Qu’est-ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ?
Issu de la journée d’information par l’association des Maires du département du Maine-et-Loire avec différents partenaires de la maîtrise d’œuvre, Lucile CAILLAUD, juriste de l’Ordre des Architectes et Guénaël VERGER, Juriste AMF 4, ont tenté de synthétiser les réflexions sur l’offre économiquement la plus avantageuse. ''Choisir Sa Maîtrise D’œuvre :''
LA FORME :
Bien que la notion d' « offre économiquement la plus avantageuse » ait été élaborée dès 1971 (première Directive sur les marchés publics de travaux) et introduite dans le Code des marchés publics en 2001, force est de constater qu’elle est difficilement mise en pratique faute, notamment, de sécurité juridique.
Néanmoins, la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, ainsi que l’entrée en vigueur des directives Marchés publics de 2004 et du Code des Marchés publics de 2006, permettent une relative mise en œuvre de l’offre économiquement la plus avantageuse dans le respect des principes de liberté d’accès et d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence des procédures.
La terminologie générique et européenne d’«économiquement la plus avantageuse» est réductrice quand il s’agit de concevoir le meilleur service public. La dimension économique n’est qu’une des composantes d’un équipement qui doit répondre à des enjeux multiples, fonctionnels, sociologiques, environnementaux, etc.
1/ L’ANALYSE ECONOMIQUE DE L’OFFRE
a) Le principe : la pondération des critères
Le Code des Marchés Publics attire l’attention de l’acheteur public sur l’obligation et l’intérêt de la pondération des critères. Contrairement à la hiérarchisation où les différents critères sont analysés indépendamment les uns des autres, dans le cadre de la pondération, chacun des critères est affecté d’un coefficient de pondération.
Cette pondération des critères, si elle s’avère être un outil indispensable à la passation des marchés de fournitures et à la politique d’achat du maître d’ouvrage, est mal adaptée aux prestations intellectuelles et donc à la passation des marchés de maîtrise d’œuvre.
Pour une bonne information des opérateurs économiques éventuellement intéressés, la liste des critères choisis (avec l'indication de leur poids ou, à défaut, de leur classement par ordre d'importance) doit figurer dans l'avis d'appel public à la concurrence plutôt que dans le règlement de la consultation. Concernant les marchés de maîtrise d’œuvre, l’article 53-II du Code des Marchés Publics dispose que « pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération. (...) Le pouvoir adjudicateur qui estime pouvoir démontrer que la pondération n’est pas possible du fait de la complexité du marché, indique les critères par ordre décroissant d’importance ».
Si la pondération participe généralement à une meilleure définition des offres, les candidats ayant ainsi une vision plus précise des attentes et des priorités du maître d’ouvrage, il s’agit d’un principe difficilement adaptable aux marchés de maîtrise d’œuvre. Comment en effet mettre en pourcentage la qualité architecturale qui recouvre de multiples composantes esthétiques, techniques, fonctionnelles, patrimoniales, sociologiques...qui sont pour une bonne part, subjectives ?
L’article 53 du Code des Marchés Publics a été modifié en 2008 pour exclure expressément le concours de la pondération. Il n’est donc pas nécessaire de pondérer les critères de jugement des projets car une simple hiérarchisation suffit. La pondération n’est pas appropriée dans cette procédure, caractérisée par l’intervention du jury dont le travail d’analyse des projets consiste à débattre sur chacun d’eux afin de dégager un consensus sur le meilleur à partir de critères d’évaluation retenus qui reflètent les objectifs du maître d’ouvrage.
La pondération des critères d’évaluation des projets, qui conduirait à une approche mathématique, est antinomique avec le travail d’analyse et de débat du jury, qui se finalise par un vote de l’ensemble de ses membres pour faire émerger le meilleur projet.
En procédure négociée spécifique, il faudra pondérer la cohérence des rapports prix/délais/prestations, les moyens et la méthode de travail, la compréhension des attentes du maître d’ouvrage que les contacts directs qu’autorise la négociation vont permettre d’évaluer. En procédure d’appel d’offres, les critères objectifs pondérés, prix, délais, moyens mis en œuvre sont applicables. En ce qui concerne les marchés de maîtrise d’œuvre, la pondération des critères est donc très relative :
- La pondération ne s’applique pas en phase de sélection des candidatures
- La pondération ne s’applique pas à la procédure de concours : c’est une procédure de sélection des projets, l’attribution du marché intervenant après la phase de négociation
avec le lauréat ;
- La pondération est obligatoire pour les marchés passés selon une procédure
formalisée et lorsque plusieurs critères sont prévus ;
- La pondération n’est pas obligatoire pour les marchés passés en procédure adaptée.
b) L’évaluation des offres
Il est recommandé de sélectionner les offres par l’application de plusieurs critères. Le critère du « mieux-disant » est préférable à celui du « moins-disant ». Le critère prix n’est qu’un critère parmi tous les critères de choix possibles indiqués à l’article 53. L’offre économiquement la plus avantageuse n’est pas assimilable au prix le plus bas, ce qui ne doit pas conduire l’acheteur à minorer l’importance du critère prix dans l’analyse des offres. L'évaluation des offres (y compris, le cas échéant, les variantes) au regard de chacun des critères autres que le prix doit être transparente et objective. La transparence implique que les modalités de l'évaluation pour chacun des critères soient spécifiées dans le règlement de la consultation.
Une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché doivent être mis en œuvre : la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d’exécution. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché.
Le choix de l’offre est le résultat de plusieurs étapes :
1. Définition des besoins et élaboration des documents de la consultation
2. Définition des critères de choix et d’attribution pertinents
3. Choix d’une méthode d’analyse des offres et de leur appréciation
4. Choix final de la meilleure offre
Il importe enfin que la connaissance du prix des offres n'ait pas d'influence sur l'évaluation de leur qualité ; il est recommandé à cet égard que les offres soient présentées sous la forme de deux enveloppes, celle qui contient le prix n'étant ouverte qu'après la phase d'évaluation qualitative.
Le critère "prix" n'est pas un critère comme les autres. Il est d'abord toujours un critère pertinent ; l'offre économiquement la plus avantageuse est en effet par définition celle qui conduit au meilleur rapport qualité/prix, le critère du prix s'opposant ainsi à l'ensemble des critères de qualité ("best value for money").
L’utilisation du seul critère prix est inadaptée aux marchés de maîtrise d’œuvre, eu égard à la complexité des prestations demandées. Il s’agit même d’un « faux ami », une rémunération sous-évaluée se traduisant in fine, par un coût global de bâtiment plus élevé.
Concrètement, l’unique critère prix est réservé à l’achat simple de fournitures. Pour protéger l’acheteur public d’offres financièrement séduisantes mais dont la robustesse pourrait ne pas âtre assurée, le code des marchés publics dispose : « Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifie les justifications fournies ».
2/ L’OFFRE ANORMALEMENT BASSE
Ni le Code, ni les directives ne donnent de définition de l’offre anormalement basse. Les pouvoirs adjudicateurs doivent donc apprécier la réalité économique des offres, afin de différencier l’offre anormalement basse d’une offre concurrentielle.
L’article 55 du code des marchés publics prévoit une procédure de traitement des offres suspectées d’être anormalement basses par le pouvoir adjudicateur. Ce dispositif permet de ne pas sanctionner l’offre basse mais l’offre anormale qui nuit à la compétition loyale entre les candidats et qui, si elle était retenue, risquerait de mettre en péril la bonne exécution du marché.
Concernant les offres anormalement basses, il y a peu de jurisprudence. L’appréciation de ces offres entre dans le champ du contrôle restreint du juge. Le caractère anormalement bas d’une offre ne relève pas que de la simple appréciation du prix. Il repose également sur l’appréciation technique de l’offre en question. Le maître d’ouvrage a le devoir de rejeter une offre anormalement basse. S’il ne le fait pas, il engage sa responsabilité, car il crée une rupture d’égalité entre les candidats.
Comment identifier une offre anormalement basse ?
Une offre peut être qualifiée d'anormalement basse "si son prix ne correspond pas à une réalité économique", comme précisé dans le Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics. Bercy précise que "le pouvoir adjudicateur peut apprécier la dimension économique des offres à partir de plusieurs référentiels", à savoir la prise en compte du prix de l'offre, l'utilisation d'une formule mathématique, la comparaison avec les autres offres, la comparaison avec l'estimation du pouvoir adjudicateur, et au vu des obligations qui s'imposent aux soumissionnaires.
La sous-évaluation financière des prestations constitue le premier indice évident de l’offre anormalement basse. Le caractère bas du prix doit cependant être apprécié au vu de toutes les composantes de l’offre. Un outil peut être utilisé pour déterminer un taux d’honoraires en adéquation avec la mission attendue : il s’agit du guide à l’intention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des honoraires de maîtrise d’œuvre de la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques.
En effet, le Tribunal Administratif de Toulouse, dans une ordonnance du 6 décembre 2013, a estimé qu’une communauté de communes a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne sollicitant pas des informations sur le prix et a donc annulé partiellement la procédure de passation du marché de maîtrise d’œuvre pour la réalisation d’une crèche intercommunale et d’un relais d’assistante maternelle : le juge administratif s’est fondé sur le guide à l’intention des maîtres d’ouvrages établis par la MIQCP en estimant que le taux retenu était inférieur de plus de moitié au taux fixé dans ledit guide.
En l’espèce, le taux retenu était de 4,8% alors que le magistrat se fondant sur le guide de la MIQCP a établi pour ce type de prestation un taux de rémunération de 9,1% Cette décision confère une certaine valeur normative à ce guide en l’utilisant comme référentiel.
Par ailleurs, la MIQCP a mis en place un outil très simple d’utilisation qui est un simulateur d’honoraires de maîtrise d’œuvre en bâtiment neuf qui permet de déterminer rapidement un montant d’honoraires cohérent. Les règles en vigueur qui régissent les marchés publics ont certes écarté toute notion de barème afin de laisser le libre établissement des honoraires entre les parties contractantes. Mais l’ordre des architectes, sans remettre en cause ces principes, souhaite que les architectes et les maîtres d’ouvrages publics prennent conscience de la nécessité de rémunérer de manière équitable la maîtrise d’œuvre afin de relever les défis d’une construction durable au service de l’intérêt général.
Comment traiter une offre suspectée d'être anormalement basse ?
Après avoir identifié les offres susceptibles d'être anormalement basses, le pouvoir adjudicateur a l'obligation de demander des explications à leurs auteurs et d'en apprécier la pertinence, afin de prendre une décision d'admission ou de rejet. Il est tenu de suivre les étapes décrites par l'article 55 du Code des marchés publics. Cette procédure constitue une obligation qui peut, le cas échéant, être sanctionné par le juge.
Concrètement, le pouvoir adjudicateur doit :
- Demander des explications au candidat qui a déposé l'offre (La procédure contradictoire de l’article 55 permet au pouvoir adjudicateur de s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l’ensemble des exigences formulées dans le dossier de consultation.)
- Apprécier la pertinence des explications fournies par le candidat
- Décider de l'admission ou du rejet de l'offre en cause.
Dans l’affaire citée précédemment et jugée devant le tribunal administratif de Toulouse, le juge a estimé que le pouvoir adjudicateur avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne sollicitant pas d’informations sur le prix.
Quels sont les risques à retenir une offre anormalement basse ?
Comme le souligne la Direction des Affaires Juridiques, "le pouvoir adjudicateur est libre d'apprécier les justifications fournies et de considérer que l'offre suspectée originellement d'être anormalement basse, est finalement celle qui est économiquement la plus avantageuse". Elle fait cependant peser un risque sur les deniers publics, si les motifs de la différence de prix n'ont pas été identifiés, du fait d'une mauvaise exécution possible du marché.
Les risques sont de plusieurs types :
- Risques opérationnels : financier, défaillance, qualité, ou encore travail dissimulé
- Risques juridiques.
La Mutuelle des Architectes Français, principale compagnie d’assurance des architectes, a diffusé une étude démontrant le lien mécanique entre une augmentation de la sinistralité sur les bâtiments et la baisse continue des honoraires de maîtrise d’œuvre.
Il faut savoir enfin que le montant des honoraires de la maîtrise d’œuvre ne représente que 2% du coût global d’une opération de construction comprenant le foncier, les frais bancaires, les honoraires de l’ensemble des intervenants, le montant des travaux, les assurances et les frais de maintenance du bâtiment. Une augmentation de 2 points du taux d’honoraires de la maîtrise d’œuvre équivaut donc à une plus-value de 0,4% environ du coût global définitif.
La maîtrise légitime du coût global d’une construction de bâtiment n’aura de sens que si les professionnels en charge de la conception et du suivi de la construction disposent des moyens nécessaires pour mettre en œuvre un projet répondant aux objectifs de performances, de qualité et de faisabilité économique.