Qui a tué Jaurès ? Dimanche 18 mai 2014 à 22h25 - France 5
Le 31 juillet 1914, alors que la guerre menace d’éclater, Jean Jaurès est assassiné. A la manière d’une enquête policière, nourri d’analyses d’historiens, d’archives rares et de scènes jouées par des comédiens – Philippe Torreton en tête –, ce documentaire remet en lumière le combat pour la paix et les circonstances de la mort du cofondateur de L’Humanité.
Acte isolé d’un étudiant psychologiquement fragile et chauffé à blanc par la presse nationaliste ou meurtre téléguidé par ceux dont il gênait les intérêts ?
« Jean Jaurès était d’abord, au moment où il a été assassiné, le chef du Parti socialiste, celui qui l’incarne», rappelle l’historien Christophe Prochasson, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. «Il est connu depuis longtemps comme le grand défenseur des ouvriers », mentionne Jacqueline Lalouette, spécialiste d’histoire politique et religieuse. La farouche hostilité de l’ancien député du Tarn à la loi des trois ans – qui a fait passer en 1913, comme en Allemagne, la durée du service militaire de deux à trois ans – et son combat acharné pour la paix alors que les menaces de guerre se font de plus en plus pressantes en ont fait un homme à abattre pour la droite nationaliste, qui ferraille pour la reconquête de l’Alsace-Lorraine, les territoires perdus depuis 1871.
«Jaurès est un traître, une fille immonde entretenue par les Allemands, le porte-parole de Guillaume II », clame par exemple le royaliste Charles Maurras. Les caricaturistes se déchaînent contre lui dans les pages d’une presse alors florissante où tout – la diffamation aussi bien que l’appel au meurtre – est permis. « Une caractéristique s’attache à lui, résume Christophe Prochasson : c’est la haine qu’il a suscitée. » Surnommé « Herr Jaurès » par ses nombreux ennemis, il est considéré comme un traître à son pays, comme un corrompu vendu aux Allemands. « Ce qui suscite aussi cette haine, poursuit l’historien, c’est son talent personnel. C’est un homme qui parle avec flamme, qui donc influence, qui est écouté et il est autant détesté qu’il est aimé. »
En guerre pour préserver la paix
Pressentant le cataclysme qui s’annonce, Jaurès se démène pour empêcher le jeu des alliances diplomatiques de se mettre en marche. Afin de préserver ses intérêts dans le nouvel espace européen qui se dessinera fatalement après la guerre, la Russie est très active. Une partie de l’argent récolté en France lors des souscriptions aux emprunts russes aurait servi à «arroser» la presse française parisienne conservatrice et radicale, vent debout contre l’option pacifiste des socialistes. A la manœuvre : Alexandre Petrovitch Izvolski, l’ambassadeur de Russie à Paris. « Izvolski voulait que la presse donne des informations d’ordre diplomatique et militaire qui aillent dans le sens des analyses et des intérêts russes », précise Jacqueline Lalouette. Ce 31 juillet 1914, Jaurès a emmené jusqu’au Quai d’Orsay une petite délégation de parlementaires-journalistes de L’Humanité, le quotidien qu’il a fondé avec René Viviani. L’entrevue qu’il a sollicitée auprès de ce dernier, président du Conseil, ne lui est pas accordée. Reçu par Abel ferry, sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Jaurès argumente : « Il faut obliger la Russie à accepter l’arbitrage que Londres tente d’imposer à Saint-Pétersbourg et à Berlin afin d’éviter la guerre. Là est le devoir, là est le salut. » Il menace de tout révéler : « Le gouvernement est victime d’une intrigue russe. Nous allons vous dénoncer, ministre à la tête légère, dussions-nous être fusillés ! » Après être rentré au journal pour écrire son article, Jaurès part souper avec ses amis au Café du Croissant, rue Montmartre. Il est là, assis dos à la fenêtre, lorsque Raoul Villain l’abat de deux balles de revolver, à 21 h 45. « Jaurès, rappelle Gilles Candar, président de la Société d’études jaurésiennes, n’avait pas peur et il savait très bien, vu les positions qu’il défendait, qu’il risquait un jour ou l’autre d’être assassiné. » Acte isolé d’un étudiant psychologiquement fragile et chauffé à blanc par la presse nationaliste ou meurtre commandité par ceux dont il gênait les intérêts ? D’une certaine manière, la justice a peut-être tranché en acquittant, en 1919, son assassin.
DIMANCHE 18 MAI 22.25
Documentaire-fiction
durée
52’
Auteur
Philippe Tourancheau, avec la collaboration de Serge Tignères
Réalisation
Philippe Tourancheau
Production
Cinétévé/CNDP, avec la participation de France Télévisions