Du gros vent s’annonce sur l’arrêté tarifaire de l’éolien français…
Dans un communiqué paru le 19 décembre, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt cinglant dans lequel elle remet en cause le dispositif de soutien à la filière éolienne qui selon la Cour, il est une aide d'État.
La Cour de justice européenne rappelant que le droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour de justice, une mesure constitue une « aide d’État » si quatre conditions cumulatives sont réunies :
-) il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ;
-) cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ;
-) elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire et,
-) elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence.
En l’espèce, la législation française prévoit que ceux qui produisent, sur le territoire national, de l’électricité d’origine éolienne bénéficient d’une obligation d’achat de l’électricité ainsi produite. Les débiteurs de cette obligation d’achat sont les distributeurs exploitant le réseau auquel est raccordée l’installation, à savoir Électricité de France («EDF») et les distributeurs non nationalisés, contraints d’acheter l’électricité mentionnée à un prix supérieur à celui du marché. Par conséquent, ce mode de financement engendre des surcoûts pour les distributeurs d’électricité.
Auparavant, les surcoûts résultant de l’obligation d’achat faisaient l’objet d’une compensation par un fonds de service public de production d’électricité, géré par la Caisse des dépôts et des consignations (« CDC ») et alimenté par des contributions dues par les producteurs, fournisseurs et distributeurs mentionnés dans la loi1. La législation nationale ayant été modifiée2, elle prévoit désormais que les surcoûts découlant de l’obligation d’achat font l’objet d’une compensation intégrale, financée par des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité, installés sur le territoire national.
L’association Vent De Colère ! Fédération nationale et onze autres requérants ont saisi le Conseil d’État (France), considérant que le mécanisme de financement de l’achat de l’électricité produite par éolienne, mis en place par la législation française modifiée, constitue une aide d’État au sens du droit de l’Union. Ils demandent par conséquent, devant la juridiction nationale, l’annulation de la réglementation ministérielle de 2008 fixant les conditions d’achat de l’électricité éolienne3.
Selon le Conseil d’État, l’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché constitue un avantage susceptible d’affecter les échanges entre États membres et d’avoir une incidence sur la concurrence. Il demande à la Cour si le nouveau mécanisme de financement mis en place par la législation française doit être considéré comme une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État.
Dans son arrêt rendu le 19 décembre, la Cour répond que le nouveau mécanisme de compensation intégrale des surcoûts imposés à des entreprises en raison d’une obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché, dont le financement est supporté par tous les consommateurs finals de l’électricité constitue une intervention au moyen de ressources d’État. La qualification définitive de cette mesure en tant qu’ « aide d’État » incombera au Conseil d’État.
La Cour rappelle que, des avantages sont qualifiés d’aides au sens du traité4, si d’une part, ils ont été accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, et d’autre part, s’ils sont imputables à l’État.
Elle constate, en premier lieu, que le nouveau mécanisme de compensation est imputable à l’État français. En effet, les autorités publiques françaises doivent être considérées comme ayant été impliquées dans l’adoption du mécanisme en cause, celui-ci ayant été institué par voie législative.
En second lieu, le nouveau mécanisme de compensation constitue un avantage accordé au moyen de ressources d’État.
La Cour souligne qu’un avantage, bien que ne comportant pas de transfert de ressources d’État, peut être qualifié d’aide d’État, s’il est accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d’État. En effet, la notion d’« intervention au moyen de ressources d’État » vise à inclure, outre les avantages accordés directement par l’État, ceux accordés également par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné par cet État en vue de gérer l’aide.
En l’espèce, s’agissant de la nature étatique des ressources, la Cour relève que les sommes visant à compenser les surcoûts résultant de l’obligation d’achat pesant sur les entreprises sont collectées auprès de l’ensemble des consommateurs finals d’électricité sur le territoire français et confiées à un organisme public, la CDC.
En outre, le montant de la contribution pesant sur chaque consommateur final d’électricité est fixé annuellement par arrêté ministériel. Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation nationale, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme ressources d’État.
S’agissant du contrôle exercé par la CDC, la Cour relève que les fonds transitent par la CDC, celle-ci centralisant les sommes collectées sur un compte spécifique avant de les reverser aux opérateurs concernés, intervenant ainsi en tant qu’intermédiaire dans la gestion de ces fonds. À cet égard, elle est expressément mandatée par l’État français, en tant que personne morale de droit public, pour assurer des prestations de gestion administrative, financière et comptable pour le compte de la Commission de régulation de l’énergie (autorité administrative indépendante chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’électricité et du gaz en France).
Partant, les montants gérés par la CDC doivent être considérés comme demeurant sous contrôle public6, à la disposition donc des autorités françaises.
Enfin, la Cour rejette la demande de la France de limiter dans le temps (au futur) les effets de son arrêt rendu ce jour.
Cet arrêt de la Cour de justice européenne pourrait donc avoir des conséquences importantes sur la filière.
Alors que dans le même temps, le ministère de l'écologie a ouvert une consultation générale sur les mécanismes de soutien aux EnR.
A cet égard, les professionnels ont vivement réagi. Les réactions s’attèlent sur une question de pure forme car le niveau même du tarif d’achat n’est pas remis en question. Au contraire, il est réputé juste par nombre d’observateurs. Mais cette question de forme est pourtant dangereuse pour la profession si elle n’est pas réglée car elle pourrait entraîner l’annulation de l’arrêté tarifaire et donc la disparition momentanée du tarif d’achat. Le gouvernement a, pour sécuriser la filière, notifié formellement en octobre 2013 le tarif éolien à la Commission européenne, procédure indispensable qui avait été omise en 2008. FEE appelle la Commission Européenne à rendre sa décision sans tarder.
C’est sur la base de cette décision que le Gouvernement Français pourra engager les procédures nationales nécessaires pour prendre un nouvel arrêté tarifaire, seul à même de rassurer les investisseurs.
Les professionnels de la filière réaffirment l’urgence de la décision. L’incertitude est délétère. A titre d’exemple, en mai 2012, la décision du Conseil d’Etat de poser une question à la CJUE avait provoqué le gel du secteur. Un redémarrage a ensuite eu lieu grâce au nouveau modèle de contrat négocié avec EDF, avec la signature de 870 MW de nouveaux contrats en 6 mois. Mais la profession reste inquiète et risque une nouvelle paralysie.
« La décision de la Cour de Justice de l’Union européenne déclenche le compte à rebours. La décision du Conseil d’Etat ne devrait pas arriver avant deux ou trois mois, la Commission européenne et le Gouvernement doivent utiliser ce délai pour sécuriser la filière, explique Frédéric Lanoë, Président de France Energie Eolienne. Les 11 000 employés de l’éolien français retiennent leur souffle. »
Jean-Louis BAL et Jean-Baptiste SEJOURNE, respectivement Président et vice-Président du SER déclarent : « alors que la filière vit une période extrêmement difficile qui se traduit par un net décrochage par rapport à la trajectoire de développement nécessaire à la transition énergétique, cette décision est de nature à générer un chaos économique si le Conseil d’Etat devait annuler rétroactivement l’arrêté attaqué».
Quant à l’association anti-éolienne ‘’Vent de Colère’’, elle va désormais réclamer à l’exécutif européen une enquête afin que soient déterminés et remboursés les bénéfices excessifs captés par les investisseurs éoliens en France. "Ce qui a été présenté depuis 2001 comme une incitation au développement des énergies renouvelables est en réalité une aubaine financière fonctionnant à guichet ouvert aux frais des consommateurs", s'indigne la fédération qui indique combattre aux côtés de plus de 900 associations locales.