L’illégalité des coupures d’eau pour impayés...
Paru sur le site de France Libertés, l’article est axé sur les coupures d’eau exercées par les multinationales.
Couper l’eau pour impayé dans une résidence principale est illégal en France depuis le 16 avril 2013. Cette interdiction est valable pour tous et toute l’année.
Les distributeurs d’eau semblent aujourd’hui ignorer ce profond changement législatif et continuent de couper l’eau dans les familles françaises parfois sans préavis, souvent sans même chercher un arrangement. Ils privent arbitrairement des personnes, pour la plupart en situation de grande précarité, d’une vie digne.
Difficile de chiffrer le nombre de coupures d’eau par jour mais elles sont nombreuses, comme en atteste les appels à l’aide reçus par la Coordination Eau Île-de-France depuis qu’elle a publié sur son site internet un article écrit par Henri Smet, informant sur l’illégalité des coupures d’eau en France.
L’accès à l’eau est un droit fondamental. Les acteurs de l’eau n’ont de cesse de nous rappeler que nous partageons tous cette évidence. Pour autant, l’obsession économique de notre temps les fait devenir sourds à la protection de la dignité humaine quant il s’agit de parler d’argent. Mais couper l’eau pour impayé n’est pas un acte économique, c’est tout simplement une violation des droits humains.
Dans la société occidentale moderne, le poids de la légalité est puissant alors que le poids de la moralité semble parfois avoir simplement disparu. En dénonçant les coupures d’eau en réponse aux impayés, nous mettons en lumière les dérives de notre société économique qui n’hésite pas à se mettre hors la loi tant que personne ne réagit.
Mais nul n’est censé ignorer la loi. Alors au lieu de faire comme si elle n’existait pas, comme s’il s’agissait d’une erreur du législateur, les multinationales de l’eau auraient dû montrer l’exemple, prendre en compte et faire cesser leurs coupures dès la promulgation de la loi. Elles ne l’ont pas fait comme le prouve les demandes qui remontent vers nous depuis maintenant plusieurs semaines.
Rappelons ce que dit la loi « Brottes » n° 2013-312 du 15 avril 2013 : « Du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l'année suivante, les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Ces dispositions s'appliquent aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année. »
Depuis l’adoption de la loi « Brottes » et son application par décret n° 2014-274 du 27 février 2014, la disposition législative est très claire : Les distributeurs d’eau ne peuvent pas couper la fourniture en eau dans une résidence principale pour motif d’impayé.
France Libertés et la Coordination Eau Ile de France demandent à tous les maires de France – qui rappelons-le sont responsables de la gestion de l’eau - de veiller à ce qu’aucune résidence principale de leur territoire ne subisse de coupure d’eau pour non-paiement de factures.
France Libertés demande également aux entreprises de l’eau (notamment aux trois grandes multinationales de l’eau que sont VEOLIA, la Lyonnaise des Eaux et la SAUR) de stopper toutes les coupures d’eau pour impayés immédiatement en France.
Enfin, l’association demande au médiateur de l’eau de s’emparer de cette question pour faire appliquer la loi.
Afin que ces demandes ne restent pas sans suite, nous appelons tous les citoyens français qui subissent actuellement une coupure d’eau à témoigner en remplissant le formulaire ci-dessous.
Nous pouvons agir aujourd’hui ensemble pour que cesse l’illégalité des coupures d’eau pour impayés en France. Aidez-nous à faire appliquer la loi.
2. La loi en vigueur
L’article L115-3 du CASF concernant les coupures pour impayés a été modifié par la loi Brottes N°2013-312 du 15 avril 2013. Dans la nouvelle version, il précise qu’en ce qui concerne l’eau :
« Les distributeurs d’eau ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’eau aux personnes ou familles. »
Alors qu’auparavant, cette interdiction était limitée aux seules personnes qui étaient aidées par le Fonds de solidarité pour le logement.
Ce texte est similaire à celui sur les coupures d’énergie mais qui est limité à la seule période d’hiver. Pour l’eau, il n’y pas la moindre exception. La loi prévoit qu’un décret définira les modalités d’application de la loi. Le dit décret est sorti le 27 février 2014 et n’a donné aucune explication concernant la portée de la disposition législative sur les coupures d’eau. Le décret a d’ailleurs été rédigé de manière à ne pas dire que les coupures d’eau sont désormais interdites ou qu’elles sont autorisées dans certains cas. Ceci résulte du fait que la disposition législative est parfaitement claire : la loi exclut toutes les coupures sans prévoir d’exception.
Cette disposition législative est généralement considérée comme ayant été adoptée par inadvertance ou par erreur. Vrai ou faux, aucun décret ne peut autoriser ce que la loi interdit. Ainsi, il ne serait pas envisageable de limiter par voie de décret l’interdiction des coupures aux seules personnes démunies. De même, le décret ne peut autoriser les coupures sous réserve d’avoir recommandé à l’usager de faire valoir ses droits à une aide sociale.
3. Les réductions de fourniture d’eau
Le décret du 27 février 2014 n’autorise pas les réduction de débit pour l’eau et doit être interprété comme excluant cette possibilité.
Toutefois ce raisonnement est vicié par le fait qu’un décret ne peut pas introduire des dispositions si la loi ne le prévoit pas, interdictions qui portent préjudice à la liberté d’administration des municipalités (protégée par la Constitution). On peut donc affirmer qu’une municipalité peut parfaitement réduire le débit de fourniture d’eau des personnes qui ne payent pas leur eau. D’ailleurs, Marseille et Lyon font depuis longtemps du lentillage (réduction de débit) au vu et au su de tous et la même technique est utilisée avec succès dans des municipalités plus petites. Ainsi en 2012, quand les coupures étaient permises, dans le Grand Lyon (260 000 abonnés et 1.3 millions d’habitants), il y a eu 750 coupures d’eau et 2 000 lentillages tandis que 2127 ménages ont reçu une aide moyenne de 176 € par ménage pour payer leurs dettes d’eau. On constate que la technique des lentillages est utilisée à Lyon aussi souvent que les remises de dettes. Bien sûr, certains distributeurs sont hostiles à cette solution qui est coûteuse et plus difficile à mettre en œuvre. Mais au moins avec le lentillage, les usagers ne sont pas obligés d’utiliser les toilettes publiques, s’il y en a, puisque couper l’eau, c’est priver les usagers d’accéder à leurs toilettes.
CONCLUSION : Ne vous laisser pas impressionner par les menaces de coupures et répliquez en rappelant que la loi Brottes les a purement et simplement interdites. En cas de menaces de coupure, écrivez au maire pour vous plaindre que le distributeur ne respecte pas la loi. Si le distributeur insiste, faites le savoir aux associations de consommateurs et aux représentants des partis politiques qui vous écoutent. La loi doit être respectée mais …les factures d’eau doivent aussi être payées. La loi Brottes n’a pas rendu l’eau gratuite !!!
Références :
LOI n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes.
Décret n° 2014-274 du 27 février 2014 modifiant le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau
Aide-mémoire
Suivez les étapes suivantes pour que les coupures d’eau cessent
1. Par courrier : déposez ou envoyez le courrier à télécharger ci-dessous au maire de votre commune et à l’entreprise qui gère l’eau sur votre territoire.
Vous pouvez également utiliser ce courrier pour informer les services sociaux de la nouvelle loi en vigueur et l’illégalité de couper l’eau.
2. Par téléphone :
- Appelez le service de distribution de l’eau potable de votre commune
- Demandez à parler à un responsable du Service Recouvrement (sans informer de l’objet de votre appel, c’est-à-dire : coupure d’eau)
- Munissez-vous de la référence de la loi Brottes et n'hésitez pas à citer la Fondation France Libertés et la Coordination eau Ile-de-France en soutien à votre appel. Soyez ferme : votre distributeur est hors la loi, rappelez-le lui !
- Refusez de payer toute majoration liée à cette coupure illégale
- Informez votre interlocuteur du courrier que vous avez adressé à votre maire (étape 1)
- Informez votre interlocuteur que nous envisageons d'engager une procédure judiciaire si l’eau n’est pas rétablie et si les coupures ne cessent pas
- Donnez 24h de délai pour annuler la coupure. Déclarez notre intention d'appeler un huissier de justice pour constater la coupure illégale, voire d’alerter la presse si l’eau n’est pas revenue.