3,5 millions mal logés ou en errance, c'est maintenant
Un opus qui ne diffère pas des années précédentes, les années passent, et se ressemblent.
Par son 20e rapport sur « L’État du mal-logement en France », qu’elle a rendu public le 3 février, la Fondation Abbé Pierre entend remettre les personnes mal-logées au cœur du débat public, à l’heure où les échecs des politiques du logement révèlent un pays qui peine à se mobiliser pour les plus défavorisés.
Si des dispositions institutionnelles ont été déployées depuis une vingtaine d’années, loi Dalo, SIAO, création du «logement d’abord»... l’exclusion par le logement a atteint une ampleur qui interpelle plus que jamais, en particulier dans un contexte de stigmatisation croissante des personnes en difficultés. Avec la publication de son 20e rapport sur « L’État du mal-logement en France », la Fondation Abbé Pierre mettra notamment en lumière les situations des personnes démunies, confrontées à des (non) réponses des pouvoirs publics qui les entraînent dans un véritable parcours du combattant.
3,5 millions de personnes non ou très mal logées, plus de 5 millions en situation de fragilité à court ou moyen terme dans leur logement... Les problèmes de logement s’expriment sous des formes multiples (sans domicile et absence de logement personnel, mauvaises conditions d'habitat, difficultés pour se maintenir dans son logement...) et à des degrés divers, que la Fondation Abbé Pierre cherche à mettre en lumière dans un état des lieux chiffré.
Pour cela, elle est tributaire des données existantes au niveau national, et regrette qu'aujourd'hui, de nombreuses situations échappent en partie à la connaissance statistique (personnes en « squats », cabanes, camping à l’année, bidonvilles...). Si des pistes d’amélioration importantes ont été formulées par le Conseil national de l'information statistique (CNIS) dans son rapport de juillet 2012 sur « Le mal- logement » , celles-ci doivent à présent donner lieu à des investigations concrètes. La Fondation Abbé Pierre plaide notamment pour que le rythme des enquêtes de l’Insee puisse être intensifié dans le domaine du logement, sachant que 11 ans auront séparé l’enquête Sans-domicile 2001 de celle de 2012 ; et que les premiers résultats de l’enquête Logement de 2013-2014 ne sont pas disponibles à ce jour pour actualiser des données datant de 2006 (voire 2002 en ce qui concerne les hébergés chez des tiers).
3,5 MILLIONS DE PERSONNES NON OU TRÈS MAL LOGÉES
Parmi les 3,5 millions de personnes confrontées à une problématique aigüe de mal-logement, près de 695 000 personnes sont privées de domicile personnel.
Une publication de l’Insee en juillet 2013 indique que 141 500 personnes sont « sans domicile3 » en France métropolitaine au début de l’année 2012, soit une progression de 44 % par rapport à l’enquête de 2001. Parmi elles, on recense 81 000 adultes accompagnés de 30 000 enfants, qui ont utilisé au moins une fois les services d’hébergement ou de restauration dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants, auxquelles s’ajoutent 8 000 sans-domicile dans les communes rurales et petites agglomérations, ainsi que 22 500 personnes en centres d’accueil pour demandeurs d’asile. La Fondation Abbé Pierre y ajoute une partie des personnes accueillies dans les résidences sociales (qui ne font pas partie du panel enquêté par l’Insee), soit celles qui occupent les 19 485 places en résidences sociales ex nihilo4 disponibles à fin 2013.
Parmi les 695 000 personnes souffrant d’une absence de logement figurent également toutes celles qui ont recours à des formes d’habitat extrêmement précaires : baraques de chantier, logements en cours de construction, locaux agricoles aménagés... 85 000 personnes résident dans ces « habitations de fortune » d’après le recensement de la population de 2006, dont les trois quarts vivent dans des constructions provisoires ou des mobil-homes (sans possibilité de mobilité).
Par ailleurs, le recensement de la population a permis d’établir à 38 000 le nombre de personnes vivant à l’année dans des chambres d’hôtel, le plus souvent dans des conditions d’habitat très médiocres (absence de sanitaires, aucune installation permettant de faire la cuisine...).
N’ayant pas les moyens financiers d’accéder à un logement indépendant, de nombreuses autres personnes sont enfin hébergées chez un parent, un ami ou une connaissance. D’après les résultats de l’enquête Logement de 2002 (le module « hébergement » ayant été supprimé de l’ENL 2006), l’Insee indique qu’un « noyau dur » de 79 000 personnes, âgées de 17 à 59 ans, résident chez des ménages avec lesquels elles n’ont aucun lien de parenté direct. Il convient pour la Fondation Abbé Pierre d’ajouter à ce « noyau dur » tous les enfants adultes contraints de revenir chez leurs parents ou grands-parents, faute de pouvoir se loger de façon autonome (soit 282 000 enfants de plus de 25 ans)5 ainsi que les personnes, âgées de 60 ans ou plus, qui sont hébergées chez un tiers suite à une rupture familiale, un deuil, des difficultés financières ou de santé (soit environ 50 000 personnes). Au total, ce sont donc 411 000 personnes qui sont contraintes à l’hébergement chez un tiers, faute de solution de logement adaptée à leurs besoins.
À côté des personnes exclues du logement, le mal-logement renvoie aussi aux mauvaises conditions d’habitat. À partir de l’enquête Logement de 2006, l’Insee estime aujourd’hui, sans doubles comptes, que 2 778 000 personnes vivent dans des logements inconfortables (2,1 millions de personnes) ou surpeuplés (800 000 personnes). Par analogie avec les critères retenus par la loi Dalo, sont alors considérés comme « privés de confort » les logements situés dans des immeubles insalubres, menaçant de tomber en ruine ou ayant au moins deux défauts parmi les suivants : installation de chauffage insuffisante ou mauvaise isolation, infiltrations d’eau, électricité non conforme, absence d’installation sanitaire ou de coin cuisine. Le surpeuplement « accentué » renvoie pour sa part aux logements auxquels il manque au moins deux pièces par rapport à la norme de « peuplement normal »6. L’identification des doubles comptes par l’Insee permet désormais de mettre en lumière les situations de personnes confrontées à un cumul de difficultés : en 2006, 28 000 ménages (soit 145 000 personnes) vivent ainsi dans des logements qui sont à la fois inconfortables et surpeuplés. Enfin, de nombreuses familles de Gens du voyage figurent également parmi les victimes du mal-logement, lorsqu’elles disposent de revenus modestes et rencontrent alors des difficultés importantes pour s’arrêter temporairement ou s’installer durablement sur un territoire. Dans le cadre des schémas départementaux, 38 794 places en aires d’accueil doivent être financées par les communes, mais 12 908 places manquaient toujours à l’appel fin 2013, ce qui se traduit par des situations d’extrême précarité pour toutes les familles qui ne peuvent accéder à une aire et à des conditions de vie décentes, soit environ 51 600 personnes.
PLUS DE 5 MILLIONS DE PERSONNES SONT FRAGILISÉES PAR RAPPORT AU LOGEMENT
Derrière les formes les plus graves de mal-logement et d’exclusion du logement, se cachent de nombreuses autres situations de réelle fragilité, auxquelles sont confrontées plus de 5 millions de personnes.
Il en est ainsi des ménages qui, bien que propriétaires, se retrouvent fragilisés dans des copropriétés en difficulté. D’après une exploitation de l’enquête Logement de 2006 réalisée par la Fondation Abbé Pierre, environ 730 000 personnes sont confrontées à un très mauvais fonctionnement de leur copropriété, à un défaut d’entretien ou à des impayés importants et nombreux. Notons que cette estimation ne concerne que les copropriétaires occupants (c’est-à-dire à peine plus de la moitié des ménages en copropriété) et que d’autres données ont été récemment publiées par l’Anah portant sur plus d’un million de logements en copropriétés potentiellement fragiles, que nous n’avons pas pu retenir ici sans risques de recoupements avec d’autres catégories.
Par ailleurs, de nombreux locataires sont fragilisés par l’augmentation des coûts du logement : d’après l’enquête Logement, 1 252 000 personnes étaient en impayés locatifs en 2006. Un chiffre bien antérieur à la crise économique, survenue en 2008-2009, et dont on peut craindre aujourd’hui qu’il ne soit plus inquiétant encore.
Sans qu’elles ne relèvent d’une forme aigüe de mal-logement, de nombreuses situations de surpeuplement et d’hébergement chez des tiers retiennent par ailleurs notre attention et renvoient à des problématiques massives. C’est ainsi le cas des 3,2 millions de personnes en situation de surpeuplement « au sens large » (c’est-à-dire qui vivent dans des logements où il manque une pièce par rapport à la norme de « peuplement normal » au sens de l’Insee — hors surpeuplement « accentué »).
C’est le cas également des hébergés chez des tiers : au-delà des personnes en hébergement « contraint » (tel que défini par l'Insee soit 282 000 jeunes de plus de 25 ans, comptabilisés ci-dessus parmi les 3,5 millions de mal-logés), apparaît un cercle plus large de personnes hébergées, soit quelque 240 000 enfants de 18 ans ou plus qui ont dû retourner vivre chez leurs parents ou grands-parents, faute de ressources suffisantes pour accéder à un logement autonome, se retrouvant en quelque sorte « résignés » par rapport à leur statut d’hébergé.
À partir de ces différentes données, il apparaît aujourd’hui qu’au total 8 millions de personnes sont en situation de mal-logement ou de fragilité dans leur logement (hors doubles comptes). Sachant que parmi ces 2 millions de personnes, 1 million sont concernées par un cumul de difficultés.
AU TOTAL, 10 MILLIONS DE PERSONNES SONT TOUCHÉES PAR LA CRISE DU LOGEMENT
De nombreuses autres situations de fragilité existent, mais ne peuvent être comptabilisées ici (risques de recoupements, chiffres concernant tantôt des ménages, tantôt des personnes...). Les données suivantes constituent cependant d’importants signaux d’alertes, que l’on ne peut ignorer :
> près d’1,1 million de logements en copropriétés fragiles classés en « catégorie D », soit la catégorie au plus fort potentiel de fragilité, d’après une étude de l’Anah réalisée en décembre 2012 par le CETE Nord-Picardie ;
> 5,1 millions de ménages en situation de précarité énergétique, d’après le premier rapport de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) en 2014,
> 70 000 propriétaires et accédants en situation d’impayé pour le remboursement de leur emprunt immobilier ou le paiement de leurs charges, d’après l’ENL 2006 ;
> 91 180 ménages ont occupé un logement sans droit ni titre dans leur logement suite à une décision de justice d’expulsion, d’après un calcul de la Fondation Abbé Pierre à partir des données du ministère de l’Intérieur entre 2009 et 2011 (dernières données disponibles),
> Sans oublier que près de 1,8 million de ménages étaient en attente d’une réponse à leur demande de logement social au 1er juillet 2014, d’après les données du Système national d’enregistrement.
Au vu de ces chiffres, la Fondation Abbé Pierre estime que le total de 8 millions de mal-logés et de personnes fragiles est un minimum. Et que ce sont sans doute plus de 10 millions de personnes qui subissent en réalité les conséquences de la crise du logement aujourd’hui (production de logements insuffisante et inaccessible aux plus modestes, flambée des coûts du logement et des charges, blocage de la mobilité résidentielle...).
Si les progrès réalisés par la statistique publique contribuent aujourd’hui à une meilleure « objectivation » des effets de la crise du logement sur les ménages, la Fondation Abbé Pierre continue de signaler les importantes zones d’ombre et la trop faible actualisation des données qui entravent aujourd’hui la connaissance du mal-logement, de son ampleur et de ses évolutions.
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