Pour atteindre le facteur 4, 3 efforts importants sur nos pratiques, la performance et les coûts des technologies mobilisées et l’aménagement territorial
L’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) a présenté, le 23 janvier dernier, un rapport d’études sur trois scénarios possibles d’évolution du système énergétique français à horizon 2050, visant à atteindre le « facteur 4 » (division par 4 au moins des émissions de Gaz à Effet de Serre, ou GES, liées à l’énergie par rapport à l’année 1990). Ces scénarios reposent sur une approche volontariste en termes d’innovation scientifique et technologique. Le rapport, fruit du travail de quelques 400 experts scientifiques de l’ANCRE pendant 18 mois, décrit des trajectoires contrastées de la demande et du mix énergétique, et il évalue leurs impacts socio-économiques et environnementaux. L’objectif est d’apporter des éléments d’éclairage dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la transition énergétique prévu pour être examiné par le Parlement en 2014.
Ces trois scénarios se caractérisent de la façon suivante :
Le scénario « Sobriété renforcée » (SOB) s’appuie sur une évolution majeure des comportements individuels pour la réduction de la demande d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il suppose notamment un effort de rénovation considérable de l’habitat (650 000 logements par an contre 125 000 actuellement).
Le scénario « Décarbonisation par l’électricité » (ELE) est fondé sur la combinaison d’un effort marqué d’efficacité énergétique et d’un accroissement dans les différents usages de la part de l’électricité décarbonée. Le scénario ELE table, par exemple, sur 45 % de mobilité électrique en 2050.
Le scénario « Vecteurs diversifiés » (DIV) mise sur l’efficacité énergétique et met l’accent sur la diversification des sources et vecteurs énergétiques, avec une forte contribution de la biomasse, la récupération de chaleur fatale (dont celle des réacteurs nucléaires) et un rôle important des systèmes énergétiques intelligents.
Selon les scénarios, la consommation d’énergie primaire décroit de 18% à 32 % pour atteindre entre 179 Mtep (SOB) et 218 Mtep (ELE) en 2050. En termes d’énergie finale, cette baisse se situe entre 27% (ELE, DIV, ELEC-V) et 41% (SOB).
Les principales conclusions de ces 3 scénarios montrent :
- des efforts considérables en termes de rénovation lourde du parc de bâtiments : 650 000 logements et 25 millions de m2 par an font l’objet d’une rénovation thermique dans le scénario SOB, aboutissant à une division par deux de la demande d’énergie en 2050, dans les autres scénarios, les rythmes de rénovations sont plus modérés (350 000 logements et 15 millions de m2) avec à la clé une réduction de 20% de la demande d’énergie du secteur résidentiel tertiaire en 2050 ;
- de modifications de comportement en matière de mobilité et de mode de transport dans le scénario SOB (baisse du recours à la voiture – de 80% à 50 % – et au transport routier de marchandise – multiplication par trois du ferroviaire –), d’une accélération de la pénétration des technologies alternatives au couple traditionnel moteur à combustion interne/carburants fossiles, notamment dans les scénarios ELE et DIV (les véhicules hybrides rechargeables et électriques représentent entre 25 et 50 % du parc électrique en 2050 et les biocarburants se développent massivement dans DIV) et de gains accrus en terme d’efficacité énergétique des véhicules. Au total, la consommation finale du secteur transport baisse de 40 à 57% selon les scénarios, cette évolution se traduit par une division par trois (SOB) voire quatre à cinq (DIV et ELE) de la demande en produits pétroliers et une réduction de 70% (SOB), voire près de 80 % dans les autres scénarios des émissions de CO2 fossile du transport, « du réservoir à la roue »;
- s’agissant du secteur industriel, les scénarios ne se distinguent pas sur l’activité des branches, à l’exception d’une réduction plus marquée dans SOB des activités de production de clinckers et produits ferreux, et la demande d’énergie est globalement stable sur la période, les gains d’efficacité énergétique étant compensés par l’augmentation de l’activité ; en revanche, les émissions de CO2 du secteur baissent de façon importante sous l’effet d’un report de la consommation d’énergies fossiles vers l’électricité (ELE), la biomasse (DIV) et l’utilisation de la chaleur issue majoritairement de cogénération nucléaire (DIV), auquel s’ajoute le recours à la capture et séquestration du CO2.
Concernant l’offre, l’évolution de la production d’électricité à l’horizon 2050 décroit très légèrement dans DIV et SOB, respectivement à 540 et 475 TWh, et augmente de près de 40% dans le scénario ELE (750 TWh). En revanche, dans tous les scénarios, sous l’effet de l’accroissement du recours aux énergies renouvelables variables, la capacité électrique totale installée est multipliée par un facteur 2 à 2,5 pour atteindre 210 GW (SOB, ELEC-V) à 275 GW (ELE). La réduction de la part du nucléaire se traduit par un recours accru, culminant autour de 2025, aux centrales thermiques gaz en complément des énergies renouvelables dans les scénarios DIV et SOB. Dans le scénario ELE, il est envisagé de recourir à des techniques de stockage massif d’électricité afin de valoriser pleinement les énergies renouvelables variables en évitant les non-utilisations, ce qui conduit à des capacités de stockage inter-saisonnier. Les différents scénarios reposent en outre sur l’hypothèse d’une pénétration rapide de l’intelligence dans les réseaux, de façon à exploiter toutes les flexibilités disponibles (gestion de la demande/effacement, conversions entre vecteurs énergétiques tels que « power to gas », stockage).
Par ailleurs, la chaleur joue un rôle important dans tous les scénarios de l’ANCRE, notamment à travers la récupération de chaleur fatale (centrales thermiques notamment nucléaire, industries) et la chaleur d’origine renouvelable. Cette chaleur est utilisée pour alimenter des réseaux urbains. Le scénario DIV table ainsi en 2050 sur la production d’environ 240 TWh de chaleur, produits pour moitié par des EnR, et pour moitié par cogénération nucléaire.
Les scénarios de l’ANCRE atteignent l’objectif de division par 4 des émissions de CO2 d’origine énergétique, DIV et ELEC-V le dépassent légèrement. En considérant l’ensemble des gaz à effet de serre, la baisse des émissions se situe entre 65 et 70% selon les scénarios. Ces performances requièrent toutefois la mise en œuvre de technologies de rupture : la capture et le stockage du CO2 (pour 50MtCO2), éventuellement assorti de sa valorisation par conversion en d’autres produits valorisables dans le scénario SOB, le stockage massif de l’énergie dans ELE (pour les surproductions estivales et la pointe hivernale) et la cogénération, notamment nucléaire, dans DIV (pour 120TWh – 80TWh dans le résidentiel-tertiaire et 40TWh dans l’industrie).
Pour ces trois scénarios, au-delà de l’atteinte du « facteur 4 », on suppose que la part du nucléaire dans la production d’électricité est de l’ordre de 50% en 2025 tel que cela est proposé par le Gouvernement. Une variante, proche du scénario ELE a également été étudiée : elle permet un meilleur résultat sur la réduction des émissions de CO2,au prix d’une contrainte moindre sur le nucléaire. Dans cette variante, la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité décroît tendanciellement pour atteindre 60% à l’horizon 2050.
Ces scénarios, qui supposent tous un effort soutenu d’efficacité énergétique, permettent une réduction très importante des consommations d’énergies fossiles et le développement d’une offre importante d’énergies renouvelables, en particulier dans le secteur électrique.
Au regard d’autres trajectoires présentées dans le cadre du débat sur la transition énergétique, les baisses de consommation d’énergie finale se situent en 2050 à des niveaux « intermédiaires », soit entre 27 % et 41 % selon les scénarios.
Néanmoins, le « facteur 4 » n’est atteignable que si d’autres conditions sont réunies :
un rythme soutenu d’innovation et de diffusion des technologies qui implique un important effort national de R&D sur la période, le développement de nouvelles infrastructures et aménagements et enfin une stratégie industrielle, pour parer le risque de dépendance par rapport aux technologies importées ;
le recours à des technologies de rupture : captage, recyclage et stockage du CO2 (jusqu’à 40 MtCO2 en 2050) et réseaux intelligents (SOB), stockage électrique de grande capacité (38 GWe-47 TWh - ELE), cogénération, notamment nucléaire (jusqu’à 80 TWh vers le résidentiel tertiaire et 40 TWh vers l’industrie en 2050 - DIV). Le rapport de l’ANCRE souligne par exemple que, dans le scénario ELE, le niveau très élevé de stockage qui a été identifié ne pourrait être satisfait par les technologies identifiées à ce jour.
L’évaluation des scénarios :
Afin de fournir aux décideurs des éléments d’appréciation, un premier travail d’évaluation multicritères, en particulier sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux des scénarios, a été mené par l’ANCRE. Compte tenu de la complexité des questions posées, des incertitudes et du manque de modèle adapté, il doit être et sera poursuivi.
Pour réduire les dépenses récurrentes de consommation d’énergie fossile, il apparaît, d’ores et déjà, qu’un fort niveau d’investissement est nécessaire. Les montants estimés sont de l’ordre de mille milliards d’euros d’ici à 2050. C’est une constante de tous les scénarios, sans qu’il ait été identifié d’écart très notable entre eux. Par exemple, le scénario SOB est très couteux en investissement dans le résidentiel et tertiaire, il l’est moins dans les autres secteurs où la production diminue avec la baisse de la demande.
Sur le plan environnemental, tous les scénarios vont au-delà du facteur 4 pour le CO2 d’origine énergétique et permettent une baisse de 65 % à 70 % de la totalité des émissions de gaz à effet de serre (tous secteurs confondus) à l’horizon 2050.
Les autres impacts positifs portent principalement sur la réduction de la dépendance énergétique extérieure, qui passerait de 50 % aujourd’hui à 27 % (ELE), 28 % (DIV) et 36 % (SOB), sur l’amélioration de la balance commerciale et, potentiellement, sur l’emploi. Mais pour obtenir des conséquences favorables sur l’emploi, de nouvelles filières technologiques soutenues par des investissements publics et développées par des entreprises françaises et européennes devront être mises en place.
Les prix unitaires de l’énergie augmentent dans tous les scénarios, selon des dynamiques différentes. Un doublement du prix de l’électricité est envisageable d’ici 2050. L’impact sur le budget des ménages et les coûts des entreprises est cependant limité, compte tenu d’une consommation d’énergie fortement réduite.
Enfin, le rapport de l’ANCRE formule des premières propositions en termes de programmation de la recherche pour le projet de loi sur la transition énergétique. Celles-ci portent notamment sur l’intensité de l’effort R&D à fournir et les modalités de pilotage à mettre en place, en lien avec la stratégie nationale de la recherche sur l’énergie.
La communauté scientifique, au travers de l’ANCRE, s’est engagée dans un travail de longue haleine qui va encore être affiné dans les mois à venir. Il permet de donner à la puissance publique des éléments de compréhension sur l’impact des différentes orientations possibles pour le futur énergétique de la France, mais aussi d’enrichir la réflexion et la connaissance scientifique sur les innovations à mettre en œuvre. Ces travaux seront soumis à la communauté scientifique et constituent un ensemble cohérent ouvert à la discussion. L’ANCRE organisera au printemps un séminaire scientifique dans ce but.