Quelles implications économiques des transitions énergétiques chez nos voisins européens ?
Cette question a fait l’objet d’une étude investiguée par un cabinet de conseil Kurt Salmon dans laquelle elle permet de faire le point sur les stratégies économiques sous jacentes aux programmes de transition énergétique de trois pays, qui représentaient à eux seuls près de 40 % de la consommation pétrolière de l’Union européenne en 2012 : l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni.
Cette transition énergétique pour atteindre les objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre sera financée à coups de milliards d’euros. Les bénéfices en attente seront à la hauteur selon les trajectoires de transformation privilégiées différemment le recours aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique et fonction des caractéristiques des systèmes énergétiques de chaque pays.
L’équilibre d’ensemble reste fonction des développements de l’Europe gazière, au Royaume-Uni, en Grèce et même en Israël par exemple.
C’est ainsi que les résultats de l’étude montre qu’au final, deux stratégies économiques se distinguent : investissements pour l’amélioration de la productivité du secteur électrique au service de la compétitivité prix au Royaume-Uni ou bien recherche d’un nouveau modèle de croissance économique en Allemagne, appuyée par une approche structurelle de la compétitivité énergétique et du pays. L’aboutissement de ces ambitions demeure dépendant, vu d’aujourd’hui, des leaderships en œuvre tant à l’échelle des Etats-membres qu’à l’échelle de la nécessaire coordination européenne des objectifs Energie - Climat. Les implications sur l’emploi des européens de cette révolution annoncée que constitue notamment la diminution par deux de la consommation en énergie primaire à l’horizon 2050, mériteront d’être évaluées et pilotées dès cette décennie.
Dans l’approche sémantique de l’étude, elle tente d’aborder la réflexion sur les stratégies de transition énergétique de trois pays européens : l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni.
Le lancement à partir de mars 2013, par la Commission européenne, du processus d’élaboration d’un « Cadre 2030 pour les politiques climatiques et énergétiques » fait émerger, dans le débat entre les Etats membres de l’Union européenne, des options différentes, notamment en matière de pilotage de la politique européenne de l’énergie et de l’éventuel maintien d’un objectif contraignant de production d’énergie d’origine renouvelable.
L’étude fait apparaître cinq conclusions :
1. Les trois pays présentent trois stratégies de transition énergétique distinctes avec des résultats contrastés :
• L’Energiewende constitue bel et bien un tournant historique pour l’Allemagne et présente d’ores et déjà des transformations substantielles de son offre en énergie, à travers la montée en puissance des énergies renouvelables ;
• La doctrine de soutenabilité énergétique espagnole est en échec économique et aucune relance du projet de transition énergétique ne semble envisageable sans une véritable réforme structurelle du secteur électrique ;
• La stratégie de décarbonisation de l’économie du Royaume-Uni est une réflexion au long cours, qui se traduit, à court terme, par la relance du programme nucléaire.
2. Les implications économiques des programmes de transition énergétiques engagés sont également distinctes :
• Les besoins en investissements de l’Allemagne et du Royaume-Uni s’élèvent à 530 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 400 milliards d’euros pour le seul projet allemand ;
• L’Espagne fait désormais face à une dette cumulée de 26 milliards d’euros de son secteur électrique.
3. Deux approches du financement de la transition énergétique ressortent de l’étude :
• Le Royaume-Uni fait porter l’essentiel du risque aux investisseurs privés pour le financement de ses infrastructures et limite sa prise de risque public pour les politiques de décarbonisation à 11 milliards d’euros à l’horizon 2022 ;
• En Allemagne, tous les leviers de financement semblent mobilisables face à l’ampleur des besoins, à commencer par la hausse du prix de gros de l’électricité à l’horizon 2020 (+ 44 % par rapport à 2013) et de la tonne CO2 (+ 467 %) et le projet politique de couplage de l’Energiewende aux marchés financiers.
4. Ce sont bien deux stratégies économiques différenciées qui sont en œuvre en Allemagne et au Royaume-Uni :
• Les investissements programmés dans le secteur électrique au Royaume-Uni sont essentiellement des investissements de productivité destinés à consolider la compétitivité prix du pays ;
• L’Allemagne s’est lancée dans une recherche globale de compétitivité structurelle qui correspond en réalité à la recherche d’un nouveau modèle de croissance.
5. Il n’existe toutefois pas d’étude de référence au sujet de l’impact de la transition énergétique sur l’emploi : la mesure précise des mouvements, en termes de transferts/créations/ destructions d’emplois entre les secteurs conventionnels et les secteurs non conventionnels devrait à l’évidence constituer un des critères de décision de la puissance publique.
Ainsi l’analyse des trois pays synthétise trois trajectoires de transition énergétique :
Allemagne
• Le tournant énergétique (Energiewende), désigné comme « une tâche herculéenne » par la Chancelière Angela Merkel, correspond à un objectif de réduction de 50 % de la consommation en énergie primaire et à l’accroissement de la part des énergies renouvelables jusqu’à 60 % dans la consommation finale à l’horizon 2050 ;
• D’ici à 2030, 400 milliards d’euros sont nécessaires pour financer l’Energiewende, ce qui correspond à un tiers de l’effort engagé pour la réunification de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Allemagne de l’Est (1 300 milliards d’euros), et en fait un véritable projet de société ;
• En formulant l’hypothèse d’une contribution constante du consommateur particulier d’électricité, restent + 300 milliards d’euros à trouver à l’horizon 2030, ce qui appelle à la mise en œuvre d’une stratégie de financement globale, mobilisant tous les leviers à disposition de la société allemande ;
• L’augmentation du prix de gros de l’électricité (+ 44 %) et de la tonne CO2 (+ 467 %) à l’horizon 2020 par rapport à 2013 est d’ores et déjà assumée dans les hypothèses économiques de référence ;
• Le projet politique en négociation repose sur le couplage de l’Energiewende aux marchés financiers, dont la recapitalisation du secteur bancaire allemand, un programme d’attractivité des investisseurs privés, y compris internationaux. Les besoins de financement sont tels qu’ils forcent en outre à interroger la tenabilité du frein à l’endettement public introduit dans la Constitution allemande à partir de 2016. Une relance fiscale est-elle envisageable ? Si oui à quelle échéance ?
• C’est l’ensemble de ces éléments qu’il conviendra d’apprécier dans le cadre de l’accord en discussion entre CDU et SPD pour former le futur gouvernement allemand attendu fin 2013.
Espagne :
• La trajectoire de transition énergétique amorcée au milieu des années 2000, et formalisée à travers la doctrine de la Sostenibilidad Energética en 2007, est à l’arrêt ;
• Fondé sur la réduction de la dépendance aux importations en énergies fossiles et le développement d’un leadership mondial dans les énergies renouvelables, le projet de transition énergétique espagnol échoue sur les dysfonctionnements du secteur électrique qui ont conduit à un déficit tarifaire record ;
• Le déficit tarifaire du système électrique espagnol résultant du fort niveau de soutien aux énergies renouvelables (augmentation de 497 % en 8 ans) et de son non financement initial par le consommateur particulier, aboutit à une dette cumulée entre 2005 et 2013 de + 26 milliards d’euros ;
• Le caractère tardif et limité de la réponse des pouvoirs publics à travers la Reforma del sistemo electrico de 2013 a finalement conduit à une explosion de la facture pour les ménages : + 63 % en 8 ans ;
• Selon toute vraisemblance, il ne devrait pas y avoir de relance de la transition énergétique en Espagne sans véritable réforme structurelle du secteur électrique et assainissement des finances publiques.
Royaume-Uni :
• Positionné en leader mondial sur le changement climatique avec des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (– 80 % à l’horizon 2050 par rapport à l’année 1990), le Royaume-Uni s’efforce de repenser la décarbonisation de l’économie à long terme, en s’appuyant sur des mécanismes de marché et la recherche d’un prix plancher du carbone ;
• Les principaux investissements programmés visent avant tout à combler le déficit d’investissement dans le secteur électrique, estimé à + 130 milliards d’euros d’ici à 2020-2030, principalement à travers la sortie du charbon, le développement de cycles combinés à gaz et la relance du nucléaire dans la prochaine décennie, avec une option désormais ouverte pour un recours aux gaz de schiste ;
• Malgré l’existence d’une ingénierie en matière de politiques publiques parmi les plus sophistiquées au monde, les différents dispositifs en soutien à la politique de maîtrise de la demande en énergie sont contraints de financement. Le Green Deal ne dispose pas à ce jour des incitations financières nécessaires à sa mise en œuvre, hormis sur le chapitre précarité énergétique. Nombre d’experts contestent même la soutenabilité des objectifs de réduction carbone définis dans les plans budgétaires 2018-2022 et 2023-2027.
Compétitivité ou modèle de croissance ?
C’est à travers cette interrogation que l’étude tente de répondre en conclusion. Elle précise qu’au Royaume-Uni, les investissements dans les infrastructures du secteur de l’énergie, de l’électricité en particulier au cours des deux prochaines décennies, tels que définis dans le UK Infrastructure Plan visent à renforcer la productivité du pays et à reporter le risque de la puissance publique vers les investisseurs privés.
Les politiques visant à améliorer l’efficacité énergétique et à accélérer le développement des nouvelles technologies et nouveaux procédés à faible intensité carbonique demeurent pour l’heure sans financement stabilisé et ce indépendamment du haut niveau de communication produit sur ces enjeux par le Department of Energy and Climate Change.
A cet égard, l’important document relatif à la stratégie d’efficacité énergétique du Royaume-Uni publié en novembre 2012 est bien un document prospectif, non un document de cadrage des mesures politiques immédiates. Certes, il y est fait mention du formidable potentiel d’exportation de la filière d’efficacité énergétique du Royaume-Uni. Le chiffre d’affaires de celui-ci ne représente toutefois « que » 2,1 milliards d’euros en 2011- 2012, à comparer aux 13,4 milliards d’euros de revenus du gouvernement britannique à partir de son secteur pétro-gazier à la même date26.
Le pilotage de la transition énergétique britannique s’effectue dans le cadre d’une doctrine de neutralité sur la croissance et de recherche d’une compétitivité des prix. Les critères de soutenabilité et de bénéfices non monétisables de la transition énergétique ne sont envisagés que pour orienter les choix technologiques et maximiser les nouveaux relais de croissance. L’atteinte des objectifs du 4e budget carbone du Royaume-Uni reste fortement dépendante de l’atteinte d’un accord international sur le climat et la relance du marché carbone européen.
En Allemagne, l’innovation est une condition intrinsèque de la mise en œuvre effective de l’Energiewende à long terme. C’est le cas pour les énergies renouvelables pour lesquelles l’innovation technologique vise la réduction des coûts de production. C’est aussi le cas pour la technologie CSC (Captage, Séquestration du Carbone). Dans tous les scénarios prospectifs allemands, la séquestration de gaz carbonique est mise en œuvre dès les années 2030. Ceci concerne les centrales électriques au charbon (houille ou lignite).
A court terme, la déstabilisation du marché électrique continental par l’arrivée massive des énergies renouvelables et les impacts sur l’économie énergétique des pays voisins soulèvent la question de l’insertion de la politique énergétique allemande dans le cadre des objectifs de marché intégré de l’énergie définis par l’Union européenne.
A long terme, l’Allemagne en s’attaquant à tous les segments des chaînes de valeur de l’énergie s’engage dans la recherche d’un nouveau modèle de croissance économique, fondé sur la recherche d’une compétitivité structurelle de son offre en énergie et plus largement de l’ensemble des industries associées, et sur la maîtrise de sa compétitivité prix, par la réduction de la moitié de sa consommation en énergie primaire.