L’exigence énergétique : « faire au mieux là où on est »
Une étude publiée par le Puca, Plan urbanisme construction architecture, et réalisée par le CSTB pose la réflexion sur le renforcement des normes énergétiques et les incidences qu’elles entraîneront par cette nouvelle hiérarchisation des postes de consommations liés à l’usage du bâtiment et à l’activité de ses occupants. De la conception architecturale jusqu’à la destination finale du bâtiment, les équipes de maîtrise d’œuvre doivent faire face à de nouvelles exigences techniques, tant sur l’enveloppe que sur les équipements. Cette nouvelle représentation n’est pas sans aucune conséquence et tout l’enjeu réside sur les réponses innovantes que les équipes de conception apporteront pour satisfaire à ces nouvelles contraintes.
L’étude proposée, intitulée ‘’L’exigence énergétique, entre contrainte et innovation’’ a adoptée une démarche en exploitant les données sur les bâtiments conceptuels issues de l’appel à idées ‘’La méthode CQHE : Concept Qualité Habitat Energie’’ lancé en 2007 par le Puca.
L’objectif de l’étude a donc été d’évaluer les conséquences du relèvement du curseur de performance énergétique sur la conception du bâtiment, les contraintes fondamentales et les niveaux d’exigence des autres thèmes. A travers sept concepts de bâtiments, le travail exploratoire a porté sur des logements collectifs qui présentent un enjeu particulier car d’une part, ils ont généralement des besoins énergétiques, rapportés à leur surface, élevés, du fait d’un grand nombre d’occupants, d’autre part, ils offrent une alternative à la maison individuelle qui a l’inconvénient de favoriser l’étalement urbain.
Les usages un nouvel enjeu :
L’exigence énergétique Bepos a eu pour première conséquence de transformer les ordres de grandeur et la répartition des postes de consommation d’énergie traditionnels dans les bâtiments. Les consommations de chauffage et d’eau chaude sanitaire, estimées sur les concepts CQHE, sont devenues marginales et représentent environ le quart de la consommation énergétique globale du bâtiment exprimée en kWhep/m2. L’enjeu à venir de la performance énergétique porte donc sur la consommation des autres usages, que ce soit pour assurer le confort visuel, la santé, l’activité ou les loisirs des occupants. L’occupant est donc au cœur de la question énergétique. Pour autant doit-il assumer seul la responsabilité des économies d’énergie par une adaptation de son comportement ? Il apparaît souhaitable de généraliser le principe, adopté par la plupart des équipes de conception des projets CQHE, qui consiste à considérer la sobriété énergétique comme conséquence d’une utilisation simple, et idéalement pilotée comme réponse intuitive aux variations climatiques du logement et non comme une contrainte comportementale.
L’amélioration de l’enveloppe : une opportunité pour la conception
La confrontation de l’exigence Bepos, qui a entraîné une redistribution des postes de consommation, à la fois en matière de composition urbaine et d’amélioration des performances isolantes des composants d’enveloppe, remet en cause certains principes constructifs reconnus porteurs de la sobriété énergétique comme la compacité et l’orientation sud des vitrages. La demande de froid ou de confort d’été et l’accès à l’éclairement naturel pour limiter la consommation d’éclairage artificiel deviennent prioritaires sur le chauffage. En conséquence, les agencements, qui facilitent l’évacuation de la chaleur à l’instar des logements traversants, sont plébiscités. Les vitrages orientés au nord, qui permettent d’avoir une lumière stable et homogène, en particulier pour les activités tertiaires, peuvent être à rechercher. Il ressort un allègement des contraintes et donc une liberté supplémentaire accordée à la conception par les évolutions techniques de l’enveloppe. Elle offre des opportunités pour arbitrer sur d’autres critères en particulier pour le vitrage, en mettant l’accent sur ses fonctions premières de laisser voir l’extérieur et d’éclairer l’intérieur.
De la production à la récupération :
Autre perspective, on peut imaginer que les besoins de chaleur pourront être couverts par la mutualisation des énergies, consommées puis dissipées, favorisée par la proximité d’activités variées. L’introduction d’un indicateur de performance sur la qualité de l’énergie consommée, pour assurer les besoins, en fonction du potentiel local, serait de nature à valoriser les solutions orientées sur la récupération.
Les échelles spatiales mobilisées....
Pour répondre à l’exigence Bepos, la recherche a porté sur les moyens de s’affranchir de systèmes énergétiques avec pour conséquence d’augmenter les interactions avec l’environnement. La diversité des activités, les nuisances sonores dues notamment aux transports, la présence de végétaux, la proximité entre les bâtiments, la sécurité des lieux, sont autant d’aspects qui ont un impact sur le bien-être dans le logement, sa sécurité et sa sobriété énergétique. Ils dépassent largement le périmètre d’intervention du maître d’ouvrage du projet de construction et nécessitent une implication forte de la collectivité locale.
A l’inverse, la demande de confort, qu’il soit homogène ou différencié selon l’activité des espaces, les besoins en air neuf pour l’hygiène, la composition des parois et des équipements pour assurer la récupération de chaleur ou assurer la sécurité incendie, nécessitent de travailler à l’échelle spatiale du local voire à l’échelle inférieure. Le souci du détail pour assurer l’étanchéité à l’air du bâtiment ou pour l’approche détaillée afin d’appliquer la réglementation incendie, illustre cette nécessité de travailler à l’échelle du composant. Le changement d’ordre de grandeur conduit à mettre l’accent sur des paramètres dont l’impact hier était marginal et qui devient aujourd’hui prioritaire.
... s’accompagnent d’un changement d’échelle temporelle
La perspective de réduire au minimum la consommation d’énergie et de récupérer au mieux l’énergie dissipée nécessite de travailler sur les cycles énergétiques pour mettre en phase besoins et ressources. A l’échelle du bâtiment l’équilibre est difficilement atteint. Augmenter le nombre de bâtiments et d’occupants permet de renforcer la continuité de l’activité et de maintenir le cycle. Il y a donc une interaction entre les échelles spatiales et temporelles. L’adéquation entre besoins et ressources énergétiques renouvelables nécessite de travailler sur des temps courts qui ne pourront être allongés qu’en optimisant les solutions de stockage. En parallèle, la réduction de l’énergie utilisée en fonctionnement accentue le poids de l’énergie « grise » qui nécessite de se projeter dans les phases de construction, requalification et déconstruction des bâtiments.
Travailler aux frontières
Répondre aux propriétés fondamentales du bâtiment, s’assurer de l’équilibre entre les différents critères pour atteindre la qualité globale, sont des exigences, à l’instar du développement durable, qui mettent l’accent sur l’approche interdisciplinaire et la nécessité de travailler sur les interactions notamment pour identifier les complémentarités et les antagonismes. Il s’agit alors de savoir jusqu’à quel niveau de détail il faut aller pour chaque discipline pour que, d’une part, elle rende compte des phénomènes, d’autre part, elle s’articule avec les autres afin de conserver un niveau de précision cohérent. Le passage de l’énergie au confort ou du bâtiment au transport fait ressortir des échelles temporelles et spatiales différentes qu’il convient d’ajuster.
L’expression de la performance : une passerelle entre les frontières
La performance est l’expression de la qualité d’une réponse à un besoin par rapport aux ressources disponibles et mobilisées. Appliquée à notre domaine d’étude, les besoins sont définis par les usages du bâtiment et les ressources sont caractérisées par le lieu de la construction qu’elles soient climatiques ou façonnées par l’activité humaine (équipements, réseaux, etc.) Dès lors, la performance apparaît comme une passerelle entre les échelles, du bâtiment au site en passant par l’urbain. Elle est donc un support possible pour développer un travail « transfrontalier ». Une approche quantitative soulève toutefois des interrogations qui seraient à éclairer :
_ intimement liée au contexte, la performance est relative et son expression quantitative ne peut rendre compte de la réalité d’une situation. Quelle signification donner alors à la garantie de performance ?
_ par ailleurs il conviendrait de définir un périmètre d’application. Faut-il la déterminer à l’échelle du logement, du bâtiment, du quartier ?
Quantifier et rendre visible en dehors du foyer présente un risque d’ingérence et de stigmatisation. Une évaluation individuelle de la performance nous éloigne de la pensée globale, inhérente au développement durable, et peut sembler paradoxale lorsque la densité et la mutualisation sont identifiées comme porteuses de solutions économes.
Limiter au bâtiment ou au logement le périmètre d’évaluation de la performance est donc réducteur en regard des différentes disciplines et des variations spatiales et temporelles. A cet égard, il serait intéressant de voir comment les autres disciplines s’articulent et s’inscrivent dans le principe de l’urbanisme qui selon Le Corbusier « doit assurer la liberté individuelle en même temps qu’il doit bénéficier et se saisir des bienfaits de l’action collective. »
L’expérimentation : « faire au mieux là où on est »
Il ressort qu’atteindre la performance énergétique et anticiper ses conséquences dépassent l’approche technique et impliquent des acteurs au-delà du maître d’ouvrage et de l’équipe de conception des projets de construction. Pour autant, dans un contexte donné, dans la perspective de «faire au mieux là où on est», il est possible d’expérimenter tout en limitant les risques liés à l’innovation en s’appuyant, par exemple, sur les enseignements tirés des travaux prospectifs. Ainsi, dans le cadre de CQHE, malgré la liberté offerte par le contexte conceptuel de l’exercice, l’innovation repose-t-elle principalement sur l’agencement et l’articulation originale de techniques éprouvées. Cela nécessite, néanmoins, de travailler dès la phase programmation sur l’évaluation du site et de son potentiel et de se projeter dans le fonctionnement futur du bâtiment pour bien en cerner l’usage.