Au total, la crise du logement touche près de 10 millions de personnes…
C’est aujourd’hui que la Fondation Abbé Pierre présentera son rapport « l’État du mal-logement en France 2014 ». Ce 19ème opus révèle une situation alarmante du logement en France et met en relation les liens existant entre la situation de l’emploi et la question du mal-logement, ses origines et ses conséquences sociales pour le quotidien de ces personnes qui parfois cumulent les difficultés au risque de perdre des protections...
Côté emploi et logement : comment renforcent-ils la précarité et la fragilité ?
Le rapport met en lumière que les CDD, intérim, contrats précaires… 50 % des moins de 25 ans sont soumis au « travail en miettes » (13 % pour le reste de la population) et de la même manière, ils sont confrontés les premiers au problème du logement : difficulté à se loger dans les grandes villes chères où les plus petites surfaces sont les plus inabordables.
Le rapport précise que souvent traités séparément, l’emploi et le logement cristallisent pourtant chacun l’ampleur et l’intensité de la crise. La Fondation a voulu comprendre les interactions entre l’un et l’autre et souligner combien elles fragilisent plus encore ceux et celles qui sont déjà en difficulté.
Cet opus observe que l’augmentation en cinq ans du nombre de demandeurs d’emploi (+ 2 millions), la généralisation des CDD, particulièrement ceux de courte durée ; la fermeture de sites de production, le développement du travail saisonnier, …, le logement est devenu le 1er poste de dépense des ménages. Il a un impact très fort sur les restrictions budgétaires.
Le rapport montre également que ce taux d’effort qui atteint 40 % pour une part non négligeable d'entre eux, entraîne des privations en forte hausse (santé, nourriture, chauffage…).
Par ailleurs, la Fondation estime que le logement peut devenir un obstacle à l’emploi : la ségrégation spatiale joue un rôle de plus en plus reconnu dans l’accès à l’emploi. Le lieu de résidence augmente du simple au triple les chances d’avoir un travail.
Le rapport met en lumière également l’étalement de l’urbanisation, l’éloignement des bassins d’emploi augmentent non seulement les coûts de transport mais également les coûts indirects (santé, vie de famille….). Une enquête récente du Credoc souligne que 2 millions de personnes ont refusé un emploi car il signifiait pour elles un déménagement avec un surcoût trop important et/ou trop de temps de transport.
Le rapport poursuit et précise que le BTP joue un rôle essentiel dans la relance de l’économie : la production de logements accessibles au coeur des villes et des territoires et un enjeu actuel majeur ; le coût du logement réduit sensiblement le pouvoir d’achat des ménages et contribue au ralentissement de l’économie.
Pour la Fondation, le logement doit être un bouclier protecteur pour les personnes locataires ou propriétaires plus que jamais en cette période de crise. Il est également un outil de développement économique. C’est pourquoi la bataille du logement ne doit pas être perdue.
Les copropriétés dégradées : une bombe à retardement
Le quart du bâti en France est constitué de copropriétés occupées par des locataires et des propriétaires. Parmi les 6, 6 millions de logements en copropriétés, plus d’un 1 million sont en situation de fragilité. Ces chiffres sont une alerte. Et beaucoup de ces situations sont invisibles car elles relèvent du domaine privé.
Dans ce chapitre, la Fondation a croisé les typologies des copropriétés et de leurs habitants. Il ressort de cette analyse que les occupants des copropriétés dégradées sont en grande majorité des personnes seules et vieillissantes, ce qui augmente encore plus la fragilité de leur situation.
Les propriétaires se retrouvent prisonniers dans une nasse dont ils ne peuvent sortir. Une intervention publique importante est indispensable.
Dans une étude qu’elle a mené sur un échantillon important de copropriétés dégradées, elle note que les situations individuelles sont le plus souvent bloquées.
Le poids des charges collectives est le plus souvent mal connu à l’achat ou lors de l’installation et par conséquent non inclus dans le budget des ménages. Les occupants se retrouvent alors avec des taux d’effort qui atteignent en moyenne 44 % et qui peuvent atteindre 60 % de leur budget. Des situations intenables.
Le logement, un effort politique commun de tous les instants
Les mesures structurelles (lois, règlements…) prises en 2013 et l’énergie déployée par le Gouvernement pour donner au logement une place prioritaire n’empêche pas la Fondation de rappeler et d’insister sur l’urgence sociale qui nécessite aujourd’hui des réponses immédiates.
Les loyers ont augmenté de 55 % depuis 2000, les prix de vente ont augmenté de 100 % ; on compte 1, 8 millions de demandeurs de logement social et seulement ¼ d’entre eux ont eu une réponse en 2013.
En 2014, la Fondation demande qu’il y ait un véritable « choc de solidarité » dans le domaine du logement.
Il s’agit de donner des moyens financiers et humains afin de mettre en pratique les avancées législatives du Gouvernement (loi ALUR, plan quinquennal de lutte contre la pauvreté….)
Des engagements de l’Etat sont attendus par la Fondation sur de nombreux points :
- les ménages prioritaires DALO qui n’ont toujours pas eu de proposition en 2013.
- la mobilisation du parc privé comme alternative à l’hébergement.
- l’établissement d’un moratoire concernant les expulsions locatives
- la fin de la gestion saisonnière des places d’hébergement
- la prise en compte du risque d’augmentation des expulsions après le 31 mars.
- l’évolution des APL
- la question des bidonvilles
- …
Le logement ne peut pas être qu’un problème d’Etat. C’est un problème de société dans lequel les collectivités locales ont un rôle primordial à jouer. Non seulement en respectant les lois (SRU, aire d’accueil pour les gens du voyage…) mais en prenant part activement à la mise en place de la politique du logement, de l’habitat et de la lutte contre le mal-logement.
C’est pour souligner cette implication nécessaire que la Fondation entame dès le 31 janvier un Tour de France afin d'interpeller tous les candidats politiques avant les élections municipales.
Après Paris, elle se rendra dans les principales villes de France (Lyon, Rennes, Bordeaux, Lille… ) jusque début mars pour mettre en lumière les enjeux du logement sur ces territoires.
Crédits photos : DR FAP
Côté chiffres :
3,5 millions de personnes non ou très mal logées, plus de 5 millions en situation de fragilité à court ou moyen terme dans leur logement... Les problèmes de logement s’expriment sous des formes multiples (sans domicile et absence de logement personnel, mauvaises conditions d'habitat, difficultés pour se maintenir dans son logement...) et à des degrés divers, que la Fondation Abbé Pierre cherche à mettre en lumière dans un état des lieux chiffré.
Pour cela, elle est tributaire des données existantes au niveau national, et regrette que de nombreuses situations échappent en partie aujourd’hui à la connaissance statistique (personnes en « squats », cabanes, camping à l’année, bidonvilles...). Si des pistes d’amélioration importantes ont été formulées par le Conseil national de l'information statistique (CNIS) dans son rapport de juillet 2011 sur « Le mal- logement », celles-ci doivent à présent donner lieu à des investigations concrètes. Par ailleurs, elle attend avec impatience les premiers résultats de l’enquête Logement de 2013, qui permettront enfin d’actualiser des données datant de 2006 (voire 2002 en ce qui concerne les hébergés chez des tiers), et plaide pour que le rythme de ces enquêtes de l’Insee puisse être intensifié.
3,5 MILLIONS DE PERSONNES NON OU TRÈS MAL LOGÉES
Parmi les 3,5 millions de personnes confrontées à une problématique aigüe de mal-logement, on recense tout d’abord 694 000 personnes privées de domicile personnel.
Une publication de l’Insee en juillet 2013 indique que 141 500 personnes sont « sans domicile » en France métropolitaine au début de l’année 2012, soit une progression de 44 % par rapport à l’enquête de 2001. Parmi elles, on recense 81 000 adultes accompagnés de 30 000 enfants, qui ont utilisé au moins une fois les services d’hébergement ou de restauration dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, auxquelles s’ajoutent 8 000 sans-domicile dans les communes rurales et petites agglomérations, ainsi que 22 500 personnes en centres d’accueil pour demandeurs d’asile. La Fondation Abbé Pierre y ajoute une partie des personnes accueillies dans les résidences sociales (qui ne font pas partie du panel enquêté par l’Insee), soit celles qui occupent les 18 478 places disponibles à fin 2012 en résidences sociales ex nihilo.
Parmi les 685 000 personnes souffrant d’une absence de logement figurent également toutes celles qui ont recours à des formes d’habitat extrêmement précaires : baraques de chantier, logements en cours de construction, locaux agricoles aménagés... En 2006, le recensement de la population indique que 85 000 personnes résident dans ces « habitations de fortune », qui renvoient pour les trois quarts à des constructions provisoires ou des mobil-home (sans possibilité de mobilité).
Par ailleurs, le recensement de la population a permis d’établir à 38 000 le nombre de personnes vivant à l’année dans des chambres d’hôtel, le plus souvent dans des conditions d’habitat très médiocres (absence de sanitaires, aucune installation permettant de faire la cuisine...).
N’ayant pas les moyens financiers d’accéder à un logement indépendant, de nombreuses autres personnes sont enfin hébergées chez un parent, un ami ou une connaissance. D’après les résultats de l’enquête Logement de 2002 (le module « hébergement » ayant été supprimé de l’ENL 2006), l’Insee indique qu’un « noyau dur » de 79 000 personnes âgées de 17 à 59 ans résident chez des ménages avec lesquels elles n’ont aucun lien de parenté direct. Il convient pour la Fondation Abbé Pierre d’ajouter à ce « noyau dur » tous les enfants adultes contraints de revenir chez leurs parents ou grands-parents, faute de pouvoir accéder à l’autonomie résidentielle (soit 282 000 enfants de plus de 25 ans) ainsi que les personnes âgées de 60 ans ou plus, qui sont hébergées chez un tiers suite à une rupture familiale, un deuil, des difficultés financières ou de santé (soit environ 50 000 personnes). Au total, ce sont donc 411 000 personnes qui sont contraintes à l’hébergement chez un tiers, faute de solution de logement adaptée à leurs besoins.
À côté des personnes exclues du logement, le mal-logement renvoie aussi aux mauvaises conditions d’habitat. À partir de l’enquête Logement de 2006, l’Insee estime aujourd’hui, sans doubles comptes, que 2 778 000 personnes vivent dans des logements inconfortables (2.1 millions de personnes) ou sur-peuplés (800 000 personnes). Par analogie avec les critères retenus par la loi Dalo, sont alors considérés comme « privés de confort » les logements situés dans des immeubles insalubres, menaçant de tomber en ruine ou ayant au moins deux défauts parmi les suivants : installation de chauffage insuffisante ou mauvaise isolation, infiltrations d’eau, électricité non conforme, absence d’installation sanitaire ou de coin cuisine. Le surpeuplement « accentué » renvoie pour sa part aux logements auxquels il manque au moins deux pièces par rapport à la norme de « peuplement normal ». À noter que l’identification des doubles comptes par l’Insee permet désormais de mettre en lumière les situations de personnes confrontées à un cumul de difficultés : en 2006, 28 000 ménages (soit 145 000 personnes) vivent ainsi dans des logements qui sont à la fois inconfortables et surpeuplés. Enfin, figurent également parmi les victimes du mal-logement les nombreuses familles de Gens du voyage qui, lorsqu’elles disposent de revenus modestes, rencontrent d’importantes difficultés pour s’arrêter temporairement ou s’installer durablement sur un territoire. Alors que 37 466 places en aires d’accueil aménagées doivent être financées par les communes dans le cadre des Schémas départementaux, la non-réalisation à fin 2012 de 13 112 places se traduit par des situations d’extrême précarité pour plus de 52 000 personnes, dans la mesure où elles ne peuvent accéder à une aire et à des conditions de vie décentes.
PLUS DE 5 MILLIONS DE PERSONNES SONT FRAGILISÉES PAR RAPPORT AU LOGEMENT
Ces problématiques extrêmes de mal-logement ne doivent pas masquer toutes les situations de réelle fragilité de logement, que vivent des centaines de milliers de personnes.
Il en est ainsi des ménages qui, bien que propriétaires, se retrouvent fragilisés dans des copropriétés en difficulté. D’après une exploitation de l’enquête Logement de 2006 réalisée par la Fondation Abbé Pierre, environ 730 000 personnes sont confrontées à un très mauvais fonctionnement de leur copropriété, à un défaut d’entretien ou à des impayés importants et nombreux. Notons que cette estimation ne concerne que les copropriétaires occupants (c’est-à-dire à peine plus de la moitié des ménages en copropriété) et que d’autres données ont été récemment publiées par l’Anah portant sur plus d’un million de logements en copropriétés potentiellement fragiles (cf. ci-dessous) que nous n’avons pas pu retenir ici sans risques de recoupements avec d’autres catégories.
Par ailleurs, de nombreux locataires sont fragilisés par l’augmentation des coûts du logement : d’après l’enquête Logement, 1 252 000 personnes étaient en impayés locatifs en 2006. Un chiffre bien antérieur à la crise économique survenue en 2008-2009, et dont on peut craindre aujourd’hui qu’il ne soit plus inquiétant encore.
Sans qu’elles relèvent d’une forme aigüe de mal-logement, de nombreuses situations de surpeuplement et d’hébergement chez des tiers retiennent par ailleurs notre attention. C’est ainsi le cas des 3,2 millions de personnes en situation de surpeuplement « au sens large » (c’est-à-dire qui vivent dans des logements où il manque une pièce par rapport à la norme de « peuplement normal » au sens de l’Insee - hors surpeuplement « accentué »).
C’est le cas également des hébergés chez des tiers : au-delà des personnes en hébergement « contraint » (au sens de l’Insee, et comptabilisées parmi les 3,5 millions de mal-logés), apparaît un cercle plus large de personnes hébergées, soit quelque 240 000 enfants de 18 ans ou plus, qui ont dû retourner vivre chez leurs parents ou grands-parents faute de ressources suffisantes pour accéder à un logement autonome, se retrouvant en quelque sorte « résignés » par rapport à leur statut d’hébergé.
À partir de ces différentes données, il apparaît aujourd’hui qu’au total, 8 millions de personnes sont en situation de mal-logement ou de fragilité dans leur logement (hors doubles comptes). Sachant que parmi ces 8 millions de personnes, 1 million sont concernés par un cumul de difficultés.
AU TOTAL, 10 MILLIONS DE PERSONNES SONT TOUCHÉES PAR LA CRISE DU LOGEMENT
De nombreuses autres situations de fragilité existent, mais qui ne peuvent être comptabilisées ici (risques de recoupements, chiffres concernant des ménages et non des personnes...). Les données suivantes constituent cependant d’importants signaux d’alertes, que l’on ne peut ignorer :
> près d’1,1 million de logements en copropriétés fragiles classés en « catégorie D », soit la catégorie au plus fort potentiel de fragilité, d’après une étude de l’Anah réalisée en décembre 2012 par le CETE Nord-Picardie ;
> 3,8 millions de ménages en situation de précarité énergétique, d’après l’ENL 2006 ;
> 70 000 propriétaires et accédants en situation d’impayé pour le remboursement de leur emprunt immobilier ou le paiement de leurs charges, d’après l’ENL 2006 ;
> 91 180 ménages sans droit ni titre dans leur logement suite à une décision de justice d’expulsion, d’après un calcul de la Fondation Abbé Pierre à partir des données du ministère de l’Intérieur entre 2009 et 2011 ;
> Sans oublier que 1,7 million de ménages avaient déposé une demande de logement social au 1er septembre 2013, d’après les données du Système national d’enregistrement.
Au vu de ces chiffres, la Fondation Abbé Pierre estime que le total de 8 millions de mal-logés et de fragiles est un minimum. Et que ce sont sans doute plus de 10 millions de personnes qui subissent en réalité les conséquences de la crise du logement aujourd’hui (production de logements insuffisante et inaccessible aux plus modestes, flambée des coûts du logement et des charges, blocage de la mobilité résidentielle...).
Si les progrès réalisés par la statistique publique contribuent aujourd’hui à une meilleure « objectivation » des effets de la crise du logement sur les ménages, la Fondation Abbé Pierre continue de pointer les importantes zones d’ombre et la trop faible actualisation des données qui entravent aujourd’hui la connaissance du mal-logement, de son ampleur et de ses évolutions. Sachant que, si l’observation statistique constitue un préalable indispensable pour pouvoir agir efficacement contre le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre attend des signes forts de la part des pouvoirs publics, et des réponses concrètes pour offrir des perspectives aux personnes défavorisées et aux plus modestes, et éviter que de nouveaux ménages fragiles ne viennent à l'avenir grossir les rangs des personnes mal logées.