La Transition énergétique ne peut ni s’inventer, ni se conduire sans une implication et une acceptation sociale fortes
Établi dans le cadre de la mission impartie à la Cour d’assistance au Parlement et au Gouvernement, la Cour des Comptes a présenté un rapport répondant à une demande d’évaluation de « la mise en œuvre par la France du Paquet énergie-climat de 2008 », pour le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale.
La première analyse du rapport mentionne la complexité du dispositif « Paquet énergie climat » (PEC) qui rassemble les éléments de la politique européenne de lutte contre le réchauffement climatique. La Cour des Comptes précise que le caractère hétéroclite du paquet rend déjà, à lui seul, l'évaluation de sa mise en œuvre complexe. En effet, elle explique que la poursuite des trois objectifs principaux, résumés sous le terme des « trois fois vingt », impliquant à l’horizon 2020, une réduction globale pour l’Union Européenne de 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), le développement des énergies renouvelables (EnR) au niveau de 20 % de la consommation d’énergie finale et une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique, seuls les deux premiers objectifs étant contraignants, entrainent des interférences paradoxales comme par exemple, lorsque l’amélioration de l’efficacité énergétique contribue à la baisse des émissions. À l’inverse, ils peuvent se contrarier lorsque, par exemple, le développement des énergies renouvelables conduit à ce qui, plus loin, est appelé une « carbonation paradoxale ».
Cette situation rend encore plus difficile l’évaluation du PEC, car elle se multiplie avec les caractéristiques de chaque Etats Membres.
Ce centralisant sur les mesures prises uniquement en France, la Cour des Comptes qu’en matière de mix énergétique, la France dispose d’un mix parmi les moins carbonés. Avec 227 tCO2 émises par M€ de PIB en 2009 et, selon des données encore provisoires, moins de 210 tCO2 aujourd’hui, la France est l’une des économies parmi les moins carbonées en Europe, la deuxième après la Suède. Rapportées au PIB, les émissions françaises représentent ainsi moins des 2/3 de la moyenne de l’Union européenne ou des émissions de l’Allemagne, à peine plus de la moitié de celles des Pays-Bas. Une singularité qui est essentiellement due à une production électrique qui est aux 3⁄4 issue du nucléaire et au 1/6 de sources renouvelables. Au total, l’électricité est ainsi, en France, produite à plus de 90 % à partir de sources non-émettrices de CO2. Avec 79 g CO2 par kWh produit, la France émet de ce fait entre cinq et six fois moins que l’Allemagne ou les Pays-Bas pour sa production électrique. L’étude fait remarquer que l’industrie et l’agriculture sont les principaux moteurs des émissions (43 %, 22 et 21 % respectivement) et qu’avec 18,2 % des émissions, le logement et les activités de service (le «résidentiel-tertiaire ») représente le quatrième et dernier secteur émetteur.
Le rapport s’attache, aussi, à observer qu’en Europe, les outils du marché du carbone ne fonctionnent pas. En effet, s’agissant du système d’échanges de quotas d’émissions, constituant le marché du CO2, il n’a, jusqu’ici, que peu touché la compétitivité des entreprises et il n’a pas réussi à faire émerger un prix du carbone à la hauteur des objectifs de réduction des émissions qui lui avaient été fixés. Concernant, l’outil de régulation, captage et stockage du CO2, n’a concrètement pas abouti à des projets rentables, en raison d’un faible soutien et des prix bas du carbone.
En revenant sur les particularités françaises concernant les instruments de la politique notamment centrée sur la transition énergétique, l’étude explique que la multitude de mesures entraine une mauvaise coordination et évaluation. Tant sur le plan d’efficacité que financière. Une situation qui a crée des postulats de rente, voire de véritable « bulles » financières, toujours financées par le contribuable.
Cette mauvaise organisation étatique pose une problématique d’ensemble, en effet, la Cour des Comptes estime que la traduction d’un tel dispositif (PEC) est insuffisamment affirmé dans l’organisation administrative, laquelle doit être rénovée et renforcée.
Autre point soulevé par le rapport de la Cour des Comptes est celui du résultat. L’étude estime que ceux-ci sont concluants mais que les objectifs à 2020 seront difficiles à atteindre. Pour l’horizon 2020, du fait de ce retard, atteindre les objectifs supposerait que l’accroissement de production annuelle d’énergie à réaliser d’ici là soit six fois ce qu’il a été entre 2005 et 2011 pour l’électricité renouvelable et sept fois pour la chaleur renouvelable. Les productions supplémentaires à réaliser dans la plupart des filières sont ainsi, à l’exception de l’hydroélectricité, très importantes. Devant cette situation et au vu de telles tendances, l’atteinte des objectifs globaux pour 2020 en matière d’énergies renouvelables apparaît ainsi difficile.
Le rapport de la Cour des Comptes observe, aussi, un parallèle des politiques menées Outre-Rhin. Il montre que les positions prises par la politique allemande servent de laboratoire à la transition énergétique. L’Allemagne, pionnière dans le développement des EnR connaît une expansion de ses émissions en raison d’un soutien à des énergies fossiles pour faire face à l’intermittence des EnR. La représentation énergétique allemande montre la difficulté à développer le réseau de transport et de distribution qui lui est nécessaire.
Par ailleurs, l’étude de la Cour des Comptes stipule que la mise en œuvre de telles mesures sur la transition énergétique requiert un effort considérable d’investissement et que celui-ci doit s’effectuer sur plusieurs décennies. Un effort qui supposerait une augmentation des investissements dédiés à l’énergie que l’on peut estimer être, selon les différents scénarios retenus, comprise entre 0,5 et 2 points de PIB. Par rapport à la situation actuelle et aux 37 Md€ aujourd’hui consacrés aux investissements énergétiques, il s’ensuivrait un accroissement, variant entre + 30 % et un doublement, dont il faudra trouver le financement.
Parce que l’investissement est colossal, le regard porté vers la transition énergétique, dans lequel s’inscrit bien évidemment le PEC, doit s’étendre à la collectivité et plus précisément aux citoyens afin de rendre beaucoup plus transparent ledébat collectif qui est indispensable et d’ainsi permettre des choix éclairés. Force est de constater que, faute d’instruments aisément mobilisables, tel n’est pas encore le cas, juge la Cour des Comptes.
La Cour des Comptes estime que le PEC, tel qu’il est défini, est mal adapté au regard de la situation française qui dispose d’un mix énergétique parmi les moins carbonés et que de ce fait la politique liée à la transition énergétique s’oriente presqu’exclusivement sur le logement. Hors, précise le rapport, elle devrait se préoccuper des autres secteurs en matière d’efficacité. Ainsi pour la Cour des Comptes, il apparaît donc nécessaire de beaucoup plus organiser l’effort autour des usages de l’énergie, plutôt que de, paradoxalement, le focaliser à l’excès sur celui de sa seule production, d’ores et déjà, en France, peu carbonée. Un effort sur nos modèles de consommation, plus que le système de production, tel est bien, en définitive, ce qu’il conviendrait de modifier, dès lors du moins que l’on est dans une économie relativement peu carbonée et que l’on vise à lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
Pour conclure, la Cour des Comptes termine sur le fait que la France, qui contribue pour 4 % au PIB mondial et pour 1 % aux émissions, ni même l’Europe, avec 25 % du PIB mondial et 8 % des émissions, ne peuvent mener la transition énergétique seules. Une telle mutation ne peut ni s’inventer, ni se conduire sans une implication et une acceptation sociale fortes. Sa définition doit pouvoir reposer sur un débat public informé et transparent.