Une augmentation annuelle des espaces artificialisés d'autant plus élevée que la diminution des terres agricoles est forte…
L’observatoire national de la consommation des espaces agricoles (ONCEA) vient de publier un panorama de l’usage des espaces territoriaux prioritairement ceux à vocation agricole. La problématique de l’articulation des territoires et des modes de vies modernes entraine une hausse globale de l’artificialisation et de l’imperméabilisation des sols. Peu à peu, les villes et le mitage grignotent les terres, occasionnant une consommation des terres et un recul de l’activité agricole.
La ville s’étend au fur et à mesure des activités qui s’y développent entrainant de nouveaux besoins en logement, en transports. Un processus connu partout en France qui a vu fleurir bon nombre de quartiers pavillonnaires, avec de nouvelles zones d’activité industrielles ou commerciales, entraînant avec elles l’arrivée de réseaux d’eau, d’électricité et des aménagements qui les accompagnent comme l’apparition, de-ci de-là, de nouveaux ronds-points, de nouveaux parkings provoquant petit à petit et par touches successives, un grignotage progressif des espaces agricoles.
Après l’époque des « trente glorieuses », marquée par une forte logique productiviste, la démultiplication des usages des espaces sans vision globale concoure à un appauvrissement des ressources.
Alors que la France traverse une crise sociale et économique depuis plus de vingt ans, il est temps de repenser les politiques publiques autant locales que nationales sur l’un des premiers fondement de toute société, comment assurer sa propre alimentation ? En effet, les espaces, qu’ils soient naturels, agricoles ou forestiers, constituent notre patrimoine commun sur lequel repose notre capacité à s’alimenter.
Face à cette situation, le rapport pose une réflexion cruciale que se posait déjà jadis Jean Jaurès. « Je dirai hardiment aux travailleurs des villes : quelque pénible que soit ce sacrifice, s’il vous est prouvé qu’il est nécessaire, que sans lui le travailleur des campagnes ne peut pas vivre, acceptez-le. Votre intérêt est de ne pas livrer au découragement la démocratie rurale, sans laquelle vous ne pourrez rien, sans laquelle tous vos rêves d’émancipation seront comprimés par une aristocratie d’argent. Votre intérêt est de protéger un travailleur comme vous, qui peine sous le grand soleil, contre la spéculation commerciale qui appauvrit le pauvre et enrichit le riche. [...] Seulement, comme c’est un sacrifice que vous faites, vous avez le droit, vous avez le devoir de faire vos conditions. Vous n’entendez pas, en payant le pain plus cher, enrichir les capitalistes qui ont placé une partie de leur argent en fonds de terre. Vous n’entendez pas que les propriétaires profitent d’une élévation du prix du blé pour demander davantage à leurs fermiers, davantage à leurs métayers. Vous voulez que votre sacrifice aille à ceux qui comme vous font œuvre de leurs mains, non à ceux qui font œuvre de leur argent ».
Le rapport qui se situe dans la perspective de l'extension des missions de l'ONCEA aux espaces dits forestiers et naturels prévue dans la feuille de route pour la transition écologique de septembre 2012 et inscrite dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt présenté en Conseil des Ministres le 13 novembre 2013, a présenté les définitions couramment utilisées pour caractériser les fonctions et usages des espaces, répertorie les bases de données nationales qui sont utilisées pour mesurer la consommation des espaces et dressé un panorama de la quantification et de l'évolution du niveau de consommation des espaces agricoles, forestiers et naturels, variable selon les méthodes et les sources de données utilisées.
Même si les sources de données administratives ont l'avantage d'être exhaustives sur le territoire mais ne sont pas conçues spécifiquement pour évaluer la consommation d'espaces, elles permettent néanmoins de retenir trois grandes méthodes significatives complémentaires, dont l'analyse permet d'évaluer l'évolution de la consommation des espaces agricoles à l’échelle nationale selon différents points de vue :
En guise de conclusion, le rapport montre qu’en France métropolitaine (hors DOM), la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers a connu deux grandes tendances sur la période 2000-2012 :
- La première, d’ordre général, est une diminution globale des espaces naturels, agricoles et forestiers estimable dans une fourchette allant de 40 000 à 90 000 hectares par an en moyenne ;
- La seconde concerne le rythme de la consommation des espaces qui après avoir connu une forte hausse sur la période 2000-2008, ralentit clairement depuis 2008. Cette baisse du rythme s’explique probablement principalement par l’arrivée de la crise qui a fortement touché les secteurs de la construction, et l’activité économique dans son ensemble. Ainsi, si la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers se poursuit, c’est pour l’instant, à un rythme plus lent qu'au début des années 2000.
Quelles que soient les définitions et les méthodes d'estimation des surfaces des espaces, la tendance qui se dégage est la suivante :
* l'augmentation annuelle des espaces artificialisés est d'autant plus élevée que la diminution des terres agricoles est forte ;
* le rythme annuel de la consommation des espaces agricoles a augmenté entre 2000 et 2008 pour diminuer depuis ;
* sur cette période, les surfaces forestières et naturelles ont tendance à rester stables voire à légèrement augmenter.
Les dispositifs législatifs en la matière se sont renforcées ces dernières années. Néanmoins, il est très probable que la réduction du rythme de consommation constatée récemment soit imputable à un fléchissement de l’activité économique. Il est encore trop tôt pour évaluer l’effet de la mise en œuvre des documents d’urbanisme élaborés ou révisés selon les prescriptions du Grenelle de l’environnement sur la consommation effective des espaces.
Face au constat de la multiplicité des études et des approches rendant difficile une lisibilité précise du phénomène de consommation des espaces, et dans le but d’appuyer au mieux les décisions de maîtrise du foncier dans la perspective de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, l’Observatoire s’est fixé un cap : mieux identifier les outils pertinents de mesure de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers et mutualiser les approches autour d’un même outil, en tenant compte de la diversité des fonctions des territoires, pousser à leur amélioration quand c'est possible, en terme de fréquence ou d'échelle de mesure, et mieux les articuler au sein d'un dispositif global porté par un service de statistique public, comme le recommande le Conseil national de l'information statistique (CNIS).
Pour ce faire, l’Observatoire doit bénéficier des moyens nécessaires (poursuite de la mobilisation des acteurs, secrétariat, moyens d’études, etc.) et voir son positionnement interministériel renforcé (agriculture, écologie, égalité des territoires). Des pistes de travail sont déjà identifiées.
Pour ce qui concerne la cartographie à grande échelle, ceci pourra passer par la création d’une base de données vectorielles cohérentes entre les espaces, selon leur vocation, à partir des couches géographiques exhaustives existantes. C'est l'objectif des travaux du Comité d’Orientation du Projet d’Occupation du Sol à grande échelle (COMOR OCS GE).
Début 2012 en effet, l’IGN a lancé le projet de production d’une base de données d’Occupation du sol à grande échelle (OCS GE), national, homogène sur l’ensemble du territoire national. Garantie d’un continuum national, d’un emboîtement national / régional / local, co-construit en partenariat avec des collectivités territoriales, sur la base d’une nomenclature définie par un groupe de travail national représentatif de toutes les parties prenantes.
Cet outil, dont les principaux aspects méthodologiques sont identifiés, pourrait être disponible fin 2015 - début 2016 sur une grande partie du territoire national. Il autorisera la création et la production d’indicateurs homogènes sur le territoire, fiables et régulièrement mis à jour. Toutefois, un point de vigilance subsiste, la visibilité budgétaire du projet tant au niveau central qu’au niveau partenarial.
Appuyé sur le Référentiel à grande échelle (RGE) de l’IGN à précision métrique, selon l'IGN, l’outil devra permettre notamment de cartographier de manière fine et cohérente le territoire selon les zones à voca- tion artificielle, agricoles ou naturel, ainsi que les flux entre ces principaux postes de vocation, à partir de l'actualisation plus ou moins fréquentes des couches géographiques existantes (BD forêts, BD topo, mise à jour du cadastre par MAJIC).
Pour ce qui concerne la mesure de l'évolution réelle des occupations à plus petite échelle, il conviendra de renforcer les dispositifs statistiques existants, notamment Teruti-Lucas, mais également la SAA pour actualiser annuellement le recensement sur la SAU des exploitations. Le croisement des données statistiques Teruti-Lucas sur l'occupation des sols avec les couches de l'outil précédent devrait cependant permettre de mesurer aux échelles nationales et régionales la qualité de l'adéquation entre vocation déclarée et utilisation réelle.
Le rapport s'est limité à une approche globale, à l'échelle nationale, sans préciser les localisations préférentielles des changements d'usage des espaces (quelques éléments figurent néanmoins dans les retours des organismes consultés, annexés au présent rapport).
Une approche plus fine par territoires apparaît pertinente dans la suite des travaux de l'observatoire, en lien avec les observatoires régionaux (prévus dans le cadre du projet de loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt en cours d'examen parlementaire) et territoriaux.
L'observatoire aura donc pour vocation de se rapprocher des territoires, de promouvoir l’articulation voire la complémentarité entre les différentes structures d’observation (y compris nationale avec, par exemple, l’observatoire national de la biodiversité) de manière à optimiser le recueil de l’information et la transversalité des données.
Le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt présenté en Conseil des Ministres du 13 novembre 2013 prévoit que l'observatoire apporte un appui méthodologique aux collectivités pour l'analyse de la consommation des espaces, en particulier lors de l'élaboration de documents d'urbanisme.
Outil opérationnel pour les collectivités, l’Observatoire, sur la base de cette première étude, pourra définir une méthodologie et des outils d’analyse statistiques communs et accessibles, facilitant lecture partagée et comparabilité.
Il pourra également se positionner en centre de ressources et de diffusion des bonnes pratiques des collectivités.
Par ailleurs, tel que demandé par le Ministre chargé de l'agriculture lors de l'installation de l'observatoire le 17 avril 2013, les sujets spécifiques suivants devront être intégrés à la réflexion :
- l'avenir de l'agriculture périurbaine autour des grandes agglomérations : il faut être en mesure de concilier une logique d'urbanisation avec une logique agricole en intégrant enjeux énergétiques et alimentaires ;
- le devenir des anciens bâtiments agricoles (bâtiments d'élevage notamment) ;
- les questions relatives aux infrastructures (lignes ferroviaires, ronds-points, routes, parkings des zones commerciales, etc.) ;
- la question des compensations environnementales et agricoles ;
- la question de la qualité des espaces agricoles préservés et à préserver, tenant compte de leur valeur agronomique tant d’un point de vue qualitatif, fonctionnel que territorial ;
- la question des conditions à réunir en sus de la préservation des espaces pour assurer la viabilité de l’activité agricole et le bon fonctionnement des fonctionnalités écologiques.
L'observatoire, qui sera élargi aux espaces dits forestiers et naturels, sera amené à élaborer des outils pertinents pour mesurer les changements de destination de ces espaces et à définir des indicateurs d'évolution.
Panorama de la quantification de l'évolution nationale des surfaces agricoles