Hausse de + 20 % des coûts de production du nucléaire, et ceci n'est que le début pour les coûts à venir...
Régulièrement commenté, le volet nucléaire du blog s'enrichit au fur et à mesure de l'actualité. De Tchernobyl à Fukushima, de l'ASN à l'IRSN, des ONG à la Cour des Comptes, difficile d'échapper au flux d'actualité sur un mode de production très controversé et dans lequel pourtant la France a misé pour son indépendance énergétique. Une indépendance qui va coûter très cher aux français notamment pour les générations futures. Tel est le résultat du rapport de la Cour des Comptes sur les coûts de production de l'électricité nucléaire issus lui-même du précédent rapport de 2012.
En effet, en janvier 2012, un premier rapport de la Cour des Comptes sur les coûts du nucléaire faisait état d'une problématique majeure ''l'âge de nos centrales'' et des coûts de production passés, présents et futurs de la production d’électricité nucléaire en France. Un rapport sans équivoque dans lequel la Cour des Comptes alertait les pouvoirs publics sur la prise de décision cruciale pour l'avenir énergétique des foyers français en mettant ainsi fin au mythe du nucléaire pas cher. Des décisions cruciales s'imposent toujours puisque la Cour des Comptes réitère ses recommandations estimant que les décideurs politiques sont dans l'obligation de faire des choix. Et pourtant, il n'y a pas dix milles décisions : poursuivre à très grand frais le nucléaire ou bien s'activer à développer des énergies décentralisées porteuses d'emplois et non délocalisables, celles des énergies renouvelables.
Le 27 mai 2014, à la demande de la Commission d’Enquête sur les Coûts du nucléaire, la Cour des Comptes a donc publié un second rapport, actualisant le précédant et attestant d’une augmentation de coûts de production de 21% en 3 ans !
Entre 2010 et 2013 le coût de production de l’électricité nucléaire connaît une forte progression ; il passe de 49,6 €/MWh à 59,8 €/MWh en € courants, soit une augmentation de 21 % (+ 16 % en € constants, taux d’inflation sur la période 2010 à 2013 a été de 4,1 %.).
Cette évolution est presque entièrement due à l’évolution des différents types de charges (+ 19 %), la production annuelle étant relativement stable (- 1 %) ; en effet, le taux de disponibilité est resté à un niveau faible (78 %), notamment du fait des périodes de travaux nécessitées par le développement des investissements de maintenance.
Ainsi pour la Cour des Comptes, à partir de 2012, l’évolution du schéma de gestion d’EDF l’a conduit à immobiliser et comptabiliser au titre des dépenses d’investissements (Capex) des montants importants de dépenses de maintenance (385 M€ en 2012, 831 M€ en 2013), jusqu’alors comptabilisés au titre des dépenses d’exploitation (Opex). Cette évolution a eu un impact à la hausse sur les dépenses d’investissements et un impact à la baisse à la fois sur les dépenses de personnels liés à la maintenance et sur les dépenses de travaux de maintenance inclus dans les consommations externes. Compte tenu de cette évolution comptable et du poids de chaque type de dépenses dans la composition du coût, les causes principales de l’augmentation de 10,2 €/MWh sont les suivantes :
- la croissance de 11 % des dépenses d’exploitation (+ 20 % sans évolution du schéma de gestion) qui représentent plus de 40 % du coût de production et qui provoque une augmentation de 2,7 €/MWh ;
- les investissements de maintenance, qui ont plus que doublé (+ 118 % ; + 70 % sans évolution du schéma de gestion) et qui contribuent à la hausse du coût de production à hauteur de 5,1 €/MWh ;
- la progression de 14 % du coût des charges futures à travers les provisions de démantèlement, de gestion des combustibles usés et des déchets, du fait notamment de la diminution du taux d’actualisation, ce qui représente une hausse de 0,6 €/MWh du coût de production ;
- la hausse du loyer économique (+ 8 %), due à part égale à l’augmentation du taux de rémunération du capital utilisé et à l’effet de l’inflation, ce qui augmente le coût de production à hauteur de 1,7 €/MWh.
Ces coûts de maintenance qui explosent sont donc dues est relatifs aux opérations de maintenance et aux réparations à effectuer dans le contexte post-Fukushima. Dans la perspective à venir du "Grand Carénage", l’ASN avait alerté déjà sur le fait qu’EDF semblait être dépassé par ces travaux de maintenance et avait fait remarqué des non-qualités de maintenance dues à la perte de transmission de savoir-faire. Ce poste au coût très croissant a donc pour conséquence de faire gonfler la facture des foyers français.
Un poste qui dans les années à venir risque d'aggraver la situation puisque la prolongation des centrales et les problèmes de sûreté liés au vieillissement de certains équipements non remplaçables se traduiront par une augmentation inéluctable des coûts accrus, sans parler des conditions de travail qui demeurent inacceptables pour les intervenants.
En ce qui concerne les coûts à venir de la filière nucléaire, la Cour des Comptes fait remarquer qu'eux-ci restent caractérisées par quelques fortes incertitudes et évidement qu’ils seront supportés par les générations futures, une grande partie des coûts étant reportés après la période de production.
La production d’électricité nucléaire a pour particularité qu’une partie de ses coûts est reportée après la période de production elle-même, le calendrier et l’ampleur de ces dépenses étant encore souvent mal connus. Les textes précisent les types de dépenses concernés et les principes et méthodes d’évaluation à appliquer.
D’une manière générale, la Cour maintient les recommandations faites dans son rapport de 2012 et dont aucune n’est actuellement complètement appliquée.
Elle en ajoute deux supplémentaires :
- en matière de taux d’actualisation, conclure rapidement les débats sur les méthodes de calcul du taux plafond, afin de mettre fin au plus vite à la situation actuelle dans laquelle les exploitants dérogent depuis un an, avec l’accord de l’administration, à une disposition réglementaire ;
- s’agissant de la créance actuelle d’AREVA sur le CEA en renégocier les modalités de financement, afin d’en réduire le coût pour le CEA et donc pour les finances publiques.
Enfin, la Cour insiste, en renforçant une de ses recommandations précédentes, sur la nécessité de prendre position, dans le cadre de la fixation des orientations de la politique énergétique à moyen terme, sur le prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans, sous réserve bien sûr d’un accord de l’ASN, afin de permettre aux acteurs, notamment à EDF, de planifier les actions et les investissements qui en résulteront.
Recommandations reprises du rapport de 2012
1 – Utiliser dans les comptes d’EDF la méthode Dampierre 2009 comme support de l’évaluation des provisions de démantèlement et non la méthode historique qui ne permet pas un suivi suffisamment précis des évolutions de cette provision ;
2 - Réaliser rapidement, comme l’envisage la direction générale de l’énergie et du climat, des audits techniques par des cabinets et des experts extérieurs, afin de valider les paramètres techniques de la méthode Dampierre 2009 ;
3 - Fixer dans les meilleurs délais le nouveau devis sur le coût du stockage géologique profond, de la manière la plus réaliste possible et dans le respect des décisions de l’ASN, seule autorité compétente pour se prononcer sur le niveau de sureté de ce centre de stockage ;
4 - Chiffrer, dans le cadre de ce nouveau devis, le coût d’un éventuel stockage direct du MOX et de l’URE produits chaque année et prendre en compte cette hypothèse dans les travaux futurs de dimensionnement du centre de stockage géologique profond ;
5 – Réexaminer, de manière globale, le sujet des actifs dédiés, car il n’est pas sain que la structure et la logique initiale du dispositif soient profondément modifiées par des dérogations successives chaque fois que se présente une nouvelle difficulté ;
6 – Mener les actions nécessaires, tant au plan international que national, pour que les conventions de Paris et de Bruxelles, signées en 2004, entrent rapidement en vigueur, car elles augmentent sensiblement le plafond de responsabilité des opérateurs, même s’il reste limité ;
7 – Appliquer avec rigueur les dispositions du droit positif français actuel, en particulier en matière d’agrément de la garantie financière imposée aux exploitants, en appliquant complètement le dispositif réglementaire ;
8 - Encourager et soutenir les travaux et études consacrés aux externalités, positives ou négatives, tant sur l’énergie nucléaire que sur les autres énergies, de nombreux impacts ne pouvant pas être monétarisés, en tout cas actuellement alors qu’ils sont utiles pour les comparaisons entre les différentes formes d’énergie ;
9 Actualiser régulièrement, cette enquête, en toute transparence et objectivité ;