Substitution de la Pierre, caractéristiques et méthodologies
L'entretien et la restauration des monuments historiques nécessitent, parfois, le remplacement de volumes plus ou moins importants de pierres en œuvre sur les édifices par des pierres « identiques » ou des pierres « de substitution » assez semblables en termes de compatibilité et de durabilité. Ce remplacement peut s’effectuer, soit par des pierres "identiques", lorsque les ressources en matériaux d'origine sont disponibles (carrières en activité), soit par des pierres de "substitution", lorsque les pierres originelles ne sont pas ou plus disponibles (ressources épuisées ou plus accessibles, méconnues voire inconnues).
Depuis 4,5 milliards d’années, la terre est une machine qui trie le mélange originel. Elle le concentre soit :
- en espèces pures : les minéraux,
- en mélanges de minéraux : les roches.
Pour élaborer ces divers produits, 2 énergies :
- une énergie externe : le rayonnement solaire
- une énergie interne : la chaleur initiale + la chaleur produite radioactive.
- L’énergie externe donne des roches exogènes, ce sont les roches sédimentaires (accumulations, squelettes, coquilles, etc.).
- L’énergie interne donne les roches endogènes, ce sont les roches magmatiques (résultat d’un refroidissement + une solidification d’un bain de minéraux fondus = magma).
1ère catégorie de roches endogènes :
Si le refroidissement est lent et en profondeur, les minéraux ont le temps de cristalliser, ce sont les roches plutoniques. Si le refroidissement est brutal, il y a peu de matière cristallisée, ce sont les roches volcaniques.
2ème catégorie de roches endogènes :
Ces 2 roches peuvent subir ensuite une autre transformation sans provoquer leur fusion en magma, mais il y a recristallisation à l’état solide car la température et la pression sont élevées en profondeur : ce sont les roches métamorphiques.
Comme tout matériau naturel, les pierres des monuments subissent au fil des temps des mécanismes physico-chimiques générant des altérations, dommageables pour l’esthétique de l’édifice et à terme pour sa stabilité.
D’ailleurs, plus de la moitié des dépenses liées à la restauration des monuments historiques est consacrée à ces problèmes, qu’il s’agisse de la substitution des moellons altérés de l’édifice par de la pierre fraichement extraite de carrière, ou du traitement conservatoire (par décapage et/ou application de produits hydrofuges/consolidants) des pierres en œuvre d’origine. Pour un monument, la maîtrise du coût de la restauration de la pierre apparaît donc étroitement liée à la fréquence des travaux de restauration, elle-même conditionnée par le choix des pierres et leur durée de vie.
Cette phase de sélection des matériaux pierreux est fondamentale et ne peut être réussie qu’en ayant mené une étude préalable des pierres d’origine et de substitution, basée sur les notions de durabilité et de compatibilité.
L’eau qui représente le principal facteur externe de développement des altérations, les morphologies d’altérations des pierres observables sur les monuments sont la conséquence et l’illustration du développement de mécanismes physiques, physico-chimiques et biologiques divers.
Ces mécanismes d’altérations sont conditionnés par les caractéristiques intrinsèques de la pierre et aggravés par les conditions d’exposition et d’alimentation du bâtiment en eau et sels dissous plus rudes que dans le contexte géologique originel.
Les mécanismes physiques provoquent la dissociation partielle des pierres, sous forme de grains ou d’éclats, mais sans en modifier la composition minéralogique. Les principaux mécanismes physiques se traduisent par les ravinements, dilatations hydriques et thermiques et la gélifraction.
Les mécanismes physico-chimiques se traduisent par les dissolutions qui se développent dans les pierres calcaires exposées à des lessivages et sont d’autant plus rapides que les eaux sont plus acides.
Les concentrations de sels font partie des mécanismes d’altérations, et suivant l’expositions, elles génèrent des altérations de structures et morphologies différentes, notamment par des encroûtements qui résultent de la combinaison d’un dépôt atmosphérique direct de particules, à l’abri des lessives, et de la précipitation, lors de l’évaporation des solutions, de cristaux de gypse et de calcite. Des altérations en plaques ou desquamations sont générées par des cycles répétés d’imbibition/séchage, avec en particulier les décollements résultant de dilatations de solution contenant des sels peu solubles. Il s’agit d’un mécanisme physico-chimique. Enfin, les désagrégations sableuses et alvéolisations sont dues à la cristallisation de sels très solubles sous la surface, provoquant le dessertissage des grains.
Autres mécanismes d’altérations, les mécanismes biologiques liés à la présence de bactéries, végétaux et lichens, et génèrent des dégradations beaucoup plus modestes que les mécanismes physico-chimiques.
Ainsi après avoir déterminé les mécanismes d’altérations, il est important lors de la restauration du monument de connaître les caractéristiques des matériaux enlevés et qui seront remplacés. Ainsi le Lerm, laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Matériaux, procède à plusieurs examens lors du choix de substitution de la pierre, examen en laboratoire, et à l’étude de documentation historique :
"Tous les matériaux enlevés seront toujours remplacés par des matériaux de même nature, de même forme, et mis en œuvre suivant les procédés primitivement employés." Eugène Viollet-le-Duc et Prosper Mérimée
La connaissance et l’identification de la nature des pierres du monument qui y sont en œuvre sont les premières phases pour l’architecte qui souhaite entreprendre une restauration. Identifier les pierres et leurs carrières d’origine, définir éventuellement une roche équivalente pour de possibles substitutions sont les missions du géologue et de son laboratoire.
Cette identification révèle souvent une grande diversité de pierres dont l’usage dans l’édifice, en fonction de leurs qualités, indique la connaissance fine qu’avaient les maîtres d’œuvre de ces ressources minérales. Cette diversité peut aussi résulter d’époques différentes de construction de l’édifice.
Suivant les différentes altérations visibles de la structure, la restauration envisagera le remplacement partiel ou complet des pierres, lorsque leur dégradation est telle qu’on ne peut ni les conserver ni les restaurer. Cette solution est impérative lorsque l’on rencontre des problèmes de solidité de la pierre qui risquent de compromettre la stabilité de la structure de maçonnerie (fissures et cassures). Elle doit être envisagée, également, en présence de désordres qui affectent l’esthétique de l’édifice : érosion d’éléments d’ornements de la façade, surfaces trop largement endommagées pour permettre un ragréage. La substitution de pierre doit obéir à certaines règles pour le choix des pierres, le traitement des faces apparentes, la dépose des pierres abimées, la mise en place des nouveaux éléments, le scellement et le jointoiement.
La première étape de la substitution : le choix de la pierre de substitution :
Techniques de laboratoire :
Avant toute substitution, il convient de correctement caractériser et identifier la pierre en œuvre d’origine. Il s’agit ensuite de retrouver la carrière d’origine ou, à défaut, de choisir une pierre qui se rapproche le plus possible de la pierre en oeuvre.
Plusieurs méthodologies d’approche permettent d’aboutir à un résultat satisfaisant. La détermination du numéro d’identification des pierres calcaires est la méthode la plus ancienne, et encore la plus utilisée (issue de l’ancienne norme NF B 10-301, datant de 1975). Un indice est attribué à la pierre ; il constitue un outil de sélection basé sur une équation incluant trois caractéristiques physiques :
la valeur moyenne de la vitesse de propagation du son, exprimée en m/s
les valeurs mini et maxi de la masse volumique apparente, exprimée en g/cm3,
la valeur médiane de la dureté superficielle mesurée à l’aide du scléromètre de Martens, exprimée en mm.
Cette ancienne norme établit une correspondance entre les numéros d’identification obtenus, et les appellations réservées aux pierres calcaires « tendre, demi-ferme, ferme, dure et froide ». Cette classification est discutable, mais elle reste un outil courant pour les architectes en charge des décisions à prendre en termes de choix de pierres pour la restauration.
Des travaux plus récents proposent une démarche qui allie compatibilité et durabilité, en déterminant un indice nommé IDC (indice de durabilité et compatibilité) pour lequel les mesures à réaliser, en plus de la caractérisation pétrographique et minéralogique, sont :
- la quantification des argiles hydrophiles,
- la mesure de la porosité,
- la mesure de la résistance mécanique (échantillons secs et saturés)
- la mesure des coefficients d’absorption et de capillarité.
Cette méthodologie est à retenir mais reste encore aujourd’hui à valider sur un nombre de cas représentatifs. En complément de cette démarche de laboratoire, il est possible d’affiner ces sélections par des investigations non destructives réalisées en carrière.
Documentation historique :
La documentation permet de connaître la nature des pierres employées dans un monument et le lieu de l’extraction. Les grands chantiers religieux du Moyen-âge nous ont légué de riches archives (comptes, contrats, chroniques). Depuis le XVIe siècle, les bâtiments royaux sont, eux aussi bien documentés (marchés…) et il en ira de même pour les constructions des administrations révolutionnaire, impériale ou républicaine.
Le problème de l’approvisionnement en pierres pour la restauration :
La formidable richesse du patrimoine bâti en pierre témoigne de la diversité des ressources géologiques du territoire. Pour des raisons de techniques et de coût de transport, depuis l’Antiquité, les pierres des monuments ont généralement été extraites localement dans des carrières de toutes tailles, dont certaines n’ont parfois servi qu’à alimenter tel ou tel chantier. La connaissance détaillée de la qualité des pierres a néanmoins pu amener les maîtres d’œuvres anciens et médiévaux à faire des choix qui impliquaient des transports parfois importants.
Si ces particularités géologiques font vivre la singularité et l’originalité de chaque monument, elles posent de sérieux problèmes aux restaurateurs. En effet, si les carrières d’origine sont souvent connues, elles peuvent ne plus être en activité aujourd’hui et ont, pour nombre d’entre elles, disparu. En l’absence du matériau d’origine, le choix de la pierre de substitution est donc souvent le résultat d’un arbitrage délicat.
Liste des différentes roches :
Roches endogènes magmatiques :
roches plutoniques (grenues) : GRANITE
roches volcaniques (vitreuses) : RHYOLITE
Ces roches ont une forte teneur en silice (+ de 66%), elles contiennent du micas, du feldspaths et du quartz.
Roches endogènes métamorphiques :
Il y a plusieurs transformations possibles :
Grès → quartzite → schiste → micaschiste → GNEISS
Calcaire → calcschiste → MARBRE
Granite → GNEISS
Roches exogènes :
roches détritiques (destruction des roches précédentes) : SABLE GRES ARGILE
TUF
Roches d’origine biologique (biogénique) :
SABLE, CALCAIRE, CALCITE, ARAGONITE, DOLOMITE, CRAIE, MARNE (contiennent du carbonate)
SILEX, MELIERE (contiennent de la silice)
HOUILLE, LIGNITE, TOURBE (contiennent du carbone solide)
PETROLE, ASPHALTE, BITUME (contiennent du carbone liquide)
SEL, GYPSE (contiennent du chlorure)
BAUXITE (contient de l’aluminium).
Quant à la pose dans un mur en pierre de taille, on utilisera alors la technique de restauration de pose en tiroir.
- Il faut d'abord retirer la pierre malade, pour cela on ouvre les joints à la disqueuse, on scie la pierre afin de protéger les joints des pierres voisines, puis on bûche celle-ci jusqu'au fond. Il est possible d'utiliser la pince de pose pour sortir de gros éléments. Si la pierre ne vient pas, faire une saignée au centre afin de l'éclater.
- Une fois que la pierre a été évacuée, si l'on travaille dans la journée il n'est pas indispensable d'étayer sinon il faut poser un étai dans la cavité - Mettre des calles en bois (ou inox) de l'épaisseur du joint sur le lit de pose. Si la pierre est très grosse on utilise 2 demies plaques avec du gras entre les 2. On pousse la pierre jusqu'au nu en prenant garde à ne pas le dépasser.
- Jointoyer (beurrer) avec un mortier composé d’un volume de Chaux pour 2,5 volumes de sable 0/1 mm, pour joint de 3 mm. Si le joint est plus fin, il faut utiliser un granulat dont la taille du plus gros grain sera de
1/3 de l’épaisseur du joint à réaliser. - Sur le joint supérieur, aménager un évent et un trou de gavage. - Dans le trou de gavage, un tuyau en caoutchouc sera mis en place, emmanché sous un récipient (ex : bouteille plastique dont le fond a été découpé), l’ensemble étant maintenu au-dessus du joint. - Le remplissage est effectué par une injection composée de Chaux et d’eau, au dosage d’un volume de Chaux pour un volume d’eau, et ceci jusqu’à refus complet.
Nota:
a) Le joint mis en place est après mise en œuvre soit brossé avant durcissement complet, soit lissé.
b) L’injection ou le coulinage ne seront entrepris que lorsque les joints auront suffisamment durci (48 heures minimum). Les trous ayant servi aux injections et coulis seront bouchés avec un mortier de composition identique à celui du joint.
c) Lorsque l’espace est trop important entre la pierre posée en tiroir et le fond du tiroir, un ouvrage en maçonnerie, composé d’éclats de pierre ou de morceaux de tuile scellés avec un mortier de composition identique au joint, est nécessaire avant les travaux
d’injections ou de coulinage, ceci pour éviter l’éjection de la pierre en place, sous la pression d’une trop grande quantité de coulis ou injection.
Remarques préalables :
Dans certains cas, les maçonneries sont très dégradées et il n’est pas possible d’effectuer le remplacement des pierres sans une consolidation préalable de la maçonnerie. Après un rejointoiement (si nécessaire) de cette maçonnerie, des injections ou des coulinages (parfois exécutés sous pression) seront réalisés. Un temps d’attente suffisant d’un mois minimum sera observé avant le début du remplacement des pierres.
Les travaux de confortation s’effectuent par tranches d’un mètre en partant du pied du mur. Une auscultation radar peut aider à déterminer la quantité et le volume des vides à combler avant travaux. Cette même technique peut mesurer la qualité du travail effectué après travaux.