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Secrets d’ébène au Château de Fontainebleau

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Secrets d’ébène au Château de Fontainebleau

Secrets d’ébène au Château de Fontainebleau

Une exposition du 18 octobre 2014 au 26 janvier 2015. Le cabinet dit de l’Odyssée est un meuble célèbre des collections du château de Fontainebleau, où il orne les Grands Appartements depuis le Second Empire. Il constitue un témoignage précieux des débuts de l’ébénisterie en France dans la première moitié du xviie siècle. Le temps d’une exposition, ce somptueux cabinet, meuble de prestige et d’apparat à l’ornementation foisonnante, ouvre ses portes pour dévoiler ses tiroirs secrets et une riche iconographie reposant sur les figures d’Ulysse et d’Alexandre le Grand.

Un ensemble d’œuvres réunies autour du cabinet, ainsi qu’un dispositif multi- média, permettent d’éclairer de manière inédite la lecture de ce véritable roman sculpté dans l’ébène. La sculpture des tiroirs intérieurs s’inspire des scènes de l’Odyssée que Primatice avait conçues au milieu du xvie siècle pour la galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau, et que le Flamand Theodoor Van Thulden a gravées en 1633. Outre cet ensemble de gravures, deux peintures attribuées à l’artiste bolonais Ruggiero de’ Ruggieri, exceptionnellement réunies dans l’exposition, évoquent le somptueux décor de cette galerie détruite sous le règne de Louis XV. Des épisodes tirés de l’histoire mythique d’Alexandre héritée des récits médiévaux, récemment identifiés au sein de séries gravées à Anvers à la fin du xvie siècle, couvrent quant à eux les vantaux exté- rieurs et les côtés du meuble, faisant subtilement écho aux aventures d’Ulysse.

L’exposition nous convie à un voyage étonnant au cœur d’un meuble et sur les pas d’Ulysse et d’Alexandre.

Cabinet dit de l’Odyssée, xviie siècle © RMN-GP / Adrien Didierjean

Cabinet dit de l’Odyssée, xviie siècle © RMN-GP / Adrien Didierjean

Qu’est-ce qu’un cabinet d’ébène ?

« Cabinet. Espèce de buffet où il y a plusieurs volets & tiroirs, pour y enfermer les choses les plus précieuses, ou pour servir d’ornement dans une chambre, dans une galerie» (Furetière, Dictionnaire, 1690). Le cabinet, meuble d’apparat qui fait son apparition à la Renaissance et peut revêtir diverses formes, connaît un succès extraordinaire en France dans la première moitié du xviie siècle sous un type bien particulier : le cabinet d’ébène.

Cette époque est en effet marquée par les débuts florissants de la technique de l’ébénisterie, ou placage d’ébène, importée à Paris par des artisans flamands ou issus des pays germaniques. Cette technique qui met à l’honneur l’ébène, bois exotique sombre et dense, que Portugais et Hollandais font alors venir en quantité de Madagascar et de l’île Maurice, permet des résultats spectaculaires, grâce au placage de fines plaques de ce bois précieux, sculptées ou gravées, sur une structure en bois européen. Face à la vogue de ce type de meubles, des exemplaires moins coûteux sont réalisés en bois fruitier noirci, à l’imitation de l’ébène.

Le cabinet d’ébène à la française, emblématique du « style Louis XIII », est un meuble de grandes dimensions (deux mètres de haut), constitué d’une partie supérieure fermée de grands vantaux reposant sur un piètement à colonnes. L’ouverture du meuble révèle des surprises : tiroirs cachés, petits vantaux et un « caisson » central, pouvant prendre la forme d’un théâtre miniature et coloré, contrastant fortement avec l’austérité de l’ébène.

Le cabinet de l’Odyssée, qui appartient à la troisième phase stylistique de production de ces meubles, dite « phase architecturale », et peut être daté de 1645 environ, est l’un des plus beaux exemplaires conservés au monde. À ce titre, il fait partie des chefs-d’œuvre du château de Fontainebleau. On ne connaît avec certitude ni son commanditaire, ni l’ébéniste qui l’a réalisé, même si on peut le rapprocher des meubles attribués par certains spécialistes au jeune Pierre Gole, célèbre ébéniste de Louis XIV, comme le cabinet d’ébène du musée du Louvre ou celui du château de Serrant.

Cabinet dit de l’Odyssée, xviie siècle © RMN-GP / Adrien Didierjean

Cabinet dit de l’Odyssée, xviie siècle © RMN-GP / Adrien Didierjean

D’Ulysse à Alexandre : une iconographie unique

Les cabinets d’ébène du xviie siècle présentent un riche décor ornemental sculpté (rinceaux, angelots, cartouches...), des moulures ondées d’origine germanique, ainsi que des éléments évoquant le style auriculaire (du latin auricula, oreille) en vogue à cette époque aux Pays-Bas, caractérisé par des formes molles et organiques. D’autres ornements plus naturalistes sont gravés dans l’ébène, comme des fleurs (la mode est alors à la tulipe qui suscite une véritable folie) ou des paysages nordiques. Enfin, des bas-reliefs à sujets historiques, mythologiques ou religieux, constituent sur les plus beaux cabinets de véritables « romans d’ébène » en plusieurs épisodes, sculptés d’après le modèle de gravures contemporaines.

Le décor ornemental du cabinet de l’Odyssée est particulièrement riche et raffiné : on ne dénombre par exemple pas moins de trente paysages miniatures gravés dans l’ébène et de nombreux motifs floraux. Les bas-reliefs, sculptés avec une habileté extraordinaire, présentent une iconographie unique et d’une grande cohérence. L’intérieur du meuble, une fois les grands vantaux ouverts, est en effet consacré à des épisodes de l’histoire d’Ulysse, d’après un recueil célèbre de gravures de Theodoor Van Thulden (Les travaux d’Ulysse, 1633), reprenant les compositions de Primatice dans la Galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau, aujourd’hui disparue, d’où la dénomination de « cabinet de l’Odyssée ».

Le sujet des bas-reliefs se déployant sur l’extérieur du meuble, séparés les uns des autres par des figures de Vertus en haut relief (Prudence, Justice, Force), était quant à lui resté longtemps mystérieux, en dépit de la célébrité du meuble. Des recherches récentes ont permis d’identifier les gravures ayant inspiré ces huit scènes sculptées dans l’ébène : il s’agit d’épisodes de l’histoire mythique d’Alexandre le Grand, dans la tradition du Roman d’Alexandre médiéval, d’après Martin de Vos, Jan Snellinck, et Antonio Tempesta. Cette double iconographie savamment orchestrée met donc en scène Alexandre le Grand (à l’extérieur du meuble) cachant l’histoire d’Ulysse (à l’intérieur), allusion possible à l’admiration légendaire du conquérant macédonien pour les œuvres d’Homère, voire allégorie du pouvoir protégeant les arts.

 « Ulysse et les Sirènes », vantail de cabinet, placage d’ébène, musée national de la Renaissance, château d’Ecouen ©René Gabriel Ojéda

« Ulysse et les Sirènes », vantail de cabinet, placage d’ébène, musée national de la Renaissance, château d’Ecouen ©René Gabriel Ojéda

Sur les traces d’un meuble d’exception

Le cabinet de l’Odyssée arrive au château de Fontainebleau en 1861, à une époque où de nombreux changements d’ameublement interviennent, afin de créer des ensembles s’harmonisant avec les décors anciens et répondant aux usages et aux goûts du Second Empire. Prévu pour orner le «salon desAides de camp» de l’appartement Louis XIII (au sein du double appartement dit du Pape), il a finalement été placé en pendant d’un autre cabinet d’ébène dans le salon François Ier, ancienne chambre de la reine au xvie siècle, donnant sur la Cour Ovale.

Au moment de son envoi à Fontainebleau, le cabinet de l’Odyssée provenait du Ministère d’État au Palais du Louvre, où il ornait le cabinet de travail du Ministre. Précédemment, il avait figuré dans l’appartement du duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, situé dans le Pavillon de Marsan aux Tuileries, ainsi que nous l’apprend l’inventaire de ce palais (1833). Le duc d’Orléans, grand amateur de mobilier ancien et moderne, avait un goût particulier pour l’ébène et le bois laqué, et le cabinet de l’Odyssée constituait le principal ornement de son antichambre.

C’est sous le régime précédent, en 1826, que le meuble avait été acheté, auprès de membres d’une famille noble de Normandie (de Blesbourg et de Nollent),à la suite d’un héritage (marquise de Lisle). À ce jour, les données généalogiques ne permettent pas remonter avec certitude cette piste de provenance. C’est le cas pour nombre de cabinets d’ébène qui ont refait surface après la Révolution française, à la suite d’une longue période où ils étaient passés de mode.

Les restaurations-transformations pratiquées dans bien des cas au xixe siècle incitent en outre à la prudence quant à l’interprétation des fleurs de lys bien visibles sur la marqueterie des petits vantaux du cabinet de l’Odyssée, qui pourraient avoir été rapportées à cette époque. Néanmoins, la présence répétée du motif sur l’ébène, le choix de l’iconographie des bas-reliefs, la représentation de la déesse Junon dans le caisson du meuble (évocation classique d’Anne d’Autriche à l’époque de la Régence), comme la très grande qualité de réalisation du meuble, orientent vers un commandi- taire prestigieux, dans l’entourage royal.

De la gravure à l’ébène : l’odyssée en images

Les bas-reliefs sculptés dans l’ébène ornant les cabinets français du xviie siècle sont tou- jours inspirés de gravures: le cabinet de l’Odyssée ne déroge pas à la règle. Le modèle direct des scènes ornant les dix tiroirs et les deux petits vantaux du meuble a été tiré du recueil de Theodoor Van Thulden intitulé Les Travaux d’Ulysse, publié pour la première fois en 1633, sous la forme de cinquante-huit eaux-fortes accompagnées de courtes « moralités ». Il s’agit d’un reflet fidèle des compositions de Primatice ornant les parois de la galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau, que Van Thulden, peintre du cercle de Rubens, avait copiées directement, plus d’un demi-siècle après leur achèvement. L’ébéniste a retenu dans cet ouvrage treize gravures pour recomposer un ensemble cohérent: les dix tiroirs retracent des épisodes célèbres du long périple d’Ulysse comme l’île des Cyclopes, les envoûtements de Circé, de Calypso ou des Sirènes, tandis que les deux petits vantaux centraux illustrent le retour du héros auprès de sa fidèle épouse Pénélope. La composition des gravures est en très grande partie respectée sur l’ébène, avec des adaptations judicieuses pour épouser le format allongé des tiroirs, et des simplifications visant à rendre le tout lisible. Les effets de profondeur et de matière témoignent de la très grande virtuosité du sculpteur.

L’exposition présente un exemplaire des Travaux d’Ulysse, en regard d’une des plaques de cuivre ayant servi à la réalisation des eaux-fortes. Sont également exposées les treize gravures choisies par l’ébéniste pour ses compositions.

8. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse chez Calypso » © RMN-GP / Adrien Didierjean 9. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse reçoit d’Eole l’outre des vents » © RMN-GP / Adrien Didierjean 10. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse dans l’île des Cyclopes » © RMN-GP / Adrien Didierjean 11. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Retrouvailles d’Ulysse et de Pénélope » © RMN-GP / Adrien Didierjean

8. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse chez Calypso » © RMN-GP / Adrien Didierjean 9. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse reçoit d’Eole l’outre des vents » © RMN-GP / Adrien Didierjean 10. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Ulysse dans l’île des Cyclopes » © RMN-GP / Adrien Didierjean 11. Théodoor Van Thulden (1606-1669), « Les travaux d’Ulysse », Paris, éd. Par François Langlois, 1640, « Retrouvailles d’Ulysse et de Pénélope » © RMN-GP / Adrien Didierjean

La galerie d’Ulysse : un chef-d’œuvre disparu

Le cabinet de l’Odyssée, avec ses tiroirs sculptés, constitue un témoignage précieux de la galerie d’Ulysse, un des décors les plus célèbres du château de Fontainebleau, admiré par de nombreux artistes comme Poussin. Située dans l’aile fermant au sud la «grande Basse-Cour» (actuelle cour d’Honneur), cette galerie voûtée, longue de 155 mètres, menant au jardin et à la grotte des Pins, vit son décor confié à Primatice, l’artiste bolonais qui régnait en maître sur Fontainebleau depuis la mort de Rosso en 1540, et réalisé par Nicolò dell’Abate sur les dessins du maître jusqu’en 1570. L’ensemble fut détruit en 1739 pour permettre l’édification à cet emplacement de l’aile neuve dite « Louis XV », destinée à abriter de nouveaux appartements.

Le programme iconographique, complexe et très probablement remanié en cours d’exécution, était consacré pour les parois à l’Odyssée, texte d’Homère très en vogue dans les années 1540 à la cour de François Ier. Primatice l’illustra à travers cinquante-huit grandes scènes peintes à fresque, consacrées aux pérégrinations d’Ulysse sur le mur sud, côté jardin, et au retour à Ithaque sur le mur nord, côté cour.

Les deux tableaux présentés dans l’exposition sont des copies anciennes et fidèles de fresques du mur nord, dues à Ruggiero de’ Ruggieri, peintre bolonais présent à Fontainebleau à partir de 1556, trait d’union entre la première et la seconde école de Fontainebleau. Elles correspondent à deux scènes reprises sur les tiroirs du cabinet de l’Odyssée, et permettent de suivre le travail de transformation de compositions célèbres, de la fresque à l’ébène par l’intermédiaire de la gravure.

Une iconographie retrouvée : les aventures mythiques d’Alexandre le Grand

Des recherches récentes parmi les riches fonds d’estampes de la Bibliothèque nationale de France ont permis d’identifier les modèles gravés des bas-reliefs ornant l’extérieur du cabinet de l’Odyssée, quatre scènes principales accompagnées de quatre cartouches au registre inférieur, répartis sur les grands vantaux et les petits côtés du meuble. Il s’agit pour l’essentiel d’une série de six estampes consacrée à l’Histoire d’Alexandre le Grand d’après les artistes anversois Martin de Vos (pour la première) et Jan Snellinck (pour les cinq suivantes), série publiée à Anvers vers 1586, ainsi que d’une septième estampe d’après le florentin Antonio Tempesta issue d’une série plus tardive, également publiée à Anvers (1608), et plus largement diffusée. L’ébéniste a largement retravaillé l’ensemble des compositions pour créer des parallélismes, des échos, tout en restant fidèle à l’esprit de la série de gravures. Il n’a pas hésité à redessiner partiellement certaines scènes pour les insérer avec élégance et lisibilité dans les cartouches aux riches encadrements moulurés. Le choix de ces estampes montrant des épisodes issus de la légende médiévale d’Alexandre enrichie au fil des siècles peut paraître archaïsant, alors qu’une vision plus héroïque de la vie du souverain macédonien prévaut depuis la Renaissance. Il met cependant au même niveau le récit mythologique d’Ulysse, et celui des aventures mythiques d’Alexandre, et donne une cohérence iconographique remarquable au cabinet de l’Odyssée.

 Ruggiero de’ Ruggieri ( ?-1596-97), « Ulysse et les Sirènes » © droits réservés

Ruggiero de’ Ruggieri ( ?-1596-97), « Ulysse et les Sirènes » © droits réservés

Renseignements pratiques

Jours et horaires d’ouverture du château de Fontainebleau Du 18 octobre 2014 au 26 janvier 2015, l’exposition est ouverte tous les jours, sauf les mardis, le 25 décembre et le 1er janvier, de 9h30 à 17h Dernier accès château 15h45

Tarifs

Droit d’entrée pour le circuit principal (musée Napoléon ier, appartement du Pape, Grands Appartements et appartement intérieur de Napoléon ier) et exposition : 11 € Tarif réduit : 9 €

Plus de renseignements Tél. 01 60 71 50 60 / 70 www.chateaudefontainebleau.fr

Accès

Par la route : porte d’Orléans, porte d’Italie, A6 sortie Fontainebleau SNCF : Gare de Lyon (grandes lignes), station Fontainebleau-Avon puis Bus ligne 1 direction Les Lilas, arrêt

La Poste / Château

Le week-end et pendant les vacances, le dézonage du pass navigo permet aux détenteurs d’un abonnement de se rendre en train à Fontainebleau et d’y prendre le bus sans supplément.

Le château de Fontainebleau et son domaine sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. L’inscription sur cette liste consacre la valeur universelle et exceptionnelle d’un bien culturel ou naturel afin qu’il soit protégé au bénéfice de l’humanite


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