Une relecture de la période du XIe au XVe siècles du Maroc Médiéval... au Louvre jusqu'au 19 janvier 2015
Un empire de l’Afrique à l’Espagne. L’exposition incite à relire la période du XIe au XVe siècles, véritable apogée de l’Occident islamique, tant du point de vue historique qu’artistique. Une succession de dynasties — almoravide, almohade et mérinide — ont unifié un espace politique et civilisationnel centré sur le Maroc, regroupant des territoires de l’Afrique sub-saharienne jusqu’en Andalousie. L’influence de ces empires, unissant pour la première fois les confins de l’Occident islamique, a rayonné jusqu’en Orient. Réunissant près de 300 œuvres, cette importante exposition, organisée par le musée du Louvre et la Fondation nationale des musées du Maroc, présente les plus belles réalisations dans les domaines du décor architectural, du textile, de la céramique ou de la calligraphie et permet d’appréhender cette longue et riche histoire, clef de compréhension du Maroc contemporain et source de sa modernité.
Le Maroc médiéval invite à un voyage dans l’espace marocain et andalou, suivant un fil chronologique, chacune des périodes historiques est ponctuée d’éclairages sur les lieux de pouvoir et capitales historiques, cités d’or et de lumière. De Fès à Séville en passant par Aghmat, Tinmal, Marrakech, Ceuta, Rabat ou Cordoue, le parcours retrace les chantiers architecturaux majeurs et les œuvres créées pour ces villes. Chefs-d’œuvre célèbres et spectaculaires (tel que le lustre- cloche de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès), récentes découvertes et objets méconnus, se croisent au sein de l’exposition. Eléments d’architecture (portes, chapiteaux), mobilier et objets servant au culte (minbars, bassins d’ablutions, manuscrits) ou témoignages de la vie quotidienne (céramiques, pièces de monnaie) conservés dans les musées, mosquées et trésors d’église : tous apportent un nouvel éclairage de cette aire du monde islamique jusqu’à présent essentiellement lue depuis la rive andalouse.
Les conquêtes de ces grandes dynasties les ont menées du sud du désert du Sahara au nord de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye actuelles. L’exposition replace cette puissante entité au centre des réseaux diplomatiques et commerciaux qui furent les siens, des confins subsahariens jusqu’aux cités commerçantes de l’Italie médiévale, des royaumes chrétiens du nord de l’Espagne jusqu’au sultanat mamelouk d’Égypte. Elle permet aussi de rappeler qu’historiquement le Maroc fût un créateur d’empires.
Image : Madrasa El Attarine, Fès, Maroc. © L. Schneiter / Les Editions de Makassar.
6a et b_Grand lustre de la mosquée de la Qarawiyyin de Fès, Maroc. © Fondation nationale des musées marocains.
Les Idissides et la fondation de Fès (fin VIIIe siècle - milieu Xe siècle)
L’exposition ouvre sur le territoire du Maghreb al-Aqsa – Maghreb occidental (actuel Maroc) – au lendemain de sa conquête par les troupes arabes, suite à l’arrivée en 789 d’un descendant du prophète Mohammed, Idris Ier. Installé dans l’ancienne colonie romaine de Volubilis, ce dernier va rapidement générer un véritable royaume autonome, celui des Idrissides. L’urbanisation du Maghreb occidental est en marche, et se traduit notamment par la fondation de Fès, capitale spirituelle et culturelle du Maroc jusqu’à nos jours. Rares sont les témoignages matériels de cette époque, au nombre desquels comptent des monnaies d’argent et l’une des pièces maîtresses de cette première partie de l’exposition, le minbar de la mosquée des Andalous. Ce royaume s’inscrit dans une dynamique régionale complexe, dont témoigne la coexistence avec le royaume de Sijilmassa au Sud, maître des routes de l’or.
Les Almoravides : le premier empire entre Afrique et Espagne (1049-1147)
Le déclin de la dynastie idrisside au milieu du Xe siècle va permettre l’arrivée sur le devant de la scène politique des Almoravides au milieu du siècle suivant. Ces derniers, issus d’une confédération de nomades berbères venus des franges nord de la Mauritanie, sont portés par une volonté de réforme religieuse sunnite et malikite. C’est en armes que ces hommes au visage voilé parviennent rapidement à redessiner la cartographie de l’Occident musulman en formant pour la première fois un empire étendu du sud du Sahara au nord de la péninsule ibérique. Ils contrôlent donc les pistes caravanières, que traduisent la présence dans l’exposition d’une stèle d’Almería trouvée à Gao et le trésor monétaire de Tidjikja (Mauritanie). Leur empire s’appuie sur une nouvelle capitale fondée en 1070, Marrakech, évoquée dans l’exposition grâce à des autochromes. Les importants travaux d’embellissement de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès témoignent de la piété almoravide.
Les productions de luxe des ateliers espagnols et notamment Almería, circulent dans tout l’empire pour réapparaître dans certains trésors d’église, comme la chasuble de Saint Exupère de la basilique Saint-Sernin de Toulouse, exceptionnellement exposée dans son intégralité.
Les Almohades, ou la refondation d'un empire autour du dogme religieux (1147 - 1269)
La seconde moitié du XIIe siècle est marquée par un affaiblissement du pouvoir central, et des révoltes populaires guidés par des chefs spirituels appelant à la réforme religieuse de l’empire. L’un d’entre eux, Ibn Tumart se proclame le nouveau guide, Mahdi, de la communauté : il parvient rapidement à fédérer les tribus berbères du sud du Maroc, autour d’un nouveau dogme unitariste. Les Almohades, partent alors à la conquête de l’empire almoravide qu’ils vont étendre jusqu’à la Libye actuelle, imposant à ce territoire la conversion à leur dogme. Témoin de cette période, le philosophe juif Maïmonide, dont un manuscrit autographe est exposé, est finalement poussé à l’exil. L’empire centralisé qu’ils élaborent s’articule autour de trois capitales que sont Marrakech et Séville mais également Rabat, qu’ils fondent en commémoration de leur effort de djihad en péninsule ibérique et de la victoire d’Alarcos. L’économie connaît une nouvelle période de faste qu’évoque la correspondance entretenue entre Pise et Tunis.
L’idéologie almohade s’appuie alors sur une propagande complexe qui passe par une nouvelle culture visuelle où la calligraphie occupe une place inédite et où certains motifs, comme le lion, sont symboliquement réinvestis. La berbérité, et tout particulièrement la langue, sont pour la première fois l’objet d’une politique d’affirmation.
Les Mérinides : une nouvelle dynastie centrée sur la figure du souverain (1269-1465)
Les difficultés militaires en Andalousie qui se produisent au début du XIIIe siècle sonnent le glas de ce deuxième empire qui va se morceler. Au Maghreb al-Aqsa, c’est la tribu berbère des Mérinides qui met un terme définitif au califat almohade en 1269 avec la chute de Marrakech. Si elle n’est portée par aucune volonté de réforme religieuse spécifique, cette dynastie va néanmoins s’appuyer sur une propagande complexe notamment articulée au soufisme et au chérifisme et qui fait du sunnisme malikite la foi officielle. Elle s’approprie donc naturellement Fès, qui est symboliquement réinvestie en sa qualité de ville fondée par les Idrissides et cénacle religieux, dont elle fait sa capitale. Elle est dotée de nombreuses madrasas, ces collèges de sciences religieuses formant les élites du royaume, qui sont parées des plus beaux décors. Une nouvelle figure de souverain pieux apparaît, qui s’incarne dans la nécropole dynastique de Chella. Tourné vers la Méditerranée, le sultanat mérinide entretient d’importantes relations avec les royaumes chrétiens, d’Aragon ou de France, mais également avec ses coreligionnaires nasrides à Grenade, ziyanides à Tlemcen, hafsides à Tunis ou encore mamelouks au Caire. L’apogée de la période, le deuxième quart du XIVe siècle, porte en germe les ingrédients de sa fin, avec l’arrivée de la Peste noire à l’est et l’avancée inexorable des Chrétiens au nord. Dans le même temps commence à s’épanouir le souffle mystique et chérifien qui porte au pouvoir les futurs Saadiens.
Parcours de l’exposition
Volubilis et la naissance du Maghreb al-Aqsa (788-927)
Le territoire du futur Maroc est aux yeux des conquérants arabes le point le plus éloigné de la terre. Il prend donc le nom de Maghreb al-Aqsa, qui signifie dans la langue arabe « l’Occident le plus éloigné ». Conquis par les troupes arabes à la fin du VIIe siècle, cet espace où les anciens sites romains sont encore occupés se morcelle rapidement en plusieurs principautés. Des communautés juives et chrétiennes sont installées et conservent leurs traditions antiques. En 788, un descendant du Prophète Muhammad, Idris (r. 789-791), arrive au Maghreb al-Aqsa. Il fuit Bagdad, et le calife abbasside. Une tribu amazighe (berbère) convertie à l’islam accueille Idris et le proclame imam (chef de la communauté). Il s’installe dans l’ancienne colonie romaine de Volubilis (Maroc actuel), où il crée un royaume autonome. Ce royaume est mal connu : peu de vestiges matériels sont conservés. Ceux que l’on présente témoignent de l’adoption progressive de l’islam et de la langue arabe.
La fondation de Fès au début du IXe siècle
Idris II (r. 808-828), fils et successeur d’Idris Ier, quitte Volubilis au début du IXe siècle. Il part s’installer sur le site de Fès, qui vient d’être fondé. La ville est très vite constituée de deux quartiers distincts séparés par un oued. On les appelle bientôt le quartier « des Kairouanais » et le quartier « des Andalous ». Chacun possède une grande-mosquée pour la prière du vendredi et plusieurs oratoires. Deux sont parvenus jusqu’à nous : la mosquée des Kairouanais (al-Qarawiyyin) et la mosquée des Andalous. Agrandies et embellies jusqu’à nos jours, ces deux mosquées conservent quelques rares témoignages de l’époque idrisside. À la mort d’Idris II, le royaume est divisé entre ses douze fils. Les puissants califats qui l’entourent se disputent sa domination : le califat fatimide, qui règne à l’est, sur la région de la Tunisie actuelle, et le califat omeyyade, au nord, qui domine la péninsule Ibérique. Leur volonté parallèle de régner sur la ville de Fès se traduit par des réalisations architecturales, comme le minaret de la mosquée al-Qarawiyyin en 956, édifié sur ordre du calife omeyyade.
La principauté de Sidjilmasa aux IXe -Xe siècles
La principauté idrisside s’inscrit dans un contexte régional complexe. Elle est bordée, au nord, par celle de Nakur, et à l’ouest par celle des Berghawattas. Au sud se trouve la principauté de Sidjilmasa, aux mains des Midrarites. C’est une cité marchande prospère située sur les routes des caravanes, où se croisent les marchands venus chercher l’or et les matières précieuses du Sahara et du fleuve Niger. La principauté frappe des monnaies en or. Elle est habitée par des kharidjites, venus d’Orient. Le kharidjisme est une des grandes branches de l’islam aux côtés du sunnisme et du shiisme. Des décors en stuc témoignent de la splendeur des monuments de cette ville en plein désert.
Les Almoravides : le premier empire amazighe (berbère) (1049-1147)
Vers le milieu du XIe siècle émerge une confédération de tribus berbères venues des franges nord de la Mauritanie. On les nomme Almoravides. Ces combattants au visage voilé, comme c’est l’usage chez les grands nomades, progressent militairement. Ils tentent d’abord de contrôler les « cités de l’or » situées au sud du Sahara. Ces villes de l’Afrique de l’Ouest, comme Gao, structurent les routes des caravanes. La maîtrise de l’or permet aux Almoravides de financer leurs conquêtes. Ils se tournent désormais vers le nord et font étape à Sidjilmasa, puis à Aghmat, avant de fonder Marrakech. Leur progression est ininterrompue jusqu’au nord de l’Espagne, où se stabilise la frontière. L’arrivée de marchands musulmans au sud du Sahara a permis l’introduction de l’islam et de la langue arabe. Le mouvement de conversion au sud du Sahara est favorisé par l’Empire almoravide, dont l’étendue permet une grande circulation des hommes, des marchandises et des idées. En Afrique de l’Ouest se mêlent alors langue arabe, langue berbère, islam et animisme (croyance en l’existence d’âmes animant les êtres vivants et les éléments naturels). Cependant, au-delà de la boucle du Niger, la plupart des peuples conservent leurs rites et leurs croyances.
Le commerce maritime et les échanges
L’immense Empire almoravide est puissant et commerce activement. À la richesse des caravanes au sud s’ajoute le dynamisme de grands ports méditerranéens au nord. Almería, en Espagne, est le principal port de l’empire et le siège de son amirauté. La ville, qualifiée de « porte de l’Orient », est également un centre artisanal réputé pour ses soieries et le travail des métaux. Les fouilles archéologiques ont révélé l’étendue de ses activités artisanales : on y fabrique des céramiques multicolores et des stèles en marbre que l’on retrouve aux quatre coins de l’Empire almoravide. Almería tombe en 1147 aux mains des puissances chrétiennes, qui détruisent la ville, sonnant le glas de la prospérité almoravide.
Raffinement de l’art almoravide
Les chroniques historiques attestent de l’utilisation par les souverains almoravides de luxueuses soieries. Elles sont destinées à leur propre usage ou offertes en présent à leurs proches et à des alliés. La production est considérable et beaucoup font l’objet d’un commerce. La plupart de celles qui nous sont parvenues ont été conservées dans des trésors d’églises ou dans les tombes de membres des familles royales chrétiennes du nord de la péninsule ibérique. Il s’agissait en effet de tissus d’une grande finesse, très prisés par les souverains de l’époque. Leur décor, polychrome et doré, figure de magnifiques motifs animaliers. Les ateliers où ils auraient été produits ne sont pas connus, bien qu’ils soient le plus souvent attribués à la ville d’Almería. Le raffinement de leur décor se retrouve dans le travail du métal, sur des lampes, plateaux et encensoirs, ainsi que sur des boîtes en ivoire de la même période.
La fondation de grandes mosquées impériales
Les Almoravides font du sunnisme, l’une des trois branches de l’islam, et du courant juridique malikite leur doctrine officielle. Grâce à l’appui du pouvoir, la période est intellectuellement très riche. Les sciences juridiques connaissent un développement sans précédent. Ce renouveau est porté par de célèbres Grands juges, tels Ibn Rushd al-Djadd (1058-1126) à Cordoue, et le Qadi ‘Iyad (1043-1083) à Ceuta. Ces derniers rédigent d’importants traités de droit et de sciences religieuses. Par ailleurs, les souverains construisent et embellissent des grandes mosquées sur tout le territoire. La capitale almoravide est située à Marrakech, mais la prestigieuse ville de Fès n’est pas oubliée. La mosquée al-Qarawiyyin, fondée au 9e siècle, est agrandie. Elle est dotée d’éblouissantes portes plaquées de bronze, ainsi que d’un nouveau minbar, achevé en 1144. Une nouvelle grande-mosquée est fondée à Tlemcen, qui marque les limites de l’empire à l’est. Son mihrab, disposé dans le mur de la mosquée indiquant l’orientation de la prière, est décoré de stuc et éclairé d’une belle coupole qui laisse passer les rayons du soleil. D’autres mosquées plus humbles, comme à Chichaoua, sont érigées ou refaites à l’époque almoravide. Dans cette atmosphère de piété se développe également un courant spirituel particulier, le soufisme, promis à un grand avenir.
Les Almohades, ou la refondation d’un empire autour d’un nouveau dogme religieux (vers 1147-1269)
La seconde moitié du XIIe siècle est marquée par un affaiblissement du pouvoir almoravide et des révoltes populaires. Ibn Tumart est l’un des instigateurs de ces mouvements au sud du Maroc. Son but est double : réformer la religion et conquérir le pouvoir politique. Rapidement, il parvient à fédérer différentes tribus amazighes (berbères) autour de son message religieux et de sa volonté de réforme. Ibn Tumart se proclame Mahdi, celui qui doit restaurer la religion et la justice avant la fin du monde. Ses partisans sont appelés les Almohades. Ils se réfugient d’abord à Igiliz, dans les montagnes de l’Anti-Atlas, commandés par le premier disciple d’Ibn Tumart, ‘Abd al-Mu’min. Peu après, les Almohades se déplacent vers le nord et s’installent dans le Haut Atlas, à Tinmal. À partir de cette base, ils lancent plusieurs assauts contre Marrakech dès 1126, et partent à la conquête de l’Empire almoravide. Ils étendent leur territoire jusqu’à la Libye actuelle. Tinmal est le coeur spirituel du mouvement : même après l’installation des Almohades à Marrakech, elle sert de nécropole à la dynastie que fonde ‘Abd al-Mu’min. Celui-ci construit sur le site une magnifique mosquée en souvenir d’Ibn Tumart.
Djihad militaire et conquêtes territoriales
Les Almohades veulent imposer à l’ensemble du monde islamique la réforme religieuse professée par Ibn Tumart. À l’intérieur de leur empire ont lieu des conversions forcées. Témoin de cette période, le philosophe juif né à Cordoue Maïmonide (mort en 1204) est finalement poussé à l’exil au Maghreb, puis en Égypte. Les Almohades mènent le djihad, guerre de défense du territoire de l’islam. En 1147, une coalition de puissances chrétiennes s’empare de plusieurs villes d’al-Andalus, dont le port d’Almería. Cet épisode précipite l’arrivée des Almohades en péninsule Ibérique : ces derniers légitiment leur pouvoir en s’appuyant sur la défense d’al- Andalus. En 1195, leur victoire à Alarcos, en Castille, stabilise la frontière nord de l’empire. En vingt ans, les Almohades construisent un nouvel empire ralliant les territoires des rives de l’Atlantique à la Libye, et du sud du Maroc au centre de l’Espagne.
Les trois capitales de l’Empire almohade
L’Empire almohade s’articule autour de trois capitales, Marrakech, Rabat et Séville. Dans ces villes est lancée une politique de grands travaux. Au sud de Marrakech, une nouvelle ville est construite, qui abrite les services de l’État. Cette Qasba, ville de commandement, est dotée, vers 1190, d’une grande mosquée. Son minaret porte un somptueux décor de carreaux colorés où l’on peut lire des versets coraniques. L’adduction en eau de la ville est largement améliorée. Les jardins et palmeraies se multiplient. Près de l’ancien palais almoravide, une autre mosquée, la majestueuse Kutubiyya, est érigée. Rabat est la ville de départ des troupes vers la péninsule ibérique. Non loin du port débute la construction d’une immense mosquée. Celle-ci doit être la plus grande du monde islamique. Elle reste cependant inachevée. Seul son minaret, appelé « tour Hasan », domine la mer. De l’autre côté de la Méditerranée, le port de Séville se développe. Le commerce maritime est particulièrement actif et les productions de l’Empire almohade sont exportées jusqu’au Caire.
La propagande almohade
Les Almohades prennent le titre de califes et imposent leur pouvoir. Ils proclament leur doctrine centrer sur le Dieu unique. Ibn Tumart est le maître à penser de la nouvelle rigueur religieuse et morale almohade. La propagande officielle diffuse son message et fait de lui et de son disciple ‘Abd al-Mu’min les héros d’une épopée. Un nouveau code visuel se met en place au service de leurs idées. La calligraphie, qui véhicule les préceptes religieux défendus par les Almohades, se développe sur les façades de monuments et sur les objets. Certains motifs, comme le lion, sont fréquents. Un lion et un oiseau auraient en effet participé à la proclamation de ‘Abd al-Mu’min. Les monnaies sont désormais carrées. Cette forme rappelle celle de la Ka’aba à La Mekke – le coeur de l’islam. C’est une façon d’affirmer leur légitimité à diriger l’ensemble de la communauté. Parallèlement, la langue et la culture amazighes (berbères) autochtones sont mises en avant. Le berbère apparaît transcrit en caractères arabes dans différents manuscrits. Il devient une langue d’État et de formation des élites. C’est même une langue religieuse, au côté de l’arabe. La culture berbère transparaît aussi dans la pratique musicale. Les rares instruments à nous être parvenus en témoignent. Certains maîtres soufis enseignent uniquement en berbère et s’installent dans les villes et les campagnes pour diffuser leur message d’amour divin. La spiritualité mystique se développe.
Le culte à l’époque almohade
Les obligations coraniques, comme la prière précédée des ablutions, le jeûne, l’aumône, sont scrupuleusement respectées. La piété quotidienne est imprégnée de cette rigueur religieuse almohade qui donne lieu à des productions spécifiques. Les récipients liés à l’eau et au rituel des ablutions se multiplient. Ces jarres, vasques et autres bassins font l’objet d’un soin tout particulier. On fabrique également des astrolabes, qui servent au calcul exact de l’heure de la prière, car celle-ci varie avec la durée du jour. De nombreux petits corans enluminés sont copiés et destinés à l’usage privé. Les souverains s’affichent en hommes pieux, certains peuvent être calligraphes. C’est ainsi qu’on conserve un coran écrit de la main du calife al-Murtada (r. 1248- 1266). Seule l’obligation coranique du pèlerinage à La Mekke est minimisée. En effet, le Maghreb est vécu par les Almohades comme le nouveau centre de l’islam. Il n’est donc pas nécessaire de se déplacer jusqu’au centre ancien, en Arabie.
L’art almohade et les trésors des églises chrétiennes
Malgré la rigueur affichée par la réforme almohade, l’art de cette époque est d’une grande délicatesse : les artisans travaillent notamment le métal, l’ivoire et la soie. La plupart de ces œuvres n’ont pas résisté à l’usure du temps dans l’ancien Empire almohade, mais ont été exceptionnellement bien conservées dans les trésors des églises chrétiennes. Les coffrets d’ivoire et de métal peuvent y être utilisés comme reliquaires. Les tissus font l’objet d’un commerce entre la péninsule Ibérique et l’Europe chrétienne. Dans les églises, ils servent pour la confection de vêtements liturgiques, destinés à dire la messe. Mais ils sont aussi employés pour envelopper les précieuses reliques. Enfin, les puissants souverains chrétiens aiment à se vêtir des riches étoffes de soie produites en Espagne. Un grand nombre d’entre elles ont été retrouvées dans les tombes des rois de Castille.
Les Mérinides et le retour à Fès (1269-1465)
La désastreuse défaite subie par les Almohades en 1212 contre les souverains chrétiens à Las Navas de Tolosa (Espagne) annonce leur chute. Dans la région de Taza, au Maroc, une tribu amazighe (berbère), appelée « Banu Marin », prend le pouvoir et s’empare de Marrakech en 1269. Les Mérinides font de Fès leur capitale. Ils assoient leur légitimité en s’inscrivant dans la filiation des Idrissides, fondateurs de la ville. Dès 1276, ils s’installent dans une ville nouvelle, accolée à l’ancienne. Elle prend le nom de Fès Jdid ou Fès-la-Nouvelle. Un quartier nommé « Mellah » est réservé à la communauté juive. Dans la ville nouvelle comme dans l’ancienne sont bâties de grandes demeures sur cour. Leur décor raffiné comprend des zelliges, des stucs et des boiseries sculptées, que l’on retrouve aussi dans les nombreux édifices officiels. Les Mérinides ne sont pas des réformateurs religieux et se distinguent en cela des Almohades. Leur discours politique, sur lequel se fonde leur légitimité, s’appuie sur trois axes : le malikisme, le chérifisme et le soufisme. Le malikisme est une des formes d’exercice du droit islamique. Il est majoritaire dans l’Occident musulman depuis l’époque almoravide. Il est majoritaire dans l’Occident musulman depuis l’époque almoravide. Le chérifisme correspond à l’importance croissante accordée par la société aux descendants du Prophète Muhammad, les chérifs.
La figure du souverain au cœur de la culture officielle des Mérinides
Avec les Mérinides apparaît une nouvelle façon d’écrire l’histoire. Celle-ci leur est particulièrement favorable. Le règne du sultan mérinide Abu al-Hasan (r. 1331-1348) marque un tournant. Les chroniques louent ses qualités physiques et le dépeignent comme un souverain exemplaire, pieux et intègre. Les auteurs de ces chroniques décrivent longuement les édifices religieux commandés par le souverain et son attachement à célébrer le Mawlid, la fête de la naissance du Prophète, avec tous les descendants de celui-ci, les chérifs. Désireux de se concilier les savants de Fès, les Mérinides construisent des madrasas, écoles d’enseignement juridique, dans lesquelles sont formées les élites du royaume. L’enseignement y est conforme au courant d’interprétation juridique officiel, le malikisme. Les souverains fondent aussi une nécropole royale à Chella, près de Rabat, à partir de 1284. Là se trouve la tombe d’Abu al-Hasan. Un pèlerinage sur la tombe des souverains se développe peu après.
Un empire tourné vers la Méditerranée
Le sultanat mérinide entretient d’importantes relations commerciales et diplomatiques avec les royaumes chrétiens d’Aragon et de France, mais également avec ses voisins musulmans, les Nasrides à Grenade, les Ziyanides à Tlemcen et les Hafsides à Tunis. La conquête de territoires voisins reste cependant au cœur de ses préoccupations. En al-Andalus, les Mérinides, alliés aux Nasrides, tentent d’empêcher les avancées chrétiennes. Ils franchissent le détroit de Gibraltar et fondent en al-Andalus une ville nouvelle près d’Algésiras. Elle sert de point de départ à leurs expéditions militaires. L’influence de l’art nasride devient sensible au nord du Maroc, grâce à des importations directes ou à des imitations locales. Les Mérinides tentent aussi d’étendre leur influence à l’est en s’emparant de la capitale ziyanide de Tlemcen. Alors qu’ils sont sur le point de s’en rendre maîtres au début du XIVe siècle, ils y construisent une ville nouvelle, al-Mansura, symbole de leur victoire, ainsi que plusieurs grands sanctuaires. Ces constructions témoignent des échanges artistiques permanents entre Fès, la capitale, et Tlemcen. Ponctuellement, les Mérinides parviennent même à marcher sur Tunis sous le règne d’Abu al-Hasan, mais le royaume se resserre ensuite autour de l’actuel espace marocain. Il reste cependant tourné vers l’est et communique avec les Mamelouks du Caire.
Fin d’un monde et renouveau
Le milieu du XIVe siècle est l’apogée de la période mérinide. Il porte cependant en germe le déclin inexorable de la dynastie, qui disparaît en 1465. L’union militaire des Mérinides et des Nasrides en al-Andalus échoue lors de la bataille du Río Salado en 1340. Les chrétiens victorieux emportent du champ de bataille un énorme butin, comprenant les étendards personnels du sultan mérinide. Les Mérinides doivent aussi affronter un autre ennemi : la pandémie de peste, venue de l’est. Ce cataclysme anéantit la population de toute la région et la déstabilise profondément. L’historien Ibn Khaldun (1332-1406) est un témoin privilégié de cette époque malheureuse. Auteur d’une Histoire universelle, il s’interroge sur le devenir des civilisations. Sa réflexion le pousse à considérer cette fin de siècle comme la fin d’un monde. Le XVe siècle marque effectivement une rupture considérable et le soufisme apparaît comme une réponse aux peurs des contemporains confrontés à la maladie, aux épisodes de famine et à la menace chrétienne. Un grand courant soufi créé au Maroc par al-Djazuli (mort en 1465) s’épanouit jusqu’en Orient.
Le Maroc médiéval. Un empire de l’Afrique à l’Espagne
Du 17 octobre 2014 au 19 janvier 2015
Hall Napoléon
Informations pratiques
Adresse : Musée du Louvre, 75058 Paris - France
Téléphone : + 33 (0)1 40 20 53 17
Horaires : Tous les jours, sauf le mardi, de 9h à 17h30, les mercredi et vendredi jusqu’à 21h30.
Tarifs : Billet spécifique pour l’exposition Le Maroc médiéval : 13 €.
Billet jumelé (collections permanentes + exposition Le Maroc médiéval ) : 16 €. Gratuit pour les moins de 18 ans, les demandeurs d’emploi, les adhérents des cartes Louvre jeunes, Louvre professionnels et Amis du Louvre.
Renseignements : 01 40 20 53 17/www.louvre.fr