A quelques semaines du projet de loi de Transition énergétique, le Scénario Négawatt se dévoile dans ses moindres détails
Le report du projet de loi dans le courant du mois de juillet, annoncé par le ministère de l’Ecologie, l’association NégaWatt a publié un rapport technique approfondi présentant la méthodologie, les hypothèses et les résultats de son scénario 2011-2050 : l'intégrale du scénario négaWatt en 207 pages, 86 figures et 89 tableaux ! « Il y a urgence à intégrer dans nos décisions à court terme les impératifs du long terme »
Le Débat National sur la Transition Énergétique qui s'est tenu en 2013 a permis d'identifier quatre trajectoires d'évolution possible de notre modèle énergétique. Le scénario négaWatt est la base d'une de ces quatre trajectoires.
Afin d'en faciliter la compréhension et l'analyse, l'association a souhaité expliciter les fondements et détailler toutes les hypothèses qui le sous-tendent. Ce scénario énergétique est en effet le fruit d'une méthodologie rigoureuse, qui permet, année après année, secteur par secteur, et usage par usage, de définir une trajectoire qui soit aussi robuste et pertinente que possible.
"Au total, l’application systématique des gains envisagés en sobriété et en efficacité conduit à des évolutions assez différenciées selon les postes, qui aboutissent globalement à une division par 1,8 de la consommation totale d’électricité spécifique dans le secteur résidentiel. Outre la différence entre les postes, l’évolution résulte de la dynamique croisée de la pénétration des changements de comportement et des appareils efficaces d’un côté, et du développement de certains usages de l’autre. Ainsi la consommation augmente modérément pendant les premières années pour culminer en 2017 à 80,2 TWh (77,6 TWh en 2010), puis baisse régulièrement jusqu’aux environs de 2040 où elle se stabilise presque, ne diminuant plus que très faiblement jusqu’en 2050."
Un tel effort de transparence et d'explicitation est pour négaWatt indispensable : un scénario énergétique n'est pas seulement une simple vision du point d'arrivée 2050, c'est l'ensemble du chemin à parcourir qui doit être détaillé avec précision. négaWatt espère, grâce à ce document, montrer la pertinence des hypothèses et la finesse de l'analyse du scénario négaWatt et enrichir ainsi le dialogue avec l'ensemble des acteurs du monde de l'énergie.
Mais l'action de l'Association négaWatt pour cette année 2014 s’est traduit par trois axes de travail qui ont ainsi été définis afin de poursuivre et d'amplifier les efforts déjà accomplis : la création d'un site de décryptage sur l'énergie, la consolidation du scénario négaWatt et la poursuite de l'évaluation des bénéfices de la transition. Tous trois font l'objet d'un appel à soutien lancé début mai.
La publication de ce rapport détaillé du scénario négaWatt participe à la concrétisation de ces objectifs. Il témoigne de notre engagement pour une véritable transition énergétique, créatrice de considérables bénéfices environnementaux et socio-économiques !
Les résultats du Scénario Négawatt sur les postes de consommations d’énergie traduisent par plus de 1500 hypothèses, le détail de l’ensemble des postes de consommation d’énergie, année après année, couplé à l’étude minutieuse des moyens de production d’énergie envisageables à l’échelle des quarante prochaines années, permet de définir une trajectoire énergétique cohérente pour la France, de 2011 à 2050.
L’application systématique d’actions de sobriété et d’efficacité énergétique dans l’ensemble des secteurs de consommation permet d’envisager en 2050 une réduction de 55% de la demande en énergie finale par rapport à la situation actuelle (849 TWh contre 1908 en 2010), et de 56 % par rapport au scénario tendanciel en 2050. Loin d’entraîner un retour à la bougie, cette forte baisse s’accompagne dans la grande majorité des cas d’une hausse des services rendus et/ou du confort des usagers (amélioration des performances thermiques des logements, diminution des temps de transport contraints, relocalisation de l’économie, alimentation plus saine, etc.).
Une observation plus fine montre que cette diminution n’est pas similaire dans les trois usages de l’énergie recensés. Elle est de :
- 49 % pour les usages « chaleur » (chauffage et climatisation des bâtiments, production d’eau chaude sanitaire et cuisson des aliments) ;
- 67 % pour les usages liés à la mobilité ;
- 48 % pour les usages spécifiques de l’électricité.
C’est dans le domaine des transports que l’on observe la plus forte baisse de consommation, grâce à des actions volontaristes de sobriété (réduction des trajets contraints, sobriété dans les usages « loisir », report modal important vers les modes actifs, les transports en commun terrestres et le fret ferroviaire, augmentation des taux de remplissage) mais également d’efficacité (réduction de la consommation unitaire des véhicules individuels et des poids lourds).
Les mêmes principes d’efficacité énergétique appliqués cette fois-ci à l’intégralité de la chaîne énergétique permettent d’envisager une réduction de la consommation d’énergie primaire encore plus forte - notamment par la fermeture de la majorité des centrales thermiques de production d’électricité - : estimée à 3009 TWh en 2010, elle atteint 1010 TWh en 2050, soit une réduction de 66 % par rapport à la situation actuelle (diminution similaire par rapport au scénario tendanciel, en 2050).
C’est dans le domaine des transports que l’on observe la plus forte baisse de consommation, grâce à des actions volontaristes de sobriété (réduction des trajets contraints, sobriété dans les usages « loisir », report modal important vers les modes actifs, les transports en commun terrestres et le fret ferroviaire, augmentation des taux de remplissage) mais également d’efficacité (réduction de la consommation unitaire des véhicules individuels et des poids lourds).
Les mêmes principes d’efficacité énergétique appliqués cette fois-ci à l’intégralité de la chaîne énergétique permettent d’envisager une réduction de la consommation d’énergie primaire encore plus forte - notamment par la fermeture de la majorité des centrales thermiques de production d’électricité - : estimée à 3009 TWh en 2010, elle atteint 1010 TWh en 2050, soit une réduction de 66 % par rapport à la situation actuelle (diminution similaire par rapport au scénario tendanciel, en 2050).
Concernant l’impact sur les émissions de Gaz à effet de Serre, les résultats du Scénario Négawatt précise que malgré la fin de la production d’électricité d’origine nucléaire, les émissions de GES liées à la combustion d’énergies fossiles diminuent nettement entre 2010 et 2050 : elles sont divisées par un facteur 15 (facteur 2 en 2030). La très forte baisse de l’utilisation du pétrole dans le secteur des transports constitue de loin la première source de réduction d’émission de CO2, et le développement des énergies renouvelables permet de compenser à la fois cette réduction du pétrole mais aussi celle du nucléaire.
Si pour un scénario donné le facteur de réduction à 2050 des émissions de CO2 est une valeur qui permet facilement une comparaison avec les objectifs de facteur 4, c’est davantage le cumul de ces émissions qui, d’un point de vue physique, a son importance dans l’évaluation de l’impact d’une politique énergétique climatique.
Des chercheurs de l’université de Potsdam40 ont calculé, à partir de modèles climatiques, la quantité maximale de CO2 qu’il est possible d’émettre dans l’atmosphère jusqu’en 2050 tout en conservant 75 % de chances de limiter le risque d’une hausse moyenne de la température à la surface de la Terre à 2 °C en 2100.
D’après ces calculs, le total de toutes les émissions mondiales cumulées entre 2000 et 2050 ne doit pas dépasser, pour le seul CO2, 1 000 milliards de tonnes. Entre 2000 et 2009, l’humanité́ a déjà émis dans l’atmosphère 285 milliards de tonnes de CO2. Il reste donc 715 milliards à émettre pour les quarante années suivantes.
Par ailleurs, les démographes estiment qu’entre 2011 et 2050, la population mondiale va passer de 7 à 9,5 milliards d’habitants. Le poids de la France ne dépasse pas 0,85 % de la population mondiale, ce qui signifie qu’une approche équitable ne nous autorise pas, d’ici à 2050, à dépasser 6 à 7 milliards de tonnes d’émissions cumulées de CO2 dans l’atmosphère.
Le scénario négaWatt, avec 7 milliards de tonnes d’émissions cumulées en 2050, reste tout juste dans cette limite. De son côté, le scénario tendanciel dépasse cette valeur maximale d’émission dès 2030.
Plus que le point d’arrivée, c’est bien la trajectoire 2010-2050 dans sa globalité qui est déterminante.
La réduction spectaculaire des émissions de CO2 engendrées par nos consommations d’énergie dépasse le facteur 4, objectif de la France à l’horizon 2050 présent dans la loi Pope (2005) et la loi Grenelle 1 (2009). Mais cet objectif facteur 4 ne concerne pas le seul CO2 mais l’ensemble de nos émissions de GES, issues de la combustion d’énergies fossiles mais également du secteur agricole et des déchets (méthane, protoxyde d’azote) et du secteur industriel (méthane, protoxyde d’azote et gaz réfrigérants).
Aujourd’hui la répartition des émissions est la suivante :
- 69 % des émissions de GES relèvent du « CO2 combustion », émis par la combustion d’énergies fossiles ;
- 22 % des émissions concernent les pratiques agricoles et les déchets, - 9 % des émissions ont pour origine à un processus industriel ou technologique hors combustion.
La réduction des émissions de GES est soumise à de fortes contraintes dans le secteur agricole : alors que l’INSEE prévoit une augmentation sensible de la population d’ici 2050, il semble difficile, même en faisant évoluer très sensiblement les productions et les pratiques agricoles, d’atteindre un facteur de réduction sensiblement supérieur à 2.
C’est le résultat obtenu par le scénario Afterres2050 précédemment cité, dont l’évaluation des émissions de GES conclut à un facteur de réduction de « seulement » 2 entre 2010 et 2050, malgré des changements structurels dans les pratiques agricoles observées et dans les modes alimentaires les plus répandus.
Dans le secteur industriel, de fortes réductions des émissions ont déjà été observées entre 1990 et 2011 (facteur 1,7). Cette baisse a porté surtout sur la réduction du N20 et du CH4 dans les process, alors que les émissions de CO2 diminuaient et que celles des gaz fluorés augmentaient considérablement (+ 66 %).
Une très forte baisse supplémentaire des émissions de CO2 paraît difficile : la majeure partie de ces émissions sont en effet dues à la décarbonatation pour la fabrication de la chaux et du ciment. À l’inverse, une élimination progressive des gaz fluorés peut être envisagée dans les prochaines décennies.
Ainsi, le facteur global de réduction des GES dans le secteur industriel pourrait atteindre 3,5, soit légèrement moins que l’objectif facteur 4.
Au global, ces différents éléments montrent qu’un facteur 6 ou 7 sur les émissions de CO2 liées à l’énergie est un minimum à atteindre pour parvenir au facteur 4 tous GES en 2050. Avec un facteur 15 sur les émissions de CO2 énergétiques, le scénario négaWatt parvient à un facteur global de réduction d’environ 6. Ce « bon résultat » est néanmoins à relativiser au regard des éléments suivants, qui incitent à ne pas se contenter du seul respect du facteur 4 :
- les effets à court et moyen termes du méthane mesurés en Pouvoir de Réchauffement Global (PRG) sont plus importants que ne l’indique les conventions actuelles41 ;
- les émissions des transports maritimes internationaux ne sont pas comptabilisées dans cette analyse alors qu’elles sont en forte croissance ;
- les émissions des DOM-COM et des PTOM ne sont non plus comptabilisées. Elles aussi se sont très fortement accrues : + 92 % entre 1990 et 2011 ;
Ces biais de calcul sont par ailleurs renforcés dans le cas d’autres exercices prospectifs, leurs auteurs omettant d’une part de comptabiliser les émissions de GES du secteur aérien hors domestique, d’autre part de prendre en considération les émissions induites par l’ensemble des biens manufacturés que nous importons. Loin d’être négligeables, ces émissions externalisées représenteraient en 2010, à l’échelle de l’Union Européenne, une hausse de 20% des émissions recensées. De par ses choix méthodologiques, le scénario négaWatt permet d’éviter ces écueils.
Ce scénario négaWatt, aussi ambitieux soit-il, n’est fondé que sur des hypothèses technologiquement mâtures et économiquement réalistes. Aucune science-fiction ni fausses illusions, mais un chemin de transition balisé, nécessaire pour répondre aux grands enjeux liés à l’énergie. Un chemin résumé en 10 points-clés :
3 mesures structurelles :
- La création d’une Haute Autorité indépendante de la transition énergétique
Il est nécessaire de créer une “Autorité indépendante de l’énergie climat environnement”, ayant pour mission de préparer les décisions, de contrôler leur mise en œuvre et de sanctionner les manquements concernant l’ensemble des mesures prises dans le cadre de la Loi de transition énergétique et des textes qui la suivront. - La gouvernance territoriale de l’énergie
Tous les niveaux institutionnels doivent devenir moteurs de la transition énergétique au sein de leurs territoires respectifs, en se voyant imposer l’obligation de définir, dans le cadre d’une démocratie participative renouvelée, un plan de réduction des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d’adaptation aux conséquences prévisibles des changements climatiques. - Un urbanisme ancré dans les territoires
Toute opération urbaine d’envergure, que ce soit dans le neuf ou en rénovation, ne devrait être possible à l’avenir qu’à certaines conditions, dont :- Existence (ou création certaine à court terme) d’un mode de transport collectif adapté et rapide, reliant le secteur concerné à un centre urbain proche ;
- Compensation de toute nouvelle artificialisation de terrains par la revégétalisation d’une surface équivalente de terrains pour des fonctions d’agrément (parc public), de maintien de la biodiversité (mares, haies...) ou de production alimentaire de proximité (maraîchage) ;
4 mesures sectorielles sur la consommation :
- La sobriété énergétique dans le bâtiment
Le scénario négaWatt aborde la question de la sobriété dans les bâtiments à la fois résidentiels et tertiaires, sous plusieurs angles : maîtrise des surfaces chauffées par habitant, du niveau de confort (température intérieure de 19°C, consommation et température de l’eau chaude sanitaire...), etc. - L’efficacité énergétique dans le bâtiment
La priorité du plan massif de rénovation doit aller aux logements construits avant l’introduction de la première réglementation thermique en 1975, car ils représentent les gisements d’économies les plus importants et les plus “rentables”, tant d’un point de vue énergétique qu’économique. - L’optimisation des usages de l’électricité
Le scénario négaWatt analyse 18 usages d’électricité spécifique dans le résidentiel, et une douzaine dans le tertiaire. En premier lieu, les paramètres qui influent sur la demande sont analysés d’un point de vue démographique et sociologique, puis différents facteurs de réduction de la consommation sont intégrés d’abord par la sobriété, puis par l’efficacité. Pour cette dernière, le scénario prend comme référence les meilleurs niveaux de performance observés actuellement pour chaque type de “service énergétique”, en étant donc ambitieux sur les objectifs mais réaliste sur les moyens de les atteindre. - La régulation des transports grâce à la “redevance à la prestation”
La mise en place non pas d’une taxe mais d’une redevance à la prestation sur le transport routier de marchandises, sur le modèle de la redevance suisse rplpi, permet de rompre avec la croissance non maîtrisée de ce mode de transport.
2 mesures sur la production :
- La fin maîtrisée de la production nucléaire
La sortie du nucléaire est envisagée de manière progressive dans le scénario négaWatt, prenant ainsi en compte à la fois les questions de sureté nucléaire (durée de vie des réacteurs) et de sécurité d'approvisionnement en électricité. - Le soutien à l’essor des énergies renouvelables
Les énergies renouvelables doivent faire l’objet d’une reconnaissance affirmée d’intérêt général, fondement juridique solide pour ouvrir sans tarder cinq grands chantiers débouchant sur des dispositions opérationnelles à court terme.
1 mesure-phare pour assurer le financement de la transition énergétique :
- Une contribution fiscale sur l’énergie primaire et les externalités
Son principe est simple : il s’agit d’instituer une contribution généralisée à toutes les ressources énergétiques, en fonction des volumes consommés, de l’efficacité des chaînes énergétiques et des externalités qui leur sont imputables.