L’inquiétude grandissante face à la SEM à opération unique, un PPP institutionnalisé
Ce nouvel instrument de gouvernance qui permet aux collectivités territoriales la création d’une société anonyme « monocontrat » ayant pour objet la réalisation d’une opération unique de construction ou d’aménagement, et d'allier les notions de la gestion directe de la collectivité en déléguant celle-ci aux compétences d'un opérateur privé.
Ces sociétés relèveraient "pour l'essentiel du droit en vigueur applicable aux sociétés d'économie mixte et précisé dans le code général des collectivités territoriales. Toutefois, par dérogation au code de commerce, elle serait constituée d'au moins deux actionnaires : la collectivité initiatrice du projet objet du contrat qui serait conclu avec la société nouvelle et un partenaire opérateur, associé au capital après mise en concurrence". Elles auraient "pour objet unique la réalisation de l'opération de service public, de construction ou d'aménagement dont l'exécution est l'objet du contrat".
En clair, elle permettrait aux collectivités territoriales qui les créent de pouvoir leur confier directement, sans mise en concurrence, la réalisation d’une opération de construction de logement ou d’aménagement, la gestion d’un service public ou d’une autre opération d’intérêt général.
Cette proposition de loi avait été présentée dans un premier temps en octobre 2013, sous le nom de “SEM contrat”. Le CNOA et l’Unsfa avaient déjà réagi à l’époque.
Depuis plus de nouvelles, mais avec le changement de gouvernement, elle est de nouveau d’actualités.
Un rapporteur a été nommé le 9 avril : il s’agit d’Erwann Binet, l’un des auteurs de cette proposition de loi, ce qui ne laisse rien présager de bon quand à son objectivité … Les amendements devaient être déposés pour le 11 avril (ce qu’a fait le CNOA en déposant 4 amendements dont un pour le rejet complet de la Loi), et elle va être examinée en Commission des lois aujourd’hui, puis à l’Assemblée Nationale le 5 mai.
Compte tenu des délais, nous ne pourrons pas être audités.
A cet effet, l’UNSFA a interpellé les députés en leur adressant un courrier estimant que ces ‘’SEMOU’’ sont une sorte de PPP délesté de ses contraintes, plus d’opacité notamment en matière d’évaluation et de financement annexant d’un trait la maîtrise d’ouvrage publique.
Opacité financière et endettement public dissimulé vont découler de cette loi si elle venait à être votée, avec des risques de délit de favoritisme et de collusions d’intérêt. Avec ces montages, et après avoir annexé la maîtrise d’œuvre grâce aux procédures conception-réalisation ou PPP, les grands groupes du BTP et de la finance vont pouvoir atteindre le graal, s’annexer la maîtrise d’ouvrage publique. Le contribuable risque fort bien être le grand perdant de la SEM CONTRAT.
Le Conseil national de l’Ordre des Architectes a lui aussi exprimé son point de vue sur cette proposition de loi.
Les grands groupes privés vont-ils devenir opérateurs publics ?
La SEMOU n’est donc pas issue d’une mise en concurrence, elle est de facto attributaire de l’opération, c’est la part privée seule qui va être soumise à consultation pour intégrer le capital de la société créée. Les actionnaires privés seront donc obligés de s’associer à la personne publique pour accéder au marché. Ils pourront être majoritaires dans l’entité, même si c’est un élu qui la présidera et que la part de capital public permettra à minima une minorité de blocage.
Les élus politiques pensent ainsi pouvoir contrôler le prestataire privé, major du secteur, ce qu’ils n’arrivent pas à faire en PPP. Erreur, ils vont se trouver au contraire liés, avec une indétermination patente dans l’attribution des responsabilités en cas de litige sur l’exécution du contrat, et des conflits d’intérêt inévitables au cas où le pouvoir adjudicateur serait amené à agir contre un cocontractant dont il serait actionnaire et co-décisionnaire !
Ce nouvel outil de partenariat public-privé institutionnalisé se dispenserait des règles contraignantes régissant les contrats de partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004.
Ainsi, la proposition de loi n’impose pas la réalisation d’une évaluation préalable qui a pour objet d’estimer si le recours au PPP va offrir à la personne publique une solution alternative plus avantageuse qu’une opération de maîtrise d’ouvrage publique pour atteindre ses objectifs. Comment dès lors ne pas craindre des dérives, notamment financières, aussi importantes que celles constatées systématiquement avec les contrats de partenariat ? Quel coût induit pour le contribuable d’un nouveau « machin », usine à gaz para-publique où vont siéger nos élus au côté des représentants des majors ?
De plus, en dissociant le candidat initial (l’actionnaire opérateur) et la personne retenue pour conclure le contrat (la SEM à opération unique), le respect des principes de valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, de traitement égal des candidats et de transparence des procédures n’est pas garanti. Le contenu de la publicité préalable (l’appel public à manifestation d’intérêt) est insuffisant et les modifications du code de commerce qu’entraineraient un tel outil ne sont pas envisagées.
Ce texte méconnait les dispositions de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture et ses décrets d’application, en ne prévoyant que la possibilité de contrats de sous-traitance pour réaliser l’opération. Or la SEM ne pourra être concepteur du projet, rôle de l’architecte de par la loi !
Enfin au-delà de problèmes juridiques évidents, la création de ce nouvel outil est clairement une restriction d’accès à la commande pour l’ensemble des professionnels du cadre bâti.
Seuls des opérateurs spécialisés, disposant de capacités opérationnelles, techniques et financières de hauts niveaux, comme le précise le Conseil d’Etat dans un avis du 1e décembre 2009, pourront de facto être candidats. Or, le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 26 juin 2003 indiquait que le contrat de partenariat était « susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics » et en faisait une procédure d’exception strictement encadrée.
Ce projet de SEM, spécialement créé et dédié aux grands groupes, est totalement contradictoire aux orientations fondamentales proclamées dans les déclarations multiples et réitérées du gouvernement relatives à l’accès des PME et des TPE à la commande publique et en opposition à l’approche européenne du Small Business Act en matière d’entrepreneuriat.
Le Conseil National de l’Ordre des Architectes demande donc le rejet de la proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte à opération unique.