Foresee (Forest Resource Estimation for Energy), évaluer la ressource en bois…
C’est à travers le projet de recherche foresee (Forest Resource Estimation for Energy) que l’IGN mène depuis 3 ans un travail spécifique sur les évaluations de la ressource en bois. Des signaux laser aux mesures de terrain, présentation d’un ambitieux projet de spatialisation des données.
Source : juillet août septembre 2014 / N°75 / IGN MAGAzINE
Un travail de fourmi, dont la patience est mise à l’épreuve depuis trois ans, dans toute la France, une trentaine de chercheurs ont été mobilisés pour évaluer près de 130 000 hectares de forêt en ayant recours, en plus des mesures terrain, aux mesures LiDAR aéroporté. Ils prennent ces mesures, fouillent dans les bases de données, font de savants calculs... Leur but ? Définir des outils d’évaluation de la ressource en bois à l’échelon local pour les généraliser, si possible, à plus long terme, à l’échelon national.
Parce que les impacts du changement climatique et l’augmentation des prix de l’énergie rendent nécessaire le développement d’une filière bioénergie., les besoins en bois (de construction, de chauffage) connaissent donc une augmentation régulière et appelée à s’accentuer.
Pour répondre à cet enjeu la connaissance de la ressources est une nécessité. Aujourd’hui, la connaissance de la ressource forestière est assurée par l’IGN par le biais de son inventaire statistique. Le niveau de résolution est la région administrative avec la possibilité de produire des résultats pour des entités de plus de 20 000 hectares. À l’instar d’autres projets de recherche ou d’études en cours, le projet FoResee vise à disposer d’un maximum d’information lorsque l’on zoome pour se rapprocher de l’échelle locale. Ce projet, qui s’inscrit dans le programme national Bioénergies, vise donc à définir des outils permettant de connaître très précisément l’état et les potentialités de nos forêts.
Coordonné par FCBA, Institut technologique Forêt Bois cellulose ameublement (FcBa) est un centre technique industriel dont la vocation est d’accompagner les professionnels de la filière dans leur activité et le renforcement de leur compétitivité, le projet est animé par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRsTeA), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’office national des forêts (oNF), Sintégra, une société de géomètres experts, et enfin l’IGN. L’Union de la coopération forestière française (UCFF) et l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) sont partenaires associés.
Leur travail s’articule autour de quatre grands objectifs.
Premier d’entre eux : caractériser la ressource en qualité (les grandes familles d’arbres, les essences), mais surtout en quantité (le volume de bois).
Deuxième axe, estimer la « dynamique » de cette ressource, c’est-à-dire prévoir sa disponibilité dans le temps.
Troisième objectif: estimer ses conditions de mobilisation, c’est-à-dire les caractéristiques de la desserte forestière (comment est-il possible d’y accéder ? avec quelle machine? à quel coût?).
Enfin, le projet comprend une évaluation technico-économique visant à définir les conditions de déploiement des nouvelles techniques d’acquisition de données à l’ensemble de la filière.
Panorama de cent ans d’évolution forestière...
Parce que 2/3 des forêts françaises sont privées, l’Etat choisit de brûler celles publiques…
Données :
Pour remplir ces missions, les chercheurs s’appuient sur un panel de méthodes. Celles qui les intéressent en particulier utilisent la télédétection (la prise de mesures via un instrument éloigné de l’objet, à l’instar des images infrarouge ou du radar). Et, en prmier lieu, le LiDar (light Detection and ranging) aéroporté. Cette technologie de pointe repose sur le laser (voir infographie) et fournit rapidement des informations de grande précision sur les zones observées. Les dispositifs les plus perfectionnés transmettent et reçoivent jusqu’à 500 000 impulsions laser par seconde.
De quoi récolter des données extrêmement détaillées sur les zones survolées, « avec une finesse de 10 centimètres ! s’enthousiasme Francis de Morogues, chargé de recherche et développement au FcBa. Les méthodes statistiques actuelles se basent sur des échantillons de placettes forestières de 25 mètres de diamètre. L’outil liDar représente donc une avancée majeure dans la mesure de la forêt. il offre, de plus, un rendu en 3D complémentaire de la photographie aérienne, autre méthode de description des peuplements forestiers. »
Les partenaires de ForEsEE ont rassemblé l’ensemble des données LiDar déjà existantes sur la forêt. L’IGN a, à cet égard, donné accès à son catalogue de données LiDar acquises depuis 20082.
Il a également effectué des survols LiDar réguliers, notamment celui des Vosges (1 300 km2), en parallèle des missions menées, dans certaines zones, par Sintégra. De quoi bâtir une base de données très fournie sur les forêts de montagne, de plaine comme de colline. Des « mesures terrain » ont été ensuite réalisées pour être croisées avec les données LiDar. un travail de longue haleine coordonné, sur le site des Vosges, par l’office national des forêts (oNF) avec l’ucFF.
Les forestiers ont sorti GPs, boussoles, décamètres et autres dendromètres pour une auscultation grandeur nature. « au total, nous disposons ainsi de mesures sur neuf sites aux caractères différents, de la Savoie au Vercors en passant par les landes ou la forêt lorraine. Nous avons pu inventorier pas moins de 643 placettes et près de 28000 arbres, en mesurant l’emplacement, le diamètre, la hauteur et l’inclinaison de chaque arbre... une mission qui nous a pris plusieurs mois. », précise Anne Jolly, chargée de recherche et développement pour l’oNF.
Diamètre, Hauteur, Volume...
La phase de modélisation a alors pu débuter : comment, à partir de cette masse de données, calculer localement la ressource en bois? au moyen de savants calculs, Laurent Saint-André, directeur de l’unité biogéochimie des écosystèmes forestiers à l’INra, a par exemple cherché « à calculer la biomasse (c’est-à-dire la quantité globale de bois, écorce, feuilles...) ou la hauteur, en partant de paramètres comme le diamètre d’un arbre. Nous savons aussi déduire le taux de remplissage ou la surface restant disponible sur un peuplement. Autant de données qui permettent d’estimer la ressource, mais aussi ses capacités d’évolution ». Grâce aux données LiDar, les spécialistes peuvent calculer la hauteur des arbres avec une grande précision (à condition que le MNt soit précis), en prenant la différence entre la représentation 3D du sol sous forme de modèle numérique de terrain (MNt) et celle de la canopée, l’étage supérieur de la forêt (le modèle numérique de surface, ou MNs). « on est même parfois plus précis qu’avec les données terrain, le technicien n’étant pas soumis aux aléas météorologiques et aux bonnes conditions d’observation... » souligne, à l’IrstEa, Jean-Matthieu Monnet, qui s’attache notamment à étudier la sensibilité des mesures par rapport aux paramètres d’acquisition LiDar pour trouver le meilleur rapport précision/coût. La donnée «hauteur» est importante pour les opérateurs et les gestionnaires des forêts. Elle donne des indications précieuses sur le volume de bois présent à un endroit précis à un moment donné.
La connaissance de la ressource forestière est également essentielle pour aider à préparer les coupes de bois et le débardage... surtout si les professionnels savent comment accéder aux différents peuplements. un point sur lequel s’est penché l’IGN : « Nous avons cherché à extraire des données liDar des informations sur les chemins et autres voies de communication au sein des massifs, aussi appelés “dessertes”, explique clément Mallet, chercheur à la direction de la recherche et de l’enseignement de l’IGN. Nous pourrons ainsi mettre à jour et affiner notre connaissance des réseaux forestiers. »
Une donnée qui permet de prévoir le coût et les conditions du transport de bois, le matériel et les équipes à engager, et conditionne la mobilisation de la ressource en bois.
Evaluer la dynamique :
Si les technologies de pointe sont sous le feu des projecteurs, les photographies anciennes de l’IGN se sont cependant imposées dans la démarche. L’institut a en effet exploité ses fonds historiques de clichés aériens, pris depuis la Première Guerre mondiale, pour que l’INra et l’oNF puissent en extraire des données... « Grâce à ces photos, nous voyons pousser un massif au fil du temps, explique Laurent Saint-André, à l’INra. En calculant la croissance en hauteur des arbres les plus gros, nous pouvons déduire l’indice de fertilité à l’échelle des massifs, c’est-à-dire le rythme de croissance des essences, en fonction des conditions locales. Nous sommes ravis car une telle mesure spatialisée n’existe nulle part ailleurs ! si nous perfectionnons la méthode avec le liDar et généralisons son utilisation, nous pourrions même calculer cet indice à l’échelle de la France. » En renseignant sur la productivité des arbres, l’indice offre ainsi une vision prospective de la ressource nationale en bois. De quoi prévoir les « stocks » de bois disponibles au fil du temps, et les actions à mettre en œuvre pour les gérer au mieux.
Conclusion :
Cet été 2014 a marqué la dernière phase de ForEsEE. Les trois premières années, chacun des partenaires a pris le temps de récolter les données, de définir des modèles et de les valider sur des zones restreintes. Depuis début 2014, toutes les méthodes sont rassemblées pour être testées en vraie grandeur, sur une vaste zone du massif des Vosges choisie comme cas d’application: « sur cette zone, nous avons recours aux techniques de modélisation issues à la fois du liDar, des mesures terrain et des techniques statistiques, résume Francis de Morogues. Nous sommes ainsi en train de bâtir la cartographie en continu d’une forêt de près de 1 300 km2... C’est une avancée considérable. »
De quoi alimenter la réflexion sur les conditions de déploiement des nouvelles techniques de télédétection, dans le cadre du dernier objectif de ForEsEE: l’analyse technico-économique. « Nous cherchons à déterminer dans quelles situations, pour quel coût et pour quelles retombées, les nouvelles méthodes de collecte de données peuvent être déployées à l’ensemble de la filière, et d’évoquer de possibles actions de mutualisation. » car le LiDar suscite de nouvelles questions: ultraperfectionné, il est aussi coûteux; certaines données, comme l’essence ou les caractéristiques des petits arbres cachés par les grands arbres, sont encore difficiles à obtenir. Et ces évolutions technologiques posent de nouvelles questions, sur le traitement des informations, la puissance des logiciels, la rapidité des processus de validation et de correction des erreurs... autant de questions à explorer pour les chercheurs et les acteurs de la filière bois.
Les résultats de ForEsEE seront présentés le 14 novembre prochain au FcBa, à Paris. Quoiqu’il en soit, ce projet a déjà, de l’avis de tous les partenaires, impulsé une réelle dynamique. Il a permis de fédérer une communauté de chercheurs dispersés dans plusieurs organismes et de poser les bases d’une dynamique de recherche et de développement. L’impact sera également important pour les scientifiques et les décideurs qui disposeront de connaissances fines sur l’état du milieu forestier. L’IGN, fort de ses compétences en recherche, tant en télédétection que sur les méthodes d’inventaire, et disposant d’une capacité opérationnelle forte, a toute sa place, avec ses multiples partenaires, pour continuer sur les pistes révélées par ForEsEE pour une connaissance toujours plus précise de la ressource forestière à différentes échelles.