Directive européenne « travailleurs détachés », Modus vivendi pour la responsabilisation du donneur d’ordre…
C’est dans la soirée du 09 décembre que les ministères de l’emploi et des Affaires des Etats Membres de l’Union européenne (UE) sont parvenus à un accord sur la directive d’exécution relative au détachement des travailleurs après des mois de négociations difficiles. Un accord qui vient confirmer la position défendue par la France…
7 heures de débats pour un compromis afin d’éviter certains montage frauduleux dans la chaine de sous-traitance notamment dans le secteur de la construction.
L’accord sur la révision de la Directive « travailleurs détachés » des 28 Etats membres de l’Union Européenne porte donc sur le renforcement de la responsabilité des maîtres d’ouvrage. « Notre objectif est de lutter contre la fraude et ne pas mettre d’obstacles à la libre circulation. Nous resterons donc fermes sur ces principes. Il faut une responsabilisation obligatoire de toute la chaîne. En guise de compromis, nous avons proposé de limiter cette responsabilité au secteur de la construction. C'est la seule façon efficace de lutter contre des montages frauduleux. Il faut que cette responsabilité existe dans chaque pays sinon, cela rompra la chaîne de responsabilité. C'est ce que nous avons proposé avec 9 autres Etats membres dans un texte de compromis alternatif. Si nous voulons montrer que l’Europe avance, nous ne pouvons-nous contenter du statu quo ou d’une régression » a précisé Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social qui soutient depuis le début une position ferme pour renforcer les contrôles et le respect des règles de détachement, afin de lutter plus efficacement contre le dumping social, a ainsi refusé un compromis insuffisant en octobre dernier. Depuis, la France et l’Allemagne, appuyées par l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Bulgarie, la Roumanie et la Slovénie, à l’écoute des attentes fortes des partenaires sociaux européens, ont travaillé sans relâche pour obtenir un texte à la hauteur des enjeux.
Deux avancées majeures étaient attendues, que l’accord trouvé garantit :
Tout d’abord, la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle sera une liste ouverte. La France fixera donc par la loi nationale la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés en France. La directive permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus. Pour favoriser la sécurité juridique de ce nouveau cadre, la Commission et les autres États devront être informés des documents exigibles dans chaque pays.
Ensuite, la responsabilisation des entreprises donneuses d’ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics vis-à-vis de leurs sous-traitants, obligatoirement et dans tous les États, sans seuil d’application, sous la forme d’une responsabilité solidaire ou, le cas échéant, via un mécanisme de sanctions équivalentes du donneur d’ordre. Il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter plus efficacement contre la fraude et plus largement contre les montages frauduleux. Cette directive protégera également les travailleurs détachés dont les droits seront davantage respectés, ainsi que les travailleurs français qui ne subiront pas une concurrence déloyale, tout comme les entreprises qui respectent les règles.
Les États membres (EM) auront donc le choix d’opter pour deux options :
1- la première pour un système de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire, (une dizaine d'Etats membres dont la France souhaitaient que ce principe soit obligatoire dans le bâtiment pour faire face aux montages sophistiqués de fraude dans ce secteur);
2- soit, dans le cas où il n'y a pas de système juridique, les EM pourront mettre en œuvre des mesures de sanction équivalentes vis à vis du donneur d’ordre. La Commission européenne sera ensuite chargée de vérifier la mise en place de ce système. « On n’était pas très loin de la minorité de blocage, mais finalement, cette disposition est passée », a déclaré avec fierté le ministre du Travail, Michel Sapin, tout en notant le vote négatif du Royaume-Uni, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Lettonie, de l'Estonie, de la Slovaquie et de Malte. C'est finalement la volte-face de la Pologne qui a permis de faire passer le texte.
En corollaire, les pays encore opposés à l’idée d’une liste ouverte d’exigences administratives et de mesures de contrôles ont levé leurs réticences. Ils ont en effet accepté le principe d’une liste indicative de mesures, pouvant être complétées par les États membres après information préalable à la Commission. Selon la nouvelle formulation, l’exécutif européen sera responsable d’informer les autres États membres et de contrôler l’application des nouvelles mesures. « La France fixera donc par la loi nationale la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés en France. La directive permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus » a expliqué la délégation française.
Le texte en discussion vise à améliorer la mise en œuvre de la Directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs, sans en modifier les dispositions. Il doit permettre d’éviter les abus dans les cas où un travailleur est envoyé dans un autre État membre, pendant une période limitée, pour y effectuer une prestation de services définie. Et ceci afin d’éviter qu’un travailleur détaché soit exploité ou privé de tout ou partie du salaire qui lui est dû. « Les entreprises frauduleuses ont un large éventail d'options pour contourner la loi : le faux travail indépendant, le recours à des sociétés boîtes aux lettres, les contrôles inexistants ou rares dans certains pays, la connaissance que la coopération transfrontalière et l’échange d'information est difficile et inefficace, voire inexistante, et le fait que la collecte transfrontalière des amendes et l'exécution des décisions sont pratiquement impossibles », explique la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB).
Grâce à cette approche générale, les négociations avec le Parlement européen vont pouvoir débuter. Les trois institutions européennes espèrent toujours parvenir à un accord avant les élections européennes. Mais le temps presse : la dernière session plénière se tiendra en effet au mois d’avril 2013. Et lors de son vote, la commission de l’emploi du Parlement européen avait opté pour une responsabilité obligatoire dans tous les secteurs d’activité et dans tous les maillons de la chaine de sous-traitance.
Cet accord a été salué par les fédérations du secteur de la construction. « Le secteur de la construction étant particulièrement victime des pratiques illégales en matière de travailleurs détachés, cette première étape est une vraie victoire », se réjouit Patrick Liébus, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) au sujet du consensus qui s’est dégagé le 9 décembre à Bruxelles sur la révision de la directive «détachement».
L’objectif était de mieux encadrer la mise en œuvre de ce texte de 1996 pour lutter contre les abus, sans toutefois en modifier les dispositions.
La Fédération Française du Bâtiment (FFB), elle aussi, a le sentiment d’avoir été entendue. « Cet accord n’empêchera pas, bien évidemment, le détachement de salariés de continuer, mais ça devrait donner un coup d’arrêt important à ce fléau alors que le secteur va connaître en 2014 une baisse d’activité de -0,4% et une perte de 7.000 emplois ! », appuie son président, Didier Ridoret.