Le pilotage d’un bâtiment autour d’une valeur cible de consommation réelle est possible
Dans le cadre de la semaine européenne de l’énergie, l’IFPEB et le réseau professionnel CONSTRUCTION21 réunissaient le vendredi 20 juin dernier plus de deux cent personnes sur le sujet de la prévision et de l’engagement sur la consommation réelle d’un bâtiment, autour de retours d’expérience et d’une proposition méthodologique.
Intitulée “Comment prévoir et vérifier les consommations réelles’’, la thématique a permis de rassemblé des conclusions sur les moyens de la garantie de résultats, provenant de manière détaillée d’une dizaine d’études de cas de bâtiments livrés avec prévision de consommation réelle, confrontation à la mesure et parfois engagement contractuel.
La conférence a été l'occasion de livrer et d'échanger autour d'éléments méthodologiques partagés, dont des préconisations concrètes restituées notamment grâce aux exemples développés par les entreprises de l'IFPEB.
Cette dernière, synthèse des entreprises de l’Institut, est proposée en quatre axes invariants:
1. Bien exprimer le « potentiel d’usage» du bâtiment, ou l’ensemble des usages qu’il pourra héberger. Il s’agit de mieux le concevoir mais également savoir interpréter ses usages futurs, exprimer également les variables d’intensité d’usage,
2. Le Calcul d’une Simulation Energétique Dynamique (SED) et la bonne expression des consommations prévisionnelles en fonction de l’intensité d’usage. La SED donne la référence de tout le reste.
3. Une bonne conduite de la performance, par une supervision énergétique orientée en assistance à la future exploitation, dotée des moyens de mesure et vérification,
4. Un commissioning énergétique pour créer le lien entre tout cela.
Mais alors, quelle garantie ? Les présentations ont d’abord démontré le pilotage d’un bâtiment autour d’une valeur cible de consommation réelle était possible. Il ne s’agit pas toujours nécessairement d’aller jusqu’à une célébration contractuelle en « Garantie de Résultat Energétique» (GRE) : elle est pourtant nécessaire dans les actions d’efficacité énergétique et les CPE, voire pour sécuriser les utilisations de bâtiments. A ce sujet, il appartiendra au Chantier du Plan Bâtiment Durable « GPEI/GRE » piloté par Michel JOUVENT de continuer à clarifier les éléments de langage du débat national.
Une seule norme en filigrane de la proposition des membres de l’IFPEB : l’IPMVP, qui structure l’étude du progrès énergétique et permet de tracer l’écart « avant – après ». Mais IPMVP ne raconte pas comment et pourquoi il convient de s’engager. Cédric BOREL l’a résumé: « l’IPMVP est le cœur du processeur de la garantie de résultat. Mais ce n’est pas en décrivant le processeur que l’on vend l’ordinateur ! Notre proposition méthodologique est IPMVP INSIDE, mais on ne parlera que de conduite opérationnelle des opérations.»
Retours d’expérience et chiffres
Les exemples développés en séance ont permis de convaincre un public de nature technique.
SETEC Bâtiment a d’abord démontré que le calage d’un bâtiment récemment livré, autour des valeurs nominales, était une chose nécessaire : l’entreprise d’ingénierie a dû « caler » les locaux de son agence à Lyon en entrant dans les murs. Chose très productive : retour sur investissement inférieur à trois ans. Or il ne s’agissait pas d’un très grand bâtiment: 4000 m2...
Le bâtiment optimisé a été remis au mainteneur qui tiendra un engagement de performance. C’est une « GRE » dans le neuf qui assurera la stabilité et l’absence de déviation du bâtiment dans le futur, pour la plus grande sécurité de tous.
Les rénovations étaient à l’honneur : le CPE de Vitry contractualisé entre LOGIREP et BOUYGUES Construction donne ses premiers chiffres après deux ans, comme l’exposait Jean LACROIX : « la performance devrait être pérennisée autour de 50% d’économies, pour 40% contractualisés ». Et cela n’a pas été sans devoir passer par une simulation des usages, les premières estimations suivant diverses méthodes de Simulation Energétique Dynamique (SED) ne permettant pas de reconstituer la réalité des usages. « Nous avons dû effectuer une enquête sociologique pour mieux comprendre les usages », a résumé Jean LACROIX.
Autre satisfecit pour l’un des plus fameux CPE: Karine LE BOURG, de COFELY Services pour le Groupe GDFSUEZ, a annoncé que les objectifs étaient tenus sur le premier CPE des quatorze lycées d’Alsace. Et que les objectifs étaient tenus voire dépassés de 2% actuellement. Le périmètre était beaucoup plus large car il intégrait un usage de type scolaire et une garantie de performance sur la production photovoltaïque. Toutefois, la performance globale exigée sur un ensemble de bâtiments a permis de « foisonner le risque ». Aujourd’hui, les grands indicateurs sont tenus : 35% d’économie d’énergie primaire, 65% de réduction du CO2, 40% de production d’énergie renouvelables. Et si c’était à refaire ? La gestion de la détection de présence dans des couloirs d’enseignement a été un casse- tête qu’il a fallu résoudre, résumait en souriant Philippe GROSS, l’ingénieur d’étude affecté à l’opération.
Vianney FULLHARDT a développé pour EIFFAGE Construction la figure de style sans doute la plus difficile : le PPP GreEn-Er ou l’école de l’énergie de Grenoble, projet emblématique qui est le premier projet du Plan Campus, sur lequel l’entreprise générale s’est engagée pour 26 ans après la livraison sur la consommation d’un bâtiment complexe. Une partie des outils d’étude de la performance énergétique provenaient entre autres de l’école même. Le message : ne pas dire oui à l’impossible, les objectifs ambitieux ont été recalculés et accordés avec le maître d’ouvrage sur de nouvelles cibles. Car il s’agissait également de s’engager sur la performance énergétique des serveurs et des réseaux liés aux laboratoires ! Le commissioning a été résolu par un travail d’équipe et de l’inter contrôle entre les filiales du groupe.
Il restait à donner un exemple précis de l’importance de ce commissioning : Hicham LAHMIDI a démontré que le commissioning (définition tiré de la construction navale, ou le standard est la garantie de résultat !) était un investissement très rentable dans le neuf (confirmant le retour sur investissement en 3 à 4 ans), mais également dans les bâtiments existants où il aide à « reprendre en main » le sujet énergie. Deux exemples en France, dont le siège de BUREAUVERITAS, en attestent avec des paybacks inférieurs à 2 ans ! Mais pour le commissioning, l’intérêt est n’est pas seulement énergétique : là où l’on gagne, selon les statistiques canadiennes, de 22 cents à 2,58 dollars par m2, les économies non énergétiques valent de 3 à 92 dollars ! La continuité de service, le confort, la flexibilité, la bonne conduite donnent un résultat qui a été monétisé outre atlantique par un acteur neutre, le Ministère des Ressources Naturelles.
Une question légitime de la salle: commissionner un bâtiment, n’est-ce pas payer pour avoir ce que l’on exige réellement dans les contrats classiques ? La réponse n’est pas évidente : la demande ne s’exprimait pas sur ce point et les interfaces entre acteurs peu spécifiées, voire impossibles pour des termes de budget, comme les contraintes de planning, n’ont jamais permis d’obtenir satisfaction. De plus, comme le confirmaient Cédric BOREL et Hicham LAHMIDI, il s’agit de modifier à la marge de nombreuses missions déjà existantes, mais il est important qu’il y ait un arbitre global, un acteur « pivot » qui devienne également le « fil rouge » de la performance énergétique.
A l’heure de l’engagement, faut-il être un major du bâtiment ou de l’énergie ? Florent CHATELAIN a rappelé comment il s’agissait, pour le courtier connu pour son investissement sur la garantie de performance, d’aider ceux qui le désirent à s’engager. Côté maître d’ouvrage, bien sûr, mais également aussi côté maître d’œuvre, sur la part conventionnelle pour commencer. Pour la part des consommations réelles, le courtier réfléchit à une offre d’accompagnement de la GRE, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire qui seraient amenées à s’engager.
De la maîtrise de l’énergie aux smartgrids
Car la méthode en dit plus : elle prépare au futur de la libéralisation de l’énergie, c’est-à-dire à des tarifs horo- flexibles. Une SED met en évidence le « potentiel de flexibilité » d’un bâtiment qui pourra être mis à profit dans le futur pour un pilotage tarifaire intelligent. Un premier laboratoire existe : Bernardino GOMES, pour Schneider Electric, a présenté KERGRID, bâtiment BEPOS « smart ready ». Christian GERARD, pour EDF, a caractérisé le travail sur l’appel de puissance que permet la SED : l’optimisation est évidente pour l’appel de puissance (lors notamment des relances du lundi) et surtout pour éviter un surdimensionnement important lié à la C15000.
Enfin, dans l’existant, la simple reprise en main des installations ou « rétro commissioning » a frappé les esprits par son taux de retour important pour des investissements raisonnables. Pour les maîtres d’ouvrages qui se sont exprimés en fin de séance, ce sont les bénéfices qui jouent dans une autre catégorie qui joueront : la pression externe sur les entreprises, via la RSE, sont là pour durer.
Grand témoins
Jean-Christophe VISIER pour le CSTB a résumé l’état de l’art : « plus d’autocontrôle, mieux cerner et décrire l’utilisateur, mieux connaitre les valeurs nominales de comparaison » (benchmark) étaient trois voies importantes de progrès sur lesquelles travaillait le CSTB, avec l’accompagnement des start-ups.
Christian BEAUR pour CBRE France le résumait ainsi : « l’énergie tire l’ensemble. » Et cet ensemble signifie mieux être au travail, plus de productivité, de confort d’utilisation. L’utilisateur et ses besoins fonctionnels sont de nouveau au centre des préoccupations. Point de vue partagé en tout point avec Jean-Pierre AURIAULT, directeur développement durable : « la pression sociétale est là pour durer, c’est un moteur fort du changement. C’est la responsabilité des entreprises qui va tirer le modèle ! »
Fabien JOURON, directeur de la Maîtrise d’ouvrage et de la maintenance de POSTE IMMO : «dans ce calcul, nous recherchons à diminuer le plus efficacement possible l’exposition de LA POSTE à une facture d’énergie importante de l’ordre de 100 millions d’euros. »
Aujourd’hui, loin d’être d’une complexité insurmontable, il semble que viser et vérifier une cible de consommation réelle, dans le cadre d’un engagement contractuel ou pas, deviendra sans doute à terme un standard de marché. D’autant plus que cette démarche permet la souscription d’une tarification d’énergie optimisée. Toutes les méthodes sont d’ailleurs sur la table. Il est temps d’appliquer ces méthodes afin notamment d’anticiper les smartgrids, qui sont le grand enjeu de demain.