Ce soir ‘’ARMES CHIMIQUES SOUS LA MER’’ sur ARTE à 20h50
DOCUMENTAIRE DE BOB COEN, ERIC NADLER ET NICOLAS KOUTSIKAS
coproDuction : arte France, Georama tV, nhK, heilonGjianG tV station, macGuFF (2014, 1h30)
De véritables bombes à retardement dorment au fond des mers et des océans de toute la planète. Plus d’un million de tonnes d’armes chimiques héritées des deux guerres mondiales nous menacent encore aujourd’hui. De 1917 à 1970, pour se débarrasser des stocks explosifs et hautement toxiques, les armées des grandes puissances mondiales les ont déversés dans les océans. Le contenu de ces armes, des poisons mortels encore actifs, s’échappe peu à peu dans la mer, menaçant les pêcheurs, les baigneurs, les poissons et tout l’écosystème.
En Italie, en Allemagne, en Pologne, aux Etat-Unis, au Canada et au Japon, des hommes se battent pour localiser et neutraliser ces armes. Tout s’y oppose : le manque d’archives, le secret militaire, le coût des opérations, l’« omerta » des pêcheurs et la peur de faire fuir les touristes. Quels sont donc les véritables risques ? Comment en finir définitivement avec ce lourd héritage issu des grands conflits du XXe siècle ? L’espoir vient d’une poignée de scientifiques qui ont saisi l’organisation pour l’interdiction des armes chimiques (oiac). Cette enquête captivante, nourrie d’interviews et d’images d’archives passe en revue les zones à risque et montre que des solutions sont possibles pour nettoyer ces décharges. À condition que les états acceptent d’y mettre le prix.
Entretien avec Nicolas Koutsikas Co-réalisateur
Sur les fonds marins de la planète gisent des décharges d’armes chimiques. Un secret défense gardé depuis des décennies, notamment en france, que révèle le passionnant documentaire Armes chimiques sous la mer.
Comment vous êtes-vous intéressé au sujet des armes chimiques au fond des océans ?
Nicolas Koutsikas : j’avais connaissance depuis une quinzaine d’années de la présence d’armes chimiques en mer Baltique. Mais mon travail a réellement commencé avec la découverte, en 2009, du livre Poisons d’État du journaliste italien Gianluca Di Feo. Cette enquête sur les armes chimiques expérimentées et mises au point sous Mussolini montre qu’une course effrénée à l’armement chimique a eu lieu pendant la seconde Guerre mondiale. la paix revenue, les alliés, ne sachant que faire de cet arsenal, ont décidé de le jeter à la mer, notamment dans l’adriatique et en méditerranée. Nous avons étendu nos recherches à d’autres pays : Etats-Unis, Allemagne, Japon, etc.
Avez-vous rencontré des obstacles lors de vos investigations ? La France est le seul pays où je me suis trouvé face à un mur. Parmi les états concernés, c’est aussi l’un des seuls qui soit absent de ce documentaire. un silence qui se remarque ! Personne n’a voulu répondre à mes questions ni m’aider. Les médecins ont par exemple refusé de me donner des explications sur les effets des armes chimiques sur l’homme. Pourtant, il existe une décharge au large de Saint-Tropez dans une fosse sous-marine. Mais cent ans après la première Guerre mondiale et l’utilisation du gaz moutarde, personne n’est en mesure d’expliquer ce que la France a fait de son arsenal chimique. Il n’existe aucune trace.
Quelles peuvent être les conséquences de ces dépôts d’armes chimiques et quelles sont les solutions envisagées ? Les conséquences sur l’environnement et sur l’homme sont difficiles à déterminer car le secret défense et la guerre froide ont empêché les recherches. Mais des chercheurs indépendants ont par exemple constaté des modifications dans l’ADN des poissons dans l’adriatique et en mer Baltique. Pour l’heure, l’union européenne ignore ce sujet. la priorité serait de dresser une cartographie des décharges, y compris sur terre et dans les lacs, d’évaluer les zones dangereuses pour la pêche et le tourisme, et de nettoyer certains dépôts où les bombes corrodées commencent à libérer leur poison.
Propos recueillis par Laure Naimski
Quelques dates :
22 AVRIL 1915 L’armée allemande fut la première à lancer une offensive chimique d’envergure, lors de la 2ème bataille d’Ypres en Belgique, en utilisant un gaz chloré.
1917 Le gaz moutarde devient le « roi des gaz de combat ».
2 DECEMBRE 1943 Début de la plus grande catastrophe chimique en Europe : 105 bombardiers de la Luftwaffe coulent 27 navires américains dans le port de Bari, dont « le John Harvey », qui transportait une cargaison secrète de 2000 bombes de gaz moutarde. Pour éviter d’offrir aux allemands une grande victoire sur le terrain de la propagande, les alliés décident de garder le secret sur la nature des armes. Des centaines de civils italiens ne reçoivent alors aucun traitement lorsque le nuage de gaz envahit leur ville...
17 JUILLET - 2 AOUT 1945 À la conférence de Potsdam, les alliés victorieux concluent un accord : ils se répartissent les stocks de toutes les armes chimiques et décident de les déverser en mer. À l’époque, cette solution paraît la plus simple et la plus sûre. Des immersions d’armes chimiques ont eu lieu en mer du japon, dans l’océan indien, en mer Baltique, en mer du nord, dans l’atlantique nord, au large de la côte d’azur, en France et au large des côtes américaines et canadiennes.
1970 Fin des versements en mer des armes chimiques.
1972 Une loi du congrès américain interdit le déversement d’armes chimiques en mer.
13 JANVIER 1993 Signature à Paris de la convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction. Elle est entrée en vigueur le 29 avril 1997.
2005 Début de la construction du gazoduc Nord Stream, qui révèle au grand jour la présence des armes chimiques dans la mer Baltique.
11 OCTOBRE 2013 Le prix Nobel de la paix est décerné à l’organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Créée en 1997, elle a supervisé la destruction de 80% des stocks d’agents chimiques déclarés (environ 60 000 tonnes), ainsi que près de 60% des 8 millions de munitions.
12 DECEMBRE 2013 L'onu confirme l'utilisation d'armes chimiques en Syrie. Aux termes de la résolution, toutes les armes chimiques syriennes doivent être détruites avant le 30 juin 2014.
2017 Date de la levée du secret d’état concernant les immersions en mer aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Les principaux gaz utilisés :
De nombreux produits toxiques ont été employés dans les armes chimiques. Ces produits se présentent généralement sous forme de gaz ou d’aérosols largués dans des bombes ou pulvérisés par des avions spécialement équipés. Parmi les principaux :
L’ARSINE OU LE TRIHYDRURE D’ARSENIC
un gaz incolore et toxique, plus lourd que l’air, utilisé par l’armée allemande, en association avec d’autres gaz, dans les obus chimiques de la première Guerre mondiale. Diffusé en aérosol assez fin pour passer la barrière des filtres des masques à gaz, il forçait les soldats à tousser, éternuer ou vomir. Poussés à ôter leur masque, ils respiraient alors d'autres gaz mortels libérés par les obus. Dans la mer, les armes chimiques à base d’arsenic se décomposent en arsenic inorganique, qui est toxique.
LE CHLORE
Utilisé lors de la première attaque chimique en 1915, le chlore est un puissant agent irritant qui peut infliger des dégâts aux yeux, au nez, à la gorge et aux poumons. À haute concentration, il peut causer la mort par asphyxie.
LE GAZ MOUTARDE
Il s’attaque à tous les organes du corps, provoquant de fortes brûlures, notamment aux yeux, menant à la cécité. Jusqu’à dix jours après l’exposition, les poumons peuvent être atteints : toux, inflammation, saignements, puis apparition de lésions alvéolaires entrainant une détresse respiratoire, un œdème pulmonaire et la mort. Dans la mer, le gaz moutarde se décompose en soufre, carbone et hydrogène, des éléments chimiques relativement inoffensifs.
LE SARIN
Découvert en 1939 par trois chercheurs allemands à la recherche de meilleurs pesticides, le gaz sarin est une substance inodore, incolore et volatile. Même à très faible dose, ce neurotoxique peut être fatal pour l’homme et l’animal.
LE TABUN
Découvert par hasard en Allemagne en 1936 par Gerhard Schrader, c’est un gaz à action rapide, inodore et incolore, qui s'attaque au système nerveux et respiratoire.