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Quel gouvernance concernant le rétablissement maritime du Mont Saint-Michel pour mettre fin au "tourisme de cueillette"

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Quel gouvernance concernant le rétablissement maritime du Mont Saint-Michel pour mettre fin au "tourisme de cueillette"

2ème volet du rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, à l’Inspection générale de l’administration, à l’Inspection générale des affaires culturelles et à l’Inspection générale des finances sur une mission d’appui aux services de l’État ainsi qu’au syndicat mixte chargés du projet de rétablissement du caractère maritime du Mont Saint-Michel, missionnée par le ministère de l’égalité des territoires et du logement ainsi que le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, le ministère de la culture et de la communication et le ministère délégué au budget, en février 2013.

Conformément à la lettre de mission, un premier rapport a été rendu en octobre 2013 portant sur le bouclage financier du projet, sur l’équilibre de la délégation de service public relative au stationnement et au transport des visiteurs et sur les mesures à prendre pour mettre la comptabilité du syndicat mixte en conformité avec les recommandations de la chambre régionale des comptes. Le rapport relevait en particulier la fragilité juridique de la délégation de service public.

Ce second rapport porte sur « la question de la gouvernance la plus appropriée pour l’après- 2015 » (date de la fin des travaux du rétablissement du caractère maritime - RCM) selon les termes de la lettre des ministres, qui assigne à la mission « l’objectif (...) de permettre à chacun des acteurs concernés de disposer d’une feuille de route et d’un mode opératoire pour la période postérieure à l’année 2015 ».

Le rétablissement du caractère maritime du Mont Saint-Michel constitue une grande réussite, tant sur le plan technique qu’esthétique. Toutefois, la fin des travaux va mettre en pleine lumière un certain nombre de difficultés ou de faiblesses inhérentes au Mont Saint- Michel, qui existent déjà mais que l’importance de l’enjeu technique et la mobilisation des acteurs en faveur de ce grand projet avaient jusqu’à présent reléguées au second plan. La mission s’est attachée à en faire l’inventaire.

En premier lieu, la mission a relevé un manque patent de vision stratégique, sur le plan touristique, culturel, économique, pour ce lieu emblématique, de renommée internationale, qu’est le Mont Saint-Michel. En effet, tout se passe comme si la réussite du projet technique, d’une part, la rente de situation que créent les 2,5 à 3 millions de visiteurs annuels, d’autre part, dispensaient d’une réflexion sur la mise en valeur du Mont Saint-Michel. Or, non seulement cette réflexion n’a jamais eu lieu mais la mission a mis en évidence la prééminence constante des intérêts commerciaux sur toute vision culturelle et touristique d’envergure. Les tribulations dans le choix du lieu de départ des navettes permettant l’accès au Mont en constituent, d’ailleurs, l’exemple le plus marquant – mais non le seul – dans ce lieu où les conflits d’intérêt sont récurrents.

Or, la rente de situation dont jouit le Mont Saint-Michel n’est pas acquise comme le montre la baisse de 9 % de la fréquentation de l’abbaye depuis 2011 (alors que, dans le même temps, la fréquentation de sites touristiques majeurs comme Chambord diminue à peine et que celle du château et du domaine de Versailles augmente sensiblement).

En deuxième lieu, la mission fait le même constat que l’UNESCO en 2011 : le Mont Saint- Michel est « un labyrinthe d’organisations responsables », tant sont nombreux les acteurs qui interviennent sur le site. On peut citer notamment :

* le syndicat mixte de la baie du Mont-Saint Michel, responsable des travaux au titre du RCM, de leur gestion et de leur entretien ;

* les collectivités locales qui interviennent chacune dans le cadre de leurs compétences de droit commun, certaines d’entre elles venant à se chevaucher : ainsi, en matière de tourisme, interviennent les régions de Basse-Normandie et de Bretagne, les départements de la Manche et de l’Ille-et-Vilaine et de nombreuses communes ou regroupement de communes comme la nouvelle communauté de communes d’Avranches-Mont Saint-Michel ;

* les services de l’État, au niveau national (quatre ministères sont principalement concernés : le ministère de la culture et de la communication (MCC), le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE), le ministère de l’intérieur, celui chargé du tourisme) et au niveau déconcentré ;

* les deux opérateurs que sont le centre des monuments nationaux (CMN) et le conservatoire du littoral.

Ce qui est vrai aujourd’hui du projet RCM le sera ensuite pour tout projet volontariste de mise en valeur du site sur le plan culturel, environnemental et touristique : aucun acteur ne peut porter l’intégralité du projet mais chacun est en mesure de l’influencer, directement ou indirectement. Quant aux instances de coordination comme la DATAR ou le préfet de Basse- Normandie, nommé « préfet coordonnateur », elles ne peuvent jouer un rôle véritablement moteur.

En troisième lieu, la mission relève qu’à la multiplicité des acteurs correspondent la multiplicité et l’enchevêtrement des procédures, notamment en matière de protection. On peut citer en particulier : la protection au titre des monuments historiques et des monuments classés (loi de 1913) ; la protection au titre des sites classés (loi de 1930) ; la protection du littoral (loi de 1986); les espaces protégés par différentes dispositions des codes de l’urbanisme et de l’environnement (sites Natura 2000, sites d’intérêt communautaire(SIC), zones de protection spéciale (ZPS), etc.). Last but not least, le Mont Saint-Michel est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et cette organisation joue un rôle essentiel dans la protection du site comme l’a montré l’affaire des éoliennes en 2010.

Il convient de noter que la complexité qui en résulte n’est l’effet que de dispositifs de droit commun, applicables sur tout le territoire national: en effet, aucune organisation administrative spécifique ni aucun outil juridique spécial n’ont jamais été mis en œuvre. Mais leur accumulation sur un même territoire est exceptionnelle, voire unique.

La multiplicité des intervenants et décideurs potentiels -collectivités locales, État, opérateurs de l’État-conjuguée à la complexité des procédures et à leur enchevêtrement, pour ne pas dire leur chevauchement, qui relèvent pour l’essentiel des ministères en charge de la culture et de l’environnement, lesquels peinent à se coordonner, conduisent à de graves blocages voire, parfois, à la paralysie - et ce d’autant plus que l’État apparaît aujourd’hui en retrait et que les collectivités locales concernées ont des points de vue souvent très différents voire opposés. On peut citer trois exemples principaux de blocage :

* alors que depuis 1978 les États ont l’obligation de doter leurs biens inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO d’un « plan de gestion » garantissant la préservation de la valeur universelle du bien et sa mise en valeur, celui du Mont Saint-Michel n’existait toujours pas en 2012 et le document remis en février 2013 était davantage un projet qu’un plan de gestion achevé ;

* il existe actuellement trois zones de protection juridiquement distinctes dont les périmètres ne coïncident pas et dont l’instruction (pour les deux dernières) n’est pas terminée : la zone d’exclusion des éoliennes et l’aire d’influence paysagère ; le périmètre de protection modifié ; la zone classée au titre de la loi de 1930 ;

* la charte d’aménagement du lieu-dit La Caserne, en raison de la multiplicité des acteurs aux intérêts divergents, est bloquée depuis deux ans. Or, c’est un dossier majeur pour la gestion du site, la qualité architecturale et paysagère de ce lieu, porte d’entrée du Mont Saint-Michel, étant indigne d’un site empreint d’une haute spiritualité, classé au patrimoine mondial et qui accueille entre 2,5 et 3 millions de visiteurs par an.

Dans ces conditions, la mission ne peut que faire sienne les remarques d’un rapport de l’UNESCO qui, en 2005, notait « les points faibles de gestion du site : le problème de coordination (...) et de mise en cohérence de nombreuses politiques de gestion de l’espace, l’absence d’un gestionnaire unique (...) ainsi que le problème de la gestion des flux touristiques ». En conséquence, elle formule les propositions suivantes :

1. La mission suggère tout d’abord de mettre fin au « tourisme de cueillette », dont l’absence d’ambition autre que purement commerciale est culturellement inadmissible et économiquement dangereuse, pour lui substituer un projet ambitieux, à l’échelle de la renommée internationale du site et de son classement au patrimoine mondial, reposant sur une vision partagée des différents acteurs. Ce projet, qui devra associer étroitement patrimoine et environnement, jouera un rôle moteur dans le développement économique des régions concernées en intégrant le Mont Saint-Michel, La Caserne et la baie dans une vision globalisée. Pour ce faire, il conviendra notamment de définir une véritable stratégie touristique dont l’objectif devrait être de donner à l’accueil des touristes le caractère d’exemplarité que la qualité architecturale et environnementale du site, son histoire et sa renommée internationale, ainsi que l’ampleur des investissements qui y ont été consentis, justifient pleinement. Les grands axes de cette stratégie sont les suivants :

-Ÿ requalifier le site : mieux appliquer les réglementations de protection au Mont et à La Caserne ;

- a minima définir une charte de qualité de service et d'accueil avec l'ensemble des acteurs économiques ;

- statuer sur la charte d'aménagement de La Caserne ;

- mettre en place une politique de « premier accueil » présentant les informations de façon exhaustive ;

- définir un vrai projet pour le nouveau centre d’information touristique (CIT) ;

- améliorer l'information sur le fond ;

-Ÿ élaborer un cahier de gestion commun pour le périmètre de protection modifié (PPM) et le site classé ;

- définir les équipements nécessaires au développement touristique ;

-Ÿ définir un objectif de fréquentation compatible avec les exigences de protection du site, avec la qualité de l’accueil des visiteurs et avec la sécurité, ce qui suppose une réflexion sur la régulation des flux ;

- faire l'analyse de la demande et, pour ce faire, mettre en place un observatoire permanent capable d’analyser la situation actuelle et de faire de la prospective ;

- élaborer une stratégie de communication associant l'ensemble du territoire et intégrant la dimension internationale.

La définition de cette stratégie doit faire appel au savoir-faire et à l’ingénierie des praticiens du domaine, au premier rang desquels les organismes régionaux et départementaux de tourisme (les CDT et CRT) mais aussi l’opérateur national qu’est Atout France.

2. Sur le plan administratif, la mission considère qu’il est indispensable, a minima, de simplifier les procédures dans une approche interministérielle, de créer un guichet unique pour l'instruction des dossiers, de déconcentrer les autorisations. Dans le cadre de la politique de simplification administrative en cours, il conviendrait plus particulièrement d’expérimenter le rapprochement des politiques de gestion de l'espace et des procédures au titre des codes du patrimoine et de l'environnement.

3. Pour mettre en place un projet ambitieux pour le Mont Saint-Michel et promouvoir une véritable gouvernance adaptée aux enjeux de ce site exceptionnel, il paraît indispensable de procéder à un recentrage des pouvoirs de décision et de mettre fin à leur éclatement actuel entre une multitude d’acteurs, dont les points de vue sont souvent divergents voire opposés. Dans cette perspective, la mission a étudié plusieurs hypothèses (le renforcement du syndicat mixte, le regroupement des communes concernées, le renforcement de la coordination sous l’égide du préfet de région, la mise en place d’un contrat de destination ou d’une « opération grand site »), qu’elle a écartées parce qu’elles ne sont à la hauteur ni des difficultés actuelles ni des enjeux à venir. La mission privilégie donc la mise en place d’une structure ad hoc, clairement identifiée, capable de gérer le projet dans sa globalité et dotée de réels pouvoirs. C’est pourquoi la mission préconise la mise en place, sur le périmètre inscrit par l’UNESCO, d’une «opération d’intérêt national » (OIN), qui correspond pleinement, telle que définie par le code de l’urbanisme, aux enjeux et au projet du Mont Saint-Michel : réaliser des opérations d’aménagement dans le cadre d’une stratégie de développement touristique, fondée sur la préservation du site mais aussi sur sa mise en valeur patrimoniale et environnementale et sur son développement économique, et susceptible de renforcer son caractère attractif sur le plan international. L’OIN comporte, en outre, l’avantage d’associer fortement l’État et les collectivités locales dans un partenariat durable et d’autoriser la mise en place de régimes dérogatoires en matière d’aménagement, dont on peut escompter une simplification des procédures et, partant, une harmonisation et une accélération des prises de décision.

4. Pour être pleinement efficace, la mise en place de l’OIN devrait, selon la mission, être accompagnée de la création d’un établissement public national, dont le périmètre d’intervention serait identique à celui de l’OIN. Il ne s’agirait pas d’un établissement public d’aménagement, comme il en existe déjà, mais d’une nouvelle catégorie d’établissement public, dont la création exige l’intervention du législateur et qui, au-delà de la problématique propre au Mont Saint-Michel, viendrait combler une lacune actuelle : l’absence d’organisation permettant la gestion de grands espaces dont l’intérêt est à la fois patrimonial et environnemental. En effet, cette préoccupation, encore relativement récente, devient prégnante avec l’évolution de la notion de patrimoine, comprise dans une acception large : bien au-delà de la simple préoccupation de la conservation de monuments historiques, le patrimoine devient un instrument de valorisation culturelle et de développement économique. Toute l’évolution récente des inscriptions de biens au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO conforte ce point du vue et cet intérêt. On est donc fondé à penser que la création de cette nouvelle catégorie d’établissement public répondrait à de nombreux besoins. Rappelons, par ailleurs, que la transformation du Louvre et de Versailles en établissements publics s’est accompagnée par une progression spectaculaire de la fréquentation, saluée par la Cour des comptes dans son rapport de 2011 sur les musées nationaux.

5. Selon la mission, il conviendrait, dans cette perspective de :

-Ÿ de remettre en dotation au nouvel établissement public les équipements du RCM et le charger de leur gestion après dissolution du syndicat mixte ;

Ÿ- le charger d’élaborer un projet global de territoire sur le périmètre de l’OIN ;

Ÿ- le charger de la politique d'accueil globale sur le site (sous réserve de l'avenir de la DSP) ;

Ÿ- le charger d'unifier les travaux d'élaboration des différentes chartes : le plan urbain de La Caserne et le plan de gestion demandés par l'Unesco, en cohérence avec les différentes chartes d'aménagement (La Caserne et l'ensemble du site) ;

Ÿ- envisager des transferts de compétences au titre des codes de l'urbanisme, de l'environnement et du patrimoine et la création du « guichet unique » en son sein ;

Ÿ- attribuer au directeur certains pouvoirs de police spéciale ;

Ÿ- confier de préférence la présidence de l'établissement de façon alternée à l’un des deux présidents de région ;

Ÿ- associer au sein du conseil d'administration l'État et le CMN, les collectivités locales et des personnalités qualifiées ; créer des conseils spécialisés, dont un conseil scientifique et un conseil pour le développement territorial et la promotion touristique ;

Ÿ- assurer les dépenses par voie de subventions publiques dans le cadre d'un protocole de financement ; envisager le recours au mécénat et à un fonds de dotation ;

Ÿ- mettre en place une mission de préfiguration pour 12 à 18 mois.

Ces préconisations ont pour objectif de remédier à la difficulté de trouver, dans notre corpus juridique, une réponse appropriée à la spécificité de la gestion d’un lieu comme le Mont Saint- Michel.

Si le dispositif préconisé par la mission pouvait être créé, renouvelant la conception de la gestion du patrimoine pour l’insérer dans une logique plus globale de développement durable, nul doute qu’il pourrait apporter des réponses aux préoccupations de nombreux gestionnaires de grands sites en région, souvent, au demeurant, inscrits eux aussi sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Le projet actuel de « loi patrimoine » pourrait constituer le support législatif de la création de cette nouvelle catégorie d’établissement public.

Images : ©ZVIEW

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