Nika Autor - Film d’actualités – l’actu est à nous
Au Jeu de Paume du 11/02 au 18/05/2014 Programmation Satellite 7
A quelque jours de sa prochaine ouverture et après avoir présenté sur le blog, les prochaines expositions du Jeu de Paume, Robert Adams pour l'Endroit où nous vivons et Mathieu Pernot pour la Traversée, le Centre d'art se propose en accès libre, la programmation Satellite confiée chaque année à un commissaire différent chargé de trois expositions au Jeu de Paume et d’une exposition à la Maison d’Art Bernard Anthonioz (Nogent-sur-Marne). Les artistes occupent les espaces interstitiels du Jeu de Paume (mezzanine, foyer), qui deviennent chacun un champ d’expérimentation, d’interrogation et d’échange. Pour la septième édition de cette programmation, le Jeu de Paume a convié la critique d’art et commissaire indépendante slovène Nataša Petrešin- Bachelez.
Intitulée « Histoires d’empathie », la proposition de Nataša Petrešin-Bachelez s’inscrit dans la continuité des projets qui, au sein de la programmation Satellite du Jeu de Paume, explorent de nouvelles formes d’expositions, comme en témoignent les éditions précédentes qui ont été réalisées, depuis 2007, successivement par Fabienne Fulchéri, María Inés Rodríguez, Elena Filipovic, Raimundas Malašauskas, Filipa Oliveira ou Mathieu Copeland. Cette année, « Histoires d’empathie » invite quatre artistes femmes, Nika Autor, Natascha Sadr Haghighian, Kapwani Kiwanga et Eszter Salamon.
Présentée du 11 février au 18 mai 2014, la première exposition de ce cycle intitulée « Film d’actualités – l’actu est à nous » est dédiée à Nika Autor, qui appartient à une nouvelle génération d’artistes et de documentaristes ayant vécu, tout au long de leur adolescence, les changements radicaux provoqués par la dislocation de la Yougoslavie. Dans cette exposition, Nika Autor travaille avec et autour de cette histoire personnelle obsédante. Elle sonde l’héritage de la forme cinématographique du film d’actualités et suit les méandres historiques de ses métamorphoses en superposant le lieu – la ville de Maribor, où elle est née et a grandi –, la présence incarnée et le savoir subjectif.
Photo 1 : Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden Newsreel 55 2013
Photogramme de vidéo, 30 min Courtesy des artistes
Étudiants de Maribor, membres du Triglav Academic Club (Slava Klavora est la deuxième en partant de la gauche), Zagreb, 7 décembre 1939 Photographie d’archives utilisée dans Newsreel 55, de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden, 2013 Collection du National Liberation Museum Maribor
La démarche de l’artiste Nika Autor sous-entend l’impossibilité d’un savoir objectif dissocié du lieu incarné. Elle s’intéresse aussi à l’affect et à sa capacité à fournir un accès transformatif au savoir sur des événements précis et historiquement capitaux intervenus sur le sol de l’ex-Yougoslavie durant trois périodes : les années 1940, la fin des années 1980 et l’année 2012.
Avec ses collaborateurs, elle a relevé le défi de ranimer les films d’actualités – « cette forme cinématographique extrêmement résiliente », selon Ciril Oberstar –, tout en continuant, de ce fait, à questionner la place de l’engagement dans l’art contemporain. Pour Oberstar, la presse filmée constitue, « de par son caractère ouvert et propice à l’intervention et à la propagande politiques, le théâtre privilégié de la lutte des classes dans le cinéma. Paradoxalement, c’est bel et bien cette réalité “extrafilmique” des luttes sociales qui le révolutionne sans cesse et le maintient en vie ».
Le titre « Film d’actualités – l’actu est à nous » fait référence à deux œuvres cinématographiques notoires : Finally Got the News, film d’actualités américain réalisé en 1970 par le groupe Newsreel sur la Ligue des ouvriers révolutionnaires noirs, issus de l’industrie automobile de Detroit, et La Vie est à nous (1936), film d’actualités français commandité par le Parti communiste, traitant de l’opinion de la classe ouvrière sur la société de l’époque. Les deux films se servent du « montage » dans l’intention de susciter auprès des spectateurs une réflexion critique sur la société dont ils font partie. À l’instar de ces actualités historiques, le choix des œuvres exposées vise à explorer l’interpénétration de l’image et de l’engagement social à l’intérieur du dispositif filmique ainsi que la dialectique du montage et de la réflexion. Alors qu’historiquement, cette forme servait d’arme psychologique à la propagande, elle est comprise ici en tant qu’outil de recherche et de propagande.
L’exposition présente Newsreel 55, dernière œuvre collective en date de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden, ainsi qu’un film et une sélection d’images documentaires issues des recherches de la plateforme artistique expérimentale Obzorniška Fronta (Front du film d’actualités), qui se destine à la production sérielle de la presse filmée.
La rencontre programmée le 6 mai constitue l’élément performatif et formateur de l’exposition. Dans ce cadre, des critiques et des théoriciens et des artistes présentent, sous forme de projections commentées, l’histoire hétérogène et complexe de la presse filmée yougoslave et deux films d’actualités récents produits par Obzorniška Fronta.
À travers les histoires et les sujets développés par ce collectif (histoire et dynamique économique de l’ancien pays commun, la Yougoslavie ; Maribor, ville de l’industrialisation/désindustrialisation ; la guerre des années 1990 ; la question de la lutte des classes aujourd’hui ; les mouvements illégaux/contestataires...), et la spécificité même des sujets abordés, l’exposition « Film d’actualités – l’actu est à nous » essaie de démontrer que l’on peut identifier, dans la sphère du mode de production capitaliste, certains traits communs et universels.
Newsreel 55 est un collage de citations, d’images d’archives et d’actualités relatives à la République fédérative socialiste de Yougoslavie, et tout particulièrement à Maribor, troisième ville industrielle de l’ancien pays. Par ces évocations, le film interroge les mutations sociales et politiques du XXe siècle qui ont forgé la dynamique économique, politique et sociale de cette ville. Maribor, ville occupée, ville industrialisée et désindustrialisée, marquée par l’effondrement de l’État yougoslave. Dans une démarche empathique, ces périodes sont représentées à travers le regard d’une génération qui a grandi au tournant de deux systèmes, ne pouvant être qu’un témoin silencieux de la montée du capitalisme dans toute sa dimension sinistre. Comment se servir de l’image, de son pouvoir et de ses effets pour soulever la question de la lutte des classes et de lui rendre son actualité ?
Newsreel 55 est une œuvre collective de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden. Marko Bratina est philosophe et traducteur. Il vit et travaille à Ljubljana. Jurij Meden est cinéaste, responsable des programmes de la cinémathèque slovène de Ljubljana et fondateur de la revue KINO!, consacrée à la théorie cinématographique, à la politique et à la poésie.
Ciril Oberstar, titulaire d’un master de philosophie, est corédacteur en chef du magazine culturel slovène Dialogi. Il vit et travaille à Ljubljana.
Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden Newsreel 55 2013 Photogramme de vidéo, 30 min Courtesy des artistes
❙ Nika Autor
Née en 1982 à Maribor, Slovénie ; vit et travaille à Ljubljana. Nika Autor s’intéresse à la production des images (notamment à leur montage, inspiré par les films propagandistes de gauche, les courts-métrages documentaires expérimentaux et les films d’actualités), à leur statut et au pouvoir, direct et indirect, qu’elles exercent sur leur temps et l’histoire. Dans ses travaux antérieurs, elle s’est livrée à une déconstruction critique du discours dominant sur la politique d’asile politique et d’immigration en mettant en lumière les principes d’exclusion et les pratiques disciplinaires qui encadrent la situation sociale des demandeurs d’asile. En novembre 2013, elle reçoit pour son œuvre Newsreel 55 le prix France Brenk attribué par l’association KINO! de Ljubljana, Slovénie.
❙ Principales expositions et performances
2013 « Newsreel 55 », Cinémathèque de Slovénie, Ljubljana, Slovénie « Between the Worlds II », galerie Miroslav Kraljevič, Zagreb, Croatie « Resilience », U3 – 7e Triennale d’art contemporain de Slovénie, MSUM, Ljubljana, Slovénie « Shifts in Time: Performing the Chronic », MUMOK, Vienne, Autriche
2012 K3 – Festival du court métrage, Villach, Autriche ; Udine, Italie ; Ljubljana, Slovénie Alternative Film/Video 2012, Belgrade, Serbie FSF – Festival du film slovène, Portorož, Slovénie The Future of European Integration: Left Perspective », May Day School,
Workers’ and Punks’ University, Ljubljana, Slovénie « The Present and Presence: A Selection of Works from the Arteast 2000+ Collection and The Moderna Galerija National Collection », MSUM, Ljubljana, Slovénie
2011 « This Is No Longer the Country My Uncles Talked About: Margin(al) Notes on Solidarity, Survival and Life », galerie Škuc, Ljubljana, Slovénie « The Bring In Take Out – Living Archive (LA) – Interactive Contemporary Art Exhibition », Glyptotheque CASA Zagreb, Croatie
2010 « Kino Integral », 21e LIFFe – Festival international du Film de Ljubljana, Cankarjev Dom, Ljubljana, Slovénie
« Not Where From But Where To... », Open Systems, Vienne, Autriche « An Idea for Living. Realism and Reality in Contemporary Art in Slovenia », U3 – 6e Triennale d’art contemporain de Slovénie, Moderna Galerija, Ljubljana, Slovénie « Sonic beams / Acoustic shadows », La Générale, Paris, France « Upgrade ! Paris », Ars Longa, Paris, France
Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden Newsreel 55 2013 Photogramme de vidéo, 30 min Courtesy des artistes
Histoires d’empathie par Nataša Petrešin-Bachelez Programmation Satellite 7
« Histoires d’empathie » rend compte de la spécificité de la recherche artistique réflexive de quatre femmes artistes et de leur investissement dans des rôles de chercheuses, de militantes et d’éducatrices. Ces quatre artistes ont été invitées à produire une situation ou exposition pour un espace précis – en l’occurrence, la programmation Satellite du Jeu de Paume – et dévoilent, à travers leur travail, les relations de pouvoir entre leur propre position, l’institution et les visiteurs.
❙ Qu’est-ce Que la réflexivité opère, révèle ?
Depuis plusieurs décennies, l’anthropologie, le féminisme et les sciences sociales en général, plaident en faveur de la réflexivité ou de l’observation participante, dans ce que l’on nomme le tournant réflexif.
Ce dernier valorise la capacité à pouvoir réfléchir sur sa propre position d’énonciation. Les chercheurs/euses se sont définis comme étant eux/elles-mêmes les instruments de production des données, ce qui a donné lieu à une divulgation systématique et rigoureuse de leur méthodologie et de leur propre point de vue subjectif.
Ce tournant a parfois provoqué des erreurs d’interprétation dans les comptes-rendus des chercheurs/euses en confondant réflexivité avec conscience de soi ou même avec récit autobiographique. De ce fait, qu’est-ce que la réflexivité opère, révèle ? Qui légitime-t-elle ? Tout dépend de qui la pratique et de la façon dont elle s’exerce.
❙ le principe d’empathie
Dans le domaine de l’art contemporain, cette méthode autoréférentielle s’est trouvée depuis quelques années des affinités avec l’intérêt porté au principe d’empathie – capacité à ressentir les émotions de quelqu’un d’autre, à s’en sentir responsable – qui porte le/la chercheur/euse ou l’artiste à tenter de comprendre et de soutenir des actions et les motivations de ceux qu’il/ elle étudie. Le style d’écriture conversationnel, mélange de récits d’expériences vécues, de témoignages à la première personne et d’observations diverses, est ainsi adopté pour que le public ressente le contexte culturel et matériel de l’œuvre. Ce tournant réflexif et empathique est perceptible dans les échanges entre pratiques curatoriales et éducatives, et dans la polarité entre l’attention portée aux objets et celle portées aux êtres. De nouveaux processus de médiation sont proposés par les commissaires et les artistes aux côtés des équipes pédagogiques dans les institutions, et visent à aller au-delà de la représentation classique pour faire partie intégrante de la démarche artistique.
Dans cette série d’expositions, les approches des artistes varient autant que les effets de l’empathie sur les êtres. Nika Autor souligne la nécessité d’un savoir associé au lieu d’où elle vient et depuis lequel elle crée une subversion de l’histoire officielle. Natascha Sadr Haghighian interroge le principe d’empathie en ce qu’il souligne la capacité humaine à produire et à percevoir des ressemblances. En se demandant comment accéder aux souvenirs des témoins d’une guerre et comment les transmettre, Kapwani Kiwanga questionne la morphologie de la mémoire et du témoignage à travers la nécessité de leur incarnation. Eszter Salamon traite de l’empathie en tant que valeur d’échange entre les visiteurs/euses et l’œuvre, sous la forme d’une performance en continu au cours de laquelle sont livrés des indices narratifs qui reconstituent une vie, nous renseignant ainsi sur la spécificité de l’espace mémoriel et du passé.
Nataša Petrešin-Bachelez
Commissaire de la programmation Satellite 7 du Jeu de Paume, Nataša Petrešin-Bachelez est née à Ljubljana (Slovénie) en 1976. De 2010 à 2013, elle a été codirectrice des Laboratoires d’Aubervilliers. Depuis 2006, elle co-organise, avec Patricia Falguières et Élisabeth Lebovici, le séminaire « Something You Should Know : artistes et producteurs aujourd’hui » autour des pratiques artistiques et curatoriales, à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris.
En 2012 et 2013, le séminaire a été invité par la FIAC. En 2010, Nataša Petrešin-Bachelez a été commissaire associée de l’exposition « Les Promesses du passé. Une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est », au Centre Pompidou, où elle a travaillé avec les conservatrices Christine Macel et Joanna Mytkowska. La même année, elle a été commissaire invitée de Paris Photo pour la section « Statement », une sélection de galeries d’Europe centrale.
Elle a été commissaire des projets suivants : « Yona Friedman. Around the concept of Ville Spatiale », musée d’Art moderne de Ljubljana (2010) ; « Conspire », festival transmediale.08, Haus der Kulturen der Welt, Berlin (2008) ; « Distorted Fabric », De Appel, Amsterdam (2007) ; « Participation: Nuisance or Necessity ? », lASP IS, Stockholm (2005) ; « Our
House is a House that Moves », Galerija Škuc, Ljubljana (2003), Living Art Museum, Reykjavik (2006). Elle a également assisté l’artiste Akram Zaatari pour « Radical Closure », Oberhausen Film Festival (2006), et le commissaire Rene Block pour « In the Gorges of the Balkans », Kunsthalle Fridericianum, Cassel (2003).
Elle a été co-commissaire de « Société Anonyme », Le Plateau (2007) et Kadist Art Foundation, Paris (2008), avec Thomas Boutoux et François Piron. En 2013, elle a été directrice artistique d’U3, Triennale d’art contemporain de Slovénie (musée d’Art contemporain, Ljubljana), commissaire invitée de la Biennale Online (directeur artistique : Jan Hoet) et membre des jurys de plusieurs commandes d’art public à Paris et Bordeaux.
Elle a également contribué à des magazines tels que e-flux journal, Bidoun, Springerin, ARTMargins, Parkett, NU: The Nordic Art Review et Sarai Reader. Depuis 2011, elle est rédactrice en chef de la revue Manifesta Journal, Around Curatorial Practices.
Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden Newsreel 55 2013 Photogramme de vidéo, 30 min Courtesy des artistes
Informations pratiques
❙ Jeu de Paume Adresse 1, place de la Concorde – 75008 Paris 01 47 03 12 50 – www.jeudepaume.org Horaires d’ouverture Mardi (nocturne) : 11 h-21 h Mercredi à dimanche : 11 h-19 h Fermeture le lundi et 1er mai Tarifs Plein tarif 8,5 € / Tarif réduit 5,5 € Entrée gratuite : programmation Satellite ; mardis jeunes (le dernier mardi du mois de 17 h à 21 h pour les étudiants et les moins de 26 ans) Billetterie en ligne sur le site Internet du Jeu de Paume, avec la Fnac et Digitick Abonnement annuel et partenaires culturels Accès gratuit et illimité aux expositions et à toutes les activités culturelles du Jeu de Paume Abonnement annuel : plein tarif 25 € / tarif réduit 20 € / tarif jeune 15 €