La Victoire de Samothrace peut reprendre son envol… depuis l’Escalier Daru…
Le grand chantier de restauration de la Victoire de Samothrace s’achève. Objet de toutes les attentions des restaurateurs depuis septembre 2013, l’éclatante silhouette du monument le plus célèbre du musée du Louvre s’offre de nouveau aux regards des visiteurs à partir du 9 juillet 2014. Dix mois ont été en effet nécessaires pour ausculter soigneusement les surfaces et effectuer le minutieux travail de nettoyage. Les marbres dévoilent enfin la splendeur de leurs teintes et de leurs contrastes.
Grâce à la restauration, des informations nouvelles sur la conception et le décor du monument ont été décelées qui permettent de mieux connaitre ce chef-d’œuvre de la sculpture grecque. Une exposition dossier rendra compte, en mars 2015, de l’ensemble des résultats de cette campagne.
La rénovation de l’escalier Daru qui fait écrin au monument, se poursuit jusqu’en mars 2015. Ce chantier majeur, de l’ordre de quatre millions d’euros, bénéficie du soutien de Nippon Television Holdings, de F. Marc de Lacharrière (Fimalac) et du Projet de Conservation de Bank of America Merrill Lynch. . 6 700 donateurs individuels ont participé à la campagne « Tous mécènes ! » concourant à réunir un million d’euros.
Les résultats de la restauration
La restauration de la Victoire de Samothrace visait à nettoyer les différents marbres du monument dans le respect des interventions du XIXe siècle, et à améliorer le passage du public. L’encrassement de la surface et le vieillissement des badigeons anciens altéraient en effet la vision de l’une des plus belles œuvres du musée.
Le nettoyage des marbres qui composent le monument ‒ marbre blanc de Paros pour la statue et marbre de Lartos, gris veiné, pour sa base en forme de bateau ‒ rend toute sa splendeur à la Victoire de Samothrace. Le marbre de Paros, le plus beau de la statuaire grecque, retrouve toute sa luminosité mais aussi sa belle patine blonde due au passage des siècles et à l’enfouissement de la statue à la fin de l’Antiquité. Le contraste entre les deux teintes de marbre est de nouveau visible, soulignant la logique du projet : une Victoire atterrissant sur un bateau.
Grâce à une méthode d’analyse innovante, d’infimes traces de bleu, totalement invisibles à l’œil nu, ont pu être repérées. Elles attestent que le bord du manteau de la statue devait être décoré d’un galon de quelques centimètres de largeur. Des traces bleues plus diffuses sur les ailes et noires sur le bateau complètent ces informations sur la polychromie. Le nettoyage des surfaces, à l’aide de compresses, a bien sûr conservé ces vestiges. Les bouchages en plâtre, réalisés par les restaurateurs du XIXe et du XXe siècle, ont été retirés et remplacés par un matériau plus stable, réversible et aux teintes adaptées. Lors de ces opérations, une mèche s’échappant du chignon est apparue à l’arrière du cou, cachée sous un bouchage en plâtre datant du début du XXe siècle. Le démontage, pour la première fois depuis 1933, des vingt-trois blocs du navire a permis d’étudier et de comprendre l’assemblage du monument : la statue a été positionnée au centimètre près et l’étai métallique disgracieux qui la maintenait en équilibre a pu être retiré. Treize fragments, parmi la trentaine restés en réserve, ont pu être intégrés (quatre sur la statue et neuf sur le bateau), dont un fragment représentant trois plumes qui vient se placer sur la crête de l’aile gauche. Le bloc, rajouté en 1933 entre la statue et la proue du navire, inexact d’un point de vue scientifique, a été retiré. Mais l’extraordinaire silhouette de la statue, fruit des restaurations anciennes, demeure inchangée : les compléments en plâtre du XIXe siècle ‒ l’aile droite et la partie gauche du buste ‒ sont conservés. Pesé (29 tonnes et non 30 tonnes comme estimé précédemment), mesuré et photographié en 3D, le monument de la Victoire de Samothrace est désormais mieux connu des spécialistes.
Une muséographie repensée
Un socle moderne a été créé qui surélève légèrement le monument pour mieux le mettre en valeur. L’ensemble a été reculé pour laisser plus d’espace sur le palier sans altérer pour autant le formidable point de vue qu’offre sa géniale mise en scène au sommet de l’escalier Daru. À l’issue de l’exposition dossier sur la campagne de restauration au printemps 2015, une vitrine sur le palier droit présentera les fragments non jointifs du monument
Retour sur les étapes du chantier
Le chantier de restauration a démarré le 3 septembre 2013. La Victoire a été déplacée dans une cabine éphémère à proximité, salle des Sept Cheminées, pour faciliter la restauration de l’ensemble du monument, le palier étant trop étroit pour une telle opération. La statue a été déposée et le socle démonté bloc par bloc. Un programme d’analyses, coordonné par Sandrine Pagès-Camagna, du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), a précédé toute intervention afin de compléter les informations sur l’état de conservation de l’œuvre. Des tests de nettoyage ont alors été entrepris dont les résultats furent présentés devant une commission composée d’experts internationaux ayant un rôle d’aide à la décision auprès des commissaires de la restauration. Le travail de restauration, mené par l’équipe de Daniel Ibled et Anne Liégey (huit restaurateurs), débuta en octobre et s’acheva en juin. Le bateau a alors été remonté, de mardi en mardi (jour de fermeture du musée). La statue retrouve son emplacement le 8 juillet 2014 et redevient visible du grand public qu’à partir du lendemain.
Les étapes de la restauration sont expliquées en images sur le site www.louvresamothrace.fr. Les résultats de la campagne seront présentés lors de l’exposition dossier (salle des Sept Cheminées) et d’une journée d’études à l’auditorium en mars 2015, lorsque la rénovation de l’escalier sera terminée. Un livre et un documentaire seront édités à cette occasion.
Le chantier visant à redonner tout son lustre à l’escalier Daru est en cours. Reliant les ailes Sully et Denon, l’escalier Daru est un axe de circulation majeur ; il reste accessible pendant les travaux. Les échafaudages nécessaires au nettoyage des voûtes, des verrières et des parois hautes de cet ensemble architectural monumental (20 m. de large sur 34 m. de long et 22 m. de haut, soit l’équivalent d’un immeuble de cinq étages) masquent plusieurs murs. Après avoir rénové le palier de la Victoire, les échafaudages sont désormais placés sur les volées inférieures.
Après la restauration de la Vénus de Milo et le réaménagement des salles d’art grec classique et hellénistique en 2010, ce chantier d’envergure marque un nouveau jalon dans la rénovation des salles du département. Il devrait se poursuivre avec celle des espaces dédiés aux collections d’antiquités étrusques et romaines.
Le soutien de donateurs fidèles
Ce chantier exceptionnel de l’ordre de quatre millions d’euros a été rendu possible par le soutien de plusieurs mécènes, au premier rang desquels la société Nippon Television Holdings qui avait déjà contribué à la rénovation de la salle des États (salle de la Joconde) en 2005 ainsi que des galeries de la Vénus de Milo en 2010. Nippon Television Holdings a organisé avec le musée du Louvre une grande exposition d’art grec au Japon en 2006, qui permit de restaurer et de mettre en valeur une grande partie de cette collection.
La restauration de la Victoire de Samothrace, imaginée par le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines dès 1998, a pu être développée grâce au renouvellement de sa politique de restauration des marbres antiques favorisée par l’aide apportée par F. Marc de Lacharrière (Fimalac), mécène historique du département depuis 1995. Fimalac a contribué, en effet, à la restauration du Gladiateur Borghese (1996-1997) et de la Vénus Genitrix (1999), a soutenu les expositions Porphyre (2006) et Praxitèle (2007) et le réaménagement de la salle du Manège (2004) qui furent autant d’étapes de la politique de restauration des sculptures antiques du Louvre.
Le Projet de Conservation de Bank of America Merrill Lynch soutient également cet exceptionnel chantier de restauration dans le cadre de sa politique internationale de mécénat en faveur de la conservation et de la restauration d’œuvres d’art majeures. Ensemble, ils ont apporté trois millions d’euros.
Photo : Après restauration, La Victoire de Samothrace © 2014 Musée du Louvre / Antoine Mongodin
Après restauration, La Victoire de Samothrace entourée des échafaudages © 2014 Musée du Louvre / Antoine Mongodin
La Victoire de Samothrace
Le monument de la Victoire de Samothrace se compose d’une statue de femme ailée – la déesse messagère de la Victoire – et d’une base en forme de proue de navire posée sur un socle bas. Cette association lui donne tout son sens : il constituait une magnifique offrande aux Grands Dieux de Samothrace à la suite d'une victoire navale. D’époque hellénistique, l’ensemble mesure 5,57 m de hauteur. Il s’impose comme un chef-d’œuvre inégalé de la sculpture grecque tant par l’éblouissante virtuosité de la draperie que par l’incroyable ingéniosité de sa construction.
L’allégorie de la Victoire
Très tôt, les Grecs ont donné à des concepts tels que la Paix, la Bonne Fortune, la Vengeance ou la Justice l’apparence de déesses. La Victoire, Niké en grec, est l’une des plus anciennes de ces personnifications. C’est une figure féminine pourvue de grandes ailes, afin de voler pour répandre sur toute la Terre la nouvelle d’une victoire remportée aussi bien aux jeux athlétiques qu’à la guerre. Messagère, elle embouche parfois une trompette pour se faire entendre. En volant, elle apporte au vainqueur les insignes de sa victoire : couronne, bandelette, palme, trophée d’armes ou de navire.
La statue représentant la déesse
Réalisée en marbre blanc de Paros, le plus beau marbre statuaire de Grèce, la statue mesure 2,75 m. Elle figure la Victoire au moment où elle termine son vol en se posant sur le navire. Les ailes encore ouvertes, elle touche du pied droit le pont du navire, le pied gauche battant encore l'air, comme suspendue. Ses bras et sa tête manquent mais l’on suppose que son bras droit était levé et plié au coude, pour faire un geste de salut victorieux, la main ouverte tendue vers l'avant. Le bras gauche, abaissé, tenait peut-être un attribut, par exemple une hampe prise sur le navire ennemi comme on le voit sur certaines monnaies.
La déesse est vêtue d'une robe (chitôn) en tissu léger ceinturée par une cordelette sous les seins et qui était sans doute attachée aux deux épaules par de fines bretelles. Par-dessus, elle porte un manteau (himation) dont l'étoffe, plus épaisse, forme des plis profonds. Demi-drapé à la taille, il était noué sur la hanche, mais il est en train de se détacher, découvrant la jambe gauche en son entier : un pan très long tombe à l'avant entre les jambes tandis qu'un pan plus court s'envole dans le dos. Le sculpteur a su saisir dans la pierre le bref moment où la draperie, en train de tomber, tient encore plaquée par endroits contre le corps par le seul effet du vent.
C'est dans la vue de trois quarts gauche que la statue fait tout son effet, car ses lignes de construction deviennent évidentes. Les deux jambes tendues à l'extrême forment avec la ligne du sol un triangle rectangle qui supporte à la fois la puissance du corps, l'énergie du mouvement et le tourbillon des draperies. De ce côté de la statue, le sculpteur a travaillé le rendu des différentes étoffes avec virtuosité ; le côté droit, au contraire, présente un travail des vêtements et du corps très simplifié, ce qui prouve qu'il était peu visible du spectateur.
La base en forme de navire
L’allégorie de la Victoire est juchée sur une base en forme de proue de navire aux dimensions imposantes ; sur un socle rectangulaire constitué de six dalles juxtaposées de 36 cm de hauteur, dix-sept blocs sont répartis en trois assises horizontales, légèrement montantes dans la partie avant et mesurant 2,01 m de haut.
La base et le socle sont taillés dans un marbre gris veiné de blanc, provenant des carrières de Lartos, dans l’île de Rhodes à l’extrême sud de la mer Egée, choisi pour contraster avec la blancheur du marbre de la statue.
La proue représentée correspond à l'avant d'un navire de guerre de l'époque hellénistique. De forme effilée, il se caractérise par la présence d'importantes caisses de rames débordant de chaque côté de la coque permettant de multiplier le nombre de rameurs et d’accroitre ainsi la puissance du navire. Ces caisses soutenaient deux rangs de rames superposés et décalés dont les sabords de nage sont soigneusement représentés. Au-dessus du plat- bord se trouve le pont de combat.
À l'avant de la proue, les principales armes de combat servant à la destruction du navire adverse ‒ un grand éperon au-dessus de la quille, et un plus petit au milieu de l'étrave ‒ ont disparu, ainsi que l'ornement de proue qui couronnait l'étrave. Plusieurs documents antiques de la même époque ont été conservés qui permettent de reconstituer l'aspect d'origine de la base.
Une construction d'ensemble sophistiquée et ingénieuse
La statue n'est pas faite d'un seul bloc de marbre, mais de plusieurs parties sculptées séparément, jointes les unes aux autres et maintenues à l'origine par des goujons de bronze ou de fer. Cette technique est particulièrement répandue à l'époque hellénistique en Asie Mineure et dans les Cyclades : la Vénus de Milo en fournit un bon exemple, mais la construction de la statue de la Victoire est beaucoup plus complexe, en raison du grand porte-à-faux des ailes. Un premier grand bloc comprend le corps depuis le dessous des seins jusqu’aux pieds ; un deuxième, plus petit, forme le buste et la tête. Les deux bras, les deux ailes, les pieds et plusieurs morceaux de draperie sont travaillés à part et rapportés.
Le maintien des ailes positionnées de façon hardie lancées vers l’arrière posait un vrai problème d’équilibre. Pour le résoudre, le sculpteur a découpé l'avant des deux plaques des ailes en gradin ; elles étaient fixées au dos du buste, tout en reposant sur deux consoles débordant à l'arrière au sommet du bloc du corps où elles venaient s’emboiter. L'inclinaison de la surface d'assemblage entre le buste et le corps permettait de reporter tout le poids des ailes vers l'avant et d'assurer leur maintien sans aucun support apparent. Véritable tour de force, ce système a permis de réaliser en marbre un porte-à-faux de grande ampleur, véritable défi aux lois de la pesanteur.
La base, dont l’avant est lacunaire, est une construction dont la sophistication n'est pas immédiatement apparente. Il s’agissait de maintenir les porte-à-faux à la fois des blocs latéraux représentant les caisses de rames et du bloc avant figurant la quille du bateau, décollé du socle pour mieux ressembler à celle d'un vrai navire. Un gros bloc au milieu de l'assise supérieure, resté à Samothrace, servait de support à la statue. Leur poids combiné permettait de maintenir l’ensemble de façon ingénieuse.
La statue et la base forment donc un dispositif complexe indissociable ; la construction du monument constitue une prouesse technique tout aussi remarquable que la virtuosité de la sculpture.
Date et style du monument
L'inscription qui indiquait les circonstances de la dédicace de ce somptueux ex-voto, le nom du dédicant et peut-être même le nom du sculpteur, n'a pas été retrouvée lors de la fouille. On ne peut donc que suggérer des hypothèses sur ces points importants.
Le monument commémore une bataille navale, mais laquelle ? Les batailles navales entre les puissances hellénistiques pour s'assurer la domination de la partie orientale du bassin méditerranéen se sont succédés depuis la fin du IIIe siècle avant J.-C., et les occasions pour consacrer une telle dédicace n'ont pas manqué.
On a longtemps pensé que le monument de Samothrace avait été dédié par les Rhodiens, et qu'il caractérisait l'école de sculpture de l'île. Mais il semble que, quoique conçues par un même artiste, les deux parties constituant la Victoire aient été réalisées dans deux ateliers différents. Seule la base en forme de navire provient avec certitude des ateliers de Rhodes. La statue a dû être exécutée par un autre atelier qui, par bien des aspects, est plus proche des ateliers d'Asie Mineure, particulièrement ceux de Pergame. En effet, bien qu’aucune région du monde hellénistique n’ait fourni jusqu’à maintenant de statue comparable stylistiquement, c’est dans la partie orientale du monde grec que les statues au corps fabriqué en plusieurs morceaux assemblés ont le plus souvent été réalisées. Le créateur de la Victoire pourrait être originaire de cette région car il maitrisait avec maestria cette technique, parvenant à réaliser en pierre un porte-à-faux digne des plus beaux bronzes.
Si d’autres monuments attestent de l’existence de statues analogues (en Libye notamment), aucune région du monde grec à l’époque hellénistique n’a fourni de statue qui soutienne réellement la comparaison avec celle de la Victoire de Samothrace. L’artiste a pu emprunter le thème à la Victoire de Cyrène (Libye) et s’inspirer du style des draperies du fronton du Parthénon réalisé deux siècles auparavant. On pense aussi au Grand Autel de Pergame dont l’auteur pourrait être celui de la Victoire de Samothrace. C’est sans doute entre 220 et 185 avant J.-C. qu’on peut envisager la présence à Samothrace du sculpteur de la Victoire, créateur au génie hors norme, qui par la suite aurait contribué au décor du Grand Autel de Pergame.
La découverte de la Victoire de Samothrace
La Victoire est découverte le 15 avril 1863 par Charles Champoiseau, alors vice-consul de France intérimaire à Andrinople, aujourd’hui Edirne en Turquie. Au printemps 1863, il entreprend d’explorer les ruines du sanctuaire des Grands Dieux sur l'île de Samothrace appartenant à l’Empire ottoman et met au jour l’un des monuments les plus spectaculaires et les plus achevés de la sculpture hellénistique.
L’île de Samothrace est située dans la mer Egée, au large de la côte thrace, au nord-est de la Grèce. Elle est formée d’une haute montagne qui surgit de la mer. Au pied de la montagne, sur la côte nord de l’île, dans le ravin d’un torrent, était établi un très ancien sanctuaire dédié aux Grands Dieux, ou dieux Cabires. Les pèlerins y venaient en nombre se faire initier aux cérémonies des mystères. Il fut abandonné à la fin de l’Antiquité.
À l'extrémité de la terrasse surplombant le vallon du sanctuaire, Champoiseau repère un bloc de marbre sculpté affleurant le sol, qui l'incite à fouiller à cet endroit. Apparaît d'abord la partie droite d'un buste féminin, et à quelques mètres, un corps de femme drapée, haut de plus de 2 m. Champoiseau précise d'emblée que le corps est « presque intact ». Il prospecte les alentours pour retrouver la tête et les bras de la statue, mais en vain. Par contre, il met au jour plusieurs fragments de draperie, dont un pan de manteau flottant, ainsi que de nombreux fragments d'ailes, qu'il recueille soigneusement : ces derniers permettent à Champoiseau d'identifier la statue comme celle d'une Victoire.
Au même endroit, à peine enfouis, se trouvaient pêle-mêle une douzaine de gros blocs de marbre gris aux formes étranges, plus trois autres encore en place sur un socle de marbre posé sur un gradin de calcaire. Champoiseau dégage également trois murs cernant l'espace et il interprète le tout, à tort, comme un sarcophage, dans un monument funéraire de style égyptien.
Le voyage vers Paris
Champoiseau envoie la statue et les fragments au Louvre. L'expédition en France de cette découverte inattendue et très lourde n'est pas simple ; les matelots de la corvette de l'ambassadeur de France à Constantinople s'occupent de la mise en caisses des éléments recueillis. Le chargement fait ensuite route de l’île de Samothrace à Constantinople, puis de Constantinople au Pirée, et enfin du Pirée à Toulon sur trois embarcations différentes. Les caisses sont alors expédiées en chemin de fer à Paris où elles arrivent le 11 mai 1864.
Les restaurations de la Victoire de Samothrace
La première restauration (1864-1866)
Le conservateur des antiques Adrien de Longpérier, jugeant la sculpture très belle, entreprend immédiatement de la faire restaurer pour l'exposer. Pour assurer la stabilité du bloc principal dont la plinthe mince, exiguë et brisée à l'arrière ne suffit pas à le faire tenir seul, on l’insère dans un bloc de pierre ordinaire. Une barre métallique, fichée entre la hanche droite de la statue et le socle assure l'aplomb du corps. Plusieurs fragments brisés sont remis en place, parfois au moyen de petites tiges métalliques. Quelques lacunes mineures sont complétées en marbre.
Le buste, trop fragmentaire et instable, n'est pas réajusté. On le remet donc en réserve, ainsi que l'aile gauche recomposée en grande partie, impossible à refixer dans le vide. A cette époque, on ne connaît pas d'œuvre qui pourrait servir de modèle pour restaurer les lacunes importantes de la statue. Longpérier prend la décision courageuse, encore à cette époque, d'exposer le bloc du corps mutilé. Il le place parmi les copies romaines, dans la salle des Caryatides, en privilégiant pour le spectateur la vue de trois quarts gauche.
Le rôle des archéologues autrichiens (1875-1880)
Après la mission de Champoiseau, les archéologues autrichiens de l'université de Vienne entreprennent deux missions, en 1870 et 1875, pour étudier l'architecture des édifices du sanctuaire de Samothrace. En 1875, ils font le relevé des différents blocs aux formes bizarres laissés par Champoiseau et réalisent que ces blocs correctement assemblés représentent l'avant d'un navire de guerre. Le rapprochement avec des monnaies d'époque hellénistique leur permet d’avancer avec certitude que ces blocs constituent la base de la statue. Les éléments encore en place révèlent que le monument était présenté un peu en oblique sur la gauche.
Les Autrichiens se lancent alors dans l'étude de la statue et de sa base à partir de moulages des éléments conservés au Louvre. Ils replacent certains fragments sur le corps, complètent l'aile gauche et comprennent ainsi la construction des différentes parties composant la statue. Une reconstitution de l’ensemble sous forme de maquette restituant les éléments manquants selon leurs suppositions est réalisée. Champoiseau, mis au courant de ces recherches, déploie tous ses efforts pour que les blocs de la base rejoignent la statue à Paris. Il y parvient et les blocs sont réceptionnés au début de novembre 1879.
Tétradrachme de Démétrios Poliorcète avec une Victoire sur une proue de navire, 301-292 av. J.-C. BNF, Cabinet des médailles
La grande restauration (1880-1883)
Elle est l'œuvre de Félix Ravaisson-Mollien, personnalité du monde intellectuel de son temps, qui succède à Longpérier à la tête du département des antiquités grecques et romaines du Louvre en 1871. En décembre 1879, Ravaisson-Mollien commence la restauration de la statue dans l’actuelle cour du Sphinx, en s'inspirant de la maquette des Autrichiens. Mais il décide de s'en tenir aux parties essentielles et de laisser la tête, les deux bras et les pieds lacunaires. L'utilisation du plâtre s'impose, car il est moins onéreux que le marbre, plus facile à mettre en œuvre, et surtout, il évite de retailler les plans de cassure. Il complète ainsi le bloc du corps afin de replacer le buste dont la moitié gauche est manquante. À partir d'un moulage inversé de l'aile gauche, il modèle l’aile droite. L'aile gauche en marbre, très lourde, est renforcée par une armature de fer sur toute sa longueur. Ravaisson-Mollien fait harmoniser les teintes du plâtre et du marbre par un badigeon d'ensemble.
Concernant la base, certains blocs lacunaires sont complétés avant d'être assemblés et calés, et les joints de maçonnerie sont lissés au plâtre en surface. Le bloc manquant à l’arrière de l’assise supérieure est comblé par des briques maçonnées, dans lesquelles est encastrée la plinthe de la statue, de façon à ce qu'elle affleure la surface du navire.
L’emplacement du monument dans le musée semble s'être imposé assez rapidement : l'unanimité se fait sur le choix du palier supérieur du nouvel escalier Daru, conçu par Lefuel dans le cadre de l'agrandissement du musée sous Napoléon III. Mais il est nécessaire d'entreprendre des travaux pour renforcer le mur du fond à l'étage inférieur, pour qu'il puisse supporter un poids estimé entre 25 et 30 tonnes. Le monument est placé tout au fond du palier, et, malgré ce que l'on savait depuis les travaux des Autrichiens sur son emplacement oblique d'origine, disposé de face dans l'axe de l'escalier. Pour cette raison, on remplace l'ancien étai sur le côté droit par un autre étai plus discret scellé à l'arrière de la jambe gauche.
Au mois d'août 1883, après trois ans et demi de travaux, la Victoire de Samothrace est révélée au public et au monde des savants.
La troisième restauration (1932-1934)
Cette opération, conduite par le conservateur en chef Étienne Michon, a pour but d'améliorer la visibilité du monument pour le visiteur qui gravit peu à peu l'escalier. Tout d'abord, il faut avancer la base en détachant le monument du mur du fond et en le rapprochant des marches. La statue est soulevée et l’on fait riper l'ensemble de 1,50 m vers l'avant. Avant de remettre la statue en place, on ajoute, pour la rehausser, un bloc de ciment de 43 cm de haut sur l'assise supérieure du navire, dans lequel est encastrée la plinthe. De la sorte, la Victoire et le navire deviennent visibles depuis le bas des marches, et le monument se trouve ainsi magistralement mis en scène dans l'escalier, dont il forme maintenant le couronnement.
Il s’agissait aussi d’une tentative de restitution du navire qui fut abandonnée, n’étant pas pertinente. Le bloc, améliorant l'effet de perspective depuis le bas de l'escalier, est maintenu. L’avant de l’assise supérieure du navire est complété en ciment et les joints des blocs sont dégagés pour faire apparaître les contours antiques.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la statue est déplacée pour être mise à l’abri au château de Valençay. Son retour en 1945, marque symboliquement la libération de la France et la victoire des Alliés.
Depuis 1884, le monument n'a pas subi d'autre restauration que des dépoussiérages réguliers. Au fil du temps, son badigeon a donné au marbre une teinte brunâtre de plus en plus gênante.
Plusieurs éléments nouveaux viennent enrichir les connaissances que l’on avait du monument ; la paume de la main droite est découverte à Samothrace en 1950, lors d’une campagne de fouilles de l’université de New York City à laquelle était associé Jean Charbonneaux, conservateur au Louvre. Elle a été mise en dépôt par la Grèce au Louvre en 1954. Les doigts, trouvés en 1875 par la mission autrichienne, ont été déposés par le Kunsthistorisches Museum de Vienne. Leur position tendue prouve que la statue ne tenait rien dans sa main.
En 1996, le bloc manquant à l’arrière de l’assise supérieure du navire qui supportait la statue est identifié au musée de Samothrace. Entre 1996 et 2006, l'étude scientifique de la statue et de la base, dont les résultats ont été publiés par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, a apporté à la connaissance du monument des éléments nouveaux susceptibles d'en modifier la présentation.
Histoire de la création de l’escalier Daru
L’escalier Daru (du nom du ministre Pierre-Bruno Daru, intendant général de la grande armée de Napoléon Ier) est souvent nommé « escalier de la Samothrace » tant le monument et l’escalier monumental semblent indissociables. La Victoire de Samothrace fut placée au haut de ce palier, dans une mise en scène des plus réussies du musée, en 1883. L’aménagement que nous connaissons aujourd’hui est le fruit du travail consécutif de plusieurs grands architectes du Louvre.
Fontaine, la création d’un escalier Empire
Napoléon Ier choisit, comme architecte du Louvre en 1804, Pierre- François-Léonard Fontaine et son associé Charles Percier qui dirigent le chantier du palais jusqu’en 1848. Ils bâtissent le grand escalier d’honneur marquant l’entrée du musée du Louvre dans l’aile située au Nord de la cour du Sphinx entre 1809 et 1812. Les deux salles, appelées aujourd’hui « Percier » et « Fontaine », au premier étage correspondent à l’ancien vestibule d’entrée au musée, et sont les seuls vestiges encore existants du décor luxueux désiré à l’origine par Napoléon : colonnes de marbre, plafonds sculptés et peintures allégoriques, bas-reliefs en trompe l’œil.
Louis Charles Auguste Couder (1789_1873), Napoléon Ier visitant l’escalier du Louvre sous la conduite des architectes Percier et Fontaine, musée du Louvre, département des Peintures
Lefuel, un nouvel escalier
En 1854, Hector-Martin Lefuel entreprend la construction des nouvelles ailes Nord et Sud du palais du Louvre initiées par Visconti sous Napoléon III puis la décoration intérieure des nouveaux bâtiments en 1857. Dans un premier projet, il essaye de conserver l’escalier de Percier et Fontaine, bien que devenu désaxé et hors d’échelle par rapport au nouveau projet. Mais l’Empereur condamna ce choix et imposa la disposition actuelle. Lefuel conçoit donc cet escalier monumental comme un nœud de circulation permettant, par un jeu de voûtes, de volées et de paliers, d’établir les articulations nécessaires avec les ailes Denon et Sully. Le nouvel escalier est conçu comme un projet aérien avec des vides entre les différentes volées, des piles élancées sculptées et une série de coupoles en couvrement. Il dessine des garde-corps à balustres qui ne seront pas réalisés.
Dans son aménagement, Lefuel souhaite un éclairage généreux : quatre fenêtres prennent le jour à l’étage du côté de la cour Napoléon, et deux, en symétrie, s’ouvrent sur la cour du Sphinx, complétées par un oculus et six verrières dans les coupoles. Au rez-de-chaussée, trois fenêtres s’ouvrant au Nord et au Sud achèvent de transformer cette architecture en un espace lumineux. De nombreuses niches décoratives sont également projetées dans l’aménagement et allègent la parois.
A sa mort en 1883, le chantier de l’escalier reste inachevé, sans décor ni garde-corps, avec des épannelages de pierre en attente de sculptures sur les piles des voûtes.
L’escalier Daru, la mise en scène de la Victoire Edmond Guillaume succède à Lefuel au poste d’architecte des palais du Louvre et des Tuileries. Premier Grand Prix de Rome en 1856, professeur à l’École des beaux-arts, Guillaume fut en son temps un architecte réputé. De février 1881 à juillet 1894, il poursuit entre autres travaux, celui de l’escalier Daru. Il dessine un riche décor exaltant les arts. Les plafonds sont dans un parfait style d’ornementation « Second Empire », chargé de sculptures et de fresques. En effet, suite à la découverte majeure de la Victoire de Samothrace, l’on projetait de l’implanter dans l’architecture nouvelle de l’escalier. La décoration des voûtes en parties supérieures est réalisée en mosaïques intégrées dans la structure métallique des coupoles, laissée apparente. Les pendentifs comportent chacun une figure allégorique de femme drapée aux ailes étendues sur un fond clair. Elles sont surmontées d'une large frise d'amours volants supportant des médaillons ornés des portraits de célébrités antiques comme Goudéa, Phidias,... Les verrières sont ornées de vitraux. Pour le mur du fond un rouge pompéien a été choisi, agrémenté d'un semis régulier de fleurons jaune d'or, encadré d'une bande de rinceaux
de même couleur. En 1883, la Victoire de Samothrace est placée au sommet de l’escalier dans l’axe de la galerie Daru. Au décès de l’architecte en 1894, le chantier est abandonné et le décor n’est réalisé que partiellement. Très présent et très coloré, il n'emporte pas tous les suffrages.
Ferrand, l’achèvement d’un projet
Ferrand achève le décor de l’escalier Daru en 1934. Il conçoit un projet minéral et monumental à l'esthétique « Arts Déco » en vogue dans les années 1920, qui privilégie les volumes amples, construits sur des lignes simples et fortes, et la sobriété du décor. Pour ce faire, il masque les mosaïques des coupoles par un revêtement en papier peint imitant la pierre de taille, il comble les vides entre les volées en élargissant les volées centrales, il épaissit les piliers et repousse les deux volées en retour de la Samothrace.
Ferrand remanie l’éclairage général : les huit fenêtres donnant dans les volées sont condamnées, l’essentiel de la lumière vient des coupoles. Il supprime les vitraux des coupoles qu’il remplace par des vitrages dépolis. L’oculus de l’escalier dessiné par Lefuel est supprimé. Le niveau de l’ancien rez-de-chaussée du Louvre devient plus sombre.
Ferrand traite également les baies des accès aux salles du musée et à la galerie d’Apollon jusque là négligées ; les simples percements rectangulaires deviennent des arches cintrées et la baie d’accès aux salles Percier réintègre les colonnes en retrouvant les arches de l’époque napoléonienne.
Pour achever de confirmer l’aspect sobre et épuré de son architecture, Ferrand met en place des garde-corps en style « Arts déco ».
Description de l’escalier Daru
L’escalier Daru est inscrit dans un vaste volume de 20 mètres de large par 34 mètres de long pour une hauteur de 22 mètres au-dessus du rez-de-chaussée. Il se situe à l’articulation entre les ailes Denon et Sully à l’angle Sud de la cour Carrée en desservant les départements muséographiques des Antiquités grecques, étrusques et romaines au rez-de-chaussée ainsi que les Peintures italiennes et françaises au premier étage.
L’escalier est très monumental ; il se développe comme un escalier d’honneur. Il dessert principalement depuis le rez-de-chaussée du musée le premier étage bien qu’il communique également avec le sous-sol sous la volée principale. L’accès principal se fait depuis le Louvre moderne de Visconti et Lefuel au débouché de la galerie Daru en montant tout de suite les grandes volées centrales qui mènent au premier étage. L’escalier compte trois volées et quatre paliers. Tout en haut sur le grand palier sommital dans l’axe de la volée principale, a été posée la Victoire de Samothrace dans une mise en scène datant de l’architecte Guillaume.
De grandes coupoles de plans elliptiques couronnent les grandes volées et alternent en quinconce avec quatre petites coupoles dans les « nefs » latérales. Les autres couvrements sont constitués de pleins cintres. Toutes les coupoles sont percées de verrières en verre dépoli sur ossature métallique qui prennent le jour elles-mêmes par des grandes verrières situées en toiture. Un éclairage artificiel qui provient des mêmes sources de lumière a été installé car il n’y a pas de dispositif d’éclairage nocturne. L’éclairage latéral est rare ; l’impression générale dominante est celle d’un jour zénithal.
L’ensemble est traité de manière minérale avec des sols en marbre gris veiné de Carrare et des murs en pierre de taille calcaire. Les marches de Lefuel, monolithes pour une largeur de 5 mètres, on été prolongées de petites pièces latérales dans un marbre plus blanc suite à l’élargissement de Ferrand. Les grandes coupoles sont revêtues de papier peint à l’imitation de la pierre de taille avec pour seul
élément décoratif, des guirlandes entourant les verrières. L’unique touche colorée vient des colonnes en marbre rouge à l’entrée des salles Percier et Fontaine, vestiges du premier escalier. Les garde-corps sont en laiton et verre de style « Arts déco ».
L’escalier tel qu’il est aujourd’hui doit l’ensemble de ses distributions et l’organisation de ses volées à Lefuel mais son aspect sobre et minéral correspond aux interventions de Ferrand entre 1930 et 1937.
Calendrier et chiffres clés :
Fiche signalétique de l’œuvre
Dimensions : 5,7 m de hauteur
• 2,75 m pour la statue
• 2,01 m pour la base
• 36 cm pour le socle
Matériaux :
• marbre blanc de Paros pour les 6 parties de la statue,
• marbre gris veiné de blanc de Lartos (île de Rhodes) pour les 17 blocs de la base et les 6 dalles du socle
Poids : environ 29 tonnes
Date de l’œuvre : début du IIe siècle avant J.-C.
Date de découverte : 15 avril 1863
Lieu de découverte : sanctuaire des Grands Dieux sur l’île de Samothrace
Date d’entrée au Louvre :
• 11 mai 1864 pour la statue
• Novembre 1879 pour la base et le socle
Date de présentation au public :
• 1866 pour la statue dans la salle des Caryatides
• Août 1883 pour le monument dans l’escalier Daru
Calendrier du chantier 2013
• 3 septembre
• 10 septembre
• 17 septembre
• Début octobre
• 17 décembre
• 31 décembre
2014
• Mai/juin
• 10 juin
• 8 juillet
• 12 juillet
2015
• Mars
• 5 mars
Equipes
La Victoire n’est plus visible et lancement de la campagne « Tous mécènes ! » Dépose du monument Réunion de la commission internationale au début du chantier Fin du démontage
Réunion de la commission internationale à mi-chantier Fin de la campagne « Tous mécènes ! »
Réinstallation bloc à bloc du socle, de la base puis de la statue Réunion de la commission internationale pour valider la présentation d’ensemble La statue est reposée sur son socle et les dernières finitions sont effectuées Le monument restauré est dévoilé au grand public
Fin du chantier de rénovation de l’escalier Exposition sur la restauration de la Victoire de Samothrace dans la salle des Sept Cheminées
Commissaires de la restauration
Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre. Marianne Hamiaux et Ludovic Laugier, ingénieurs d’études au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines.
Restauration sous la direction de Daniel Ibled Avec Benoit Lafay, Anne Liégey, Véronique Picur, Christine Devos, Pascale Klein, Nathalie Bruhière, Violaine Pillard.
Chantier de rénovation de l’escalier sous la maitrise d’œuvre de Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques, en lien avec la Direction Architecture, Muséographie et Technique du musée du Louvre.