Vulnérabilité des réseaux d’infrastructures, des évaluations lacunaires face aux risques naturels
Une réflexion s’est portée sur l’évaluation des réseaux de transport de personnes et de marchandises et sur les réseaux de transport et de distribution d'électricité, réseaux qui relèvent tous, directement ou à travers des opérateurs, de la compétence du Ministère de l’Ecologie par le Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable. Elle a notamment permis d’appréhender l'ensemble des réseaux de transport de personnes, de marchandises et d'énergie.
Le regain d'intérêt pour la question de la vulnérabilité des réseaux d'infrastructure et de services et pour la mise en œuvre de politiques de résilience de ces réseaux trouve son origine dans les grandes catastrophes naturelles survenues dans le monde, notamment l'ouragan Katrina aux États-Unis (Louisiane, Mississippi..., août 2005), Sandy (côte est des États-Unis, octobre 2012) et la catastrophe de Fukushima au Japon (mars 2011); ou, en France, la canicule de l'été 2003, le black out « importé » d'Allemagne du nord en novembre 2006, les tempêtes Lothar et Martin (décembre 1999), Klaus (janvier 2009), Xynthia (février-mars 2010). Ces événements ont montré la vulnérabilité de réseaux concourant à des services publics essentiels, l'interdépendance entre plusieurs réseaux avec des conséquences en cascade et la difficulté à les rétablir dans des délais admissibles pour la population.
Ainsi dans son rapport, le CGEDD fait part de ses conclusions et montre que l’approche des risques naturels et technologiques par les pouvoirs publics (notamment direction de la sécurité civile et direction générale de la prévention des risques) a privilégié comme cela est légitime la sécurisation des populations. Un traitement adéquat des risques affectant l'intégrité des réseaux d'infrastructures et du service qu'ils assurent, requiert une adaptation de cette politique.
Le rapport montre également qu’au terme de l'examen de la prise en compte des risques naturels par les opérateurs, il convient en premier lieu de remarquer que la liste des risques mis en avant au niveau central (cf. § 2.1 du présent rapport) paraît lacunaire : ainsi, le risque de tempête est plus significatif que le risque de feux de forêts qui n'a jamais été cité par les opérateurs, et le risque de tsunami en France métropolitaine apparaît marginal et localisé .
De même, le CGEDD mentionne que les réseaux ne figurent pas en priorité dans les constructions et ouvrages à protéger. Par exemple, le récent Cadre d'actions pour la prévention du risque sismique, publié début 2013, ne mentionne que très ponctuellement les réseaux, dans la seule action « 22b » qui s'intitule : « Poursuivre le recensement et le diagnostic des bâtiments, ponts et équipements nécessaires à la gestion de crise (catégorie IV) ».
S’agissant du risque d'inondation, le rapport observe qu’il apparaît le plus structuré et le mieux pris en compte dans les zonages et la planification accidentelle des opérateurs. Toutefois, les conséquences d'une crue centennale de la Seine sur l'agglomération parisienne se répercuteraient bien au delà de la seule zone inondée, et le retour à une situation normale demanderait plusieurs mois. Il en irait de même, avec des effets plus limités, d'une crue centennale du Rhône et de la Saône.
De plus, l’analyse précise que les risques « classiques » bien cartographiés, notamment le risque inondation et le risque sismique, sont pris en compte par les pouvoirs publics (dans leur planification spatiale à travers les PPR) et les opérateurs (dans leurs plans de mise en sécurité et notamment dans les PCA) d'une manière qui a priori apparaît satisfaisante.
Par contre, le rapport estime que la prise en compte de l'émergence de nouveaux risques liés au changement climatique et/ou à l'évolution technologique, ou de l'intensification de risques connus, reste à approfondir.
A cet égard on peut citer :
• le risque de submersions marines, lié à l'élévation continue du niveau de la mer, impose de reconsidérer le dimensionnement des ouvrages à la mer, notamment des digues de protection (cf. les réflexions des grands ports maritimes en liaison avec le CETMEF concernant ce type d'ouvrages) ;
• des phénomènes de plus en plus récurrents comme les températures extrêmes prolongées (fortes chaleurs, gel), affectant la fiabilité des composants électroniques, ou provoquant leur défaillance, sont peu ou pas étudiés alors même que les matériels de transport (tant ferroviaires que routiers) et les infrastructures (transmissions, signalisation, équipements de sécurité...) et recourent de plus en plus massivement aux systèmes électroniques ;
• enfin, des chutes de neige récurrentes, avec des qualités de neige difficiles, peuvent, sans altérer les infrastructures proprement dites, paralyser pour une période plus ou moins longue le fonctionnement des réseaux, comme l'a démontré l'épisode neigeux de décembre 2010 en région parisienne. Les réseaux routiers sont les plus immédiatement concernés, mais d'autres réseaux peuvent être également perturbés, par « effet domino ».
S’agissant des réseaux de transport et de distribution d'énergie (électricité, gaz, hydrocarbures), le rapport pointe que les communications électroniques (opérateurs de téléphonie fixe, mobile et internet) apparaissent de plus en plus critiques pour la résilience des autres réseaux, notamment de transport, mais aussi les réseaux d'eau et d'assainissement, de santé, et tous les réseaux dits « de proximité » ou « de solidarité ». La loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 a bien identifié cet élément, mais les conséquences n’en apparaissent pas à l’heure actuelle.
Ainsi, le rapport estime que le durcissement des réseaux électriques et de télécommunications devrait revêtir une certaine priorité, dans la mesure où le fonctionnement de ces derniers est une condition nécessaire de la résilience des autres réseaux.
Un point qui fait l'objet d'un consensus de la plupart des acteurs rencontrés et a été mis en évidence tant dans des exercices « sur table » comme l'exercice « En Seine » organisé par la Préfecture de Police de Paris (2010) que dans des crises réelles comme l'ouragan Sandy (2012) dans l'agglomération new-yorkaise ; par ailleurs, il fait actuellement l'objet de travaux sous l'égide du SGDSN, rajoute l’analyse du CGEDD.
Le rapport mentionne que la fonction risques apparaît bien identifiée et prise en charge par les opérateurs de réseaux relevant du ministère chargé du développement durable, mais les risques sont approchés de manière globale (risques de malveillance, risques technologiques, risques naturels), leur dissociation apparaissant arbitraire aux opérateurs.
Des autorités externes aux opérateurs (établissement public de la sécurité ferroviaire, direction de la sécurité de l'aviation civile...) ont été constituées pour établir des règles de sécurité et pour en contrôler l'application. Ces autorités ont un pouvoir de blocage du trafic. Par ailleurs, les opérateurs disposent de leurs services de sécurité internes.
Toutefois, le contrôle par l’une ou l’autre de ces entités porte en priorité sur la sécurité opérationnelle (i. e. de l'exploitation) et non sur la préservation de l'intégrité physique des réseaux : c'est notamment le cas dans le domaine des transports ferroviaires et dans celui du transport aérien notre l’analyse.
La note montre que l'organisation interne de chaque opérateur reflète bien l'importance accordée à la sécurité, qui est généralement confiée à une structure bien identifiée placée sous l'autorité d'un responsable proche du dirigeant de l'opérateur (généralement un membre du COMEX). Le domaine ferroviaire fait exception à cet égard, et reproduit la dualité entre gestionnaire de l'infrastructure (GI) et entreprise ferroviaire ; en outre, au sein même du GI, la fonction sécurité du réseau et la fonction risques (en approche globale) sont confiées à des structures différentes.
L’étude ajoute que la coopération entre opérateurs différents ne s'établit pas naturellement, comme en témoignent les crises réelles et les exercices de crise. De tels exercices, mettant en jeu les pouvoirs publics ainsi que l'ensemble des opérateurs de réseaux, devraient être organisés systématiquement et leurs retours d'expérience être partagés entre les acteurs et largement diffusés, afin d'amorcer une « boucle d'apprentissage » vertueuse.
Les interdépendances entre réseaux font actuellement l’objet d’une réflexion qui reste à approfondir. Il serait souhaitable que les pouvoirs publics affirment davantage leur rôle de coordination dans la gestion de la crise. Par ailleurs, les retours d'expérience tant des exercices que des crises réelles ne semblent pas faire l'objet d'une diffusion ni d'une capitalisation suffisante. Le CGEDD pourrait jouer un rôle plus affirmé dans ce double rôle de diffusion et de capitalisation (entendue comme mise en commun d'expérience et constitution d'un corps de doctrine).
Concernant les retours d'expérience (REX), la pratique consistant pour une autorité publique à procéder après une crise réelle avec l'ensemble des opérateurs de réseaux à un véritable REX et donnant lieu à un compte rendu diffusé à l'ensemble des parties intéressées ne semble pas bien ancrée dans les comportements, et doit être systématisée. Ainsi, l'épisode neigeux de mars 2013 ne semble pas avoir été perçu par les acteurs comme d'un caractère exceptionnel, alors qu’il a fortement perturbé pendant plusieurs jours la vie de millions de personnes. Il en est peut-être de même pour les crues des Pyrénées survenues en juin 2013.
Enfin, l’analyse du CGEDD conclut que la réflexion sur les enjeux économiques de la résilience des réseaux reste à approfondir chez les opérateurs et leurs tutelles. Cette réflexion, étonnamment peu développée actuellement, incombe tant aux pouvoirs publics (l'étude d'impact d'une nouvelle réglementation en matière de sécurité doit comporter un bilan prévisionnel de ses coûts et de ses bénéfices attendus) qu'aux opérateurs de réseaux (analyse de la rentabilité économique d’une mesure de prévention). En outre, ces derniers doivent élargir leur évaluation prévisionnelle au-delà de leur périmètre propre, pour une prise en compte des coûts directs et indirects, pour la collectivité dans son ensemble, d'une défaillance de leur réseau entraînée par la matérialisation d'un aléa naturel.