu son PhD de physique en 1974 à l’Institut Physico-Technique Ioffe de Leningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg. Il est chercheur depuis 1977 à l’Institut d’Optique Vavilov (Léningrad) lorsqu’il produit pour la première fois des quantum dots dans un support de verre.
En 1990 il retourne à l’Institut Physico-Technique Ioffe. Il est depuis 1999 le Chief Scientist de Nanocrystals Technology (NY, NY).
Alexei Ekimov a obtenu en 2006 le prix Von Humboldt et partagé avec Louis Brus et Alexander Efros le prix R. W. Wood de la Optical Society of America pour la découverte des quantum dots. En 2013, il partage avec Alexander Efros la Médaille Gross de la Société d’optique russe Rozhdestvensky.
« Il n’y a pas de doute que l’étape la plus importante fut la découverte du confinement spatial des excitations électroniques dans les nanocristaux semi-conducteurs. Parce que ce phénomène débouche sur une possibilité unique de réglage contrôlé des propriétés optiques des QDs et ouvre la voie de leurs applications dans les écrans LED-LCD, l’éclairage LED, les panneaux solaires, etc. »
« Je pense que les prochaines années seront une période passionnante à la fois pour l’industrie des quantum dots et pour les recherches académiques. »
« Il est difficile de prédire la prochaine percée industrielle parce que trop d’applications sont proches de la commercialisation, maintenant. Stimulées par la percée des QDs sur le marché des écrans, bien d’autres applications attendues depuis longtemps vont apparaître, y compris celles reposant sur des nanocristaux de certains matériaux non semi-conducteurs. »
ALEXANDER L. EFROS :
LES PREMIERS PAS THÉORIQUES
Alexander L. Efros a obtenu son PhD en 1978 à l’Université technique de Leningrad.
De 1981 à 1990, il est chercheur à l’Institut Physico- Technique Ioffe de Leningrad. En 1990 il émigre en Allemagne et devient chercheur à l’Université Technique de Munich. En 1992, il est chercheur invité au MIT (Cambridge, MA) et devient en 1993 consultant au Naval Research Laboratory (NRL) à Washington DC. Depuis 1999, il est chercheur senior au même NRL.
En 2006, il partage le prix R. W. Wood prize de la Optical Society of America avec Alexei Ekimov et Louis Brus pour la découverte des quantum dots. En 2008, il reçoit le Humboldt Research Award for Senior U.S. Scientists.
En 2013, il partage avec Alexei Ekimov la Médaille Gross de la Société d’optique russe Rozhdestvensky.
« Ironiquement, certains effets optiques des nanoparticules étaient là, sous nos yeux, depuis des siècles. Les vitraux de nos cathédrales contiennent des nanoparticules de métaux, comme le cuivre, ou d’alliages semi-conducteurs, auxquelles ils doivent leurs couleurs vibrantes. »
« Lorsque nous avons commencé à dire, avec Alexei Ekimov, que la couleur dépendait uniquement de la taille des particules, de nombreux chercheurs étaient très sceptiques. Et il nous a fallu encore plusieurs années d’expérimentation pour convaincre la communauté scientifique. »
« Alexei Ekimov était à l’Institut Vavilov, et moi à Ioffe, mais par chance nous étions voisins. Nous habitions des deux pièces identiques, à 3 mn l’un de l’autre. La théorie des quantum dots est donc née, à domicile, chez nous, autour de nos tables de cuisine. »
« La grande affaire, ce sera les applications médicales. Les quantum dots ont des propriétés remarquables qui en font des véhicules idéaux pour toutes sortes de nouvelles techniques pour détecter, visualiser, diagnostiquer et intervenir dans le corps humain. »
LOUIS E. BRUS :
LES PREMIERS QDs COLLOÏDAUX
Louis E. Brus a obtenu son PhD à l’Université de Columbia (NY, NY).
Il rejoint en 1973 les Bell Laboratories de AT&T (Murray Hill, New Jersey). C’est là qu’il découvre en 1982 les quantum dots colloïdaux.
En 1996, il quitte les Bell Labs pour rejoindre l’Université de Columbia (NY, NY).
Il est élu à l’Académie des Sciences des États-Unis en 2004 .
En 2006, il partage le prix R. W. Wood prize de la Optical Society of America avec Alexei Ekimov et Alexander Efros pour la découverte des quantum dots. Pour la même raison, il obtient également le prix Kavli de Nanoscience en 2008 et le NAS Award in Chemical Sciences en 2010, ainsi que le Franklin Institute’s Bower Award and Prize for Achievement in Science en 2012.
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