Médaille d’Or de l’UIA, Ieoh Ming Pei
En attribuant sa récompense la plus prestigieuse à l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, l’UIA a souhaité rendre hommage « au parcours et à l’œuvre d’un géant de l’histoire de l’architecture moderne, qui s’étendent sur plus de six décennies, sur les cinq continents. À travers cette médaille, l’UIA reconnaît l’excellence de son style unique et de sa rigueur intemporelle ainsi que la subtilité des liens qu’il a su tisser avec l’histoire, l’espace et le temps ».
Ieoh Ming Pei est né à Canton, en Chine, en 1917. Il rejoint les États-Unis en 1935 et fait ses études d'architecture au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dont il est diplômé en Architecture en 1940. Après avoir étudié dans l’atelier de Walter Gropius à l’Université de Harvard, il y obtient un Master en Architecture en 1946. En 1954 il acquiert la citoyenneté américaine, et fonde, en 1955, sa propre agence avec deux associés Eason Leonard et Henry Cobb.
La Bibliothèque John Fitzgerald Kennedy à Boston, le bâtiment Est de la Galerie nationale des arts de Washington ou, la banque de Chine à Hong Kong, marquent le début d’une longue carrière ponctuée d’édifices prestigieux aux Etats-Unis et dans de grandes capitales du monde.
Plusieurs dizaines d’édifices phares portent sa signature, parmi-eux citons l’extension du Musée du Louvre à Paris et avec la célèbre pyramide de verre, au cœur d’un ensemble historique mythique (1989); le musée national des arts de Washington, le Johnson Museum of Art de New York (1973), le musée d’art du Qatar à Doha (2008).
Ieoh Ming Pei a reçu les récompenses les plus éminentes dont un architecte puisse s’enorgueillir, notamment la Médaille d’or de l’American Institute of Architects (AIA) et du Royal Institute of British Architects (RIBA). Il recevra la médaille d’or 2014 de l’UIA à Durban, en Afrique du Sud, lors d’une cérémonie organisée, le 6 août, dans le cadre du Congrès mondial d’architecture de l’UIA.
Riche d’une multitude de distinctions et de prix internationaux, la signification des édifices de Ieoh Ming Pei se distingue des considérations classiques. En effet, l’architecte s’est toujours intéressé au contexte dans lequel il intervient. Quand il édifie ses créations, il ne limite pas son travail aux enjeux uniquement architecturaux et la recherche d'une certaine pureté des formes s’allie à l’efficacité fonctionnelle. Le jeu de formes abstraites, l’emploi de matériaux froids tels que le verre, l’acier, le béton sont érigés sous la ligne de finitions des plus pures et des plus précises. Ses constructions, ses œuvres flirtent avec la poésie et l’environnement qui les entourent donnant des effets théâtraux, poussant les défis de la matière.
Bâtisseur international
Membre de l'Académie Internationale d'Architecture, Premier Prix d'Excellence de la Fondation Colbert, Médaille Présidentielle de la Liberté aux Etats-Unis, Ieoh Ming Pei fait partie de la seconde génération d'architectes modernes américains, successeurs et anciens élèves des maîtres européens. Il a réalisé un très grand nombre de projets dans le monde entier dont une quarantaine de gratte-ciel dans le monde, la pyramide du Louvre et entre autres, le Mudam Luxembourg. Là, le bâtiment dialogue à merveille avec son environnement naturel et historique offrant des vues magnifiques à quelques pas du quartier européen du Kirchberg. Si les bâtisseurs de cathédrales restent encore anonymes, Ieoh Ming Pei a gravé son empreinte à l’échelle internationale, grâce à une approche exceptionnelle de son art et un style architectural à son image.
La médaille d’or de l’UIA est la récompense la plus prestigieuse attribuée à un architecte par des architectes, à partir de nominations soumises par les organisations professionnelles du monde entier. Cette procédure, réellement internationale, porte les valeurs de l’UIA : le professionnalisme, la diversité culturelle et l’indépendance. Elle est exempte de toute forme de discrimination, d’intérêt particulier ou partisan. Le jury est composé des membres du Bureau de l’UIA. Celui de la session 2014, s’est réuni à Melbourne, en Australie, le 5 mai 2014. Il était composé de : Albert Dubler, Président, Louise Cox, Présidente sortante, Michel Barmaki, Secrétaire général, Patricia Emmett, Trésorière, Antonio Raffaele Riverso, Deniz Incedayi, Thomas Vonier, Mohamed Esa, Ali Hayder, Vice-Présidents.
I. M.Pei – La Pyramide du Louvre
« Le chantier du Louvre m’a offert l’occasion de travailler sur un palais dont l’histoire remonte au règne de Philippe Auguste (1180–1223). Édifié au cours des siècles par les rois qui ont régné en France, conçu par certains de ses plus grands architectes, le Louvre se dresse quasi littéralement au cœur de la France. Sans le Louvre, la pyramide n’aurait pas d’intérêt particulier. C’est le contexte et l’histoire du lieu, et donc l’histoire de France, qui enrichissent la pyramide de leur présence et de leur sens.
Le programme assez élaboré des nouveaux espaces prévus par le musée portait sur plus de 92000 mètres carrés. On ne pouvait imaginer ajouter un nouveau bâtiment de cette taille dans l’enceinte du Louvre, et il était donc évident, dès le départ, qu’il allait falloir creuser la cour Napoléon. Le programme de ces espa- ces souterrains était intense et stimulant, mais le symbole, le seul signal du changement que connaissait le Louvre, était la pyramide. Elle allait porter la lourde responsabilité de dire: «Voici le Louvre». Ce ne pouvait être une forme trop imposante, ni trop dominante. Il ne fallait pas entrer en compétition avec le palais lui-même et c’est pourquoi j’ai utilisé le verre et non la pierre. La connexion souterraine qu’elle signale entre les ailes Richelieu, Sully et Denon est néanmoins au cœur du projet. C’est ce qui fait de l’ancien palais un musée unifié. La pyramide apporte l’éclairage naturel dans les espaces en sous-sol du nouveau Louvre. C’est le point symbolique d’entrée que franchissent chaque année des millions de visiteurs.
En un sens, la pyramide et le Grand Louvre sont des projets qui concernent autant le flux de ces personnes que l’architecture. Pendant la phase de conception, j’ai recherché des manières d’ani- mer ces zones souterraines, en imaginant par exemple que nous pourrions y faire pénétrer la nature, par des arbres, mais cette verdure aurait paru inappropriée à deux niveaux en dessous de la rue. J’ai décidé que l’objet qui nécessitait tous nos soins était le mouvement des visiteurs, la circulation dans l’espace de ceux qui étaient venus voir l’un des plus grands musées du monde. Vingt ans après son inauguration, je pense que la pyramide reste la solution symbolique dont avait besoin le Grand Louvre. »
I. M. Pei | Février 2009
C’est à peine quatre mois après avoir été élu président de la République que François Mitterrand annonça, le 26 septembre 1981, que le musée du Louvre allait s’installer dans la totalité du palais. Occupé en partie par le ministère des Finances, l’un des plus prestigieux musées du monde avait besoin d’être rénové. Un an plus tard, en octobre 1982, le Président nomma Émile Biasini, responsable de l’étude du projet. Celui-ci avait été membre du cabinet du ministre de la Culture, André Malraux, puis nommé à la tête de l’ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision française) où il avait introduit la télévision en couleur, en 1967. Il recommanda la désignation de l’architecte I. M. Pei pour diriger la conception du nouveau Louvre, et ce sans concours. Né en 1917, et ayant atteint un âge où certains prennent leur retraite, Pei qui avait à son actif, entre autres, le bâtiment est de la National Gallery of Art de Washington (1974–78), ne participait plus aux compétitions architecturales. On fut surpris qu’il demande un délai d’étude avant d’accepter cette proposition. Dans le plus grand secret, il visita à trois reprises le musée au cours de l’hiver 1982–83. « Je n’ai pas accepté immédiatement ce projet, même si j’étais très excité par cette idée », raconte-t-il. « J’ai, au contraire, dit à Mitterrand qu’il me fallait quatre mois pour l’explorer avant de pouvoir m’engager. Je voulais ce laps de temps pour étudier l’histoire de France, parce qu’au fond qu’est-ce que le Louvre? Ses premiers éléments furent édifiés au XIIe siècle, et une succession de souverains arrivèrent, et construisirent sur le site et démolirent comme ils voulurent. Pendant huit cents ans, le Louvre a été l’un de ces monuments qui reflètent l’histoire des Français. J’ai pensé, en posant cette condition préalable, que le Président me remercierait, mais refuserait parce qu’il était pressé – il avait été élu en 1981, son mandat ne durait que sept ans et nous étions déjà en 1983 – il y avait ainsi une forte pression sur lui... »
L’architecte décida finalement d’accepter la commande, et pro- posa un plan qui envisageait d’utiliser la cour Napoléon, située au cœur du palais et s’étendant entre les deux ailes construites sous Napoléon III, entre la rue de Rivoli et la Seine. En creusant cette cour, il devenait possible de créer une nouvelle entrée centrale, qui donnerait accès non seulement aux salles de musée existantes, mais aussi aux espaces de l’aile Richelieu libérés par le ministère des Finances. Pei alla voir le président en juin 1983, et lui expliqua ses plans, sans proposer encore la pyramide qui allait devenir le nouveau symbole du Louvre. Selon Pei, Mitterrand donna son accord en deux mots : « Très bien ! ». La confiance implicite que révélait cette réaction devait perdurer tout au long de la relation entre l’architecte et l’homme d’État, même lorsque s’éleva une sorte de tempête politique autour du concept de la pyramide. «Le président Mitterrand me dit qu’il appréciait mon travail pour l’habileté que j’avais montrée dans le lien entre la partie ancienne et la partie nouvelle de l’East Building, Washington. Je n’étais en fait pas d’accord avec lui, car quarante années seulement séparent la partie ancienne de la National Gallery et mon nouveau bâtiment, alors que l’histoire du Louvre s’étend, elle, sur huit siècles. »
Le respect de Pei pour l’histoire de France symbolisée par le Louvre était une réponse à ceux qui allaient lui reprocher d’ignorer l’architecture du palais en faveur d’une approche géométrique moderniste.
Un diamant pour le Louvre
C’est en janvier 1984 que le projet fut officiellement présenté à la Commission supérieure des monuments historiques en charge de la protection des bâtiments classés. La pyramide était maintenant pleinement visible. Le quotidien de droite Le Figaro et un ancien ministre de la Culture, Michel Guy, montèrent une campagne contre le projet qui trouvait néanmoins une certaine faveur auprès du public. L’année suivante, Jacques Chirac, maire de Paris et opposant politique au président Mitterrand, demanda qu’une maquette grandeur nature de la pyramide soit réalisée avec des poteaux et des câbles sur le site même. À la surprise de certains, il décida de ne pas bloquer le projet, peut-être parce que l’épouse de l’ancien président Georges Pompidou y était favorable. «Émile Biasini m’avait dit que j’avais intérêt à convaincre Madame Pompidou, et je me suis donc rendu à plusieurs reprises chez elle pour en discuter. Pendant un certain temps, je fus diplomate à Paris, alors que je ne parlais même pas le français ! »
"Je m’attendais, bien sûr, à une controverse, et je n’ai pas été surpris d’être attaqué". I. M. Pei
C’est peut-être la personnalité d’Ieoh Ming Pei, peu enclin à l’esprit de confrontation, qui emporta la décision. Au cours d’une rencontre avec Jacques Chirac, organisée par Émile Biasini, les choses commencèrent à se calmer. « Nous avons à peine parlé de la pyramide, et je me suis bien entendu avec Monsieur Chirac car il s’intéressait beaucoup à l’art oriental, et nous avons plutôt parlé de ce sujet. »
Revenant sur cette période en 2009, I. M. Pei remarque : « Je m’attendais, bien sûr, à une controverse et je n’ai pas été surpris d’être attaqué, mais cela ne me dérangeait pas vraiment, car je sentais que nous avions raison. Le président Mitterrand et Émile Biasini étaient ceux que je devais convaincre. Lorsque j’ai expliqué pour la première fois le concept architectural au président, je disposais de quatre formes de pyramides en Plexiglas que j’avais mises en place sur un plan. Émile Biasini fit remarquer, en les regardant, qu’on pouvait penser à des diamants, et c’était en effet des sortes de cristaux. Comme je ne parlais pas le français, je m’adressais au président en anglais et il écoutait. J’ai pu lui présenter les alternatives et le convaincre. »
Les talents d’organisateur d’Émile Biasini permirent la construction de la pyramide. Alors que la controverse faisait encore rage, il organisa en janvier 1984, dans la station balnéaire d’Arcachon, une réunion avec Pei et les directeurs des sept départements du Louvre. Côté musée, le personnage le plus important était Michel Laclotte, alors conservateur des peintu- res et futur directeur du Louvre. Avec son accord et celui de ses collègues, l’idée du Grand Louvre devint une réalité. Bien que son soutien fût fondamental, Pei travailla également à emporter l’adhésion des autres conservateurs. « Un élément essentiel », explique-t-il, « était de résoudre un problème posé par le conservateur du département des sculptures, Jean-René Gaborit. Il voulait que les fameux Chevaux de Marly soient présentés en lumière naturelle, mais dans un espace couvert. J’ai proposé de protéger par une verrière deux des cours intérieures de l’aile Richelieu, qui servaient naguère de parking au ministère des Finances, et de consacrer ces espaces au département des sculptures. Elles sont devenues les cours Marly et Puget….