Supprimer les normes caduques et réactiver une politique architecturale
La mission parlementaire concernant la création architecturale, présidée par le député Patrick Bloche créée en décembre 2013, a permis l’audition de Catherine Jacquot, nouvelle présidente du CNOA, et Denis Dessus, vice-président le 6 février dernier.
Cette mission qui doit évaluer l’évolution récente de la création architecturale française en vue d’apprécier sa situation, en France et dans le monde. Elle a notamment pour objectif d’identifier, le cas échéant, les freins structurels au rayonnement architectural français, ainsi que les modifications législatives et règlementaires propres à les lever.
C’est donc dans ce cadre que Catherine Jacquot a été auditionnée. En guise d’introduction, elle a présenté quelques chiffres clés de la profession architecturale, (chiffres, féminisation lente de la profession, situation économique, structures d’exercice, etc.) et des travaux de l’Institution. Ensuite elle a évoqué l’actualité législative (loi ALUR, objectifs 500 000 logements et dérives du GT 4, projet de loi patrimoines), exprimé les difficultés des Ecoles d’architecture (manque de moyens, statut de la HMO, développement nécessaire de la recherche), et des CAUE, rappelé la demande des architectes sur le seuil d’intervention des architectes (retour au droit constant, donc à 150 m² de surface de plancher), et fait part des propositions de l’institution au regard de mesures incitatives en dessous des seuils (permis simplifié).
Quant à Denis Dessus, il a pour sa part évoqué le manque de politique architecturale en France depuis 20 ans, la dégradation des conditions d’intervention des architectes. Tout est lié, a-t-il souligné aux modalités de passation de la commande qui se situe en très grande majorité en dessous des seuils : programme mal ficelé, concurrence de plus en plus rude, contractualisation difficile, tendance au dumping, et au bout du compte paupérisation de la profession…
Sophie Dessus a approuvé la position défendue par l’Ordre sur les normes (« On ne peut que vous encourager car les architectes sont vampirisés par les normes et ne peuvent plus créer »), et a insisté sur la nécessité de « revenir à une logique du bon sens » en la matière.
Sur les CAUE, elle a regretté leur manque de moyens et rappelé la nécessité de renforcer les équipes.
Elle a enfin souligné que recourir à un architecte était toujours un bon investissement dans le neuf tout comme dans la réhabilitation : « nous avons besoin de vous ! ».
Au sujet des normes, Catherine Jacquot, dans un entretien accordé à la Gazette des Communes, est revenu sur la thématique normative et estime que l’on ne supprime jamais les normes caduques.
« En ce qui concerne le groupe consacré aux normes et règles, les participants sont d’accord sur la nécessité de simplifier les textes. Nous avons demandé d’inclure dans le travail du groupe la règlementation urbaine, issues des différents documents d’urbanisme élaborés par les collectivités locales, et dont la simplification et la pertinence permettraient de dégager une part importante de constructibilité sur les terrains urbanisés.
Les documents d’urbanisme sont des outils formidables pour densifier la ville de façon harmonieuse à partir de projets urbains, et non de règles stéréotypées qui ne tiennent pas compte du contexte. Il faut voir la ville en 3D, et non comme un simple découpage foncier. Cela nécessité une pédagogie, de la concertation et une ingénierie publique et privée compétente. A ce sujet, l’échelle intercommunale est indispensable. »
Diminuer les normes :
« Pour construire un bâtiment, il faut répondre à 3800 règles et normes, qui engendrent en moyenne un surcoût de 10% sur le prix global. Ces règles et normes rigidifient les typologies des logements et les transforment en modèles standardisés.
Nous ressentons ce poids excessif des normes comme une rupture du pacte de confiance. Nous proposons de changer de logique : il faut rétablir ce pacte de confiance entre les décideurs, les citoyens et les professionnels. Nous disons donc : fixez-nous des objectifs, énoncez les règles principales et nous vous proposerons des solutions adaptées à chaque situation.
Nous avons par ailleurs proposé des simplifications sur les règles d’accessibilité, les normes sismiques, thermiques etc. Les normes Afnor et autres sont pour certaines tout à fait louables, mais c’est l’empilement des prescriptions qui est problématique : on ne supprime jamais les normes caduques. »
« Nous nous sommes retrouvés un peu isolés : en résumé, pour réduire les coûts de construction, il serait proposé de limiter les interventions des architectes, notamment en privilégiant le recours à la procédure de conception réalisation. Les maîtres d’ouvrage sont réduits à devenir des acheteurs publics et le logement est transformé en produit, avec des typologies et des processus de fabrication standardisés.
Cela va écarter toutes les entreprises du bâtiment qui ne sont pas entreprises générales, supprimer la concurrence et favoriser les grands groupes. De plus, la qualité architecturale va s’en trouver dégradée.
Il ne faut pas toucher à la loi « MOP » relative à la maitrise d’ouvrage publique. Que les entreprises arrivent à industrialiser leur production, c’est très bien, mais chaque projet doit rester unique et indépendant de ces procédés de fabrication, et l’architecte doit rester présent. Le coût d’un architecte représente environ 2% du coût global d’une construction (foncier et travaux), et il apporte une réelle plus-value. »
Pierre Leautey a souligné le paradoxe existant entre le peu d’architecte en France par rapport à la moyenne au sein de l’Union européenne, et leur manque de revenus. « Que faire pour sortir de cette contradiction ? »
Il a demandé si les 500 000 logements étaient de nature à libérer la création et entraîner un mouvement vertueux en faveur d’une augmentation de la construction.
Patrick Bloche a souligné les problèmes liés à l’absence de dialogue architecte/maître d’ouvrage dans le cadre des concours.
Sur ces différents points, Catherine Jacquot et Denis Dessus ont souligné qu’une grande part des constructions échappaient aux architectes, rappelé la tendance à la segmentation des missions et au dumping, précisé qu’en matière de rénovation énergétique il était indispensable de faire aussi appel aux architectes (et pas seulement aux marchands de matériaux) et plaidé pour la création d’un guichet unique CAUE/ADIL pour orienter les particuliers.
Denis Dessus a enfin insisté sur les menaces sérieuses qui pèsent sur la loi MOP et a regretté le manque général de compétences de la maîtrise d’ouvrage publique. La MOP a-t-il précisé impose un programme et de fait une maîtrise d’ouvrage publique structurée et compétente.
Enfin, la question de l’importance du soutien à l’exportation des architectes français a été évoquée. Sur ce sujet trois points ont été rappelés : La nécessité d’auditionner l’AFEX, la nécessité d’adapter les aides aux agences d’architecture et l’importance de développer un pôle interministériel regroupant différents partenaires ministériels œuvrant pour l’exportation de l’architecture, pour soutenir et développer les aides à l’export.