Risques liés aux nanomatériaux : un enjeu international
Après l'article ''Approfondir les connaissances sur les caractéristiques des nanomatériaux et de leurs dangers'', que sont ces nanomatériaux...?
Il n’existe pas une mais plusieurs définitions des nanomatériaux, mais il y a convergence pour considérer que les nanomatériaux sont des matériaux dont la taille ou la structure comporte au moins une dimension comprise entre 1 et 100 nanomètres environ. Cette taille nanométrique, intermédiaire entre la taille des atomes et celle des matériaux massifs, leur confère des propriétés physiques, chimiques ou biologiques particulières, qui n’existent pas à taille plus grande.
En raison des nombreuses applications innovantes que laissent entrevoir ces propriétés physiques, chimiques ou biologiques, les nanomatériaux représentent un domaine de la recherche scientifique et technique en pleine expansion.
L’utilisation des nanomatériaux est en plein essor et, désormais, ils entrent dans la composition de nombreux produits de la vie courante disponibles sur le marché : cosmétiques, textiles, aliments, peintures, etc.
Les propriétés physicochimiques qui apparaissent à l’état nanoparticulaire amènent à se poser des questions quant aux risques physiques (incendie, explosion), sanitaires (surface importante, forte capacité à franchir les barrières physiologiques, interactions possibles avec des biomolécules, etc.), environnementaux (persistance dans l’environnement).
C’est pourquoi, la présence de nanomatériaux dans des produits de la vie courante soulève des questions, mais suscite également des controverses portant notamment sur l’état des connaissances disponibles, et, in fine, sur les risques associés à ces substances.
Parmi divers exemples d’applications ou d’usages revendiqués à l’heure actuelle, on peut citer :
• en informatique et électronique : nano-argent comme agent antibactérien pour les claviers et les souris d’ordinateur ;
• en médecine : transport ciblé de substances actives (vectorisation), agents de contraste pour l’imagerie médicale, table d’opération antibactérienne ;
• les cosmétiques et produits d’hygiène : crèmes solaires à filtre anti-ultraviolet, dentifrice contenant des nanoparticules de dioxyde de silicium abrasives, sèche-cheveux ou sparadrap contenant du nano-argent comme agent antibactérien ;
• dans l’alimentation : les nanoparticules de dioxyde de silicium utilisées comme anti- mottant par exemple dans le sel de cuisine ;
• dans les bâtiments et travaux publics : peintures et lasures, vitres autonettoyantes ;
• dans les sports et loisirs : raquettes de tennis contenant des nanotubes de carbone pour la résistance mécanique, peluches contenant du nano-argent comme agent antibactérien ;
• dans le secteur de la sécurité et de la défense (Ministère du Développement durable 2013) (explosifs, revêtements spécifiques d’objets, etc.).
Déclaration obligatoire des nanomatériaux au 1er janvier 2013
Domaines d’applications par type de nanomatériaux
Par rapport aux substances chimiques, pour évaluer les nanomatériaux, il faut faire face à des éléments de complexité supplémentaires. En effet, aujourd’hui, il n’existe pas de consensus au niveau européen et international quant à une définition et à une terminologie communes des nanomatériaux. Il n’existe pas non plus de protocoles standards pour les tests de toxicologie et d’écotoxicologie, même si les travaux progressent en ce sens, et les méthodes et tests existants pour les substances chimiques « classiques » doivent, pour la plupart, être adaptés pour prendre en compte la spécificité des nanomatériaux. Des techniques et instruments de mesure doivent donc être développés et/ou normalisés, en particulier pour mesurer l’exposition.
Sous le même nom chimique d’une substance (dioxyde de titane par exemple), il peut exister des formes nanométriques différentes, donc des toxicités différentes, ce qui fait que l’évaluation d’un type donné de nanomatériau peut ne pas être extrapolable à un autre qui semble pourtant être fait de la même substance. Enfin, contrairement à une molécule d’une substance chimique « classique », les paramètres physico-chimiques d’un nanomatériau, et sa toxicité éventuelle, sont susceptibles d’évoluer entre sa fabrication et son devenir après mise en décharge ou recyclage. Il est donc difficile de caractériser un nanomatériau à chaque étape de son cycle de vie et de réaliser des scénarii d’exposition pertinents et complets.
Dans ce contexte d’incertitudes autour des risques liés aux nanomatériaux manufacturés, à l’occasion de la 5ème conférence ministérielle sur l’environnement et la santé organisée par le Bureau Europe de l’Organisation mondiale de la santé, 53 ministres de la santé des pays membres ont demandé que les enjeux sanitaires et environnementaux liés aux nanomatériaux et aux nanotechnologies figurent comme l’un des défis clefs de la déclaration de Parme de 2010 sur l'environnement et la santé.
Ainsi, des travaux ayant pour objectif de développer de nouvelles méthodologies d’évaluation des risques, notamment pour les personnes en milieu de travail, ou la définition de tests de sécurité sanitaires et environnementaux, ont été initiés par diverses institutions telles que l’ISO3, l’OCDE4 et la Commission européenne.
En France, cette préoccupation est illustrée notamment :
- par les plans nationaux « santé-environnement » et « santé-travail » qui ont mis l’accent sur la nécessité de conduire des travaux de recherche et d’expertise pour caractériser les dangers, les expositions et les risques pour la santé humaine et l’environnement,
- par l’entrée en vigueur de la déclaration obligatoire des usages des substances à l’état nanoparticulaire ainsi que des quantités annuelles produites, importées et distribuées sur le territoire français conformément aux articles L.523-1 à L.523-5 du Code de l’environnement (loi Grenelle II du 12 juillet 2010).
Le travail d’évaluation de risque de l’Anses
L’Anses a publié différents rapports d’expertise relatifs aux enjeux sanitaires associés à l’exposition aux nanomatériaux, tant pour la population générale que professionnelle (en 2006, 2008 et 2010). Ces rapports ont en particulier souligné les difficultés à évaluer les risques associés à ces expositions et ont détaillé les besoins de connaissances et d’outils nouveaux permettant de caractériser tant les dangers que les expositions aux nanomatériaux.
En 2010, l’Agence a publié un rapport sur un outil d’évaluation et de gestion des risques liés à l’exposition professionnelle aux nanomatériaux ainsi qu’un état de l’art des connaissances sur la toxicité et l’écotoxicité des nanotubes de carbone (2012), ou encore une évaluation des risques associés à un programme de développement industriel de nanotubes de carbone (2013).
En outre, depuis 2013, l’Agence gère pour le ministère en charge de l’écologie la déclaration obligatoire des substances à l’état nanoparticulaire.
L’Anses contribue par ailleurs à différents travaux nationaux, européens et internationaux relatifs à l’évaluation de la toxicité et de l’écotoxicité des nanomatériaux. Elle est notamment impliquée dans les travaux internationaux de l’OCDE, de l’EFSA5, ou encore dans des études visant à mieux connaître l’exposition de populations spécifiques aux nanomatériaux, par exemple en milieu professionnel. L’Agence a ainsi coordonné l’action conjointe européenne Nanogenotox, cofinancée par la Commission européenne, dont les résultats publiés en 2013 ont notamment permis de mettre en évidence la nécessité d’adapter à la spécificité des nanomatériaux les lignes directrices de l’OCDE pour les tests de génotoxicité des substances chimiques.
L’évaluation du dioxyde de silice en tant que substance active insecticide a été finalisée par l’Anses en 2013, ce qui a abouti début 2014 à son approbation au niveau européen dans le cadre du règlement Biocides 528/2012.
Enfin, l’Anses a été saisie dans le cadre de l’adaptation des annexes du règlement européen REACh pour prendre en compte les nanomatériaux. Dans son avis, l’Agence propose un certain nombre de modifications de texte des annexes afin de mieux renseigner les formes et quantités de nanomatériaux utilisés. En 2015, l’Anses prendra en charge l’évaluation du dioxyde de titane (TiO2) dans le cadre de REACh. Ce travail a été initié en 2014, en étroite collaboration avec l’ECHA6 pour une définition optimale des formes de nanomatériaux couvertes par l’enregistrement. Cette étape est primordiale pour assurer une évaluation cohérente et efficace du TiO2.
• Suivre en temps réel l’actualité scientifique
La veille scientifique et technique sur les nanomatériaux manufacturés et leurs risques éventuels pour la santé et l’environnement est essentielle pour assurer une mise à jour régulière de l’expertise dans ce domaine qui connait une évolution très rapide. Pour répondre à ce besoin et assurer la cohérence entre les différents travaux d’expertise coordonnés par l’Anses, l’Agence a installé un groupe de travail d’experts pérenne « Nanomatériaux et santé – alimentation, environnement, travail », placé sous l’égide de son comité d’experts spécialisés « agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements », dont l’objectif est notamment de produire, régulièrement, un état des connaissances relatif aux dangers, aux expositions et aux risques sanitaires et environnementaux associés aux nanomatériaux pour l’ensemble de leurs usages.
Tous les travaux et dispositifs mis en place permettent l’acquisition régulière de nouvelles connaissances sur les nanomatériaux et les risques potentiels associés. Dans ce contexte, l’Agence s’est autosaisie en janvier 2012 afin de produire une synthèse actualisée des connaissances et des enjeux sanitaires et environnementaux liés à l’exposition aux nanomatériaux manufacturés. Aujourd’hui sont publiés le rapport et l’avis relatifs à cette autosaisine.
• Un comité de dialogue dédié
En parallèle du groupe de travail pérenne, un Comité de dialogue « Nanomatériaux et Santé » a été installé en 2012. Réunissant les principales parties prenantes intéressées - associations, syndicats de salariés, entreprises et fédérations d'industriels -, ce comité a pour mission d'éclairer l'Agence sur les attentes de la société en matière d’expertise et de recherche. Il réunit une vingtaine de participants, sélectionnés suite à un appel public à manifestation d'intérêt et qui se réunissent 2 à 4 fois par an.
Cette instance est un lieu d'échange, de réflexion et d'information sur les questions scientifiques relatives aux effets potentiels des nanomatériaux sur la santé, leur évaluation et les activités de l’Anses (expertise, PNREST, R31,...).
Les principaux travaux d’expertise réalisés par l’Agence
2006 : « Les effets sur la santé de l’homme et de l’environnement des nanomatériaux » 2008 : « Nanomatériaux et sécurité au travail » 2009 : « Nanoparticules dans l'alimentation humaine et animale » 2010 : « Evaluation des risques liés aux nanomatériaux contenus dans des produits de consommation » 2010 - 2013 : Coordination de l’action conjointe européenne Nanogenotox 2011 : « Développement d’un outil de gestion des risques spécifiques au cas des nanomatériaux » 2012 : « Toxicité et écotoxicité des nanotubes de carbone : état de l’art des connaissances » 2014 : « Modification des annexes de REACh en vue de la prise en compte des nanomatériaux » 2014 : « Evaluation des risques liés aux nanomatériaux : enjeux et mise à jour des connaissances »
Programme national de recherche « environnement - santé - travail »
L'Anses compte parmi ses missions la programmation et le soutien à la recherche. Cela se concrétise notamment par la conduite du Programme national de recherche en « environnement- santé-travail » (PNREST), outil essentiel pour développer les connaissances en appui aux politiques publiques et aux travaux d'évaluation des risques sanitaires.
Dans ce cadre, chaque année, un appel à projets de recherche (APR) est organisé, qui traite notamment des risques liés aux nanoparticules. En 2013, les sujets « nano » pour lesquels des projets de recherche étaient attendus étaient :
• Détection, identification et caractérisation des nanoparticules, notamment des nanoparticules manufacturées (dans des fluides biologiques, tissus, compartiments environnementaux),
• Devenir et comportement des nanoparticules manufacturées relarguées dans l’environnement,
• Potentiel émissif de produits contenant des nanoparticules en conditions normales ou prévisibles d'utilisation,
• Evaluation de l'exposition des travailleurs et de la population générale aux nanoparticules manufacturées,
• Toxicologie des nanoparticules et des nanomatériaux. Recherches méthodologiques, méthodes de référence.
Depuis 2011, les projets portant sur les nanoparticules représentent en moyenne 11% des propositions des chercheurs en réponse aux appels à projets du PNREST (entre 2011 et 2013, 694 projets ont été proposés en réponses aux quatre appels à projets, dont 79 projets sur les « nano »). Dans ce même laps de temps, 98 ont été financés dont 11 portaient sur les nanoparticules.
Ces projets traitent d’aspects différents, et impliquent des équipes de recherche issues d’horizons très variés. Ainsi, trois thèmes font l’objet de travaux :
• L’exposition aux nanoparticules, notamment de travailleurs par exemple lors de soudage (via la fumée de soudage) ou lors d’opérations entraînant l’abrasion de nanomatériaux, mais aussi au travers de travaux sur les moyens de protection. Un projet de 2011 porté par deux équipes de l’Inserm et du Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil est intitulé «Cancer broncho-pulmonaire et exposition professionnelle aux fumées de soudage ».
• La compréhension du devenir des nanoparticules dans l’environnement (transfert via la chaîne alimentaire, transformations). Le projet « Etude des processus de transformation en milieux naturels complexes des nanoparticules minérales manufacturées par l’utilisation des isotopes stables métalliques », est porté par trois laboratoires liés à l’Université Paris 7, l’Université Pierre et Marie Curie, l’Institut de physique du globe de Paris, le CNRS, l’Institut de recherche pour le développement.
• Le déplacement de ces particules dans l’organisme notamment à partir du poumon ou de l’intestin et des effets toxiques. En 2013, le projet « Devenir et toxicité de nanoparticules de dioxyde de titane après exposition orale chez le rat : impact de la taille des particules sur le franchissement de la barrière digestive et le risque de cancérogenèse colorectale » a été retenu. Ce projet est porté par cinq équipes dépendant de trois organismes, l’INRA, le CEA et le synchrotron Soleil.
R31 et nanos
Le Réseau R31, inscrit à l’article R1313-1 du Code de la santé publique, regroupe un ensemble d’établissements et est coordonné par l’Anses dans ses missions sur les thèmes santé-travail et santé-environnement, l’alimentation, le bien-être animal et végétal. Riche d’une grande variété d’établissements (organismes de recherche, agences ayant dans leurs missions l’évaluation des risques, acteurs du système de santé), le R31 a pour objectif de renforcer les coopérations entre eux.
Les nanotechnologies sont un thème de prédilection pour le R31 dans la mesure où la plupart des établissements inscrits sont concernés à des titres divers (effets sur la santé, exposition du consommateur, exposition du travailleur, pollution des milieux naturels, mise au point de procédés sûrs,...). Il s’agit de capitaliser sur la variété des membres du R31, qui couvrent l’éventail des activités, depuis la création de connaissances jusqu’à la mise en œuvre de la réglementation, ce qui est particulièrement utile dans cette période de transition où l’on passe de la prise de conscience du risque « nano » du début des années 2000 à une volonté de réglementation spécifique. Les actions réalisées en 2013 ont consisté en l’organisation de deux séminaires d’échanges.
- Le premier sur la métrologie des nanoparticules en milieux complexes, co-organisé avec le LNE (laboratoire national de métrologie et d’essais), qui a mobilisé une vingtaine de personnes. Celui-ci a permis d’aborder trois sujets : les spécificités de la métrologie à l’échelle « nano », la prise en compte des matrices complexes (le sol, les fluides biologiques), l’interface entre métrologie et réglementation (par exemple dans le cadre de la « base de données nano »).
- Le second sur la toxicologie et l’écotoxicologie, co-organisé avec l’INRA, avec la participation d’une cinquantaine de personnes. Les thèmes abordés étaient : les études in vivo et in vitro, la reproductibilité des tests de toxicité, des exemples concrets d’applications à l’étude de l’environnement, de l’air intérieur, du médicament et de l’alimentation.
Toxicité et écotoxicité des nanotubes de carbone : état de l’art des connaissances
Parmi les nombreux nanomatériaux existants, les nanotubes de carbone ont des propriétés particulièrement intéressantes qui en font des additifs de choix pour les matériaux (dissipation électrostatique, renforcement mécanique), pour les revêtements (pour apporter des propriétés de conductivité électrique aux adhésifs et encres par exemple), pour l’énergie (amélioration du temps de vie des systèmes de stockage d’énergie) et pour la catalyse. Ils présentent par ailleurs un intérêt pour le domaine médical (médicaments, imagerie).
Il existe une grande diversité de nanotubes de carbone et leurs caractéristiques physico- chimiques (état d’agglomération et/ou d’agrégation, composition chimique, taille de particules et distribution, forme, solubilité/dispersabilité, etc.) varient selon leur procédé de fabrication (catalyseurs et post-traitements notamment) ou de mise en œuvre.
En fin d’année 2012, l’Agence a publié un état de l’art des connaissances sur la toxicité et l’écotoxicité des nanotubes de carbone, pour l’homme et pour l’environnement.
Certains nanotubes de carbone sont toxiques pour l’homme...
La toxicité des nanotubes de carbone est étudiée depuis une dizaine d’années, notamment lors de travaux concernant les réponses cellulaires in vitro et des études à court terme chez des rongeurs.
La revue de la littérature 2011-2012 a permis de mettre en évidence une convergence des travaux autour de certains effets des nanotubes de carbone multi-paroi : ils peuvent provoquer in vitro des effets génotoxiques (cassures d’ADN et de chromosomes), des aberrations chromosomiques (échanges de chromatides sœurs, nombre anormal de chromosomes), des atteintes cellulaires telles que des effets délétères sur la prolifération cellulaire, l’apoptose (mort cellulaire) ou encore un processus inflammatoire.
Si le danger n’est pas avéré pour toutes les voies d’exposition et pour tous les nanotubes de carbone étudiés, il n’en demeure pas moins que des effets tératogènes (pouvant provoquer un développement anormal de l'embryon en l’absence de toxicité chez la mère), des effets pathologiques respiratoires (tels que la formation de granulomes, la fibrose) et des effets cancérogènes (mésothéliomes) ont été démontrés. Ces effets sont dépendants de la voie d’exposition, de la dose et du délai après l’exposition. La détection et/ou la persistance des effets après la fin de la période d’exposition a été mise en avant.
... d’autres recherches sont nécessaires
Toutefois, si l’on commence à mieux appréhender les dangers liés à certains nanotubes de carbone, on n’en connaît pas encore bien tous les mécanismes. De nouvelles études fondamentales sont donc nécessaires (par exemple pour mieux comprendre les mécanismes de production d’espèces actives dérivées de l’oxygène ou de génotoxicité des nanotubes de carbone). De même, une meilleure caractérisation physicochimique des nanotubes de carbone, avant exposition mais aussi dans le milieu d’exposition, est indispensable.
Les effets à long terme des nanotubes de carbone doivent également être étudiés. Des modèles sur cellules en culture pourraient pour cela être développés dans des études toxicologiques à grande échelle afin de déterminer les modifications des voies de régulation qui contrôlent l’homéostasie cellulaire.
Enfin, des connaissances sur la biodisponibilité des nanotubes de carbone après administration pulmonaire sont nécessaires, le passage systémique ayant été suggéré pour cette voie d’exposition. La biopersistance des nanotubes de carbone dans l’organisme (essentiellement poumons et foie) constitue également une source d’inquiétude quant à la dangerosité à long terme de ces matériaux et mériterait également d’être étudiée de manière approfondie.
Toxicité environnementale des nanotubes de carbone: des effets constatés sur des végétaux et petits organismes...
En ce qui concerne l’écotoxicité des nanotubes de carbone, l’état de l’art publié par l’Agence en 2012 a permis de mettre en évidence que les nanotubes de carbone multi-paroi dans le sol pouvaient exercer une activité antimicrobienne et affecter les cycles des nutriments dans lesquels sont impliqués les microorganismes.
Cet état de l’art a également permis de confirmer que les nanotubes de carbone avaient :
- des effets contradictoires sur les végétaux. À titre d’exemple, chez différentes espèces de plantes (radis, colza, ray-grass, laitue, maïs et concombre), aucun impact sur la germination n’a été rapporté, alors que chez d’autres, une diminution de l’allongement des racines (tomate) ou une augmentation (oignon, concombre) a été observée.
- des effets négatifs sur la croissance, la reproduction, la viabilité et l’élimination chez la daphnie.
De plus, les études d’écotoxicité montrent globalement que les nanotubes de carbone peuvent être ingérés par les organismes ; à ce titre, l’évaluation du risque environnemental lié à leur dissémination et à leur transport dans l’environnement nécessite d’être renforcée.
... et des recherches à approfondir
Toutefois, dans la plupart des études présentées, les effets écotoxiques ont été observés à des concentrations élevées qui ne reflètent probablement pas les conditions environnementales. Néanmoins, une incidence des nanotubes de carbone sur les écosystèmes à des concentrations plus faibles ne peut être écartée. Les connaissances dans ce domaine demandent à être enrichies et approfondies afin de mieux prévoir les conséquences éventuelles des nanotubes de carbone sur l’environnement à court et à long termes.
Enfin, l’exposition aux nanotubes de carbone peut avoir lieu à tout moment du cycle de vie des produits en contenant (pendant leur fabrication, leur transport, leur utilisation ou leur élimination). Le plus souvent, les nanotubes de carbone sont incorporés dans des matrices et non sous forme libre à l’intérieur des produits de consommation. L’éventualité qu’ils puissent être libérés au fur et à mesure de l’usure des produits, ou lors de leur élimination, doit être prise en compte.
Étant donné que des produits contenant des nanotubes de carbone sont d’ores et déjà produits et à la portée d’un large public, des études sur l’exposition des travailleurs et de la population aux nanotubes de carbone sont indispensables. Il apparaît nécessaire, en amont du développement de la production de nanotubes de carbone, de la multiplication de leurs usages et de leur mise sur le marché, d’évaluer les expositions éventuelles de la population en conditions réelles et d’avoir une bonne connaissance du cycle de vie de ces matériaux. Cela est un pré-requis pour une évaluation des risques professionnels et environnementaux.
Développement d’un outil de gestion graduée des risques spécifique au cas des nanomatériaux
Depuis 2005, une réflexion a été amorcée au sein des groupes de travail des instances nationales et internationales de normalisation (Afnor et ISO) sur les nanotechnologies et en particulier leur sécurité. En 2008, la France a notamment exprimé le souhait de proposer un projet de norme au niveau international visant à l’élaboration d’une méthode de maîtrise de risques en fonction des propriétés physico-chimiques et toxicologiques spécifiques des nanomatériaux. Trois ans ont alors été accordés à la France pour mener à bien ce projet.
L’Agence a été chargée par le ministère de la santé, en accord avec les ministères de l’environnement et du travail, de rédiger un rapport d’expertise collective, transmis à l’Afnor afin de nourrir le document que celle-ci a présenté à l’ISO en vue de l’élaboration de normes communes au niveau international. La méthode proposée par les experts de l’Agence est une démarche de gestion graduée des risques ou "control banding".
La gestion graduée des risques est un instrument combinant évaluation et gestion des risques. Cet instrument est plus particulièrement proposé pour guider la gestion des risques dans un contexte d’incertitudes concernant les données d’entrée nécessaires à l’évaluation des risques (incertitudes quant aux dangers des nanomatériaux et aux niveaux d’exposition). Il tient compte des informations existantes, des données techniques et scientifiques disponibles et s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses.
La méthode proposée par l’Anses est un outil mis à jour régulièrement en fonction des connaissances disponibles. Les produits contenant des nanomatériaux ou les nanomatériaux eux-mêmes sont classés dans des bandes de maîtrise de risque, définies à partir du niveau de danger de produits connus et/ou similaires, et en tenant compte de l’évaluation de l’exposition au poste de travail. Dans ce processus, l’évaluation qualitative du risque est associée à une proposition de moyens de prévention individuels ou collectifs à mettre en place en fonction du niveau de risque estimé. Cet outil permet ainsi de gérer le risque de manière graduée (bandes de maîtrise de risque) en prenant en compte d’une part, les dangers potentiels des nanomatériaux considérés et d’autre part, les niveaux d’exposition estimés.
Le "control banding" est utilisable dans tous les environnements professionnels dans lesquels sont fabriqués ou utilisés des nanomatériaux (ateliers industriels, laboratoires de recherche, unités pilotes, etc.). Cette approche est particulièrement adaptée aux PME et PMI qui n’ont pas nécessairement à leur disposition des appareils de caractérisation métrologique, ni d’études toxicologiques approfondies nécessaires à une démarche d’évaluation des risques proprement dite.
NANOGENOTOX
Lancée en mars 2010 et coordonnée par l’Anses, l’Action conjointe européenne Nanogenotox a rassemblé 30 partenaires (organismes scientifiques et ministères) issus de 13 Etats membres. Plusieurs organismes français ont participé aux travaux. Le budget total du projet était de 6,2 M€ : 45 % provenant de la Commission européenne (2ème Programme d'action communautaire dans le domaine de la santé) et les 55 % restants des organismes partenaires et des ministères des Etats membres. Pour la France, le financement principal était assuré par la Direction générale de la santé. L’objectif était de fournir à la Commission européenne et aux Etats membres une méthode rigoureuse et fiable de détection du potentiel génotoxique des nanomatériaux manufacturés susceptibles d'engendrer des cancers ou une reprotoxicité chez l'homme. Dans ce cadre, quatorze nanomatériaux manufacturés, choisis en fonction de leurs usages possibles dans différents types de produits (cosmétiques, aliments, produits de consommation courante) et de leurs voies d'exposition potentielles (orale, cutanée, inhalée), ont été soumis à étude.
La conférence finale de Nanogenotox s'est tenue le 22 février 2013 à Paris et a rassemblé environ 200 participants internationaux : scientifiques, décideurs nationaux des Etats membres et de l'Union européenne, représentants des différentes parties prenantes. Cet événement a été l’occasion de dresser le bilan des connaissances générées dans le cadre du projet et d’échanger sur les implications de ses résultats.
Les travaux issus du projet Nanogenotox ont permis de réaffirmer la nécessité d'une caractérisation physique et chimique complète et fiable des matériaux bruts et dispersés. Nanogenotox a proposé des procédures standardisées pour cette caractérisation ainsi qu’un protocole de dispersion commun. A partir des résultats, des adaptations des lignes directrices de tests in vitro et in vivo de l’OCDE ont été proposées.
Des travaux à poursuivre
L'action conjointe Nanogenotox a abouti à une production scientifique très riche en termes de données scientifiques et d’enseignements sur l’utilisation de protocoles de tests. Nanogenotox a apporté de nouvelles données essentielles à la fois aux scientifiques mais aussi aux évaluateurs ou preneurs de décision :
• Chaque nanomatériau est particulier, aucune extrapolation de résultats de test d’évaluation ne peut être faite pour l’ensemble des nanomatériaux portant par exemple le même nom chimique. En revanche il est possible d’utiliser des méthodes de tests et des protocoles de dispersion identiques pour un ensemble de nanomatériaux qui peuvent porter des noms chimiques différents.
• Les lignes directrices renseignant les tests réglementaires de génotoxicité des nanomatériaux doivent nécessairement être adaptées, car elles ne prennent pas en compte la spécificité des nanomatériaux.
• Un paramètre physico-chimique peut être mesuré par différentes méthodes et aboutir à une bonne corrélation entres les résultats. Un même appareil de mesure peut être utilisé pour plusieurs paramètres physico-chimiques.
• De nombreuses méthodes de caractérisation des paramètres physico-chimiques ont été utilisées afin d’obtenir la caractérisation des nanomatériaux la plus complète possible.
• Des effets génotoxiques ont pu être observés pour des essais à faibles doses alors qu’à plus forte dose, les effets n’existent plus. Cet effet «faible dose» mérite d’être approfondi.
Les résultats de Nanogenotox contribuent désormais à l'important travail mené par les membres du groupe de travail de l'OCDE sur les nanomatériaux manufacturés, amené à se poursuivre au cours des années à venir, en particulier par le biais du Programme de parrainage pour les essais des nanomatériaux manufacturés.