« Églogues » de Suzanne Husky à La Cuisine du 14 juin au 21 sept 2014
Dans le cadre de l’inauguration du nouveau Centre d’Art et de Design à Nègrepelisse, La Cuisine a invité l’artiste plasticienne franco-américaine Suzanne Husky, dont le travail emprunte notamment aux méthodes et aux outils des anthropologues.
Dans ce nouvel espace, elle réalisera un long travail de collecte fait de rencontres et de témoignages qui met en avant des pratiques populaires qui, par essence, ne sont pas archivées. Elle crée des va-et-vient entre l’intime et ce qui participe plus largement à la construction de notre société contemporaine en soulignant ses paradoxes. L’artiste explique qu’elle « cherche à faire émerger ces petites choses » qui constituent la réalité d’un monde agricole loin de toute forme industrielle. Comment jardiner avec une plante détestée ? Cultiver son jardin, coûte que coûte ? Se séparer de son troupeau ? Autant de questions légères parfois, souvent graves, qui dressent un portrait de ce monde agricole.
Qu’est-ce qui s’enracine dans cette terre ? Tel semble être le fil conducteur suivi par Suzanne Husky à travers cette exposition dont la production est protéiforme (vidéos, objets, projets culinaires) et dont le titre, Eglogues, évoque un poème bucolique lié au pastoralisme. Apparue avec la domestication des animaux il y a environ 10.000 ans, cette pratique héritière de traditions ancestrales se perd actuellement avec le développement de l’agriculture industrielle.
Crédits photographiques : Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Il n’y a pourtant point de nostalgie dans le travail de Suzanne Husky. Cette terre locale se fait métaphorique. Les informations s’y croisent, s’y sédimentent pour nous présenter une ruralité en prise et parfois en résistance avec les systèmes dominants.
Connectée aux saisons et aux cycles, cette terre est ici tour à tour cultivée, nourricière ou mise en forme. Elle devient ainsi l’objet de narrations et d’histoires personnelles d’agriculteurs présentées sous forme de vidéos. Dans une perspective de transmission culinaire, l’artiste réalise également une série d’invitations faite auprès de nègrepelissiens afin qu’ils puissent apprendre à préparer leur recette familiale préférée et à la partager au sein des Fourneaux de La cuisine qui se font outils de création et de médiation. Enfin, alors que l’argile utilisée aujourd’hui par les potiers est industrielle, la terre de la région constitue le matériau d’un service de table que l’artiste réalise pour le centre d’art dans une approche de « conceptual craft » liant savoir-faire artisanal et approche conceptuelle. L’artiste y représente les différentes facettes de la ville, espaces, « architectures et mobiliers urbains structurants » en montrant notamment « la ruralité que l’on choisit de ne pas voir ».
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Dans L’art comme expérience, J. Dewey envisage l’art dans les sociétés démocratiques comme un moyen d’éduquer tout un chacun en libérant des mythes intimidants qui font obstacles à l’expérience artistique. En souhaitant faire de La cuisine un lieu de vie, cette programmation cherche à suivre cette voie par l’invitation faite auprès d’artistes aux pratiques variées qui, dans une approche contextuelle, font de notre territoire un champ de création partagée.
Suzanne Husky, prise de vue réalisée dans le cadre de sa résidence à La cuisine, centre d’art et de design, Nègrepelisse, 2013.
« Le magnifique terme de « nourriture » qui, au-delà de la matière nutritive, a des résonances symboliques et poétiques - en lien avec ce monde de saveurs subtiles qui, préparées avec art réjouissent l’âme et le corps et favorisent la convivialité-, a cédé la place à «la bouffe» qui désigne cette matière surabondante frelatée, manipulée et polluée. Ainsi, les biens de la terre ne nous parviennent plus comme des offrandes que chaque saison nous apporte en temps et lieu les plus propices, en une nourriture imprégnée des cadences, de la patience universelle, de l’énergie du cosmos et qui a tant contribué au bien être de tous les terriens par sa diversité foisonnante, sa manifestation prodigieuse de la prodigalité de la vie. S’alimenter, pour la masse des populations, consiste au contraire à avaler de tout et toute l’année, à ingérer des denrées impersonnelles, anonymes, transitant clandestinement à travers les estomacs et les intestins pour assuré à son organisme poubelle, sursaturé mais carencé, le fonctionnement métabolique dont l’économie a impérativement besoin pour sa propre survie. »
Pierre Rabhi, extrait de Manifeste pour la terre et l’humanisme, Actes Sud, 2008
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Deux rapports à la terre, celui des potiers et celui des agriculteurs.
« Les potiers étaient souvent des paysans qui l’hiver, quand les terres nécessitent moins d’attention, fabriquaient des pots variés destinés aux usages domestiques. Hormis une forte tradition de poterie, dont témoignent la place et la rue des Potiers, Nègrepelisse a produit pendant quelques décennies (fin 18ème, début 19ème) des faïences dont quelques unes sont exposées dans le musée Sèvres, le musée Ingres de Montauban, et l’abbaye de Belleperche. Cette entreprise basée sur un seul site ne dura qu’une vingtaine d’années, l’industrialisation de la céramique anglaise ayant poussé à la faillite la plupart des faïenciers français. Dans la perspective de créer un service de table pour La cuisine, j’ai souhaité refaire des faïences à partir de terre locale. Ce travail a impliqué de retrouver une carrière locale dont la terre soit correcte, à une époque où les céramistes et potiers s’approvisionnent largement en argile commerciale. L’emplacement des carrières anciennes et actuelles font elles-mêmes émerger une histoire du paysage, et nécessairement du lien de l’homme à son environnement à travers les époques, soit des thématiques centrales à mon travail artistique. L’ancienne carrière située sous le cimetière étant inaccessible, je me suis servie de terre provenant de la sablière de Lexos, abondante et considérée comme un déchet industriel. Avec l’aide de Martin Barnsdale, céramiste local, nous avons créé un ensemble de pièces dont les tailles et hauteurs sont déterminées par l’élasticité de la terre. Finalement, les illustrations du service de table reprennent, comme dans les faïences anciennes, des motifs ruraux contemporains, et ils intègrent les nouveaux paysages des campagnes françaises....
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Invitée sur le territoire de Nègrepelisse a continuer un travail documentaire sur des pratiques alimentaires disparues souvent antérieures à l’agriculture mécanisée, et liées à des petites chasses, j’ai initié de nombreuses rencontres et entretiens avec les habitants. Mon attention s’est progressivement portée sur la pratique du potager. Ces potagers vivriers, une tradition très française, sont une forme de résistance à l’agriculture industrielle, à la mal-bouffe, et permettent une certaine autarcie. Renforcée par la décision de la commission européenne d’illégaliser la récupération de ses propres graines, j’ai réalisé quelques modestes portraits filmés d’agriculteurs retraités dans leurs jardins. De ces petits portraits émergent des savoir-faire anciens, des gestes et philosophies de la vie. Ces potagers impliquent une grande attention au rythme de la lune, au temps, à la vie de la terre. Des temps multiples se juxtaposent ; il y a le temps météorologique, le temps de la croissance du végétal, le temps du travail, le temps qu’ont connu ces anciens jardiniers visibles dans leurs outils, clapiers ou architectures devenues obsolètes, le temps audible dans leurs histoires, le temps contemporain omniprésent, la marque du temps sur les corps. » Suzanne Husky
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Biographie
Suzanne Husky est une artiste visuelle, diplômée en Design Paysagé au Merritt College (Okland, Californie), et de l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, qui a vecu et travaillé dans la baie de San Francisco de 2000 à 2012. Elle est actuellement enseignante à l’ESAD d’Orléans.
Les problèmes liés à l’exploitation des ressources naturelles, à l’utilisation des paysages et à la globalisation, constituent la toile de fond de sa pratique multimédia. Des vies alternatives, reposant sur d’intimes relations avec la nature, par choix politique, se reflètent à travers ses sculptures, installations, dessins, documentaires, photographies et films. Suzanne Husky a exposé son travail dans de nombreuses institutions telles que le Southern Exposure, le Yerba Buena Center for the Arts et le De Young Museum de San Francisco, le New York World Financial Center, le Headland Center for the Arts en Californie.
Suzanne Husky, “Eglogues” – detail, 2014, faiences, service de table de 12 personnes. Production La cuisine, centre d’art et de design.
Informations PRATIQUES :
La cuisine centre d’art et de design
Esplanade du château 82800 Nègrepelisse 05 63 67 39 74 info@la-cuisine.fr
www.la-cuisine.fr
La cuisine, centre d’art et de design, est développée par la commune de Nègrepelisse grâce au soutien de la Communauté de Communes Terrasses et Vallée d’Aveyron, du Pays Midi-Quercy, du Conseil Général du Tarn-et- Garonne, du Conseil Régional Midi-Pyrénées, du Ministère de la Culture et de la Communication
– DRAC Midi-Pyrénées et de la Communauté Européenne dans le cadre du programme leader IV Midi-Quercy.
ACCES
En voiture
Depuis Toulouse : A62 direction Bordeaux ; sortie 10 (direction Paris – Limoges – Montauban) ; prendre A20 direction Montauban centre ; sortie 61 (Nègrepelisse) ; continuer sur la D115 jusqu’à Nègrepelisse (45 min).
Depuis Bordeaux : A62 direction Toulouse ; sortie 10 (direction Limoges – Paris), prendre A20 direction Montauban centre ; sortie 61 (Nègrepelisse) ; continuer sur la D115 jusqu’à Nègrepelisse (2h30).
En train : Arrêt gare de Montauban Villebourbon (17km). Arrêt gare de Caussade (11km).
En avion : Aéroport de Toulouse-Blagnac à (70km).
HORAIRES DU BÂTIMENT
LES EXPOSITIONS
Une médiatrice est à votre disposition dans l’espace d’exposition mar. 9h - 12h (jour de marché) mer. 9h - 12h et 14h - 18h ven. - sam. 14h - 18h
le 1er dim. du mois 14h - 18h (sept. - juin) tous les dim. 14h - 18h (juil. - août)
et sur rendez-vous
LA TOUR DES LIVRES
mer. 14h - 18h sam. 14h - 18h (en temps d’exposition)
LA COUR DU CHÂTEAU
lun. - ven. 9h - 17h Fermé les jours fériés
Entrée LIBRE