La gestion des zones inondables par une approche transversale pour contribuer à la ville « résiliente ».
L’étude menée par le PUCA, Plan, Urbanisme, Construction et Architecture, a tenté de synthéstiser les différents séminaires organisés dans le cadre du programme Européen de la plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU) qui se sont déroulés de l’automne 2013 au printemps 2014 sur les zones inondables et le renouvellement des approches urbaines et architecturales. Publiée à travers le mensuel ‘’le quatre pages’’, l’étude a permis d’appréhender l’acceptabilité des modalités de l’aménagement urbain en zone inondable. En effet, les formes de pressions démographique et urbaine, le changement climatique posent de nouvelles réflexions notamment à l’égard des espaces urbains dans les zones inondables. L’étude montre bien la relation complexe entre le désir d’un développement de la ville et la mise en œuvre de plans de prévention des risques.
Pour réduire leur vulnérabilité, les villes doivent-elles limiter les espaces bâtis ou penser autrement l'organisation et l'usage de ces espaces? Entre normes et réglementation, adaptabilité et réversibilité, recherche et innovation, comment les projets architecturaux et urbains se structurent-ils et comment aident-ils à reconfigurer la ville dans la perspective d’un développement durable ? Quelles recompositions paysagères et architecturales peuvent aider à gérer les risques d'inondation en intégrant les impératifs environnementaux ? Quelles nouvelles stratégies permettent de penser la conception urbaine ?
Synthétisant les différents séminaires organisés par POPSU Europe avec collectivités locales et chercheurs pluridisciplinaires, l’étude observe que l’on assiste progressivement à un changement de paradigme : d’une stratégie de maîtrise de l’eau par des dispositifs techniques sans cesse plus sophistiqués, les projets urbains innovent désormais afin « d’accepter l’eau » et d’en faire un élément d’attractivité du territoire.
Ces multiples réflexions et parfois contradictoires soulignent que les acteurs, dans leur diversité, visent à aller au-delà de la seule notion de zone non constructible : les problématiques portant essentiellement sur la protection (l’endiguement, par exemple) ou la contrainte réglementaire doivent être dépassées. La présence de l’eau dans la ville n’est plus systématiquement « repoussée » mais, au contraire, elle peut constituer dans certains contextes et sous certaines conditions une opportunité pour repenser les approches urbaines et architecturales et accorder une place grandissante à l’environnement dans le projet urbain. Dans ce cadre, l’intégration du risque doit s’inscrire dans une vision globale du territoire, s’appuyant sur des actions réalisées à différentes échelles et sur différents volets.
Pour introduction, l’étude fait ressortir les stratégies historiques sur la maîtrise de l’eau et plus particulièrement sur celles de la maîtrise des aléas naturels fondée sur l’utopie qu’il est possible de domestiquer les aléas naturels grâce à une technique toujours plus sophistiquée, les digues, barrages et ouvrages de rétention des eaux vont ainsi progressivement occuper les bords des fleuves et des mers. Toutefois, les multiples catastrophes qui s’égrènent au fil des dernières décennies montrent la vulnérabilité des sociétés urbaines et introduit l’amorce d’un changement de paradigme : une ville qui serait construite sans tenir compte du risque d’inondation auquel elle est exposée, quel que soit le système technique chargé de la protéger, ne saurait être qualifiée de durable.
L’étude s’est axée sur l’adaptation du territoire au cœur de la gestion du risque d’inondation, notamment en France. Le risque d’inondation est le premier risque naturel en France, un tiers des communes sont concernées. Le changement climatique est, selon le GIEC, d’ores et déjà à l’origine de certaines catastrophes et on devrait assister à une augmentation de l’aléa à l’avenir. Cette situation unanimement approuvée par les pouvoirs publics, scientifiques, face aux risques, les territoires doivent s’adapter, réduire leur vulnérabilité et développer leur résilience. Pour mieux articuler la ville à la présence de l’eau, il faut donc « la préparer » à l’inondation, pour qu’elle puisse absorber la perturbation et recouvrer ses fonctions après la crise. Il est d’ailleurs bon de noter que la directive européenne 2007/60/CE relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation, transposée dans la loi du 12 juillet 2010 (loi LENE portant engagement national pour l’environnement), s’inscrit dans cette perspective.
Un exemple concret de grande métropole, Rotterdam dont la stratégie d’adaptation développée à l’échelle de l’agglomération, s’appuie sur trois objectifs :
1/assurer la sécurité contre les eaux
2/ impliquer le grand public
3/ favoriser la rentabilité des investissements.
Si l’entretien du système de protection existant constitue le noyau dur des actions à mener, il doit s’accompagner d’un meilleur usage de l’espace urbain pour garantir la « qualité de la ville ». Dans un contexte de compétition internationale, la ville présente sa stratégie comme un élément de différenciation, les contraintes sont transformées en opportunités pour innover, l’attractivité du territoire doit en sortir renforcée.
L’étude met en lumière une autre réflexion sur l’acceptation de l’eau à l’origine de nouvelles stratégies. Nicolas Gilsoul, Professeur à l’Ecole du Paysage de Versailles, a montré que les innovations techniques et les paris hydrauliques qu’ils recouvrent s’apparentent à différentes stratégies, issues de l’assemblage de 5 archétypes. l’Arche, renvoie à des structures urbaines insubmersibles, villes flottantes, et va du simple prototype de maison radeau en Hollande jusqu’aux cités jardins d’un million d’habitants en Asie. Le Mur, dresse un mur d’enceinte qui protège un temps les citadins. Cependant la montée des eaux, le coût de mise en place et de gestion de ces ouvrages en pleine crise économique et sociale modifie aujourd’hui la pensée même du mur. La digue s’épaissit plutôt que de s’élever. Elle devient un nouveau milieu à coloniser, ralentissant ou retenant les eaux par ailleurs recyclées et dépolluées. L’éponge profite du désir de nature en ville et des demandes de nouveaux espaces publics pour fabriquer un socle poreux. Les berges y accueillent désormais l’expansion des crues, cette stratégie induit d’autres programmes et permet l’apparition de nouveaux usages urbains comme à Lyon. Dans la stratégie de l’étagement, « la ville monte à l’étage » pour se protéger des inondations. Elle intègre l’eau et les terres basses comme un outil profitable à la cité. Enfin, la déviation, divise le flux des eaux pour en réduire la force dynamique et les dégâts collatéraux de l’érosion. Elle multiplie les réseaux de rus et les berges à habiter. L’infrastructure verte devient souvent une machine dépolluante, un continuum écologique comme l’illustre la métropole d’Angers qui se lance à la reconquête de ses berges sur les 20 années à venir.
Autant d’innovations mais aussi de solutions alternatives qui peuvent crées comme celle à Lagos où se développe un projet modeste, soutenu par les Nations Unies. Des habitations en auto-construction et à moindre coût, basées sur le modèle d’un prototype flottant reproductible d’une unité autonome, pourraient remplacer peu à peu les installations de fortune sans chasser les habitants.
Enfin, l’étude souligne l’importance de la gestion des zones inondables pour une approche transversale pour contribuer à la ville « résiliente ». Pour limiter la capacité d’endommagement des inondations et favoriser la résilience des territoires, des évolutions techniques mais aussi culturelles et organisationnelles sont nécessaires. L’engagement de la collectivité de Nîmes est une illustration d’une politique d’articulation entre les différents volets d’une politique publique. Elle concerne tout un volet d’actions : protection, prévention, information, sensibilisation des populations, alerte, gestion de crise. L’implication et la responsabilisation des occupants, en complément d’une intervention des pouvoirs publics sont essentielles mais encore peu développées en France. A Rotterdam la collectivité mobilise les habitants des quartiers très exposés pour que soient mises en place des protections individuelles. A Mayence, un guide spécifique destiné aux investisseurs et aux nouveaux arrivants du quartier Zollhaffen, qui a fait l’objet d’une intense rénovation malgré sa situation dans le lit majeur du fleuve, est édité pour informer sur les comportements à adopter. Le plan climat territorial de la communauté urbaine de Dunkerque vise à sensibiliser les habitants à la spécificité du territoire de polders. Pour Gilles Hubert, professeur à l’université de Paris-Est, le concept de résilience peut être appliqué au fonctionnement des réseaux techniques urbains (eau, énergie, transport, propreté, télécommunication), comme à Amsterdam où sont installés sur une zone industrielle, les différents équipements vitaux pour le fonctionnement urbain. Le décloisonnement des services publics et de gestion des réseaux constitue bien un impératif en cas de crise.
Pour conclure, les différents projets analysés établissent l’hypothèse que l’acceptation de l’eau et la prise en compte du risque ne s’opposent pas à l’attractivité d’un territoire. Prévention et développement se complètent en proposant des dispositifs innovants pour une meilleure gestion des ressources environnementales et une amélioration des techniques urbaines et architecturales, que ce soit dans les quartiers existants ou en renouvellement.