LINA BO BARBI – TOGETHER / au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 19 janvier 2014
« [...] Je n’oublie jamais le surréalisme du peuple brésilien, son inventivité, son plaisir à se réunir, à danser et à chanter. C’est pourquoi j’ai dédié mon travail à Pompeia aux jeunes, aux enfants et aux personnes du troisième âge : à eux tous ensemble. » Lina Bo Bardi
« Standardiser signifie élargir le champ des possibles, rendre accessible au plus grand nombre des choses réservées à peu de gens, et donc « améliorer », car il est plus facile d’étudier en profondeur un élément simple qu’une série indéfinie et illimitée de ces éléments. » Lina Bo Bardi
Touche à tout, inclassable, Lina Bo Bardi incarne à elle seule les traces de la modernité métissée. Architecte, designer, rédactrice, critique, commissaire d’exposition, collectionneuse, Lina Bo Bardi laisse des esquisses dont les traits sont à géométries variables. Ces œuvres architecturales témoignent des champs que Lina a exploré notamment sur l’expérimentation, le process de fabrication et le développement du programme autour d’une même idée celle qui considère le passé comme un présent historique, toujours vivant, « nous aidant à éviter les pièges »
Lina Bo Bardi respecte les gens plus que tout : leur énergie, ce qu’ils expriment, la liberté collective. Elle tente de faire disparaître hiérarchies et divisions en créant des architectures qui reflètent la texture et la diversité de son pays d’adoption, le Brésil, et en organisant des expositions d’art populaire, dans lequel elle perçoit la poésie de tous les jours. Partout dans son travail – architecture, design de mobilier, expositions, écriture, illustrations, mises en scène –, elle manifeste un sens de la vérité et de l’intégrité, et vit elle-même en accord avec ses idées sociales et artistiques. Pour Lina, un jouet d’enfant en forme de zèbre fabriqué à la main peut figurer à côté d’une peinture de De Chirico ou d’un mobile de Calder, et inspirer une nouvelle conversation.
Cette exposition, qui a voyagé de Londres à Paris en passant par Vienne et Bâle, révèle non seulement la face connue de Lina Bo Bardi – ce qu’elle crée au SESC Pompeia, qui continue de vivre en interaction avec les rues de São Paulo –, mais aussi son monde intime : l’univers qu’elle crée pour elle-même et son mari, Pietro Maria Bardi, dans la maison de Verre (1951).
Née à Rome en 1914, Lina Bo Bardi, engagée en faveur de l’architecture moderne, part vivre à São Paulo en 1946, s’immergeant dans les idées politiques et la culture du Brésil. Mais le véritable tournant intervient entre 1958 et 1964 quand, à
Salvador de Bahia, où elle vit, elle découvre les racines de la culture populaire brésilienne, faite « d’épreuves et de poésie », et mélange celles-ci avec les valeurs du Mouvement moderne. Elle utilise des techniques de construction spécifiques enseignées par les artisans locaux pour la conception du Museu de Arte Popular do Unhão, Bahia (1959). Elle a également pour projet la création de centres d’artisanat et d’écoles de design industriel. Selon ses propres mots : « Il se devait d’être un musée d’art, art au sens de création et d’événements quotidiens. »
Des années plus tard, à São Paulo, Lina Bo Bardi est chargée de la conception du SESC Pompeia, un centre de loisirs bâti dans une ancienne usine. Elle y distribue les espaces sans hiérarchie : nager y est aussi important qu’apprendre à tisser, assister à un concert de jazz ou jouer aux échecs. Elle crée une culture de la convivialité et de la liberté dans la diversité, qui perdure aujourd’hui : c’est un environnement où les différentes générations dialoguent entre elles, et où les matériaux qui constituent le bâtiment s’insèrent parfaitement dans le tissu urbain.
L’exposition « Lina Bo Bardi : Together » est un hommage au travail de Lina Bo Bardi ainsi qu’à sa philosophie. Elle ambitionne aussi de montrer la vitalité et l’élan créatif que son œuvre et ses écrits continuent d’inspirer, particulièrement aujourd’hui où l’on redécouvre son travail au-delà des frontières du Brésil.
Les mots de Bo Bardi, ceux qu’elle écrit et ceux qu’elle prononce, ont autant d’importance que ses dessins et ses architectures. C’est pourquoi sa voix intervient immédiatement dans les escaliers qui donnent accès à l’exposition avec une « pluie » de citations en français, en portugais et en anglais, tenues par des mains en papier – un motif souvent dessiné par Lina – créées par l’artiste Madelon Vriesendorp.
Dans le vide central, et perceptibles dès le niveau inférieur, des agrandissements photographiques de Lina et de ses dessins sont suspendus dans le vide, répondant à la chronologie qui court autour cette trémie.
L’exposition, qui se développe comme un ruban, explore les aspects publics et privés de la vie et du travail de Lina Bo Bardi. Elle se divise en trois parties. D’un côté se trouve l’installation principale, créée par Madelon Vriesendorp, qui a dirigé des ateliers au Solar da Unhão, dans le musée conçu par Bo Bardi. L’artiste mêle aux objets fabriqués lors de ces ateliers ses propres créations, inspirées de la culture populaire brésilienne, de l’artisanat brésilien (jouets, ustensiles, objets d’art et objets rituels) trouvés sur les marchés locaux tandis que les séquences du film de Tapio Snellman, projetées sur des écrans et au sol, explorent les textures, les couleurs, les sons et la vie générés par le SESC Pompeia à São Paulo, tissant des parallèles avec la ville de Salvador.
De l’autre côté, un documentaire sur Lina Bo Bardi, réalisé dans les années 1980 et accompagné de textes, permet aux visiteurs d’entrevoir l’univers intime de la Casa do Vidro, à São Paulo (qui abrite aujourd’hui l’Instituto Lina Bo e P. M. Bardi). Les photographies de Ioana Marinescu et la vidéo de Tapio Snellman montrent les objets (des jouets aux coquillages en passant par les objets d’art et les éléments recyclés) avec lesquels Lina choisit de décorer son environnement personnel. Elles sont accompagnées de trois modèles de la Bowl Chair (1951), aujourd’hui reproduite pour la première fois en édition limitée par Arper (Italie), grâce à de nouvelles technologies mais en conservant l’esprit de sa créatrice.
Le film de Tapio Snellman sur la Casa do Vidro et son jardin, dans lequel se promène encore la tortue de Lina, rappelle de façon poignante l’absence de Lina Bo Bardi, mais aussi – et c’est ce qui importe – la permanence de sa présence à travers l’œuvre, les objets et les écrits qu’elle a laissés. Par-dessus tout, elle a su fusionner, autant dans son œuvre que dans son mode de vie, l’art et la vie, les convictions et l’humour, la créativité et l’honnêteté.
Noemí Blager Commissaire et architecte
« Chercher avec attention les fondements culturels d’un pays quels qu’ils soient – pauvres, misérables, populaires –, lorsqu’ils sont réels, ne signifie pas préserver les formes et les matériaux, mais plutôt évaluer les possibilités créatives originales. Les matériaux et les systèmes de production modernes remplaceront les méthodes primitives, afin de préserver non pas les formes mais la structure profonde de ces possibilités créatives. » Lina Bo Bardi
BIOGRAPHIE SELECTIVE
par Renato Anelli, architecte et professeur à l’Université de São Paulo
5 décembre 1914
Achillina Bo naît à Rome ; ses parents, Enrico et Giovanna, sont génois.
1939
Diplômée de l’École d’architecture de Rome.
1940
Installation à Milan, elle commence à travailler avec l’architecte Carlo Pagani. Collaboration (jusqu’en 1943) avec Gio Ponti au magazine Lo Stile. Nella casa e nell’arredamento.
Elle écrit également pour Grazia, Bellezza, Vetrina et L’illustrazione ita.
1943
Met fin à sa collaboration avec Gio Ponti et devient directrice adjointe de Domus et Quaderni di Domus avec Carlo Pagani, jusqu’à l’arrêt du magazine en janvier
1945
Elle collabore avec plusieurs architectes et intellectuels qui soutiennent la Résistance. Participe à la fondation de l’Organisation des architectes associés, qui deviendra le Movimento Studi Architettura.
Voyage avec Carlo Pagani et le photographe Federico Patellani en Italie pour dresser un état des lieux de la destruction du pays. Fonde, avec Carlo Pagani et Bruno Zevi, le magazine hebdomadaire A – Attualità, architettura, abitazione, arte et collabore au quotidien Milano Sera.
1946
Épouse Pietro Maria Bardi et part s’installer au Brésil en octobre. À leur arrivée à Rio de Janeiro, le couple est reçu par l’Institut des architectes brésiliens.
1947
La municipalité d’Assis Chateaubriand invite Pietro Maria Bardi à créer et diriger le Musée d’Art de São Paulo – MASP. Le MASP est inauguré le 2 octobre, au deuxième étage du siège des Diários Associados. Lina conçoit la reconversion du bâtiment en musée. Elle crée des bijoux en utilisant des pierres précieuses brésiliennes.
1948
Crée le Studio d’Arte Palma avec Pietro Maria Bardi, Lina, Giancarlo Palanti et Valeria Piacentini Cirell. Est commissaire de l’exposition «Nós e o Antigo» (« Nous et l’antique »).
1950
Fonde et dirige Habitat – une revue d’art au Brésil. Poursuit l’extension du MASP avec Carlo Palanti
1951
Devient citoyenne naturalisée brésilienne. Avec Pietro Maria Bardi, dirige le cours de design industriel à l’Institut d’Art Contemporain. Conçoit la Casa de Vidro (maison de Verre), qui devient sa résidence à São Paulo. Dessine la Bardi’s Bowl Chair.
1952
Met en scène le premier défilé de mode brésilien, présentant des tissus spécialement conçus pour le climat local, avec des motifs de Sambonet, Burle Marx et Caribé.
1957
Rédige un texte intitulé « Contribution propédeutique à l’enseignement de la théorie de l’architecture » pour son examen public d’accès à la chaire de théorie de l’architecture à la FAU USP. Personne ne sera finalement sélectionné. Commence à travailler sur le deuxième MASP sur l’avenue Paulista à São Paulo, inauguré en 1968.
1958
Dessine la maison de Valeria Piacentini Cirell à São Paulo. Se rend à Salvador en avril pour donner une série de conférences à l’école des beaux-arts de l’université de Bahia. Elle y revient en août pour mettre en place le cursus d’architecture et d’urbanisme.
Dessine la Casa do Chame-Chame, la maison du sculpteur Mario Cravo et écrit un article sur les arts et la culture pour le quotidien Diário de notícias de Salvador.
1959
Prépare, avec Martim Gonçalves Eros de la faculté de théâtre de l’université de Bahia, l’exposition « De Bahia à Ibirapuera », pour la 5è Biennale de São Paulo. Le gouverneur de Bahia lui propose de diriger le musée d’Art moderne de Bahia (MAM BA).
Conçoit le projet de la restauration du Solar de Unhão, et de sa reconversion en siège du musée.
1960
Le Musée d’Art Moderne de Bahia est inauguré dans le foyer du théâtre Castro Alves. Elle transforme le musée en centre d’activités culturelles.
L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht est joué en novembre, mis en scène par Martim Gonçalves, avec des décors conçus par Lina.
1961
Conçoit les décors de Caligula, pièce d’Albert Camus.
1962
Continue d’organiser des expositions au Musée d’Art Moderne de Bahia.
1963
Une fois la restauration achevée, Lina transfère le MAM BA au Solar do Unhão. Crée le musée d’Art populaire d’Unhão avec une exposition sur le Nord-Est du Brésil.
Planifie la création du Centre pour l’étude et la pratique de l’artisanat, ainsi que de l’école de dessin industriel, sur le même site.
1964
À la suite du coup d’État brésilien en mars, le Musée d’Art Moderne de Bahia est envahi par l’armée.
1965
Dessine trois projets qui n’ont pas été construits : un musée pour l’Institut Butantã, un pavillon d’exposition pour le parc Lage de Rio de Janeiro et un plan d’urbanisation pour une plage à Ubatuba.
1969
Entame une collaboration avec le metteur en scène de théâtre José Celso Martinez Corrêa, en créant les décors pour la pièce Dans la jungle des villes.
Commissaire de l’exposition « La main du peuple brésilien » au MASP
1970
Direction artistique et conception des décors du film Prata Palomares, mis en scène par André Farias et José Celso Martinez Corrêa.
1972
Réalisation des décors de la pièce Gracias, Señor du groupe Ofi cina.
1975
Exposition « Repassos » au MASP, avec José Edmar de Almeida, qui traite du travail des tisseuses du Triângulo Mineiro (Triangle minier).
1976
Dessine l’église du Saint-Esprit de Cerrado (igreja Espírito Santo do Cerrado) à Uberlândia, marquant le début de sa collaboration avec André Vainer et Marcelo Ferraz.
1977
Commence le projet de l’usine Pompeia – centre de loisirs SESC à São Paulo.
1978
Dessine la chapelle Sainte-Marie-des-Anges à Vargem Grande Paulista.
1980
Premières esquisses pour le théâtre Oficina à São Paulo.
1982
L’église du Saint-Esprit de Cerrado est inaugurée et la première phase de construction de l’usine Pompeia – centre de loisirs SESC est achevée.
Expositions « Design au Brésil. Histoire et réalité » et « Le beau et le droit d’être laid », au SESC Pompeia.
1983
Exposition « Mille jouets pour les enfants brésiliens » au SESC Pompéia.
1984
Exposition « Caipiras, capiaus : Pau-a-Pique » au SESC Pompeia.
1985
Exposition « Interlude pour enfants » au SESC Pompeia. Elle crée les décors pour la pièce Ubú. Pholias physicas, pataphysicas e musicaes d’Alfred Jarry, mise en scène par Cacá Rosset.
1986
Livraison de la seconde phase du SESC Pompéia, le complexe sportif. Revient à Salvador sur invitation du maire pour la reconstruction du centre historique de la ville.
1987
Conçoit la maison du Bénin à Bahia et le lotissement de Ladeira da Misericordia à Salvador.
1988
Conçoit la Casa do Olodum à Salvador, un centre communautaire à Cananéia et organise l’exposition « África negra » au MASP avec Pierre Verger.
1989
Conçoit la Fondation Pierre Verger, la maison du Brésil au Bénin, et le théâtre des Ruines à Cam- pinas ; aucun ne sera réalisé.
1990
Dessine le Centro de Convivência (Centre de cohabitation) pour Unicamp, dans l’ancienne gare de Guanabara à Campinas, et commence à travailler sur le projet du nouvel Hôtel de Ville de São Paulo, partiellement achevé en 1992.
1991
Dessine ses derniers projets : une proposition pour le pavillon du Brésil à l’Exposition universelle de Séville et le centre culturel Vera Cruz à San Bernardo do Campo.
1992
Décède le 20 mars à la maison de Verre.