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Le Marais Poitevin, des milieux exceptionnels au cœur d’une piètre gouvernance

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Le Marais Poitevin, des milieux exceptionnels au cœur d’une piètre gouvernance

Le Marais Poitevin, des milieux exceptionnels au cœur d’une piètre gouvernance

En juin 2013, la préfète de région Poitou-Charentes, préfète coordonnatrice pour le Marais poitevin, a demandé aux ministres respectivement chargés de l’environnement et de l’agriculture de confier au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission « d’évaluation des résultats obtenus dans la réalisation [du] plan gouvernemental » 2003-2013 pour le Marais poitevin.

Cette lettre demandait également de mener « un travail prospectif .pour proposer les orientations stratégiques qu’il conviendrait de poursuivre », dans le contexte d’un nouveau plan pour le Marais poitevin souhaité par la ministre de l’écologie, au cours du conseil d’administration de l’Établissement public du Marais poitevin réuni le 29 avril 2013.

Ce rapport remis en juin 2014, soit un après sa demande, révèle des lacunes quant aux mesures prises concernant la gouvernance du Maris Poitevin.

Toutefois, il relève que les engagements financiers de l’État et des collectivités locales (régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes ; départements de Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de Vendée) ont été tenus, et même dépassés. Au total les parties prenantes ont déclaré avoir consacré 252 millions d’euros pour les actions en faveur du marais. Et note que les retenues d’eau de substitution prévues en 2003 et destinées à protéger l’alimentation en eau du marais en été ont été construites (ou bien sont en cours de construction) en Vendée, mais aucune réalisation n’est effective dans les autres départements.

Par contre, le rapport souligne que le SDAGE 2010-2015, par sa disposition 7C4, qui définissait les principes d’une meilleure prise en compte des intérêts de la biodiversité par une gestion régalienne des niveaux d’eau dans le marais, n’a pas été atteint, faute en particulier d’une méthode clairement définie pour y parvenir. L’évaluation à mi-parcours recommandait, en particulier, d’engager des études concernant la protection contre les inondations, ce qui n’a été fait que très partiellement.

Le rapport mentionne également que la connaissance scientifique a bien progressé en ce qui concerne le fonctionnement des nappes de bordure du marais. Un travail de fond est engagé avec le concours de l’Université de Rennes pour étudier les relations entre les niveaux d’eau et la biodiversité. Mais les données relatives à l’évolution des prairies humides restent lacunaires, tant pour leur surface que pour leur qualité en termes de biodiversité.

Le rapport précise aussi que les mesures agro-environnementales, pivot du soutien à l’élevage, ont permis une stabilisation, voire un léger accroissement des surfaces en prairies, sans atteindre l’objectif quantitatif de reconquête initial que la mission juge a posteriori irréaliste. Cette reconquête était conditionnée par l’obtention d’une parité de revenus durable entre élevage et grandes cultures. Celle-ci ne s’est pas réalisée et n’a pas plus de chances de se réaliser à l’avenir dans le contexte économique prévisible.

Il explique que le tourisme a bénéficié d’investissements élevés de la part des collectivités locales. L’opération « Grand site de France » et l’obtention du label correspondant a soutenu l’activité touristique qui contribue significativement au développement du territoire.

Le rapport observe que la mise en place des zones « Natura 2000 » sur 68 000 ha a éloigné le risque d’une nouvelle condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne, comme cela avait été le cas en 1999. Selon les données éparses recueillies par le Syndicat mixte du parc, l’évolution des milieux protégés et de l’avifaune montre encore une situation peu favorable. L’évaluation du document d’objectif (DOCOB), en retard, devrait être une priorité forte.

Il rajoute encore que la réalisation d’un maillon supplémentaire de l’autoroute des estuaires (A831) par les collectivités locales supposerait une excellente maîtrise, difficile à obtenir aux plans technique et juridique, de l’évitement, de la réduction puis de la compensation des impacts défavorables sur les milieux naturels protégés.

Le rapport remarque que la mise en œuvre du plan, au travers d’une gouvernance adaptée, s’est révélée complexe et fluctuante. En réponse aux enjeux du marais, le dispositif de l’État a ajouté au préfet coordonnateur la création en 2011 d’un établissement public dédié, l’EPMP (Établissement public du Marais poitevin). Mais les instances de suivi prévues avec les collectivités locales ne se sont plus réunies depuis 2006. Et surtout la reconquête du label de parc naturel régional (PNR) par le Syndicat mixte, instance de coordination et de concertation prévue initialement, qui avait échoué en 2008, ne s’est concrétisée qu’en mai 2014.

Ce plan a donc permis d’indéniables réussites, en instaurant un dialogue renouvelé avec l’ensemble des acteurs du marais, et en réussissant à maintenir un stock de prairies permanentes suffisant grâce à des aides publiques largement distribuées. Mais son efficacité et surtout son efficience restent médiocres, compte tenu de l’éclatement géographique du territoire entre de nombreuses collectivités publiques et d’intérêts fortement divergents, même si les tensions ont tendance à s’atténuer. En dehors des aides agro-environnementales, les actions en faveur de la biodiversité, en particulier dans le domaine de l’hydraulique, peinent à se concrétiser à hauteur des enjeux, faute d’une connaissance fine des relations entre les niveaux d’eau et la biodiversité. Au plan économique, la difficulté de valoriser le territoire par l’élevage comparé à la céréaliculture, est un handicap pour l’atteinte des objectifs du DOCOB.

Des progrès significatifs ne sont possibles que si l’ensemble des collectivités publiques dégage une vision commune de l’avenir du marais. La mission suggère de mettre l’accent sur l’amélioration de la qualité des milieux, inscrite dans une application sereine et efficace des directives européennes, et ce, en écartant l’idée d’une augmentation significative des surfaces prairiales dont le caractère hors de portée est largement confirmé. Seuls des gains marginaux localisés sont possibles et il convient de les favoriser. L’atteinte de cet objectif suppose un travail méthodique en matière hydraulique, en particulier en matière de prévention des inondations.

Les aides à l’élevage pourraient être revalorisées dans le cadre de projets locaux améliorant la qualité des milieux prairiaux.

Face à cet environnement complexe, l’État devra néanmoins simplifier la gouvernance de cet ensemble. Il devra maintenir une bonne coordination interne (en particulier dans le domaine de l’eau), et veiller à mobiliser des crédits spécifiques identifiés.

La mission considère qu’il n’est pas opportun de maintenir en parallèle des structures (EPMP et PNR) appelées toutes deux à assurer des fonctions de coordination. Dans cet esprit, elle présente trois scénarios :

• la réaffirmation de l’engagement de l’État par la création d’un parc national ;

• le transfert aux collectivités locales (PNR) et la suppression à terme de l’EPMP ;

• l’adaptation du rôle de l’EPMP.

La mission suggère d’inscrire les aides agro-environnementales dans les contrats de plan État-Région en cours de préparation et de mettre en débat entre les parties prenantes les scénarios proposés, lors d’une conférence des collectivités publiques, pour préparer l’avenir.

Le Marais Poitevin, des milieux exceptionnels au cœur d’une piètre gouvernance

Des marais façonnés par l’homme

Le Marais poitevin est un territoire de très faible altitude, apparu au premier millénaire après le retrait de la mer du golfe des Pictons, et fortement aménagé par l’homme notamment entre le 16 ème et le 20 ème siècles6. Les pouvoirs publics ont ainsi privilégié la mise en valeur agricole de ce territoire presque jusqu’au début de l’actuel millénaire.

L’histoire du Marais poitevin est d'abord liée aux villages implantés sur les nombreuses îles calcaires qui dominaient autrefois la mer et sur le rivage desquelles se sont installés du 6ème au 11ème siècle des moines, pionniers en matière de dessèchement des marais, en vue de leur utilisation en terres agricoles, tout autant que fondateurs d'abbayes bénédictines.

La gestion des premières concessions de marais qui leur ont été octroyées au 12ème siècle par la couronne anglaise avait, nonobstant les endigages initiaux, abouti à des inondations croissantes qui justifièrent la construction de canaux régulateurs. Longtemps suspendus par les guerres successives, notamment de religion, les travaux de dessèchement n'ont repris qu'au 16ème siècle sous le règne d'Henri IV qui, selon l'ordonnance de Sully, projetait«l'assèchement de tous les marais du royaume de France», et fit appel à des investisseurs hollandais spécialistes de la poldérisation. Dès 1640, 6 400 ha de Marais poitevin étaient déjà desséchés.

A partir du milieu du 17ème siècle, dans les marais desséchés, les propriétaires d’un même marais, ou ensemble hydrauliquement indépendant, s’organisent en société de marais pour en assurer collectivement la gestion. Depuis tous les marais desséchés sont ainsi organisés en associations syndicales de marais. Elles sont propriétaires d’ouvrages privés d’intérêt collectif dont elles assurent l’entretien et/ou la réalisation et gèrent les niveaux d’eau dans leurs réseaux. On en compte actuellement une quarantaine sur l’ensemble des marais desséchés.

Dans les marais mouillés, ce sont initialement les paroisses puis les communes qui se sont organisées pour assurer les travaux d'intérêt collectif ; dans ces marais, réseau principal et secondaire servent de voie d’accès aux parcelles et sont entretenus par les habitants. Les associations de marais mouillés ont été créées plus récemment à l’occasion des grands programmes d’aménagement conduits par l’État comme indiqué ci après.

L'autorité préfectorale chargée de la police de l'eau est fixée au Premier Empire par le décret du 29 mai 1808 de Napoléon 1er et le préfet des Deux-Sèvres doit diriger tous les travaux, notamment pour la largeur du lit de la Sèvre à l'étiage et les chemins de halage. Cependant le projet de dessèchement des marais mouillés, aux frais des propriétaires des marais, approuvé par le directeur général des ponts et chaussées dès 1822, sera officialisé par une ordonnance du roi Louis-Philippe le 24 août 1833, qui partageait la dépense entre les trois départements et créait trois sociétés des marais mouillés avec une répartition précise des syndics pour chaque département.

L'Union des sociétés des marais mouillés chargée de régler leurs divergences est née par décret du 4 décembre 1930. Mais en 1955 était encore promu un programme de dessèchement complet du Marais poitevin, et en 1980 le schéma d'aménagement agricole des marais de l'Ouest diligenté sans étude d'impact prévoyait toujours des assèchements.

Concernant la Sèvre et ses affluents, entre les syndicats des marais et l’État, l'institution interdépartementale du bassin de la Sèvre-niortaise a été créée par les trois départements en 1987, d'abord pour faire des études, puis pour réaliser des travaux. Entre possédants, exploitants et opérateurs (syndicats de marais alimentés par une taxe à l'hectare versé par chaque propriétaire et recouvrée par un percepteur), une convergence d'intérêts et donc de principes de gestion est toujours à trouver.

Au cours des 150 dernières années, on peut [ainsi] distinguer 3 périodes qui ont fortement modifié la physionomie du Marais poitevin :

De la Révolution au milieu du 19ème siècle : le morcellement de la propriété dans les marais desséchés, et surtout dans les marais mouillés, amène ces derniers à être partagés en de nombreuses petites parcelles délimitées par de nouveaux fossés creusés par les propriétaires leur donnant leur profil actuel.

Du milieu du 19ème siècle au milieu des années 1970 : l’exode rural provoquant un manque de main d’œuvre, entraîne la mise en prairie de nombreuses cultures et le développement de l’élevage extensif dans les marais desséchés. Dans les marais mouillés, les terres les moins productives et les plus difficiles à cultiver sont abandonnées et tombent en friche.

Depuis le milieu des années 70 : la modernisation de l’agriculture avec la mécanisation et l’amélioration du drainage, est favorable à la remise en culture d’importants espaces, surtout dans les marais desséchés et intermédiaires (lesquels seront à cette même époque remembrés) au détriment des prairies naturelles humides implantées par les agriculteurs au cours de la période précédente.

La situation actuelle peut être considérée comme l’aboutissement le plus achevé d’un mouvement millénaire de conquête et de maîtrise hydraulique du marais par les cultivateurs. Cette évolution conduit donc logiquement à la disparition du caractère humide d’une partie significative des marais desséchés, mais remet en cause de ce fait leur exceptionnelle biodiversité.

Le Marais Poitevin, des milieux exceptionnels au cœur d’une piètre gouvernance

Le rapport sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan gouvernemental 2003-2013 pour le Marais poitevin avance 10 propositions stratégiques pour l’avenir d’un patrimoine naturel exceptionnel.

Recommandation n°1 au préfet coordonnateur : Les impacts à venir du changement climatique sur le marais devraient être pris en compte dans les différents scénarios possibles ou souhaitables d’occupation du sol.

Recommandation n°2 aux préfets des régions Poitou-Charentes et Pays de la Loire : Réunir auprès du préfet coordonnateur une formation spécialisée des conseils scientifiques régionaux de la protection de la nature

Recommandation n°3 au préfet coordonnateur : Faire évaluer dès que possible l’impact hydrologique et économique de la stratégie de substitution mise en œuvre pour les bassins des Autizes, du Lay et du fleuve Vendée.

Recommandation n°4 au préfet coordonnateur : Montrer dès maintenant, par une argumentation hydraulique que la hausse des niveaux d’eau l’hiver n’accroît pas significativement le risque d’inondation. Faire développer un modèle hydraulique par bassin, soit directement au profit des services de l’État (dans le cadre des PPRi), soit au sein des structures existantes par bassin (IIBSN, etc.) sollicitées par un arrêté complémentaire au titre de la police de l’eau et financées par le PITE, soit encore sous maîtrise d’ouvrage commune entre l’État et ces structures.

Recommandation n°5 au préfet coordonnateur et aux deux Régions : définir puis mettre en place en zone Natura 2000 un appel à projet ouvert à des groupes d’éleveurs associés à leurs structures de gestion des marais (ASA), en vue d’obtenir une amélioration des conditions d’exploitation et de gestion hydraulique favorables aux milieux naturels. Augmenter dans ce cadre les aides agro-environnementales à l’élevage

Recommandation n°6 au préfet coordonnateur : Pour les prairies communales à haute valeur patrimoniale, mettre en œuvre une stratégie foncière simple, couplant un arrêté de biotope (pris par le préfet de département) à une offre d’acquisition (formulée par l’EPMP ou le Conservatoire du littoral).

Recommandation n°7 au préfet de bassin: Confirmer dans le SDAGE 2016-2021 les dispositions retenues au SDAGE précédent pour la gestion des nappes de bordure du Marais poitevin, en les assortissant d’obligations de résultat à atteindre à des dates fixées de manière ferme. Dans les sous-bassins où la substitution ne progresse pas, définir les règles à appliquer pour baisser progressivement les autorisations de prélèvement.

Définir dans le SDAGE la méthode permettant de tenir correctement compte des intérêts de la biodiversité dans la gestion des niveaux d’eau dans le marais.

Recommandation n°8 à la direction de l’eau et de la biodiversité et au préfet coordonnateur : Dans l’hypothèse où l’Établissement public du Marais poitevin serait confirmé, redéfinir ses missions et ses priorités d’action ; clarifier les rôles respectifs de l’établissement et du préfet coordonnateur ; doter l’établissement d’un document d’objectif.

Recommandation n°9 aux préfets des régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes: Inscrire au titre du contrat de plan entre l’État et chacune des deux Régions les engagements nécessaires à la poursuite d’une action commune au sein du Marais poitevin, en particulier en ce qui concerne l’agro-environnement.

Recommandation n°10 au ministre chargé de l’environnement : Mettre en débat entre les parties prenantes les scénarios proposés en matière de gouvernance du marais (ainsi que d’éventuelles variantes), lors d’une conférence des collectivités publiques pour préparer l’avenir.


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