Le médiateur national de l’énergie souhaite l’amélioration des dispositions relatives au« chèque énergie » pour lutter contre la précarité
A l’occasion de sa plaidoirie le 10 septembre dernier devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le projet de loi sur la transition énergétique, le médiateur national de l’énergie (MNE) a avancé huit propositions relatives à la lutte et à la prévention de la précarité énergétique
1 Objectif national de réduction de la précarité énergétique
La précarité énergétique est la combinaison de revenus faibles et de dépenses énergétiques élevées. Elle ne saurait être réduite par la seule amélioration du pouvoir d’achat des ménages.
Il nous semblerait donc utile de préciser dans la loi que les politiques publiques concourent non seulement au renforcement de la compétitivité de l’économie française et à l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages mais aussi à la réduction de la précarité énergétique.
2 La performance énergétique, critère de décence des logements
Actuellement, aucun niveau d’isolation minimum n’est requis pour qu’un logement soit considéré comme décent : il suffit qu’il dispose d’une prise de courant permettant d’y brancher un radiateur électrique. L’introduction d’un critère de décence relatif à la performance énergétique, qui sera précisé par voie réglementaire, est indispensable pour que les passoires énergétiques fassent l’objet de rénovation, en particulier dans les zones de tension locative. Le seuil minimal de performance énergétique acceptable pourra être relevé progressivement dans le temps.
3 Alignement des différentes trêves hivernales
La loi ALUR a étendu la trêve hivernale des expulsions locatives au 31 mars, soit 2 semaines de plus que la date de fin de la trêve hivernale des coupures d’énergies instituée par la loi dite Brottes. Il serait logique et plus simple d’harmoniser les dates de début et de fin de ces deux trêves.
4 Incitation des propriétaires bailleurs à la rénovation thermique de leurs logements
L’incitation des propriétaires, bailleurs en particuliers, à la rénovation est indispensable à la réussite de la transition énergétique. En complément des dispositifs prévus par le projet de loi, qu’il s’agisse d’obligations (aux moments clefs) et d’aides financière (crédit d’impôt, subventions diverses), un mécanisme complémentaire destiné spécifiquement aux propriétaires bailleurs pourrait être introduit.
La prise en charge progressive d’une partie des dépenses de chauffage des locataires pourrait être introduite pour les logements les plus énergivores si des travaux de rénovation thermique n’ont pas été entrepris dans un certain délai, par exemple 25% de la facture de chauffage si les travaux n’ont pas été entrepris d’ici au 1er janvier 2020.
5 Institution d’un fournisseur de dernier recours en électricité
L’ouverture des marchés, c’est la possibilité pour un client de choisir son fournisseur, mais aussi la possibilité pour un fournisseur de choisir ses clients. Les consommateurs peuvent ainsi se retrouver sans fournisseur de gaz ou d’électricité suite à des incidents de paiement, y compris chez le fournisseur historique.
Le développement de la concurrence sur ces marchés, à un rythme beaucoup plus soutenu depuis 2013, devrait conduire à une multiplication des cas de consommateurs qui ne peuvent trouver de fournisseur.
La fin des tarifs réglementés de l’électricité au 1er janvier 2016 devrait également avoir pour conséquence des situations inédites de consommateurs professionnels, PME ou ETI, se retrouvant sans fournisseur, notamment sur le territoire de la plupart des entreprises locales de distribution (ELD), où aucun fournisseur alternatif n’est présent.
Actuellement, les gestionnaires de réseaux assurent de facto cette mission de fourniture de dernier recours pour les consommateurs domestiques, en dehors de tout cadre légal, quand la résiliation a été demandée mais qu’elle ne peut être effectuée (risques pour la sécurité des agents, de troubles à l’ordre public ou pour des raisons « humanitaires »).
Il est donc proposé d’instituer un service de fourniture de dernier recours simple et peu coûteux pour la collectivité, qui tienne compte du caractère essentiel de la fourniture d’énergie, dans la lignée de l’instauration d’une trêve hivernale pour le gaz et l’électricité (loi d’avril 2013).
Cette disposition a été préconisée par le Conseil national du Débat sur la transition énergétique ainsi que par le CESE dans son avis sur le projet de loi.
Ce dispositif sera réservé dans un souci de priorité à l’électricité, du moins dans un premier temps, devra tenir compte de la diversité des situations sur le territoire (160 entreprises locales de distribution de l’électricité) et être compatible avec les règles de fonctionnement d’un marché ouvert à la concurrence. Il devra aussi veiller à ne pas inciter au non-paiement des factures et à ce que la fourniture en dernier recours ne soit que transitoire tout en évitant d’être stigmatisant pour celui qui en bénéficie.
La fourniture d’électricité en dernier recours pourrait être considérée comme relevant d’un service public d’intérêt général et, à l’instar du modèle postal, faire l’objet d’un contrat de service public entre l’Etat et les opérateurs.
Cette mission pourrait être confiée aux gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité, qui disposent d’un monopole local et ont un rôle de proximité qui a été négligé depuis l’ouverture des marchés. Cette solution est la plus simple et la plus rapide à mettre en œuvre.
Dans la mesure où les distributeurs ne disposent plus ni de service clientèle ni de service de facturation (sauf pour les ELD), une solution de facturation simple et économe en ressources comme le prépaiement pourrait être retenue.
Un équilibre entre les coûts et les recettes devra être recherché. Toutefois, une contribution de la CSPE pourrait être requise en complément.
6 Amélioration des dispositions relatives au« chèque énergie »
L’institution d’un chèque énergie constitue une mesure proposée de longue date par le médiateur national de l’énergie.
Les dispositions prévues dans le projet de loi, qui devront être précisées par voie réglementaire, n’appellent pas de remarque particulière, à l’exception :
· de la question des bénéficiaires « intermédiaires »
· du financement, qui repose « notamment » à ce stade sur l’électricité et le gaz naturel
(périmètre constant – CSPE et CTSS), avec un recours possible au budget de l’Etat.
Sur les bénéficiaires intermédiaires : la raison principale pour laquelle les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz ne pouvaient bénéficier à l’ensemble des ayant droit était que nombre de bénéficiaires de la fourniture n’étaient pas titulaires du contrat. Pour certaines catégories d’entre eux (chauffage e au gaz naturel, résidences sociales), des dispositifs ad’hoc avaient été créées par amendement législatifs. Outre leur complexité, ces dispositifs ne couvraient pas toutes les situations (exemple : maisons de retraites, chauffage collectif à l’électricité) : de 30 à 50% des ayants droits étaient tout simplement exclus du bénéfice des tarifs sociaux.
Afin que le chèque énergie bénéficie à 100% de ses ayants droits, il nous paraît indispensable que le chèque énergie puisse être utilisé en règlement de dépenses d’énergie qui seraient facturées indirectement : charges de chauffage dans un immeuble collectif par exemple, ou factures des réseaux de chaleur.
Il faut autoriser donc un locataire à régler ses charges de chauffage à son bailleur via le chèque énergie, à charge ensuite pour le bailleur soit de régler la facture d’énergie avec le chèque énergie au fournisseur, soit de se faire rembourser par l’organisme émetteur du chèque.
Sur le financement : l’équité d’un dispositif d’aide au paiement des factures de toutes les énergies suppose précisément que toutes les énergies contribuent en son financement, car il s’agit d’un mécanisme de solidarité financé par les consommateurs.
En outre, l’un des principaux avantages du chèque énergie tient précisément à sa non spécialisation en termes de ciblage du type de dépense énergétique, afin de ne pas reconduire l’une des principales causes de l’échec des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz naturel : un même titre de paiement doit pouvoir servir à régler du gaz, de l’électricité, du GPL ou du fioul.
Par ailleurs, le niveau de financement à mobiliser pour le chèque énergie devrait être significativement revu à la hausse, alors même que la CSPE atteint un niveau difficilement soutenable pour les ménages (voir plus loin).
Une contribution au financement du chèque énergie doit donc être instituée pour les principales énergies domestiques, outre le gaz et l’électricité : le fioul et le GPL.
Par simplicité au vu du nombre élevé de prestataires, et parce qu’il s’agit d’une source d’énergie renouvelable, nous proposons d’exempter le bois énergie de la contribution au chèque énergie. La question de savoir si le chèque énergie pourrait être utilisé pour régler des dépenses de bois ou dérivés (exemple : granulés) est à instruire.
S’agissant des réseaux de chaleur, il pourrait être considéré qu’ils contribuent, via la contribution de leur approvisionnement en énergie, au financement du chèque énergie.
7 Financement des FSL directement via la CSPE
Les FSL constituent un outil complémentaire d’aide au paiement des factures, très sollicité en période de crise, et sont ainsi un outil indispensable de la solidarité national. Les FSL ont ainsi accordé 60 M€ environ d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz en 2012.
Actuellement, les fournisseurs d’électricité contributeurs (principalement EDF) sont compensés par la CSPE. Il en résulte une situation anormale où une entreprise se prévaut auprès des élus et du grand public d’être le premier contributeur au FSL (23 M€ en 2013) en omettant de préciser qu’elle est intégralement compensée (23 M€ en 2013).
Il est proposé d’instituer un financement direct des FSL via la CSPE et de cesser de compenser les fournisseurs d’électricité pour leurs versements volontaires, qui demeurent bien entendus autorisés. On notera d’ailleurs que GDF SUEZ est un autre grand contributeur aux FSL, sans aucune compensation avec des fonds publics.
Ce basculement serait opéré sans surcoût pour la CSPE par rapport aux dispositions actuelles, et améliorerait la visibilité du dispositif d’aide sociale.
8 Limitation de l’importance des rattrapages de facturation par les fournisseurs d’électricité, de gaz naturel et de chaleur
Il est une pratique courante des fournisseurs d’énergie consistant à facturer des rattrapages de consommation de plus d’un an, au mépris de leur obligation légale de facturer au moins une fois par an sur la base de la consommation réelle, tout en préparant l’arrivée des compteurs communicants pour l’électricité et le gaz naturel.
En effet, des milliers de consommateurs se voient réclamer chaque année des factures de plusieurs milliers d’euros, correspondants à plusieurs années de rattrapage de consommation, ce qui a pour effet de favoriser leur basculement dans la précarité.
Les dysfonctionnements de compteur s ou les défauts de relevé de compteur par le distributeur (Erdf et Grdf), à l’origine de ces régularisations de facture tardives par les fournisseurs, sont d’abord dû aux choix économiques des distributeurs d’énergie consistant à réduire le coût des relevés et à limiter le nombre d’interventions sur les compteurs (avec la suppression de déplacements lors de mise en service, l’externalisation du relevé des compteurs, le refus d’adresser des courriers recommandés en cas d’absence multiples pour faire des économies de coûts d’affranchissement...).
Les compteurs des clients domestiques doivent être relevés tous les 6 mois par les distributeurs, en vertu des dispositions des contrats de concession, et les fournisseurs sont tenus de facturer leurs clients au moins une fois par an sur la base de la consommation réelle (art. L. 121-91 du code de la consommation et art. 2 de son arrêté d’application du 18 avril 2002). Pourtant, ils estiment que cette obligation légale ne s’applique plus à eux si le distributeur ne leur communique pas de relevé.
Les opérateurs estiment ainsi que le point de départ de la prescription dépend de la date du relevé de compteur effectif, ce qui les exonère de leur propre responsabilité en l’absence de relevé, et leur permet aujourd’hui d’établir un rattrapage qui peut remonter jusqu’à 20 ans en arrière.
Il en ressort que ce sont les consommateurs de bonne foi, en particulier ceux facturés sur la base d’estimations de consommation, qui font les frais de la défaillance des opérateurs. Il y a bien sûr le préjudice causé au pouvoir d’achat des ménages ou à la trésorerie des petits professionnels : le montant moyen des régularisations de factures constaté par le médiateur national de l’énergie en 2013 est de 2 300€ pour les particuliers et de 7 900€ pour les professionnels. Mais les factures de régularisation pénalisent également les consommateurs dans l’appréciation de leurs dépenses réelles d’énergie et constituent une perte de chance de faire des économies, préjudiciable à la réussite et à l’appropriation de la transition énergétique par les usagers.
Dans la perspective de la mise en place généralisée des compteurs évolués ou communicants d’ici aux années 2020 et 2022, qui devront favoriser les relevés et les facturations des consommations réelles, il est prévu la même durée maximale de rattrapage de facturation afin de contraindre les distributeurs à assurer une maintenance rapide des compteurs évolués, compte tenu des litiges traités par le médiateur national de l’énergie portant sur des compteurs communicants défectueux et non remplacés avant plusieurs mois.
Cette durée de limitation des régularisations de factures à 12 mois maximum à compter de la date prévue pour le relevé de compteur sera égale à celle en vigueur dans le secteur des télécommunications, où la prescription de droit commun de 2 ans est réduite à un an.
Dans tous les cas, limiter les possibilités de rattrapage des consommations non facturées ne devra pas s’appliquer aux situations de fraude avérées, si les opérateurs apportent la preuve d’une manœuvre délibérée du consommateur pour se soustraire au relevé de son compteur.