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Le pouvoir de la pédale, comment le vélo transforme nos cités cabossées

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Le pouvoir de la pédale, comment le vélo transforme nos cités cabossées

Le pouvoir de la pédale, comment le vélo transforme nos cités cabossées

Olivier Razemon...

Co-Auteur d'un ouvrage intitulé ''La tentation du bitume'' qui dressait un état des lieux saisissant sur le paysage architectural de nos campagnes dévorées par les affres du bitume, Olivier Razemon signe un second ouvrage qui porte toujours sur l'univers citadin, mais avec comme point central la mobilité sur deux roues, ''le vélo'' .

Le vélo est un moyen de transport rapide, fiable, bon marché, sain, peu consommateur d’espace, économe en énergie et non polluant. Pour les distances comprises entre 500 mètres et 10 kilomètres, il constitue souvent le mode de déplacement le plus efficace, le plus bénéfique pour la société et aussi le plus agréable. De nombreux usagers, ainsi que certains décideurs, semblent avoir pris conscience de ces atouts innombrables. Mais lorsqu’on présente la bicyclette comme un moyen de transport amené à se développer, on assiste à une levée de boucliers : le vélo devient soudain « véhicule du pauvre », « instrument difficile à manier » ou « talisman écologique pour bourgeois rêveur ».
Avec cet essai « poil à gratter », Olivier Razemon bat en brèche les idées reçues qui empêchent encore l’essor du vélo et livre un vibrant plaidoyer pour une transition cyclable.

7 clichés sur la bicyclette :

1/ LA VOITURE DU PAUVRE

C’est le cliché le plus ancien. Dans les années 1950 et 1960, seul le plus riche, ou le plus frimeur, se permettait d’acquérir une "conduite intérieure". Le pauvre se contentait de rêver, chaque année, devant les modèles rutilants exposés au salon de l’auto, avant de repartir tristement sur sa vieille bécane. Cette image de "véhicule du pauvre" persiste aujourd’hui. À la campagne, ou dans les petites villes, la bicyclette est incarnée par ce vieux monsieur, mal fagoté, qui peine à petite vitesse sous un soleil de plomb ou protégé du déluge par une casquette élimée. Il fait pitié. En le dépassant, bien abrité par sa carrosserie, on aurait envie de lui lâcher : "Mon brave, laissez donc votre malheureux biclou dans le fossé ; on vous emmène."

Cette représentation, plus partagée qu’on ne le croit, pèse sur les infrastructures. Telle communauté de communes rechigne à voter des crédits substantiels, tel maire boude l’inauguration du parking à vélos et délègue un adjoint. Même en période de vaches maigres, "il faut peser un certain budget pour être pris au sérieux dans les couloirs d’un ministère", affirmait, en juin 2013, Pierre Toulouse, membre de l’équipe chargée d’élaborer un "plan vélo" au ministère des Transports. Le constat vaut dans les mairies. "Ce n’est pas un gros budget", lâche l’adjoint aux finances avec un rictus de mépris.

2/ UN SPORT DU DIMANCHE

On pédale pour se défouler, gagner des critériums, battre ses copains sur les routes détrempées le dimanche matin, avant de brandir une coupe en métal sponsorisée par l’hypermarché du coin. Cette pratique, surtout masculine, est très répandue en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie ou en France. La compétition séduit tant de jeunes amateurs que certains, passionnés, s’engagent comme professionnels. Le mot"cyclisme", dans les médias, demeure associé à "performance", "critérium", "effort"et, depuis la fin du 20ème siècle, "dopage". Très populaire depuis les années 1980, le vélo tout terrain (VTT) convoque lui aussi le dépassement de soi, mais cette fois en montagne ou sur un terrain vallonné. L’émergence des cross-country, trials et autres enduros a permis la diffusion du vélo auprès de jeunes sportifs jusque-là réfractaires. Les compétitions de "dirt", consistant à effectuer des figures acrobatiques sur un bicyle motocross, ou BMX, impressionnent les foules.

Mais, réduit à cette image sportive, le vélo apparaît comme un objet étrange, inaccessible, difficile à manier. Pédaler, même en ville, serait réservé aux gars musclés qui aiment aller vite, se déguiser en coureur, transpirer et rouler "en danseuse" en fournissant un effort intense. Aperçu dans les lacets des cols alpins, sous le soleil impitoyable, le vélo est associé à la souffrance. Dans les rues de Paris, avant les années 2000, les rares cyclistes qui s’aventuraient dans la jungle urbaine entendaient parfois cette injonction, lancée par un quidam : "Baisse la tête, t’auras l’air d’un coureur !" C’est aussi le vélo-sport que Louis Nègre, maire (UMP) de Cagnes-sur-Mer, incrimine, en septembre 2012, lorsqu’il annonce une limitation inédite de la vitesse à 10 km/h sur la piste cyclable qui longe la Méditerranée : "Je ne voudrais pas qu’un cycliste, en tenue et en casque, égoïste et irresponsable, percute un enfant", se justifie alors l’élu.

3/ UN PASSE-TEMPS, TOUT AU PLUS

La scène se passe à Marseille, à proximité du parc Borély, le grand espace vert des quartiers sud. "Mais que faites-vous là ? Vous ne pouvez pas rester dans le parc pour faire du vélo !", lance cette femme, assise dans sa voiture, à une cycliste."Faire du vélo", comme on fait un footing, de la salsa ou de l’italien. Une activité, sans doute respectable et distrayante, mais en aucun cas un moyen de transport. Un peu comme si une langue vivante, outil de communication, était reléguée au rang de passe-temps. Dans un clip destiné à promouvoir ses "services à la mobilité", le constructeur Peugeot met en scène une femme qui pousse un vélo dans la rue, un casque sur la tête, puis un homme qui fixe sa bicyclette à une barre, sur le toit de sa voiture. Le message est clair : Peugeot tolère le cycliste qui s’adonne au plaisir de la balade. Quand il aura fini de jouer, il descendra de selle et retrouvera sa berline.

L’image du vélo-loisir, sympathique et conviviale, rassure. La bicyclette s’épanouit à la campagne, loin du travail, des déplacements quotidiens. Elle est associée à la balade, aux vacances, aux journées de soleil, à la Paulette d’Yves Montand. C’est une occupation saine qui génère des recettes touristiques et ne menace pas l’ordre établi.

4/ UN TALISMAN ÉCOLOGIQUE

On ne peut pas imaginer tout le mal que l’écologie a fait au vélo… Depuis que René Dumont, candidat écologiste à la présidentielle en 1974, est arrivé en selle sur un plateau de télévision pour présenter son programme, on réduit la bicyclette au message écologique qu’elle est censée porter. Tel consultant, proclamé spécialiste en "développement durable", explique ses nouvelles trouvailles face à une caméra ; derrière lui, bien visible, on aperçoit un guidon. Un congrès de professionnels est consacré à ce même "développement durable". Un praticien se dévoue pour se montrer sur scène, juché sur un vélo. Une entreprise veut prouver ses "bonnes pratiques" : elle place un pictogramme représentant deux roues, un guidon et un pédalier sur la page d’ouverture de son site Internet. À l’automne 2013, sur des autocollants diffusés par le Front de Gauche, des personnages d’âge divers, assis sur un tandem à cinq places et brandissant un drapeau rouge, invitent à lutter contre la réforme des retraites. Une bicyclette en bandoulière, on se préoccupe de la planète, on se montre solidaire, on est quelqu’un de bien. Le vélo est un talisman que l’on exhibe, voire un crucifix éloignant le diable maléfique. Et voilà notre pauvre vélo, qui n’en demandait pas tant, transformé en talisman écolo, trônant en bonne place entre l’éolienne, la yourte et la couche lavable ; la version mobile de la bougie à laquelle voudraient revenir "ces abrutis d’écologistes décroissants".

Reste que l’argument environnemental, surtout s’il est cosmétique, se retourne comme un gant. Parfois, il se trouve quelqu’un qui lâche "l’écologie, ça commence à bien faire", comme s’y était risqué, en 2010, Nicolas Sarkozy, alors président de la République. C’est muni de ce solide argument que le mouvement breton des"bonnets rouges" a combattu la taxe sur les poids lourds, dite "écotaxe", à l’automne 2013.

5/ UNE LUBIE DE "BOBO"

Le vélo serait l’outil des privilégiés, ceux qui ne connaissent pas la vraie vie, qui ne mettent jamais les mains dans le cambouis, au contraire du peuple qui souffre et sait cultiver la joie simple d’une route nationale avalée à 115 km/h. Cette opposition entre cyclistes privilégiés et automobilistes victimes est devenue un lieu commun. En Pologne, un élu d’un petit parti de droite qualifie ainsi les cyclistes de "jeune aristocratie". Quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2012, alors que ses rivaux organisent des meetings place de la Concorde et au bois de Vincennes, la candidate Marine Le Pen fustige"les bobos venus après le brunch au spectacle de la Concorde, avant de filer en Vélib’ à Vincennes voir si François a une cravate plus cool que Nicolas. À moins que la séance de yoga ne les oblige à renoncer à ces festivités". Lorsque Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, s’était prononcé, avant de changer d’avis, contre l’abaissement de la vitesse autorisée sur le périphérique parisien, il prenait la défense des banlieusards contraints de modérer leur vitesse afin que les riches Parisiens puissent profiter de l’air pur sur leur bicyclette.

Le bobo, au fond, c’est celui qui a plus d’argent, plus de facilités, qui parle comme un livre ou s’exprime par écrit, celui que l’on jalouse un peu. Le bobo se soucie davantage de son corps que de son héritage, préfère les légumes de saison à la friture, boit de l’eau gazeuse et non des sodas, privilégie l’être à l’avoir. Le bobo, c’est tout cela à la fois et aussi son contraire, mais au fond peu importe. Invoquer le bobo, c’est demander un peu de respect. Chacun étant bien entendu le bobo de quelqu’un d’autre. Dans l’imaginaire collectif, le bobo cycliste habite le centre-ville, dans ces quartiers autrefois populaires où l’on trouve désormais des magasins de décoration, des écoles privées et où les gargotes d’antan se sont transformées en restaurants trop chers et pas bons. Dans ces quartiers, point de culture automobile: lorsqu’un quidam assure qu’il va devoir "changer de plaquettes la semaine prochaine", on l’imagine atteint d’une grave maladie du sang.

6/ UN OBJET RIDICULE

À Soissons (Aisne), 30 000 habitants, les administrateurs d’une pépinière d’entreprise discutent des aménagements de leurs futurs locaux. Lorsqu’un participant propose d’installer un parking réservé aux cyclistes, l’assistance éclate de rire. Lorsque Delphine Batho, alors ministre de l’Écologie, prépare, en mai 2013, des mesures visant à encourager les salariés à se rendre au travail à vélo, Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), lâche au Figaro : "Nous avons cru à un gag. Nous avons actuellement d’autres préoccupations que l’usage de la bicyclette."Dominique Lebrun, coordonnateur interministériel pour le vélo, confie la perplexité qu’il provoque dans les couloirs du ministère des Transports. "Certains m’abordent, goguenards, en faisant mouliner leurs mains : “Alors, ça pédale ?”" Dans les collectivités, les chargés de mission sont souvent confrontés à des remarques similaires.

Lorsque le ridicule ne le tue plus, le vélo est un objet détesté. La scène se passe à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis). Comme presque tous les jours, un jeune père de famille remonte la rue qui mène à l’école maternelle sur son "vélo-cargo", une bicyclette dotée d’un baquet à l’avant. Ses deux enfants sont assis dedans. Derrière lui, un automobiliste, seul dans son habitacle, s’impatiente, klaxonne, s’agace. "Votre véhicule est problématique", lance-t-il au cycliste.

En janvier 2013, le tribunal d’Avignon convoque trois jeunes gens désœuvrés, prénommés Vincent, Thomas et Michaël, auteurs d’une mémorable virée motorisée, en juin 2012. Les trois gaillards, après un barbecue et un après-midi passé dans leur canapé devant le grand prix de Formule 1, avaient sillonné la campagne vauclusienne en voiture, à la recherche de cyclistes qu’ils visaient d’un pistolet tirant des billes en plastique. "Le scénario se répète à Vaison-la-Romaine ou Saint-Saturnin-lès- Avignon : à la vue de cyclistes, Michaël ralentit, ses copains sortent les armes et tirent. Puis ils partent en riant", rapporte le journal régional. Interrogés par la police, les trois copains déclarent "ne pas aimer les cyclistes car ils roulent de front et gênent les voitures".

Ce genre de confrontation brutale est presque toujours un débat "entre hommes", une explication "franche", un choc viril mais (pas toujours) correct. Les femmes n’y ont pas leur place. En selle, elles subissent parfois des sifflements, moqueries et propos salaces. Certains extrémistes, inspirés par des idéologies religieuses, dénient même aux femmes le droit de monter sur un vélo. Au début du 20ème siècle, en Europe, au moment où la bourgeoisie découvre ce moyen de transport, quelques esprits retors jalousent la liberté qu’il confère aux femmes. Elles y trouveraient un plaisir licencieux, imaginent même les plus tordus. Le vélo serait-il un instrument de liberté, y compris sexuelle ? En tous cas, la bicyclette dérange les religions. En 2009, la ville de New York a dû renoncer à un projet de piste cyclable dans le quartier juif hassidique de Williamsburg, à Brooklyn. Les autorités religieuses s’opposaient à ce que leurs fidèles puissent, à l’occasion, croiser des personnes de sexe opposé partiellement dévêtues…

7/ UN DANGER PUBLIC

Cet humain sans protection qui se déplace relativement vite et sans carrosserie n’en finit pas d’étonner. Le cliché revient souvent, au comptoir d’un bistrot, à un pique-nique entre amis ou dans le bureau d’un aménageur ou d’un élu. Demandez à des Parisiens combien de cyclistes sont morts dans la capitale en un an. La plupart donneront un chiffre compris entre 20 et 50 ; certains répondront "100" voire "1 000". Or, la réponse est précisément la suivante : "en moyenne 3, certaines années 0, et le record, enregistré en 2009, est de 6".

Or, selon un document de la FUB, aux Pays-Bas et au Danemark, on déplore une vingtaine de tués par milliard de kilomètres parcourus, alors que ce chiffre s’élève à environ 30 en Allemagne, 80 en France ou encore plus d’une centaine aux États-Unis. Comme le résume, encore, la FUB, "plus il y a de cyclistes, moins ils ont d’accidents". Enfin, une autre étude portant sur 107 pays révèle que le nombre de personnes tuées à vélo ou à pied est inversement proportionnel à la consommation de carburant par les véhicules motorisés. Cela s’explique aisément. Les cyclistes contribuent, par leur présence même, à ralentir la circulation. Plus ils sont nombreux, plus ils amènent les automobilistes et motards à lever le pied. De plus, dans une ville cyclable, on s’habitue à la présence de cyclistes, on sait qu’il est possible d’en croiser. On les "calcule".

L’Auteur : Journaliste free-lance depuis 1999, Olivier Razemon travaille pour Le Monde depuis 2003. Voyageur, reporter et observateur de la société d’aujourd'hui, il écris notamment des articles sur les transports, l’urbanisme et l’écologie quotidienne. il travaille également pour le mensuel Géomètre, destiné à cette profession, et Olivier Razemon modère régulièrement des colloques et des conférences, sur le thème des transports, mais pas seulement.

Le Pouvoir de la pédale
Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées
Olivier Razemon
Collection Les petits ruisseaux

Genre : Essai
prix : 15 euros
format : 140 x 210
nombre de pages : 192 pages
date de parution : 27 mars 2014
EAN : 9782917770597
ISBN : 978-2-917770-59-7


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