L’abaissement du seuil de déclenchement des mesures de protection contre l’amiante en 2020 plutôt qu’en 2015… pourquoi pas en 2030…
Selon un récent rapport du Haut conseil de la santé publique (HCSP) intitulé ‘’Repérage de l’amiante, ces mesures d’empoussièrement et révision du seuil de déclenchement des travaux de retrait ou de confinement de matériaux contenant de l’amiante’’, un abaissement du seuil d’empoussièrement qui ne doit pas dépasser à l’intérieur des locaux 5 fibres d’amiante par litre d’air, mesuré en microscopie électronique (META) serait « illusoire » voire « contreproductif » et pourrait même avoir un « bilan sanitaire négatif ». Il recommande au législateur d’attendre… 2020 pour passer de 5 fibres à 2 fibres d’amiante par litre d’air !
Alors que les effets sanitaires sont connus puisqu’au total, sur la période 1955-2009, le nombre de décès attribuable à une exposition à l’amiante serait compris entre 61300 et 118 400 (exposition professionnelle uniquement pour le cancer du poumon ; tout type d’exposition pour le mésothéliome) et que l’estimation du nombre de décès attendu entre 2009 et 2050 par cancer du poumon liés à l’exposition à l’amiante à venir serait de l’ordre de 50 à 75 000, auxquels s’ajoutent de 18 à 25 000 dus au mésothéliome, sans compter d’autres cancers tels que ceux du larynx ou des ovaires pour lesquels la responsabilité de l’amiante a été confirmée par le Circ en 2009.
En France, les bâtiments font l’objet d’une réglementation relative au risque d’exposition à l’amiante depuis 1996. Un seuil d’empoussièrement a été fixé à 5 fibres d’amiante par litre d’air, à partir duquel doivent être entrepris des travaux de désamiantage ou de confinement des matériaux amiantés. Cette valeur correspond au niveau moyen qui était mesuré dans l’air en milieu urbain dans les années 70. Le dépassement de cette valeur à l’intérieur des locaux doit être interprété comme une pollution liée à la dégradation des matériaux et produits contenant de l’amiante, ou à une contamination provoquée par des travaux qui sont susceptibles de générer un risque d’exposition des occupants du bâtiment.
La question est pourquoi attendre 2020 ?
Selon le HCSP, il déplorerait une règlementation trop complexe qui ne s’appuie pas assez sur les normes, un faible contrôle des pratiques qui, dans de nombreux cas, ne sont pas conformes à la règlementation, et une connaissance insuffisante du risque lié à la présence d’amiante dans les bâtiments.
Le HCSP formule de nombreuses recommandations pour rendre cohérentes les différentes règlementations sur l’amiante et réduire l’écart entre ces règlementations et la pratique, appelant à leur mise en œuvre dans les plus brefs délais pour améliorer la gestion des risques liés aux expositions à l’amiante. Cette politique de mise en conformité est la priorité préconisée par le HCSP.
Ces conditions remplies, le HCSP propose pour le seuil de déclenchement des travaux une valeur de 2 f/L applicable au 1/1/2020.
Le HCSP préconise une évaluation de l’évolution des pratiques à cette échéance. En fonction des résultats de cette évaluation, la possibilité d’un abaissement supplémentaire du seuil pourrait être considérée.
Le HCSP prend ainsi le contrepied des recommandations de l’Agence de sécurité sanitaire (Anses, ex-Afsset) datant déjà de 2009 et du Comité de suivi « amiante » du Sénat.
Il désavoue les experts qu’il avait lui-même réuni en groupe de travail et qui proposaient de passer à 2 fibres par litre dès 2015 et à une fibre en 2020.
L’ANDEVA, Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante s’indigne de ces attitudes attentistes et immobiles. Depuis le décret 96-97 de 1996, le seuil d’empoussièrement à ne pas dépasser à l’intérieur des locaux est de 5 fibres d’amiante par litre d’air, mesuré en microscopie électronique (META).
C’est une valeur repère pour la gestion du risque amiante : son dépassement doit déclencher réglementairement des travaux de retrait ou de confinement. Les mesures libératoires à l’issue d’un chantier de désamiantage ne doivent pas dépasser ce seuil.
Cette valeur avait été fixée par référence à des mesures de fond de pollution urbain réalisées dans les années 70, une époque où l’amiante n’était pas encore interdit et où la pollution de l’air des villes en fibres d’amiante était dix fois supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui.
Partant de ce constat, l’Agence de sécurité sanitaire (Anses, ex-Afsset) a recommandé dès 2009 un abaissement du seuil de gestion d’un facteur 10 (de 5 fibres par litre à 0,5 fibres)
En janvier 2010, la Direction générale de la Santé a demandé au Haut Conseil à la Santé Publique (HCSP) de formuler une recommandation sur la valeur de ce seuil.
Le HCSP a alors réuni des experts pour constituer un groupe de travail. Ce groupe a produit une série de recommandations (repérage, métrologie, contrôles) et s’est prononcé pour un premier abaissement du seuil de gestion dès 2015 à 2 fibres par litre, préparant un passage à 1 fibre par litre en 2020 :
Les experts considèrent à juste titre qu’il faut « assurer un niveau d’exposition aussi bas que possible de la population générale aux fibres d’amiante, le bruit de fond de pollution actuel (0,08 fibre par litre) ne justifiant pas que la population soit exposée au-delà de ce bruit de fond, dès lors que la faisabilité technique du mesurage est démontrée ».
Rappelant que la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) doit être abaissée d’un facteur dix au 1er juillet 2015, ils estiment que « ne rien faire conduirait à assurer la protection de la population générale à un niveau inférieur, en termes d’exposition aux fibres d’amiante, à celui des salariés travaillant sur l’amiante ».
Ils soulignent que « le passé montre que tout décalage dans les décisions d’abaissement de seuil réglementaire n’est jamais utilisé par les acteurs concernés pour anticiper ou se préparer à ces dispositions mais à en retarder davantage l’application »
Ils considèrent que « fixer 2 fibres par litre en 2020 justifierait l’inaction des acteurs concernés jusqu’à cette date, et il serait difficile pour les pouvoirs publics de justifier l’absence d’évolution réglementaire sur les seuils alors que l’amiante continue à entraîner des milliers de décès, des coûts de « réparation » associés exorbitants et qu’aucune contrainte technique ne s’oppose à la prise en compte de ces recommandations dès à présent ».
Une telle position aurait dû relever de l’évidence, mais la Commission spécialisée Risques liés à l’environnement (CSRE) du Haut conseil en a jugé autrement : non seulement elle n’a pas repris la position de ce groupe d’experts, mais elle l’a combattue publiquement en s’opposant à tout abaissement de ce seuil dans l’immédiat, avec des arguments qui laissent pantois :
Partant du constat (bien réel) que « les pratiques de repérage et mesurage, de mise en œuvre des travaux, de gestion des déchets amiantés et des situations d’exposition d’origine environnementale » ne respectent pas la réglementation, elle en tire cette conclusion paradoxale : « Une réduction des seuils réglementaires serait illusoire en l’absence d’améliorations importantes et concrètes »
Poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, le HCSP s’évertue même à démontrer qu’un abaissement de ce seuil augmenterait le nombre de maladies liées à l’amiante ( !) : « une baisse des seuils qui serait décidée rapidement, écrit la CSRE, conduirait inévitablement à une augmentation importante du nombre de chantiers de désamiantage et des volumes de déchets de chantiers à éliminer, avec pour conséquence, sans capacité satisfaisante actuelle de gestion de cette situation, un risque de voir augmenter l’exposition des personnels des chantiers, des riverains et de la population générale (y compris autour des sites de stockage de déchets, et in fine un bilan sanitaire négatif. »
Le dernier argument avancé pour justifier cette position attentiste est la volonté crûment exprimée que « les principales préconisations des experts passent effectivement les étapes des arbitrages politiques » et d’éviter que les opérateurs « ne s’opposent pour des raisons de faisabilité économique à toute avancée du dossier ».
Cette autocensure politico-économique d’une expertise qui n’aurait dû être guidée que le souci d’améliorer la protection de la population est à mille milles de la mission de santé publique qui devrait être celle du HCSP.