Grain après grain, pierre après pierre, des montagnes à la mer, le charriage des sédiments transforme le paysage
Qu’ils soient transportés par l’eau ou par le vent, les sédiments ont un impact considérable sur l’environnement sans que l’on puisse vraiment quantifier l’ampleur de ces évènements. Un doctorant de l’EPFL a proposé une nouvelle approche mathématique de ces phénomènes aléatoires.
Grain après grain, pierre après pierre, des montagnes à la mer, le charriage des sédiments transforme le décor et a un impact considérable notamment sur les ouvrages d’art. Ainsi, les voies navigables de Venise sont menacées, le sable enlise la baie du Mont Saint-Michel tant et si bien qu’il pourrait perdre son statut insulaire. La Suisse est, elle aussi, confrontée aux dégâts causés par le charriage de sédiments. Chaque année, l’eau transporte des millions de tonnes de roches des montagnes aux vallées, sans que l’on puisse vraiment anticiper leur quantité et leur comportement. C’est précisément sur cette question que Joris Heyman a basé sa thèse. Il s’est intéressé au rôle qu’ont les fluctuations de débit dans le processus de transport des grains à l’échelle locale.
«On peut prédire les états d’un électron autour d’un atome mais on est incapable de prédire correctement comment va se comporter le lit d’un torrent» s’étonne Christophe Ancey qui dirige le Laboratoire d’hydraulique environnementale (LHE). Les modèles utilisés jusqu'à présent se basent sur des équations moyennées dont la véracité est sujette à débat. Cette méthode a été appliquée au transport de sédiments sans que la question de la validité d’une telle hypothèse ne soit posée.
Pierre qui roule…
Joris Heyman veut donc intégrer dans les modélisations numériques les fluctuations extrêmes du transport solide et ne pas se contenter d’une moyenne. Pour mener ses recherches, il s’est également basé sur des observations expérimentales. Pour cela, il a utilisé un canal de 2m50 rempli de graviers dans lequel il a créé un courant d’eau. Il a installé deux caméras ultra rapides afin de suivre et de reconstituer les trajectoires des particules solides. « J’ai voulu revenir à des problèmes plus basiques sur le transport de particules, calculer leur positionnement et leurs interactions. Enfin, voir si les résultats obtenus en laboratoire se traduisent à une échelle un peu plus grande et quel impact ont ces fluctuations sur l’environnement.»
Le canton du Valais est particulièrement touché par le charriage de sédiments, plusieurs de ses rivières posent problèmes depuis que le phénomène s’est intensifié avec le réchauffement climatique. Des barrages filtrants ont été construits pour éviter que les laves torrentielles ne débordent et ne finissent par toucher des maisons. Le canton a également des dépotoirs, pour recevoir les graviers et rochers entrainés par les flots. Ces dépôts étaient vidés une fois tous les 10 ans et maintenant c’est trois fois par année, ce qui induit un coût énergétique colossal. «A Boden, dans l’Oberland bernois, la situation est tellement aiguë que l’on hésite entre 2 alternatives, construire une digue à 7 millions sans savoir si elle va tenir, ou évacuer les habitants,» rajoute Christophe Ancey.
Joris Heyman a montré qu’il était important d'intégrer dans les calculs les fluctuations. «Il faut faire attention quand on modélise le transport de sédiments, car si les fluctuations sont aussi grandes que la rivière elle-même, ne pas les prendre en compte peut conduire à des résultats erronés. C'est malheureusement le cas de la plupart des modèles existants».
Les équations stochastiques développées au LHE pourront être appliquées dans d’autres environnements que les rivières de montagne, comme le transport éolien.