Trafic d’ivoire, la France dans le viseur… mais réagit...
Dans un courrier commun, 37 Organisations Non Gouvernementales européennes, africaines, américaines et asiatiques ont demandé à Mme la Ministre de l’Ecologie d’interdire la vente en France et l’exportation depuis la France d’ivoire brut et débité.
Si la France décide d’appliquer ces deux mesures, elle contribuera à enrayer le braconnage des éléphants, la contrebande et la spéculation sur l’ivoire.
Le volume du trafic d’ivoire est 3 fois plus élevé qu’en 1998. En Asie et notamment en Chine, la demande des classes moyennes et riches augmente. Elle est insatiable. En Afrique et en Asie, 35.000 à 40.000 éléphants sont braconnés chaque année. La population d’éléphants en Afrique a diminué d’environ 70% entre 1985 et 2010. Le cycle de reproduction des éléphants est exceptionnellement long. La gestation dure 21 à 23 mois. Sauf exception, elle est suivie d’une seule naissance. La période d’allaitement est d’au moins 3 ans. L’intervalle entre les naissances est de 4 à 10 ans. Les éléphants braconnés sont de plus en plus jeunes. L’avenir des éléphants est menacé à court terme. Certains misent sur leur disparition et spéculent sur l’ivoire comme d’autres spéculent sur l’or et les diamants.
L’Europe et la France ont une part de responsabilité dans l’augmentation du trafic. Les ventes aux enchères d’ivoire « post colonial » se multiplient dans les salles des ventes et sur des sites internet. Les défenses d’éléphant sont qualifiées d’ivoire « pré-convention » par les vendeurs et les commissaires priseurs. Les ivoires pré-convention sont censés avoir été acquis avant 1976 et l’entrée en vigueur des règles de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). L’authenticité des documents d’origine est sujette à caution.
Le trafic illicite d’ivoire est pour l’essentiel contrôlé par des réseaux criminels qui usent de la corruption, de la violence et de documents falsifiés ou détournés. Le commerce « légal » français d’ivoire s’inscrit dans ce contexte. En France, les DREAL (Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement) ont compétence pour délivrer les Certificats Intra Communautaires autorisant la commercialisation de l’ivoire mais les agents de la DREAL ont des tâches plus urgentes que de vérifier l’authenticité d’archives familiales disant que les ivoires ont été honnêtement acquis avant 1976 ; il y a un risque que des défenses provenant d’animaux braconnés obtiennent des certificats et soient ainsi blanchies. Des certificats émis par les autorités françaises pour des défenses légales peuvent être détournés et réutilisés pour commercialiser des défenses illégales. Il a d’ores et déjà été déploré la circulation de faux certificats français.
En 2014, plus de 3 t d’ivoire brut ont été vendues dans les salles de ventes aux enchères en France. La totalité de ces ivoires a été achetée par des ressortissants étrangers, en particulier asiatiques. En France, l’ivoire se vend 300 à 1000 € le kilo. En Chine, il se vend aujourd’hui 6000 à 7000 € le kilo.
La vente d’ivoire brute en France et son exportation alimentent la spéculation sur l’ivoire. Sous le couvert de l’ivoire légal, les filières de l’ivoire en Asie écoulent de l’ivoire illégal.
Face à cette missive, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, a réuni le 28 janvier, les organisations non gouvernementales qui l’ont alertée sur la très forte augmentation du braconnage de l’éléphant et du trafic d’ivoire et qui menace ce joyau de la biodiversité mondiale.
La quantité d’ivoire issu du braconnage a été démultipliée ces dernières années (multipliée par 4 selon certaines études) alors que les populations d’éléphants d’Afrique centrale ont décliné de plus de moitié au cours des 10 dernières années.
Au-delà de sa valeur patrimoniale, symbolique et culturelle, l’éléphant apporte d’innombrables services pour les écosystèmes, notamment en ouvrant des clairières en forêt en entretenant la savane, en facilitant la dispersion et la germination des graines et de la biodiversité végétale. En ce sens, l’éléphant participe à la captation du carbone dans les sols. Il favorise la disponibilité de la pharmacopée traditionnelle végétale pour les communautés locales. L’éléphant est aussi une clé du développement de l’économie locale grâce aux activités touristiques.
Plusieurs groupes armés clandestins financent leurs activités par le trafic de matières animales et en particulier d’ivoire.
Les certificats d’exportation européens peuvent être détournés par des trafiquants pour faciliter la vente d’ivoire illégal.
A l’issue de la réunion, Ségolène Royal a pris les décisions suivantes :
1. La suspension immédiate de la délivrance des certificats d’exportation d’ivoire brut par la France.
2. Un appel aux autres États membres de l’Union européenne pour interdire à leur tour les exportations d’ivoire brut comme le font également l’Allemagne, la Suède, le Royaume- Uni et une partie des États-Unis.
3. Une vigilance accrue pour les certificats de commercialisation sur le sol français.
4. Une coopération renforcée entre les services du Ministère de l’Écologie et les douanes et la relance du plan de coopération interministériel destiné à améliorer la synergie entre services afin de rendre la lutte contre la fraude plus efficace, notamment en frontières.
5. Une nouvelle opération de destruction d’ivoire illégal en 2015.
6. La loi biodiversité qui sera débattue dans quelques semaines renforcera les sanctions prévues en cas de trafic d’espèces protégées (éléphants, rhinocéros, tigres, variétés de bois tropicaux etc.).
Les particuliers qui possèdent, notamment par voie d’héritage, des défenses d’éléphants ramenées d’Afrique dans les années 1930 - 1960 pourront toujours les vendre dans les salles de vente en France, sous réserve d'avoir obtenu le certificat requis. La quantité d’ivoire présente sur le territoire français est suffisante pour permettre l’entretien des œuvres d’art.