Considérer les temporalités dans la ville mobile autour des réalités locales et de la protection du tissu social
Une étude très intéressante réalisée sur l’urbanisme spatio-temporel menée par des géographes et urbanistes des universités d'Angers et de Bretagne, intitulée « Chronotope, aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes », permet de dresser un paysage temporel de la ville à travers l’évolution de ses commerces.
Publiée par la PUCA, l’étude arbore le sujet avec le décret du 7 mars dernier qui a statué en faveur des grandes enseignes de bricolage (les Leroy-Merlin et Castorama) désormais autorisés à ouvrir le dimanche. Cette libéralisation accrue des temporalités du commerce ouvre une réflexion sociétal en posant de délicates questions économiques et sociales : peut-elle accroître les difficultés de gestion de certains type de structures, parfois déjà en difficulté, autant qu’elle peut rendre difficile l’articulation des temps de vie des salariés ?Aussi le débat public concernant l’ouverture dominicale met-il les citoyens et les politiques à l’épreuve d’un choix sociétal : les individus paraissent tiraillés entre leur désir de ville à consommer en 24/24, leur quête de synchronicité comme salariés et leur souci d’égalité.
L’étude observe que si il est vrai que les villes françaises ont longtemps obéi à des normes nationales régissant le fonctionnement de leurs commerces et services, moyennant quelques variantes locales et des branches particulières, les magasins étaient généralement fermés le dimanche, voire le lundi. Un créneau de 9h à 19h, avec une fermeture d’une à deux heures à la mi-journée, apparaissait immuable dans le paysage urbain national.
Elle précise qu’aujourd’hui, un autre mouvement anime ces villes : celui qui les tire vers une amplification des ouvertures, le midi, le soir, le dimanche ou à des périodes données (soldes, Noël...). La journée continue tend en effet à se généraliser : la pause du déjeuner n’est d’ores et déjà plus beaucoup marquée dans les métropoles régionales et elle recule jusque dans les villes moyennes, en particulier le samedi. Malgré tout, de fortes résistances à la continuité perdurent. Elles proviennent déjà de la réglementation qui n’opère que par dérogation. Mais on observe également une très forte inertie provenant des acteurs eux-mêmes : certains services à caractère commercial œuvrent au maintien des rythmes traditionnels (banques, cabinets d’assurance, agences immobilières, lieux de spectacle), d’autres agents conservent le statu quo autant par héritage culturel que par crainte des difficultés engendrées.
L’étude fait apparaître que malgré la révolution de la « grande distribution » il y a cinq décennies, les cœurs historiques restent les épicentres de la vie commerciale des villes françaises. Mais ils subissent aujourd’hui l’influence des activités en périphérie : certains de leurs commerces glissent vers la continuité, sans rupture méridienne et avec allongement en soirée, mettant sous pression ceux qui s’animent traditionnellement à heures régulières. Cette évolution s’incarne schématiquement dans un appareil commercial central à deux vitesses, avec un « petit commerce » conservant des horaires standardisés marqués par deux tranches d’ouverture (le matin et l’après-midi) – complété par des petites épiceries qui assurent le relais en soirée –, et un « grand commerce » fonctionnant en continu avec une tendance à retarder la fermeture en soirée. Les deux inclinations ne tiennent toutefois pas uniquement à des types d’entreprises, ni à des spécialisations marchandes : elles résultent aussi de la concentration d’activités s’animant à des rythmes concordants sur des sections de rues ou de places. Une proximité de restaurants et de commerces franchisés, par exemple, aura pour effet d’entraîner les activités voisines à ne pas marquer de pauses le midi, quand celle de magasins d’équipements entraînera plutôt des horaires d’ouverture/fermeture calés sur l’amplitude habituelle. Parfois contrastées sur de faibles distances, les ambiances urbaines influent donc sur les rythmes des commerces: elles peuvent concourir au maintien de l’attractivité d’une série de rues (cafés ouverts en soirée) comme à la désertification d’artères (sandwicheries à côté de bureaux, fermées le samedi).
Par ailleurs, l’étude note que toutes les agglomérations ne sont pas égales face au temps d’arrêt de l’activité pour le déjeuner : les villes moyennes tendent à conserver une pause d’une à deux heures, tandis que les métropoles régionales voient la plupart de leurs magasins rester ouverts. Ainsi, Angers, le Mans et Brest connaissent-elles un fléchissement de leurs activités commerciales à partir de 13h en semaine, avant de voir 40 % de leurs restaurants fermer l’après-midi, quand les Toulousains peuvent globalement prendre des repas et profiter des commerces et services à toute heure : 94 % des commerces d’équipement de la personne y sont ouverts en continu (contre 70 % au Mans) et jusqu’à 97 % le samedi. Quelques signes laissent présager que cette configuration tend à se généraliser. A Brest, en 1982 et 1994, le taux d’ouverture des boutiques entre 12h et 14h ne dépassait par le tiers des établissements : il a atteint 70% en 2012. Ici comme ailleurs, l’évolution s’est faite sous la pression des grandes surfaces de la périphérie et des clients. Les centres commerciaux du centre-ville ont pris le relais et par contagion, les commerçants indépendants suivent, malgré les difficultés de gestion des salariés. Dans ce mouvement, les petits supermarchés type « city » jouent un rôle d’entraînement. Les nouveaux formats du commerce alimentaire succursaliste pratiquent des amplitudes horaires de quinze heures en fermant jusqu’à 22h voire minuit, sans pause méridienne, et contribuent à l’élargissement des amplitudes du secteur. Quoi qu’il en soit, la souplesse des horaires d’ouverture dépend largement de la nature des structures commerciales (grands groupes, filiales, structures familiales, petites entreprises...)
Ensuite, l’étude mentionne que la ville 24/24 n’a pas encore cours dans les cœurs urbains français. Plusieurs facteurs s’y opposent, au premier rang desquels la réglementation. Elle procède par dérogation et a donc globalement pour effet le maintien des rythmes standards. Prenons l’exemple des établissements d’équipement de la personne, caractéristiques des hypercentres français. Ils représentent 63 % du paysage commercial du centre de Brest et sont également majoritaires à Angers et à Toulouse. Très présents en centres-villes, ces magasins sont soumis à des règles qui freinent les ouvertures en soirée et le dimanche, rendant leur amplitude horaire circonscrite au créneau 10h-19h en semaine. D’autres raisons expliquent la perpétuation des rythmes traditionnels. Certaines sont d’ordre structurel : la majorité des commerces centraux sont des « très petites entreprises » : elles se prêtent mal à la mise en place de roulements au sein de la main-d’œuvre, en vue d’une ouverture au moment du déjeuner ou en « nocturnes ». Les extensions pratiquées à l’approche de Noël ou pendant les soldes et autres braderies représentent pour elles un effort important, peu aisé à multiplier. Les commerces franchisés n’appliquent d’ailleurs pas tous la journée continue non plus. La concurrence avec les complexes en périphérie ne rend pas leur ouverture à la mi-journée toujours nécessaire et beaucoup craignent des déconvenues s’ils ouvraient au milieu de boutiques fermées. D’autres raisons, enfin, tiennent à des habitudes culturelles et/ou à des choix délibérés : beaucoup de municipalités et préfectures restent prudentes, et les services ordinaires conservent des horaires calqués sur ceux des bureaux (banques, cabinets d’assurance...).
Et pourtant, Partout s’installe la vacance commerciale….
Poursuivant la réflexion, l’étude précise que le repos hebdomadaire du dimanche est encore très pratiqué en France. En attestent les chiffres recueillis à Angers, où le taux d’ouverture des commerces dépasse à peine un cinquième aux meilleures heures. Cette tradition s’appuie sur la législation sociale du début du XXe siècle (loi de 1906). Depuis lors, la possibilité d’y déroger a été instituée pour des branches considérées « de nécessité », tels les commerces alimentaires avec autorisation jusqu’à 13h. Se sont progressivement ajoutés les commerces de fleurs, de meubles (depuis 2008), les cafés, hôtels, restaurants et débits de tabac, les cinémas et théâtres et par roulement, des pharmacies et des stations-services. L’enjeu actuel porte sur les commerces d’équipement et d’entretien de la personne, de la maison et les grandes surfaces qui gardaient jusqu’alors leurs portes closes... en dehors d’ouvertures « sauvages » spectaculaires.
Les pressions en faveur d’un élargissement des horaires sont apparues à partir des années 1980, au nom d’arguments économiques (relancer la consommation, faire baisser les prix en favorisant la concurrence, augmenter l’emploi, élever le niveau de ressources des salariés grâce à un salaire majoré, redynamiser un quartier) ou sociétaux (s’adapter aux pratiques et modes de vie contemporains, respecter la liberté de la clientèle). Au-delà d’entorses autour d’événements ponctuels, de nouvelles autorisations ont intégré des branches commerciales et des zones spécifiques (lieux touristiques, aéroports, gares principales...). L’amplification des dérogations s’est accélérée en 2009, avec la mise en place de « Périmètres d’Usage de Consommation Exceptionnels », aux délimitations très larges, et vient de connaître un nouvel épisode avec le dernier décret qui suit les préconisations de souplesse du rapport Bailly en autorisant l’ouverture des magasins de bricolage. Au final, la succession et l’addition des textes réglementaires, la diversité d’interprétation de la part des municipalités et des tribunaux de commerce, l’inégale tolérance des préfets face aux cas marginaux, ont entraîné des situations très diverses selon les branches et les localisations. Un mille-feuille qui a fini par rendre les règles difficiles à comprendre...
De plus, l’étude note que selon les enquêtes d’opinion, les citadins et périurbains français désireraient pratiquer librement promenade, shopping, loisirs et opérer des achats le dimanche ou en soirée. Et les mêmes préfèreraient pour eux-mêmes... des rythmes de travail plus conformes aux rythmes naturels jour-nuit et un respect de la partition semaine/week-end. Cette contradiction illustre l’ambivalence qui anime les Français au sujet de l’ouverture dominicale : selon une étude du Crédoc de 2008, la majorité aurait acquiescé à l’idée que les commerçants devaient être libres d’ouvrir leur établissement si bon leur semblait. Une opinion encore plus marquée dans les grandes agglomérations, chez les jeunes et les inactifs, et particulièrement au sujet des super et hypermarchés et enseignes de bricolage. Les sondés semblent toutefois plus adeptes d’une fermeture tardive des commerces que d’une ouverture systématique le dimanche. Les Français se retrouvent en effet tiraillés entre leur envie de liberté et un souci égalitariste vis-à-vis des employés du grand commerce, soumis à de rudes conditions de travail : vie de famille tronquée, multiplication des temps partiels, banalisation du travail de nuit, etc. L’opposition à l’extension temporelle le dimanche se cristallise ainsi autour du droit au repos pour tous et de la crainte d’une dérive en direction d’un consumérisme jugé excessif.
Enfin, l’étude conclut sur le fait que les discours sur le développement durable ont surtout concerné la compacité et l’étalement urbains. Les auteurs du rapport plaident en faveur d’une lecture plus dynamique de l’espace en intégrant la composante temporelle : ils invitent à considérer l’urbain dans une perspective spatio-temporelle. Selon eux, la question de l’habiter renvoie à la capacité de la polis à répondre aux demandes socio-économiques, aux usages et aux modes de vie. Aussi aménager l’espace ne peut-il plus se penser sans prise en compte des temporalités auxquelles il renvoie ou dont il reste le support : temps d’ouverture des commerces et des services, temps des déplacements, temps de la fête ou du travail, etc., devraient être gérés et intégrés dans la sphère de l’urbanisme. Si la progression des préoccupations temporelles au sein des politiques urbaines est manifeste, elle reste fragmentée, se limitant bien souvent à quelques actions isolées et dépassant difficilement le stade des expérimentations. La volonté d’une prise en compte du temps plus globale est encore loin de se concrétiser. Par ailleurs, l’accessibilité des services et des commerces est souvent réduite soit au niveau temporel, soit au niveau spatial : rares sont les actions qui intègrent les deux dimensions. Mais les enjeux de synchronisation et de désynchronisation ne sont pas les mêmes selon les territoires envisagés (mégapole francilienne, métropoles régionales, villes des littoraux touristiques, cités du périurbain, etc.). Tout « chrono-urbanisme » devrait se fonder sur des cadres adaptés aux réalités locales et à la protection du tissu social.
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